Le Tour dans la région,
113 ans d'histoires

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Personne n'aurait imaginé, en 1903, en voyant les silhouettes fatiguées se présenter à la Prairie des Filtres de Toulouse, que la région allait accueillir pendant un siècle (et sans doute bien plus) cette épreuve unique au monde. Chaque année, le Tour de France se déroule en grande partie dans notre région. Selon le tracé, plus ou moins d'un tiers de l'épreuve pédale sous le soleil de Midi-Pyrénées. En fonction du sens emprunté par la course, les cols d'ici se chargent de faire la sélection ou de l'affiner.

On ne compte plus les journées décisives vécues sur les pentes de l'Ariège, de la Haute-Garonne ou des Hautes-Pyrénées. A la triste exception de 1992 où la Grande Boucle s'était voulue européenne (une seule arrivée à...Pau), la caravane n'oublie jamais sa visite occitane. De génération en génération, les « aficionados » se pressent par centaines de milliers au bord des étapes, sur les sommets ou ailleurs, pour une communion toujours renouvelée.

Dès l'édition inaugurale donc, Toulouse a été ville-étape et c'est dans les Pyrénées, en 1910, que les coureurs ont vraiment découvert la haute montagne. Depuis, tous les départements ont accueilli avec plus ou moins d'assiduité les géants de la route. Eddy Merckx, l'immense champion belge, a choisi Luchon pour se lancer dans le plus bel exploit de sa carrière. Louison Bobet a endossé à Saint-Gaudens le maillot jaune de son dernier Tour victorieux et le duo Anquetil-Poulidor a inventé entre Andorre et la Ville rose un des épisodes les plus savoureux de l'histoire. C'est aussi sous le ciel de nos montagnes que s'est déroulé un des pires drames de la course : la mort accidentelle de Fabio Casartelli, le jeune Italien, au soleil du Portet d'Aspet en 1995.

De Gustave Garrigou, l'Aveyronnais vainqueur en 1912, à Jean-Christophe Péraud, le Toulousain deuxième en 2014, en passant par Jacques Esclassan et Laurent Jalabert, les maillots verts tarnais, ils sont des dizaines de champions avec l'accent d'ici à s'être illustrés dans le feuilleton de juillet. Voici quelques repères pour se souvenir...

                                                                                                    Patrick Louis

Préhistoire

Photo du cycliste Victor Cosson prise lors du Tour de France 1939./AFP

LA NAISSANCE

1er juillet 1903, 15h15. Devant l'auberge « Le Réveil Matin » à Montgeron, dans la banlieue sud-est de Paris, soixante athlètes (50 Français, 4 Suisses, 3 Belges, 2 Allemands, 1 Italien), moustachus pour la plupart, attendent le départ sur leurs bicyclettes. Ils doivent rallier Lyon à 467 kilomètres de là, à l'occasion de la première étape du premier Tour de France cycliste. Cette drôle d'aventure, qui un siècle plus tard est retransmise dans le monde entier et passionne des millions d'aficionados, est née d'une concurrence féroce entre deux journaux, « Le Vélo » et « L'Auto », sur fond d'affaire Dreyfus.

Pierre Giffard, rédacteur en chef du « Vélo », avait pris position en faveur du célèbre capitaine, provoquant la colère d'importants annonceurs et industriels dont le comte Jules Albert de Dion, fondateur de la marque De Dion Bouton. Le comte finira par créer en 1900 un journal concurrent, « L'Auto-Vélo », avec la complicité de partenaires de poids comme Clément et Michelin. Henri Desgrange, considéré depuis comme le père du Tour, est nommé à la tête du quotidien publié sur des pages jaunes (d'où la couleur du maillot encore aujourd'hui) alors que « le Vélo » sortait en vert.

L'idée de la création du Tour est favorisée par les débuts difficiles de « L'Auto » (après un procès perdu, la publication a dû enlever « Vélo » de son titre ») et la nécessité d'inventer un événement hors du commun pour faire décoller les ventes. Desgrange dirigeait le journal avec Victor Goddet, le père de Jacques, qui devrait créer « L'Equipe » suite à l'interdiction de « L'Auto » à la libération. Une interdiction liée à une ligne éditoriale très « contestable » sous l'occupation.

1903 : AUCOUTURIER, HEUREUX ET MALHEUREUX

La solide carcasse d'Hippolyte Aucouturier vient de se fracasser à l'entrée du village Tarn-et-Garonnais de Golfech. Il n'a pu éviter un chien qui traversait la route devant lui. Le vainqueur du Paris-Roubaix doit abandonner une deuxième fois (des problèmes d'estomac avaient ruiné ses espoirs dès la première journée à Lapalisse). A l'époque, les coureurs pouvaient repartir sans avoir fini une étape, mais ne pouvaient plus lutter pour le classement général. Maurice Garin sera le premier vainqueur du premier Tour de France...

Quatre jours plus tôt, le mercredi 8 juillet 1903, quelques curieux avaient applaudi l'Hercule de Commentry au virage du Cours Dillon lors de son arrivée victorieuse dans la Ville rose, 17 heures et 55 minutes après avoir quitté Marseille par une terrible matinée de mistral... Déjà vainqueur en Provence lors de la deuxième étape, Aucouturier semblait aussi fort que le ramoneur du Val d'Aoste, à tout jamais en tête du palmarès du Tour. Jusqu'à 1910 et l'entrée en scène des Pyrénées, Toulouse accueille chaque édition de la Grande Boucle. Elle sera ensuite régulièrement visitée avec notamment, les fameuses arrivées sur la piste du Stadium. Mais pour toujours, la capitale régionale va rester dans l'ombre de ses Pyrénées toutes proches.

