1936, l'année des congés payés

1936, l'année des grands bouleversements,  l'année des grandes manifestations populaires pour tenter d'échapper à une situation de domination à la fois sociale morale et économique, l'année des fameux accords de Matignon qui vont modifier le contrat social en accordant enfin à tout travailleur un temps de repos hebdomadaire bien mérité.

80 ans après, le Front populaire appartient toujours au grand mythe qui font l'Histoire et qui, le bonheur n'étant pas fait pour durer, a vu très vite ses espoirs brisés par la folie des guerres.

Cet été, la rédaction de La Dépêche a rouvert les pages de cette histoire qui a modifié le cours de la vie et qui, de longues décennies après, garde une singulière résonance dans une actualité chargée faite aussi de combat sociaux.

Le grand sud, par sa mobilisation, par la politique qui y a été conduite, par ses actions sociales, culturelles, par son regard sur la jeunesse a largement contribué à participer à cette grande rencontre entre la nation, les citoyens et la République.


Front populaire : l'entrée dans la « modernité sociale »

Juin-Juillet 1936. Le Front populaire est victorieux. La coalition des socialistes, communistes et radicaux gagne les législatives et porte au pouvoir Léon Blum. C'est le début de la mise en oeuvre d’un programme social bâti autour de ce qu’on appellera les accords de Matignon. 

Il y a quatre-vingt ans déjà ! « Dans notre mémoire collective, les grèves du Front populaire occupent la place exceptionnelle d’un événement fondateur ; elles marquent à la fois l’accès à la dignité de ce que l’on peut appeler alors la classe ouvrière, l’affirmation de sa force et l’entrée dans une forme de modernité sociale qu’instaurent les conquêtes des accords de Matignon. » Voilà comment l’historien Antoine Prost résume cette période qui a si bien marqué nos consciences. Lois d’amnistie générale, congés payés, conventions collectives, scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans… Un train de mesures inédites verra le jour. 

Réunification syndicale 

Le Grand Sud a largement pris sa part dans les évènements qui se succèdent à toute allure depuis le début des années trente. A Toulouse, cette année 36 est marquée par la grande réunification syndicale (CGTCGTU) lors du congrès national qui se déroule du 2 au 5 mars. Les premières grèves éclateront à l’usine Breguet du Havre le 12 mai 1936, et s’étendront jusqu’à la mi-juillet en rassemblant en France deux millions de grévistes. Le 13 mai, débrayent les ouvriers de Latécoère qui inaugurent une nouvelle forme d’action : la grève sur le tas en se plantant, les bras croisés, à leur poste de travail. C’est le maire de Toulouse, Antoine Ellen-Prévot qui jouera les intermédiaires en obtenant la réintégration des salariés grévistes qui avaient été licenciés. Puis ce sera au tour de l’usine Dewoitine, des métallos, des petites mains du textile... Jusqu’aux garçons de café et au personnel des hôtels. Dans l’Hérault, dès 1935, l’agitation sociale a gagné les campagnes à l’heure des vendanges où les grévistes, en position de force, obtiennent des contrats de travail et des hausses de salaires. 

La pauvreté des villes

Toulouse connaît un fort taux de chômage. Depuis 1929 et la Grande dépression, la classe ouvrière souffre et le fait savoir lors de « marches de la faim ». En cette année 1936, dans la Ville rose, dix mille personnes perçoivent une allocation après avoir rejoint les files d’attente des bureaux d’aide sociale de la rue du Taur. La vie est rude et le maire Ellen-Prévot fait de l’aide aux plus pauvres sa priorité en consacrant 3,3 millions de francs aux chômeurs. Même s’il condamne le fascisme et l’extrême droite, la première revendication du peuple est d’avoir « du travail et du pain », un slogan que scande la foule dès le 14 juillet 1935, lors des premières manifestations qui préfigureront le Front populaire. Les congés payés étaient bien loin de faire partie des doléances des ouvriers. 