1904 : PREMIERS SCANDALES

Le Tour à peine en marche n'a pas tardé à connaître ses premiers scandales. Dès 1904, lors de la deuxième édition, le tenant du titre Maurice Garin et Lucien Pothier sont agressés dans le col de la République près de Saint-Etienne par quatre hommes masqués sortis d'une voiture automobile. Plus loin, le Marseillais Fauré est « protégé » par deux cents supporters qui barrent le passage aux autres concurrents. Les organisateurs ramènent le calme en tirant des coups de feu en l'air !

Garin gagne quand même à Lyon mais de nouveaux incidents éclatent dans le Gard lors de l'étape Marseille-Toulouse. Cette fois, des supporters du Nîmois Ferdinand Payan. Vexés de la disqualification de leur poulain (il s'était aidé d'un véhicule motorisé dans l'étape précédente), ils bombardent les coureurs à coups de pierre.

Ce Tour ira pourtant au bout, Garin le gagnera comme l'année précédente mais sera déclassé (soupçonné avant l'heure d'avoir profité de la nuit pour monter dans des automobiles amies...), comme ses trois suivants, au profit d'Henri Cornet qui reste aujourd'hui encore, le plus jeune lauréat de l'Histoire à 19 ans, 11 mois et 20 jours...

19 juillet 1910 : L'ASCENSION

Sept étés après l'arrivée des pionniers sur les bords de Garonne, le Tour quitte Perpignan à l'assaut de ses premiers véritables sommets (en 1905, le Ballon d'Alsace, la côte de Laffrey et le col Bayard avaient été escaladés). Récit d'époque : « Les concurrents du Tour de France ont accompli mardi leur étape la plus dure. Pour la première fois, ils ont franchi les cols des Pyrénées qui se trouvent sur la route de Perpignan à Bagnères-de-Luchon. L'ascension du Puymorens et de Port (il y avait aussi le Portet d'Aspet et les Ares) fut particulièrement pénible mais les coureurs ont triomphé des difficultés... Le départ de Perpignan a été donné à trois heures et demie du matin à 62 coureurs… Le premier peloton est arrivé à Foix à 8h34. Il était composé de Faber, Dortignacq, Paulmier, Maitron, Crupelandt, Saillot, Lafourcade, Paul, Garrigou, Blaise, Cognat, Lapize, Azzini, Vanhouwaert, Georget, Cruchon, Deloffre et Bettini… Mais celui-ci est reparti trois minutes après. Trousselier, Guyon, Lannoy, Ménager, Cornet et Leblanc ne sont arrivés qu’à 8h42. A partir de Tarascon (148km, 9h06), le premier peloton a commencé à se disloquer. Lapize, Crupelandt et Georget ont progressivement pris de l’avance. Ils sont arrivés ensemble à Saint-Girons (204km, 11h15) tandis que Blaise et Garrigou sont passés à 11h25, Faber et Paulmier à 11h26. En tête, la lutte a alors été écharnée et Lapize, grâce à son courage, a triomphé de ses adversaires. Il a signé le premier la feuille de contrôle à Luchon à 2h23.

Classement de cette 9è étape : 1. Lapize, les 298 km en 10h53’, 2. Georget à 28’, 3. Faber à 32’… »

Premier épisode d'un merveilleux feuilleton invitant les coureurs à travers les générations à se mesurer à la nature dans toute sa terrible splendeur.

21 juillet 1910 : « LES ASSASSINS »

Ceux que l'on n'appelait pas encore les « Forçats de la Route » (Albert Londres n'inventerait cette exquise et douloureuse formule qu'en 1924 après son interview des Pelissier en Normandie, à Coutances) n'avaient encore rien vu. La suite allait être terrible. Suite de l'histoire.

« La deuxième partie de la traversée des Pyrénées a été effectuée jeudi par les concurrents du Tour de France sur le parcours Luchon-Bayonne. Le temps était magnifique mais la route a paru un peu rude aux coureurs qui étaient à peine remis de l’effort fourni l’avant-veille. Le départ a été donné à Luchon à 3h et demie… Après les 100 premiers kilomètres, très accidentés, Garrigou et Lapize sont arrivés à Barèges à 8h03, précédant de quelques minutes Cruchon et Lafourcade. Celui-ci rattrapait bientôt les leaders et atteignit Oloron (191e km) à midi 29. Il était suivi de Lapize et Albini à midi 36, Cruppelandt à midi 46, Trousselier à midi 47, Faber et Cruchon à midi 52… L’aspect de la course a alors complètement changé. A son tour, Albini a pris la tête et, suivi par Lafourcade, à 5 minutes, il passait à Mauléon (234è km) à 3h42. Mais à son tour Lapize est revenu… Après Saint-Jean-Pied-de-Port il a rejoint Albini et l’a finalement battu de trois longueurs ! »

Classement de la 10e étape : 1. Lapize les 326 km en 14h10 soit une moyenne de 23 km/h… »

Cette journée est restée célèbre grâce au cri de Lapize à l'encontre des organisateurs. Alors qu'il vient de mettre pied à terre pour terminer l'ascension de l'Aubisque, il passe devant le journaliste de « l'Auto » Vicor Breyer et lui lance : « Vous êtes des assassins... ». Le Parisien « ressuscitera », gagnera l'étape à Bayonne comme la précédente, mais aussi le Tour de France.

LES « ÉCHAPPÉS » DE LA GRANDE GUERRE...

Entré comme pilote dans l'armée de l'air en 1915, le « Frisé » rejoint le front à l'été 1917. Cité à l'ordre du corps d'armée pour avoir dégagé un avion en péril et descendu un avion ennemi, il vole vers une fin tragique. Au petit matin du 14 juillet, à 4500 m d'altitude, il est touché par un biplan allemand au-dessus du bois de Mont-Mare entre Toul et Pont-à-Mousson. Lapize avait 29 ans. Lucien Petit-Breton vainqueur du Tour en 1907 et 1908 succombe à l'hôpital de Troyes suite à un accident automobile, sur le front lui aussi. Le Luxembourgeois François Faber, vainqueur en 1909, est fauché le 9 mai 1915 en Artois en voulant sauver un de ses camarades dans une tranchée. La Grande Guerre a ainsi lourdement frappé le Tour qui reprendra son chemin dès 1919.

Chutes, faits divers et d'été

Le mémorial en l'honneur de Fabio Casaartelli, mort sur le Tour en 1995./Joël Saget/AFP

1995 – CASARTELLI, MORT DANS L'APRES-MIDI

Le coup de frein. La roue avant qui hésite entre le pire et le meilleur. La chute bien sûr, inévitable, mais après ? Camille, notre grand-mère de Roussenac, avait identifié le coupable.

Cet aveugle au sourire innocent qui parcourait –à pied ou à vélo ?- les chemins du ciel une paire de ciseaux à la main. Partout des fils. Partout des vies. Partout les fils de la vie. Ce mardi-là, celui de Fabio Casartelli ne va pas résister. Ce mardi-là, le champion olympique italien, engagé auprès d'Armstrong sous le maillot de la Motorola ne se relèvera pas. Parti pour toujours dans l’exercice de sa passion. Mort dans l’après-midi dans le décor paradisiaque du si joli Portet-d’Aspet aux virages empoisonnés… Honte à ceux qui ont sifflé le lendemain, dans les rues de Pau, la procession mémorable de ses équipiers anéantis. Depuis, le Tour se souvient et s’arrête régulièrement au pied de la stèle blanche dédiée à ce destin brisé.

1951 - LE MIRACLE VAN EST

Quarante-quatre ans plus tôt, un peu plus à l’ouest, Wim van Est, l’ancien contrebandier devenu coureur cycliste, s’engage dans la descente de l’Aubisque dans la lumière du maillot jaune gagné la veille à Dax. Une crevaison l’empêche de négocier un virage. Il effectue sans filet ni garanties un plongeon monstrueux dans le vide. Après un moment de panique et d’incrédulité, les suiveurs vont le remonter, en pleurs à l’aide d’une chaîne de boyaux noués.

« J’ai fait une chute de soixante-dix mètres, mon cœur s’est arrêté de battre, mais ma Pontiac marchait toujours… ». L’horloger, sponsor principal de l’équipe, n’a pas oublié de récupérer la grande frayeur du tout premier Néerlandais à porter la fameuse tunique.

1971 - L'ORAGE DU MENTE

Héros superbe et malheureux du Tour 1971, Luis Ocaña est resté persuadé qu’il avait gagné le Tour 1971 au moment où il s’est fracassé dans la rocaille du Mente. Tombeur du grand Merckx, pour le plaisir malsain de tout le peuple de France, l’Espagnol de Mont-de-Marsan a commis l’erreur de vouloir suivre son adversaire dans la descente devenue impraticable en raison d’un violent orage. Le scénario, on le connaît. Prise de risque maximum du Belge qui tombe en premier, entraînant Ocaña dans la boue. Alors que Merckx reprend l’exercice périlleux, le leader des Bic est percuté par Joop Zoetemelk en perdition, puis par le Portugais Joaquim Agostinho. Cris, larmes, douleurs, hélicoptère. Aucune blessure grave pour Luis, mais la fin d’un rêve adouci en 1973 mais en l’absence du Belge, par un triomphe absolu.

Les vertèbres d’Alain Santy dans le brouillard de l’Aubisque (c’était l’été suivant et Ocaña était encore dans la gamelle, avec Thévenet), le visage ensanglanté de Raymond Poulidor dans le Portet d’Aspet où René Vietto, bien avant, avait hurlé à l’injustice, la clavicule du pauvre Mariano Rojas (deux heures après le décès de Casartelli) dans la descente du Tourmalet, quelques mois avant sa mort, il ne fait pas toujours bon s’aventurer dans les pattes magnifiques du massif. Le prix à payer, sans doute, pour tant de beauté.

Raymond Poulidor : « Mon vélo m’a sauvé la vie »

« C’était dans l’étape de Luchon du Tour 1973. Je crois que Fuente était devant, moi je descendais derrière Ocaña et Zoetemelk qui a hésité, il a freiné et mal négocié son virage, je suis allé tout droit dans le vide et je ne savais vraiment pas qu’est-ce qu’il y avait derrière ! En fait, c’est mon vélo qui m’a sauvé la vie parce que je suis resté dessus… Il s’est écrasé sous moi et je suis tombé ensuite. J’étais abîmé de partout mais très vite, j’ai senti du chaud sur ma tête, mon visage, je saignais énormément. J’ai regardé là-haut, vers la route, et j’ai vue deux bras tendus, les bras de Goddet. "Merci M. Goddet, vous m’avez sauvé", ce sont les premiers mots que j’ai prononcés en remontant sur la route. Ensuite, je me suis tourné vers ma voiture : "Monsieur Caput, mon vélo !". Je n’avais pas réalisé que le Tour était fini pour moi. Et je me suis retrouvé à l’hôpital de Saint-Gaudens, dans la même chambre qu'Ocaña deux ans plus tôt. Et le premier à venir me voir, c’était Jacques, Jacques Anquetil ».