A cela, il faut ajouter des conditions de travail difficiles. A l’Onia (qui deviendra AZF,), les ouvriers sont asphyxiés par l’oxyde de carbone. A la société hydromécanique, allées de Brienne, les bacs d’acide étaient tellement délabrés que l’acide suintait dans l’atelier, raconte Violette Marcos, agrégée d’histoire, coauteur d’un ouvrage consacré au Front Populaire paru en 2006 aux Editions Loubatières.

 Jean-Marie Decorse

A la plage, dans les vignes, ou la grande bouffée d'air pur


Robert Doisneau et bien d'autres photographes les ont immortalisées pour nous. Ce sont les premières vacances, les vraies, comme un moment de bonheur, une bouffée d’air pur. Charles Trenet chantait lors : « C’est la vie qui va, Vive la vie, vive l’amour, La vie qui nous appelle… » 

À pied, en tandem, sur des motos pétaradantes aux porte-bagages surchargés, la France prend ses premiers quartiers d’été et goutte aux joies de la famille. Ces photos couleur sépia, véritables icônes du Front populaire, veulent symboliser un nouvel art de vivre. Sait-on qu’à cette époque, quatre Français sur cinq n’ont encore jamais vu la mer ? Et que seulement un Français sur dix a appris à nager ? 

En fait, le Front populaire met fin à une injustice, car le principe de « vacances payées » existait déjà pour les fonctionnaires et salariés des entreprises subventionnées par l’État. Seuls les ouvriers du secteur privé n’y avaient pas droit. Voilà qu’ils bénéficient désormais de quinze jours de congés payés, dont au moins douze jours ouvrables, sous la seule condition de justifier d’un an de présence dans sa société. Les vacances ne sont donc plus réservées à une classe de « privilégiés ». La généralisation des congés payés octroyés par les accords de Matignon, place tout le monde à égalité. 

Mais une autre bonne nouvelle arrive dans les foyers : l’État annonce qu’il va accorder une réduction de 40 % sur les billets de train des compagnies privées de chemin de fer. Dès l’été 36, sont délivrés 600 000 billets, puis 900 000 l’année suivante. Mais là encore, il y a une condition : partir au minimum cinq jours et parcourir au moins deux cents kilomètres. Le tourisme populaire en est à ses balbutiements. Sur les plages de Sète, de Leucate ou La Franquie, les premiers estivants côtoient les pêcheurs. 

Tout le monde ne va pas à la mer

« L’homme qui travaille a besoin de se recréer pendant ses heures de loisir. Pour répondre à cette nécessité, le tourisme doit être mis à portée de tous pendant les week-ends et les vacances », affirme le jeune radical-socialiste Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale. Mais gardons-nous des images d’Épinal inséparables du mythe de 36. Cet étélà, tout le monde ne court pas à la plage. Seuls les jeunes couples et les célibataires bénéficient de ces premiers séjours balnéaires. 

Dans le Grand Sud, ces congés sont plutôt mis à profit pour de courts trajets à la découverte de nos villages, pour rendre visite à sa famille éloignée, pour participer avec elle aux travaux des champs, de la vigne, qui permettent ainsi de gagner trois sous de plus. 

Mais la guerre d’Espagne toute proche, les menaces qui grondent sur l’Europe rendent ce bonheur encore plus fugace. En fait, il faudra attendre l’après-guerre pour voir se développer un tourisme de masse, conforté par le développement de nouvelles structures d’accueil comme les auberges de jeunesse, les campings, VVF, colonies de vacances, comités d’entreprise… 

Plus que les congés payés de 1936, c’est l’octroi de la troisième semaine de congé, en 1956, qui va entraîner une véritable ruée vers les bords de mer, et accélérer la transformation progressive d’un littoral qui s’en trouvera dénaturé. 