JOURS DE GRèVE

En 1978, le Tour multiplie les transferts et les demi-étapes. Les coureurs se lèvent tôt, se couchent tard, s'arrêtent, repartent et ils en ont assez. Dans les derniers kilomètres de l'étape qui mène à Valence-d'Agen le 12 juillet en fin de matinée, les leaders historiques, Karstens, Maertens, Kuiper, Pollentier, Martinez, mandatent Bernard Hinault, champion de France, pour les représenter. Le peloton se présente à pied à Valence-d'Agen, où le maire, Jean-Michel Baylet, leur réserve un accueil assez « frais »... La course retrouve son allure l'après-midi et Jacques Esclassan, le Tarnais, s'impose au sprint à Toulouse.

Vingt ans pile après cet épisode mémorable, alors que la France n'en finit plus de célébrer ses footballeurs champions du monde, le Tour progresse difficilement, en proie aux conséquences de l'affaire Festina. Les enquêtes se multiplient autour d'un peloton fliqué. Mises hors course, arrestations, gardes à vue. Au départ de Tarascon-sur-Ariège, alors que tous les coureurs sont assis sur la route au départ vers le Cap d'Agde, Laurent Jalabert, champion de France, prend le micro de la voiture de Jean-Marie Leblanc, le directeur. « On nous traite comme du bétail, on va se comporter comme du bétail et on n'ira pas plus loin... ». Discussions, négociations, le sport finit par reprendre le dessus mais le chemin jusqu'à Paris va sa transformer en chemin de croix avec notamment le retrait de tous les Espagnols et des Néerlandais.

1950-2008 - A LA SAUCE ITALIENNE

On avance de 10 ans, les années en « 8 » sont terribles (en 1968, l'annulation de l'épreuve avait été envisagée suite aux événements du mois de mai). Cette fois, pas de mouvement syndicaliste, mais l'arrestation à Lavelanet, le 17 juillet 2008, de l'Italien Riccardo Ricco. Il va être présenté au procureur de Foix, toujours dans le cadre de la lutte contre le dopage. Il quitte le Tour mais lui n'a pas le choix, contrairement à ses glorieux prédécesseurs, Gino Bartali en tête et Fiorenzo Magni, alors maillot jaune. Officiellement suite à des incidents en haut du col d'Aspin, les Transalpins craignent pour leur sécurité. Le mercredi 26 juillet 1950, ils restent dans leur hôtel de Loures-Barousse et laissent la caravane partir sans eux vers Perpignan.

1968 - POULIDOR EST MAUDIT

« Cette année-là, j’aurais gagné ! ». On peut faire confiance à Raymond Poulidor, il n'a pas pour habitude de raconter des histoires ou de se mettre en avant. « J’étais parti dans une échappée et la moto de Kléber-Colombes remontait pour relever les dossards et transmettre les écarts. À une trentaine de kilomètres d’Albi, le type s’est retourné, il est parti dans le fossé, qui était un peu profond, la moto a été propulsée et elle est retombée sur moi. Je perdais le Tour, c’est vrai, mais je m’en sortais bien. J’aurais pu y rester… J'aurais pu perdre la vie ». Le Limousin qui a fêté au printemps de cette année son 80e anniversaire n'a jamais gagné le Tour de France. Il n'a même jamais porté le maillot jaune... C'est comme ça. En 1968, le Hollandais Jan Janssen a peut-être pris sa place sur la première marche du podium. « Poupou » était déjà chez lui à Saint-Léonard-de-Noblat. Suite à ses blessures, il n'avait pas pris le départ d'Aurillac.

Sa majesté Tourmalet

Photo prise le 14 juillet 1938 de cyslites sur la route du Tourmalet et Sainte-Marie, lors de la 8ème étape, Pau-Luchon./AFP

Le premier grand col escaladé sur le Tour de France, dès 1910, reste un des sommets incontournables de l'épreuve. Escaladé plus de 80 fois, il n'a pas toujours fait la différence mais quel décor, quelle route, quelle histoire !

UN MONUMENT NÉ D'UN MENSONGE

Henri Desgrange, le patron du journal « L'Auto » et du Tour de France, envoie un de ses collaborateurs, Alphonse Steinès, en reconnaissance dans les Pyrénées. Parti de Bagnères-de-Bigorre, Steinès se retrouve bloqué à quatre kilomètres du sommet, termine à pied dans la nuit mais décide de masquer la vérité. « Passé Tourmalet. Stop. Très bonne route. Stop. Parfaitement praticable. Stop. Signé Steinès ». On doit à ce mensonge la naissance d'un monument, l'ouverture d'une voie nouvelle pour le cyclisme, celle de la très haute montagne... L'été suivant, celui de 1910, les coureurs doivent parcourir 325 kilomètres entre Luchon et Bayonne. Et escalader quatre difficultés terrifiantes, puisque le Tourmalet est encadré par Peyresourde, Aspin... et l'Aubisque ! Octave Lapize va devenir ce jour-là le premier « vainqueur » du Tourmalet mais Gustave Garrigou est le seul à être resté jusqu'au bout sur son vélo !

1947 - ROBIC : « JE TE RAMèNERAI LE MAILLOT JAUNE »

Trois ans après la fin de la guerre, c'est le Tour de la renaissance, le retour à la vie. Le Breton Jean Robic se marie peu avant le départ et déclare à son épouse : « Je n'ai pas de fortune à t'offrir, mais je te ramènerai le maillot jaune ». Du côté de l'équipe de France et auprès des leaders étrangers, l'ambition du petit Breton, né dans les... Ardennes, fait sourire. Il va pourtant gagner et on rappelle toujours à ce sujet son attaque dans la côte de Bonsecours, le dernier jour, à la sortie de Rouen. Pourtant, c'est bien dans les Pyrénées que « Biquet » a posé les bases de son succès. Largué au général avant d'attaquer le massif, il se lance et réussit un solo fantastique entre Luchon et Pau, escaladant tous les cols en tête, dont le fameux Tourmalet. De 25 minutes, son retard est passé à 8'08'', la remontée peut débuter. Vietto va s'y écrouler dans le contre-la-montre Vannes-Saint-Brieuc (139 kilomètres, les amateurs apprécieront...) et Brambilla lors de l'ultime journée. Au moment où la radio a annoncé l'exploit, le curé de Radenac qui a eu le coureur comme enfant de chœur fait sonner les cloches de l'église. Certains ont juré les avoir entendues au-dessus de Sainte-Marie-de-Campan...

1957 - LA GRANDE PEUR DE JACQUES ANQUETIL

Jusqu'en 1956, la route du pic du Midi sera empruntée lors de chaque édition du Tour. La première infidélité n'aura lieu qu'à cet été-là, alors que les plus grands, Philippe Thys, Firmin Lambot, Ottavio Bottechia, Nicolas Frantz, Sylvère Maes, Jean Robic, Gino Bartali et Fausto Coppi, ont écrit quelques uns des épisodes les plus touchants de cette escalade si particulière entamée au départ de Sainte-Marie-de-Campan ou de Barèges en fonction des années et du sens de la course. En 1957, alors qu'il découvre le Tour et roule déjà en jaune, Jacques Anquetil, délaissé par ses partenaires de l'équipe de France, ne doit son secours qu'à des alliés de circonstance, comme celle du Lotois Georges Gay, futur président du Guidon Sprinter Club Blagnacais et dénicheur de pépites (Laurent Jalabert, Frédéric Moncassin, David Moncoutié, Philippe Louviot...).

1969 - EDDY, L'EXPLOIT ABSOLU

L’Histoire exige un détail ridicule pour s'emballer. A l'entame de la troisième et dernière semaine du Tour 1969, le jeune Eddy Merckx, sans rival sur le chemin de son premier maillot jaune, vient d’apprendre, par hasard, le départ prochain de son montagnard préféré, Martin Van Den Bossche. L’immense Flamand au masque de supplicié roulera en 1970 pour le charcutier italien Molteni. Merckx ne sait pas encore qu’il rejoindra la même boutique de salamis un an plus tard, mais pour l’heure, il convient de défendre l’honneur des machines à café Faema. Alors le Bruxellois accélère en haut du Tourmalet pour rejoindre et dépasser son « ami ». Le brave Martin, épaules rentrées, yeux écarquillés, voit, incrédule, « son » maillot jaune sprinter, et le priver d’un sommet mythique… Sous la banderole de chocolat Poulain, partenaire du Grand Prix de la Montagne qui n'était alors pas matérialisé par le maillot à pois, Merckx ne se relève pas. Il fait la descente. Plus personne ne le reverra avant l’arrivée à Mourenx. Pour une bêtise, pour rien ou presque, cette étape de montagne d’un Tour déjà joué, va changer de statut. Elle reste, aujourd’hui encore pour beaucoup, malgré les hésitations du maître (lui préfère l’épopée italienne du printemps 68, au Tre Cime di Lavaredo), son chef-d’œuvre absolu.

Tard le soir, auprès des journalistes « Lomme » Driessens, plus communément appelé sur l’autre rive du Quièvrain « Guillaume le Menteur », (il était directeur sportif de Merckx après avoir managé Fausto Coppi, puis dirigé Rik Van Looy), mettra son bagout formidable au service d’une version plus noble. « Tout était prévu. Nous voulions qu’Eddy frappe un grand coup ». La vérité n’aura pas à rougir. Après tout, l’exploit a bien eu lieu. Tourmalet, Soulor, Aubisque, et ce ruban de plat assassin jusqu’à Mourenx, cette ville nouvelle dont le vélodrome porte, depuis le trentième anniversaire de cette incroyable chevauchée, le nom de l’ogre de Tervuren. 140 kilomètres d’une échappée aussi folle que solitaire. Huit minutes d’avance sur le rival le plus « consistant » (l’Italien Dancelli). L'exploit majeur dans ce décor de rêve et de cauchemar, c’est Eddy Merckx qui l’a paraphé le mardi 15 juillet 1969 entre la reine des Pyrénées et la ville champignon. Léon Zitrone, pourtant rompu aux gestes inoubliables des grands de ce monde, ne s’en est jamais remis. « Vous êtes un seigneur », s’était-il égosillé sur la ligne d’arrivée surchauffée.