Jean-Marie Decorse

L'art et la culture populaire se rejoignent dans un même élan

Lors des occupations d'usine, les grévistes ont appris à vivre ensemble. De cette vie en groupe naît un fort esprit de cohésion, une forme de partage qui va trouver un prolongement naturel dans une vie associative plus intense. L’instauration des deux jours de congé par semaine favorise le goût pour les activités culturelles, pour le théâtre ou le chant, mais aussi pour les activités physiques. « Des étudiants communistes toulousains avaient créé une troupe, avec Suzanne Cayla, grande résistante, qui mettait en scène des textes de Baudelaire et d’Aragon », raconte l’historienne Violette Marcos, auteur d’un ouvrage sur le Front populaire. 

À Toulouse, en 1936, la population reste très politisée et ce militantisme trouve un prolongement naturel dans les loisirs. Chaque formation organise ses propres bals les week-ends. La jeunesse socialiste se donne rendez-vous au café Pierre, Route de Périole. Partout, l’ambiance est à la fête. À la piscine du Parc des sports, s’organise un concours de « maillots et ensemble de plage ». C’est l’enseigne du Bon marché de Paris à Toulouse, et la maison Riva, qui raflent les premiers prix. Et la même année, Maud Clavel, une jeune Toulousaine de 18 ans, remporte le premier prix de la plus belle baigneuse ! Dans ce chapitre, on pourrait évoquer aussi la naissance du bibliobus, de la Cinémathèque française par Henri Langlois, du Musée de l’Homme, du Musée d’Art moderne, du CNRS, et du festival de Cannes annoncé dès le départ comme un « projet culturel de gauche » (il ne verra le jour qu’en 1946). C’est l’époque où des films sont réalisés grâce à des souscriptions syndicales. Jeannette Bourgogne en est un témoin. 

Maisons de la culture

Toujours à Toulouse, une chorale de métallos est animée par Demarcy, un ancien baryton du Capitole. On commence à instaurer des visites de monuments, de musées avec des réductions sur les billets ; on part la journée visiter le château de Foix ou la Cité de Carcassonne. Ce mouvement d’éducation populaire connaît un véritable essor. En 1936, verra le jour la première Maison de la culture, fondée à Paris, par Louis Aragon. L’Association des Maisons de la culture est créée juste après l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Il s’agit de mettre l’art à la portée du peuple avec cours de théâtre, de photos… En 1937, Albert Camus dirige la Maison de la culture d’Alger. Une appellation qui commence à faire école, repris par André Malraux et Gaëtan Picon, militants de la Ligue des intellectuels contre le fascisme. 

Nommé ministre des Affaires culturelles en 1959, Malraux relancera cette idée en préconisant une MJC par département. Mais le symbole artistique le plus puissant, celui qui nous rattache directement au Front populaire, c’est le rideau de scène de Picasso, « La dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin », exposé au musée des Abattoirs de Toulouse. En 1936, à Paris, le Front Populaire veut célébrer le 14 juillet avec faste. Le gouvernement décide de faire jouer au Théâtre du Peuple (devenu l’Alhambra), une pièce de Romain Rolland célébrant la Révolution. Picasso accepte alors de réaliser le fameux rideau qui voyagera jusqu’à Toulouse dans le cadre d’une expo sur « Picasso et le théâtre » organisée en 1965 par Denis Milhau, jeune Conservateur du Musée des Augustins*. Le peintre consentira à prêter son oeuvre et, finalement, en fera don à la Ville rose. 

Jean-Marie Decorse

Denis Milhau est décédé le 1er juin dernier à 82 ans.

Le cinéma fait front

Les 80 ans du Front populaire signent le retour sur les écrans des plus grands films de la fin des années 1930. C'est l'occasion de redécouvrir les chefs-d'œuvre réalisés par Jean Renoir, dont le film La Vie est à nous, vient d'être restauré. À cette époque, le cinéma est l'objet de mutations inédites. 

Média populaire par excellence, le cinéma est le porte-voix d'un engagement politique. Partis et syndicats produisent et diffusent des films militants aujourd'hui cultes, comme La Vie est à nous, La Marseillaise de Jean Renoir, et Le Temps des Cerises de Jean-Paul Dreyfus. 

Le cinéma, témoin de son temps, témoigne d'un engagement et de la foi en la lutte des classes. Les films veulent transmettre les valeurs défendues à l'époque, comme La Belle Équipe de Julien Duvivier ou Dédé de René Guissart.


Front populaire: la jeunesse est l'avenir de l’homme...

Bienvenue les enfants, vous représentez les forces vives d'une République sociale respectueuse des hommes et de leurs progénitures. En cette année 1936, le message est clair qui sonne comme une profession de foi. Cette époque est incontestablement marquée par le fort engouement suscité par les mouvements de jeunesse. Les camps de vacances, à la mer comme à la montagne, s’érigent peu à peu en temple du scoutisme laïque. 

Tout au long du mois d’août, sont publiées dans Le Midi socialiste, des nouvelles des Faucons Rouges. Une véritable institution qui a établi son camp d’été à Capbreton. Une organisation de jeunesse proche de la SFIO qui prône une pédagogie active basée sur le concept de la « République des enfants ». En ce temps d’avant-guerre, les courtes années du Front populaire baignent dans une idéologie utopique qui fait dire au chroniqueur de l’époque : « Avec les Faucons rouges, apparaissent les pionniers de la Société nouvelle… » L’association croit à l’auto-éducation et lutte pour les droits des enfants et des jeunes. Soeur de l’Internationale socialiste, elle entend cultiver les valeurs éducatives de mixité, d’autodiscipline et d’autogouvernement… ! 

Des «Villas» pour les enfants 

À Toulouse, l’action de la mairie conduite par Ellen-Prévot (qui représente alors l’aile modérée de la SFIO) se tourne en priorité vers les enfants. Dès 1936, les bulletins municipaux publient de nombreuses photos des colonies scolaires établies dans de belles demeures autour de Toulouse : le Petit Capitole, la Villa des Rosiers, la colonie sanitaire Casselardit, le cercle laïque Cuvier. On envoie aussi les enfants « déficients » dans des camps de vacances à Sète, dans les préventoriums d’Armengaud à Arcachon, de Salies-du-Salat, de Guilhem- Venerque, ou bien à la maison des pupilles d’Aspet. 

Et puis arrivent dans le paysage, les auberges de jeunesse. Il s’agit alors, précise l’historienne Violette Marcos, de « transformer le temps libéré par la semaine de 40 heures en un temps favorable à l’épanouissement de l’individu. » 

Et les auberges de jeunesse 

Les auberges de jeunesse sont les héritières de l’hygiénisme, mais comme cette institution a vu le jour en Allemagne dans les années vingt, le Front populaire tient à se démarquer des conceptions outre-Rhin. Face aux critiques ici ou là, Léo Lagrange, alors secrétaire d’État aux Loisirs et Sports, prévient : il s’agit nullement de « placer les individus sous le contrôle de l’État dans l’emploi de leur temps libre… » En 1936, un rassemblement national des Auberges de jeunesse se déroule à Toulouse. À la Prairie des Filtres, les tentes sont rehaussées de drapeaux. Au milieu de nos couleurs, flotte la croix gammée… 

Toulouse a bien sûr sa propre auberge, avec sa « mère » et son règlement intérieur d’une rigueur qui ne serait plus acceptée aujourd’hui. La guerre est proche et beaucoup la pressentent. Les enfants chantent « Allons au-devant de la vie » lors de la visite officielle de Léo Lagrange. Il s’agit plus que jamais de « populariser » la culture, le sport, l’éducation », comme le rappelle Jean Vigreux dans son Histoire du Front populaire paru ces jours-ci (chez Tallandier). 