Eddy Merckx lui doit son surnom de « Cannibale ». La légende situe le « baptême » au plus fort de la domination du Belge en juillet 1969, mais Christian Raymond, partenaire du Belge sous le maillot à damiers de Peugeot, avait trouvé cette image bien avant et n’appelait l’immense champion bruxellois que « Canni »…

Eddy Merckx : « Je me suis relevé »

« Cette étape de Mourenx évidemment, en France, tout le monde m'en parle tout le temps… Pourtant ce n’était pas vraiment prémédité, comme on l’a dit et écrit, j’ai fait le haut du Tourmalet parce que j’étais contrarié du départ de Martin Van den Bossche, de la façon dont ça s’était fait. Alors j’ai accéléré, juste pour passer en tête, sans aucune autre pensée. J’ai fait la descente mais ensuite, je ne savais plus trop quoi faire, je n’avais pas très envie d’aller beaucoup plus loin. Je me suis ravitaillé, je n’ai pas attendu mais je n’ai pas vraiment roulé non plus… Et puis ils ne sont jamais revenus et moi j’ai continué. Franchement, dans le final, je l’ai regretté. J’ai vraiment beaucoup souffert et je n’avais pas besoin de ça pour gagner le Tour. L’exploit est resté, cent vingt kilomètres seul avec huit minutes d’avance, sur une course aussi dure, ce n’est pas rien… Pourtant lorsqu’on me demande qu’elle a été ma plus grande victoire, je parle souvent du Tour d’Italie l’année précédente, et des Trois Cime di Lavaredo. Dans des conditions épouvantables, dans le froid, j’avais réussi là-bas un numéro de tout grand grimpeur… J’ai bien fait d’en profiter parce qu’après il y a eu ma chute de Blois et j’ai toujours plus ou moins connu par la suite des problèmes en montagne ».

1970 - UN LIONCEAU DANS LE BROUILLARD

Le 15 juillet 1970, un an après l'écrasante échappée, Christian Raymond arrive en solitaire à Mourenx, au bout d’une étape qui a vu les coureurs escalader deux géants, le Tourmalet et l’Aubisque ! Vingt-quatre heures plus tôt, la France, à travers les brumes de La Mongie, avait découvert un nouveau talent, souriant et prometteur : Bernard Thévenet. Vainqueur surprise sur les pentes du Tourmalet (il n’était pas retenu pour le Tour, il avait été un des derniers invités au départ de Limoges après le forfait d'un équipier), il avait décroché un des plus surprenants bouquets de la belle récolte des lionceaux de Gaston Plaud (juste avant le final parisien, le jeune Jean-Pierre Danguillaume s'était offert Jan Janssen à l'arrivée à Versailles).

1991 - LA FIN DE LEMOND, LA NAISSANCE D'INDURAIN

L'histoire moderne a de nouveau trouvé, sur les pentes du « Mauvais détour », le cadre idéal pour des exploits ou des défaillances d'envergure. En 1991, alors qu'il compte trois victoires à son palmarès, l'Américain Greg LeMond s'avance en favori pour un nouveau sacre. Mais il faiblit dans la terrible ascension : ses dix-sept secondes de retard sur un groupe comprenant Miguel Indurain vont se transformer en minutes. Le jeune Espagnol « fait » la descente, Claudio Chiappucci s'impose à Val Louron, mais le futur quintuple vainqueur endosse son tout premier maillot jaune.

2010 - ALBERTO CONTADOR REND SON MAILLOT JAUNE A ANDY SCHLECK

En 2004, Lance Armstrong et Ivan Basso animent en tandem le final de l'étape qui se termine à La Mongie. Deux ans plus tôt sur ces mêmes pentes, l'Américain s'était envolé comme il savait si bien le faire. Cette fois, il voit d'un très bon œil le succès de son ami italien. En 2010, sur l'autre versant et lors d'une nouvelle arrivée au sommet, Alberto Contador et Andy Schleck écrasent leurs adversaires. Contador gagnera le Tour mais devra le rendre au jeune Luxembourgeois à la suite d'un contrôle positif. Depuis, régulièrement, la prestigieuse difficulté est escamotée par les grands. Trop près du départ ou trop loin de l'arrivée, elle ne s'accommode pas toujours bien des scénarios modernes. Le Tourmalet est pourtant toujours aussi redoutable, toujours aussi redouté.

Tous les vainqueurs du Tourmalet :

Danguillaume : « J'ai pris une colère terrible ! »

Avec sa gouaille de coursier d'autrefois, le baroudeur de l'équipe Peugeot nous explique son double succès au Tourmalet en vingt-quatre heures. Jean-Pierre Danguillaume, vainqueur de sept étapes du Tour de France, n'oubliera jamais ces deux-là...

« J'étais trop mal ce jour-là, au lendemain de l'arrivée au Pla d'Adet et après deux journées dans les Pyrénées, et je suis parti seul dans l’Aspin. A Lourdes, j’avais huit minutes et j’ai continué… A Barèges, j’ai attaqué le Tourmalet au train mais les quatre derniers kilomètres ont été terribles. En plus, je n’étais pas renseigné… Mais j'ai gagné. Le lendemain, je prends l’Equipe croyant voir mon exploit à la Une. La photo et le gros titre étaient sur Poulidor ! J’ai pris une colère terrible et j’ai décidé de repartir. Mon directeur sportif n’était pas trop d’accord mais tant pis. Je suis allé voir le mécano, je lui ai dit de me préparer une roue légère avec des développements pour le plat. Avant le ravito, je suis descendu chercher deux bidons, et j’ai flingué. On est parti à quatre et on remontait le Tourmalet de l’autre côté. En bas de la descente, j’ai fait semblant de crever, j’ai pris la bonne roue, et sur le circuit de Pau, je gagne au sprint malgré les deux Espagnols (NDLR : Andres Oliva et Juan Zurano) et De Witte qui était très rapide. Cette fois, ils n’ont pas pu faire autrement, ils m’ont mis à la Une ! Le jour suivant, mon frangin gagnait l’étape du Tour de l’Avenir à Bordeaux. Les Danguillaume ont gagné pendant trois jours ! ».

pour la petite HISTOIRE :  LA FOURCHE DE CHRISTOPHE

Le 9 juillet 1913, le Tour de France revenu définitivement à un classement aux temps, s'attaque à la monumentale étape pyrénéenne. Alors qu'Odile Defraye, le Belge, vainqueur surprise de l'édition précédente, abandonne à Barèges, le Français Eugène Christophe s'échappe avec Philippe Thys. Il ne sait pas encore que les heures suivantes vont l'envoyer dans la légende... Il raconte : « A l’approche du sommet du Tourmalet, je descendais pour retourner la roue arrière et adapter le grand développement. J’atteignais le sommet avec quelques centaines de mètres de retard sur Thys mais j’avais près de vingt minutes d’avance au général sur lui, donc pas d’affolement. Je pensais à tout cela quand soudain je sentis ma direction se bloquer ; un rapide coup d’œil sur l’avant de mon cadre et je constatais que ma fourche s’affaissait. J’étais à 2000 m d’altitude et à 17 kilomètres du premier village où il me serait peut-être possible de trouver un atelier où réparer, le règlement ne m’autorisant ni à changer de machine, ni à en emprunter une momentanément. Il m'a fallu descendre avec mon vélo sur le dos, en portant ma roue… J’essayai de courir, de couper par des sentiers mais cela ne durait jamais longtemps, je glissais avec mes souliers cyclistes sans talon… A un moment les camarades lâchés dans l’Aubisque m'ont passé dans la descente. C’est à ce moment que j’ai éprouvé le plus de peine et je n'ai pu m'empêcher de pleurer comme un enfant en voyant mes efforts annulés… J’étais prêt à abandonner. Mais je continuai, presque machinalement, mon calvaire. Je ne puis dire combien les derniers kilomètres me parurent longs, combien mon vélo me parut lourd. Je venais de courir 255 km dont trois cols très durs… Imaginez… J’arrivai enfin chez un charron-forgeron de Sainte-Marie-de-Campan et n’ayant pas le droit de changer le tube de ma fourche, je me mis en devoir de raccorder les deux morceaux cassés. Pour percer mes trous de goupille, il me fallut faire tourner la machine à percer du forgeron. Cela me valut trois minutes de pénalisation de la part des commissaires qui surveillaient mon travail et ce sur réclamation des constructeurs concurrents qui étaient également présents. Une fois ma fourche réparée et remontée avec la moitié des billes en moins, je demandai à la patronne de lui acheter un morceau de pain et du beurre. Cette brave femme ne voulut point accepter mon argent. Elle ne se doutait pas qu’elle risquait de me faire encore pénaliser… ». Christophe termine 7e à Paris, il ne gagnera jamais le Tour mais sera le premier à porter le maillot jaune au départ de Grenoble en 1919.

Les sommets

Richard Virenque et Laurent Jalabert à l'assaut du Plateau de Beille en 2002/Franck Fife/AFP

Depuis près d'un siècle, le Tour de France s'attaque aux difficultés des différents massifs montagneux, mais les organisateurs n'ont jamais osé, jusqu'à cet été 1952, effectuer une arrivée d'étape au sommet d'un col. Ils franchissent le pas en 1952 avec pas moins de trois arrivées en altitude, à L'Alpe d'Huez tout d'abord, à Sestrières ensuite et au Puy-de-Dôme enfin. L'Italien Fausto Coppi ne fait pas de détail puisqu'il s'impose à chaque fois et écrase le Tour. Comme cette 39e édition accueille également la télévision pour un résumé quotidien, la nouveauté ne passe pas inaperçue.

Les Pyrénées qui avaient été les premières à accueillir les coureurs en 1910, vont, paradoxalement devoir attendre jusqu'à 1961 pour vivre à leur tour une arrivée en altitude. L'Italien Imerio Massignan inaugure la longue liste des « très hautes » victoires pyrénéennes à Superbagnères devant son compatriote Carlesi, l'Allemand Junkermann, et le maillot jaune Jacques Anquetil en route vers son deuxième succès dans le Tour. Dès l'année suivante, les coureurs repartent à l'assaut de la station au-dessus de Luchon, lors d'un contre-la-montre cette fois enlevé par l'Espagnol Federico Bahamontes. Superbagnères en 1971 vivra par ailleurs l'étape en ligne la plus courte de toute l'histoire du Tour.

PICS DE BIGORRE

Avec pas moins de dix arrivées en 40 ans, le Pla d'Adet qui domine si fièrement Saint-Lary-Soulan reste la montée la plus utilisée pour un final au sommet dans les Pyrénées. Le baptême de 1974 est resté dans toutes les mémoires, avec la dernière victoire sur le Tour de Raymond Poulidor. A 38 ans, le Limousin avait fait plier le grand Merckx, signant un des plus beaux succès de sa longue trajectoire. Le Pla d'Adet a ensuite servi d'envol à Lucien Van Impe, le lutin flamand attaquant enfin de loin sur l'insistance de son directeur sportif Guimard pour aller chercher le maillot jaune porté depuis Pyrénées 2000 par Raymond Delisle. C'était en 1976, au cœur d'un été torride et depuis, les Belges n'ont plus jamais gagné le Tour...

Une décennie plus tard, il a fallu se familiariser avec le nom de Luz-Ardiden, une des ascensions les plus prisées des bouillants supporters basques. Pedro Delgado y a été le premier vainqueur en 1985, Bernard Hinault parti pour sa cinquième victoire ayant passé de sales moments sur les derniers lacets et Gilbert Duclos-Lassalle y a obtenu une vraie « victoire morale ».

« Souvent les gens me parlent de cette journée comme si j'avais gagné là-haut, explique le Béarnais, mais je n'avais terminé que deuxième ». Devant lui, le spécialiste espagnol Laudelino Cubino avait résisté jusqu'au bout.