Jean-Marie Decorse

En août, la guerre se prépare aux Olympiades de Berlin



Ce sont les hasards du calendrier. 1936 est l'année des grands rendez- vous sportifs, à commencer par les 11e Jeux Olympiques de Berlin qui se déroulent du 1erau 16 août, et que l’Allemagne nazie instrumentalise à des fins de propagande. Pour la première fois dans l’histoire des Olympiades, une partie de l’Europe boycotte ces Jeux pour dénoncer les violations des droits de l’homme. 1936, c’est d’abord un grand débat qui se règle sur les bancs de l’Assemblée nationale. Faut-il ou pas aller à Berlin ? Les Jeux auront bien lieu avec l’accord du CIO et les députés du Front Popu ne s’opposent pas à l’envoi d’une délégation française… Quant aux partisans du boycott, ils organisent des « contre Jeux », parmi lesquels les Olympiades du Peuple prévues l’été 36 à Barcelone. Mais les événements d’Espagne en décideront autrement. En rejetant la proposition de boycott, les États-Unis et d’autres démocraties manquent l’occasion d’adopter la fermeté face à un régime hitlérien en pleine ascension. 

En ce mois d’août 36, La Dépêche porte avant tout son regard sur la guerre d’Espagne qui occupe tous les jours plus d’une page dans le quotidien. Une large couverture est consacrée aussi au Tour de France, où court le Toulousain Sylvain Marcaillou qui participa cinq fois à la Grande boucle. Dans La Dépêche, les JO de Berlin ne mobilisent que deux ou trois colonnes, autant que le Grand prix automobile du Comminges, dont le journal est partenaire, et où se livre un duel serré entre Wimille et Dreyfus au volant d’une une Talbot et d’une Bugatti. 

Le courage de Nakache

Pendant ce temps, à Berlin, sont engagés dans la course olympique Georges Bécane du Rowing- Club toulousain intégré à l’équipe de France d’aviron, ainsi que le Bordelais Guy Lapébie, le cycliste champion sur route et champion olympique de poursuite. Mais c’est Alfred Nakache qui retient toutes les attentions. En cette année 1936, « Artem », de son surnom, bat le record d’Europe du relais 4 × 200 m. Mais au JO, il ne terminera que 4e en nage libre, devant une équipe d’Allemagne qui raflera une majorité de médailles. Mais le nageur le plus titré de l’hexagone sera très vite victime des persécutions juives. Dénoncé par la presse collaborationniste, il ne peut concourir aux épreuves du championnat de France à Toulouse, en 1942. Arrêté l’année suivante, il est déporté à Auschwitz après un passage à la prison Saint-Michel et à Drancy. Il sera libéré en janvier 1945. 

Alfred Nakache, par ses exploits sa personnalité et son courage, a marqué le sport français. Plusieurs bassins portent son nom, dont le complexe sportif du Parc des Sports de Toulouse construit dans les années trente « pour la détente et le bien-être populaire » par l’architecte de la ville Jean Montariol (qui édifia aussi la Bourse du Travail, place Saint- Sernin). C’est l’ancien maire Raymond Badiou qui décida, en 1944, alors qu’il était lui-même en captivité, de baptiser cette piscine du nom de Nakache. Dans cette période où on sacrifie aux exigences hygiénistes, le Parc des sports est décrit comme le Palais d’éducation physique. Avec son architecture, trop dispendieuse diront certains, ce « palais » représente alors le plus vaste ensemble européen de piscines d’avant-guerre. 

Jean-Marie Decorse

Les autres sports

Cette année-là offre dans son calendrier plusieurs grandes rencontres.

En 1936, voit le jour à Toulouse le Métallo Sporting Club qui deviendra le Toulouse olympique aviation club (le Toac). Le Toec, lui, l'a précédé beaucoup plus tôt, en 1907. En cette année de Front populaire, le Toec rencontre la Bacalanaise en demi-finale du championnat de France de water-polo. La Bacalanaise est le puissant club bordelais, le champion indiscuté du comité du Sud-ouest…

Mais n'oublions surtout pas le rugby avec le retentissement tout particulier qu'eut, le 10 mai 1936, la finale du championnat de France organisée au Stade des Ponts-Jumeaux à Toulouse. La rencontre oppose alors Clermont, l a ville de Michelin classée à droite, et Narbonne.

L'ancienne capitale du Languedoc vient tout juste d'élire Léon Blum député, et considère que la victoire du RCN est celle du Front populaire sur le «Capitalisme» représenté par l'AS Montferrandaise.

Un match symbolique, sur fond de rivalité politique dans cette période où s'imposent de fortes tensions.

Le rideau de scène de Picasso au musée des abattoirs de Toulouse. Photo DDM, Xavier de Fenoyl.

Elles sont secrétaires d'Etat mais ni électrices, ni éligibles...

Dans le gouvernement du Front populaire, pour la première fois, trois femmes sont nommées sous-secrétaires d'État, alors qu’elles ne sont encore ni électrices ni éligibles. Nommé Président du Conseil le 4 juin 1936, Léon Blum a tenu sa promesse : il fait entrer trois femmes dans son équipe, dans un subtil équilibre politique puisque chacune de ces ministres est censée incarner la coalition du Front populaire. Il n’empêche que cette originalité revêt une véritable portée symbolique. 

Ces trois femmes ne sont pas les premières venues. Cécile Brunschvicg, présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, devient sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale avec Jean Zay. On lui doit notamment la création des cantines scolaires et le développement de la surveillance des risques sanitaires. Irène Joliot-Curie, fille de Pierre et Marie Curie (Prix Nobel de physique) est nommée à la recherche scientifique et Suzanne Lacore à la Santé publique. Cette dernière porte essentiellement son action sur la protection de l’enfance. Ces trois femmes espéraient beaucoup de Léon Blum, lequel avait déposé des propositions de loi tendant à accorder aux femmes le droit de vote et celui de se présenter à une élection. Mais la guerre toute proche a fait oublier ces belles promesses. Il faudra attendre avril 1944 pour la reconnaissance de ces droits fondamentaux. En Espagne, ce droit leur est reconnu depuis 1931… Si elles ne sont pas citoyennes à part entière, elles peuvent cependant, comme les hommes, élire ou être élues comme déléguées du personnel grâce aux accords de Matignon. L’une d’entre elles, Rose Zehner, mène son combat syndical au sein des usines Citroën en 1938 et sera immortalisée par le photographe Willy Ronis. 

Des droits ? Pas tout à fait 

Les femmes n’auront donc pas gagné leur émancipation dans les combats sociaux, elles qui ont été souvent en première ligne, Leur rôle durant le Front Populaire a été double : elles sont à la fois dans les mouvements ouvriers, dans les grèves et les occupations d’usines, tout comme leur engagement social trouvera un prolongement naturel dans la Résistance. Telles Angèle Bettini, arrêtée après avoir participé à l’opération d’envoi de tracts sur le passage du Maréchal Pétain à Toulouse, et Suzanne Cayla, toutes deux internées dans les camps de femmes, à Brens, près de Gaillac, et Rieucros en Lozère. Pour les femmes, le Front populaire tourne parfois à la « désillusion », comme le rappelle l’historien Louis-Pascal Jacquemond (L'Espoir brisé. 1936, les femmes et le Front populaire, de Louis-Pascal Jacquemond, Belin). 

« Trois hirondelles ne font pas le printemps » civique des femmes, estime alors la journaliste Louise Weiss, surnommée par la suite « la mère de l’Europe ». Bref, elles considèrent que le Front populaire fait insuffisamment avancer la cause des femmes, constat qui vaut aussi pour les cadres syndicaux. S’ils applaudissent leur engagement dans les combats sociaux, ils limitent soigneusement leur rôle à des fonctions logistiques, et les tiennent en dehors des grandes négociations avec le patronat et le gouvernement, comme pour l’élaboration des conventions collectives. 