Lors du Tour du centenaire, en 2003, Luz Ardiden a de nouveau marqué les esprits avec la chute de Lance Armstrong qui a accroché son guidon à la musette d'un enfant au bord de la route et entraîné au sol le Basque Iban Mayo. Reparti rageur, l'Américain a failli tomber de nouveau en déchaussant avant de se lancer vers l'avant, de lâcher Jan Ullrich, de rattraper Sylvain Chavanel échappé depuis des heures et de s'imposer, seul à l'ombre du pic d'Aulian.

Escaladée à cinq reprises, la rude pente de Hautacam est marquée à jamais par l'insolente supériorité de Bjarne Riis à l'été 2016. Alors que la plupart des observateurs promettaient un sixième Tour à Miguel Indurain, le Danois, ancien équipier de Fignon, a violemment changé de statut. Son avènement marquera la fin du règne de Miguel Indurain (il va même prendre sa retraite à la fin de l'année), débuté cinq ans plus tôt dans les Hautes-Pyrénées, à Val-Louron où Greg LeMond avait dû accepter de tourner la page.

LES VERTS PâTURAGES ARIéGEOIS

Le Belge Jelle Vanendert a mis fin en 2011 à une tradition grandissante qui voulait, depuis 1998 et la victoire de Marco Pantani, que le vainqueur du Plateau de Beille était assuré de porter le maillot jaune sur les Champs-Elysées. Lors de la derrière visite du Tour sur la station ariégeoise « Purito » Rodriguez, premier en haut mais loin au général, a confirmé que la règle était bien rompue.

Très vite en piste grâce à Ax-les-Thermes, une véritable halte classique des Tours d'avant-guerre, l'Ariège n'a connu sa première arrivée en altitude qu'en 1984 avec la découverte de Guzet-Neige. A l'été 1988, Guzet devait être le théâtre de la plus grande déception du coureur normand Philippe Bouvatier, aiguillé sur un parking à trois cents mètres de l'arrivée alors qu'il avait course gagnée ! Une troisième et dernière visite, marquée par le numéro de Pantani dans les brumes, et Guzet-Neige s'est fait voler la vedette par le Plateau de Beille où tous les grands ont triomphé (avec lors d'un récital Armstrong en 2004 la défense héroïque de Thomas Voeckler qui avait sauvé son maillot jaune pour quelques secondes devant une foule en délire), et par Ax-3-Domaines que le Britannique Christopher Froome a mis à profit en 2013 pour ravir le maillot jaune au Sud-Africain Daryl Impey et ne plus le quitter.

SOUS LE CIEL DU BéARN

Le col d'Aubisque reste un des plus fréquentés par les coureurs, mais deux arrivées seulement y ont été jugées. La première sur une étape matinale éclair lors de laquelle Stephen Roche, piloté par Raphaël Géminiani, avait bousculé le maillot jaune Bernard Hinault déjà en difficulté la veille dans le brouillard de Luz-Ardiden. Le Breton a pu, ce jour-là, compter sur un sacré coup de main du Colombien Lucho Herrera, avec qui il s'était allié en début d'épreuve dans les Alpes.

Lors de la deuxième étape jugée sur le sommet des Pyrénées-Atlantiques (par l'autre versant, côté Gourette), le Tour 2007 était en pleine tempête. Dopage, soupçons, mises hors course, c'est là que l'on a vu pour la dernière fois le déroutant grimpeur danois Michael Rasmussen. Il s'est imposé comme prévu, a consolidé son maillot jaune, mais le soir même, tard, son équipe Rabobank, fortement encouragée par les organisateurs excédés, allait le conduire dans un hôtel de la région en le priant de ne plus penser à la course ! Un fait unique dans la très riche histoire de la Grande Boucle...

Une seule autre arrivée au sommet dans les Pyrénées-Atlantiques, celle de La Pierre Saint-Martin en 2015. Là encore, la polémique était au rendez-vous. Cette fois, c'est la supériorité insolente de Chris Froome, échappé dès le pied de la difficulté, qui avait déchaîné toutes sortes de rumeurs, du dopage au... vélo électrique. Une seule certitude, le Tour 2015 était terminé au soir de la première étape de montagne.

EN BAS DANS LES VALLéES

Comme nous l'évoquons plus haut, il a fallu attendre le Tour de France 1952 pour que les organisateurs choisissent d'établir les premiers classements en altitude. Mais une impressionnante liste d'étapes de montagne s'est terminée dans la vallée, quelques kilomètres après le passage du dernier col. Elles entrent naturellement dans ce chapitre consacré aux sommets... Bagnères-de-Luchon, on s'en doute, se taille la part du lion sur ce terrain avec de vertigineuses descentes du col de Peyresourde, comme en 1983, le jour de la prise de pouvoir de Pascal Simon (son maillot jaune allait se déchirer dès le lendemain à la sortie de Montréjeau …) et l'avènement d'un certain Laurent Fignon qui, à la fin de sa vie, allait se retrouver pour un projet important à Bagnères-de-Bigorre, autre havre réputé au pied des montagnes du Tour.

PAU, L'INCONTOURNABLE

La cité du bon roi Henri est aussi une des places fortes du Tour de France. En sortant des Pyrénées, ou juste avant d'y entrer, les coureurs de toutes les générations y sont passés. Spécialisée aujourd'hui dans les départs et les journées de repos, elle a connu quelques épisodes fameux, comme la fuite de Bernard Hinault en 1980, alors qu'il portait le maillot jaune mais se plaignait d'un genou.