Jean-Marie Decorse 


Les souvenirs d'André Trigano

A 90 ans, André Trigano, le dernier des fondateurs des tentes Trigano se souvient du Front populaire et de «l'invention» des vacances. 

"Vous voulez une tente !?"

Souvenirs d'un discours de Léon Blum et d’une première cliente. «Mon père et mon frère aîné avaient à Paris, dans le 19e arrondissement, un atelier d'une vingtaine de personnes qui fabriquaient des bâches, des bâches de camion et des toiles de store pour les magasins. Mon père avait quelques affinités avec Léon Blum, ils n'étaient pas des amis mais ils se connaissaient, et on a couvert sa tribune quand il a fait son premier grand discours, je crois que c'était à la Nation. J'avais alors 11 ans et j'assistais auprès de mon père au discours de Léon Blum ! Il faut savoir que tout ce qui est arrivé en 1936 était très précipité : les élections arrivent, le Front populaire arrive, c'était inattendu, à l'époque on redoutait l'extrême droite, on était très concerné dans notre famille par le racisme, l'antisémitisme et les débuts du fascisme depuis 1934. Donc mon père fait cette bâche pour la tribune, et de fil en aiguille je me trouve au meeting. C'était merveilleux parce qu'on devait être à trois rangs de Léon Blum, et c'était un tribun, un personnage, d'ailleurs mon père l'admirait beaucoup. Et à ce moment-là, j'entends qu'il annonce qu'on va faire quelque chose pour la Sécurité sociale et j'entends parler des vacances, et ce mot de vacances résonne en moi. On n'était pas pauvre, mais les vacances, on ne connaissait pas, on avait juste un jardin à Montreuil. 

Le jeudi, il n'y avait pas école, et comme j'étais un bon à rien, tous les jeudis je filais à l'atelier avec mon père. Je voyais les ouvrières travailler, elles m'aimaient bien, m'appelaient le petit Dédé, c'était familial. Et un jeudi, arrive une dame assez forte, 30 ou 40 ans, elle vient voir mon frère aîné, Edgar, il avait déjà 26 ans et s'occupait des ventes, et elle lui dit «Monsieur, je voudrais un tendu», ça voulait dire un bout de toile tendue, et elle explique : «On veut partir en vacances avec mon mari et nos enfants, l'hôtel ce n'est pas possible et on veut voir la mer, mais il faut qu'on soit abrité.» -Vous voulez une tente ! ?, lui répond mon frère et ils commencent à discuter...» 

Naissance de la triganette 

«Celle qui sera notre première cliente explique à mon frère Edgar qu'elle veut une toile tendue pour s'abriter à la mer avec son mari et leurs deux enfants. Mon frère prend alors une feuille et un crayon et commence à dessiner. «Si vous êtes quatre, il faut compter 2,40 m pour la largeur, après pour la longueur, il faut bien 2 mètres et plus pour pouvoir bouger, disons 3 mètres». La femme, ça lui convient, mais où on met les bagages ? Et mon frère lui dessine une abside pour du rangement. Très bien, mais je veux pouvoir bouger à l'intérieur !» Il faut savoir que les tentes à l'époque étaient destinées aux sportifs et aux randonneurs, donc le plus bas possible, alors sur son dessin, Edgar lui fait des parois à 1,10 m et il lui propose autre chose, pour qu'elle puisse profiter de l'extérieur : il lui dit qu'on va retourner une partie du double toit pour lui faire une avancée. Il lui dessine tout ça, la femme enchantée repart et elle revient la chercher la semaine d'après. C'était notre première tente, qu'on a baptisée ensuite la Triganette !….Comme on manquait d'imagination on mettait du Trigano partout. 

Quelque temps plus tard, la femme revient, nous dit que les collègues de son mari, il travaillait chez Renault, ont vu la tente et en veulent aussi une. C'est comme ça qu'on a fait 50 tentes pour les ouvriers de chez Renault. À l'époque il n'y avait pas de comité d'entreprise, c'était des copains qui se réunissaient pour acheter des trucs à plusieurs, mais ça nous a donné l'idée d'aller voir les entreprises pour les démarcher. La bâche ? C'était du coton orangé, «coq de roche» c'est tout ce qu'on avait comme toile de magasin. L'année suivante, en 1937, mon frère et mon père transforment l'atelier et quatre ou cinq ouvrières vont faire des tentes à temps plein. Mais moi je n'ai jamais campé !». 

"Un bidet sous le bras" 

«Moi, à 11 ans, j'ai connu les premiers congés payés, disons plutôt les vacances, parce qu'on n'était encore jamais parti. C'était un truc inimaginable, la découverte des autres, la solidarité, l'euphorie. Avec ma grande sœur Elise qui avait déjà 24 ans, un mari et un enfant, nous partons donc en Normandie. On se retrouve à la gare, il y avait un monde fou, on n'avait pas de valises, nos affaires tenaient dans des filets à provisions. C'était drôle à voir, tout ce monde, les gens qui paniquaient, c'était leur premier voyage et il n'y avait pas assez de trains. Moi je l'avais déjà pris, pour aller de Montreuil à Nogent... 

Ma sœur était très propre, très minutieuse, elle avait donc voulu partir avec un bidet, un bidet pliant enveloppé dans du papier journal, et j'étais chargé de le porter. Et dans les mouvements de foule, le papier se déchire et je descends à l'arrivée, en gare du Crotoy, avec mon bidet sous le bras, c'était la honte. Bon, nous voilà à l'hôtel, «l'hôtel de la plage» comme il se doit. 

Les trigano ne campaient pas ! ? Non, ce n'était pas pour nous ! Nous étions à l'hôtel, en pension complète comme tous les clients, c'était un grand bâtiment sans aucun luxe, c'est pour cela qu'Elise avait voulu prendre son bidet. Ce qui est incroyable, pour moi dans cet été 1936, c'est que je me fais des copains. On était six enfants à la maison, j'étais le petit dernier, on avait plein de cousins, mais pas de copains. Et là, il y a tout d'un coup beaucoup de familles, et on rencontre des garçons et des filles de notre âge, une vraie révolution. Pour la plage, on n'était pas équipé, j'y allais en chaussures avec du sable plein les pieds. Evidemment, pas de maillot, on était en culotte ou en caleçon. Et on se retrouvait, une centaine de mômes alignés au bord de l'eau, pas question de nager, on avait la trouille de cette mer qui nous chahutait ! Mais c'était merveilleux.» 

"Sur la route de l'exode" 

«Mon père n'a pas été tout seul pour faire de l'entreprise Trigano ce qu'elle est devenue dès 1937. Il l'acceptait parce qu'il favorisait l'initiative. Mon frère aîné, Edgar, qui avait quinze ans de plus que moi, était un très bon technicien. Rappelez-vous, c'est lui qui a dessiné la première tente, il l'a rapidement améliorée d'ailleurs, en plaçant un tissu moustiquaire par exemple. Gilbert (futur PDG du Club Med, ndlr)qui avait cinq ans de plus que moi, donc 18 ans en 1938, a aussi commencé à influencer la famille, il voulait créer une sorte de tourisme social. Moi à 13 ans, j'ai commencé à m'impliquer aussi, j'allais vendre le dimanche sur les marchés, et on a lancé l'idée de la location. Car comme les tentes coûtaient quand même cher, on a proposé de les louer aux gens, et ça a marché. Seul les garçons entraient dans l'entreprise. Colette venait à la caisse, mais Elise et Yvonne n'ont pas travaillé avec nous. Il y a eu une croissance énorme puisqu'on est passé de vingt employées à cinquante. Moi j'avais une passion, c'était la réclame, la propagande, on ne disait pas encore la publicité. 

Malheureusement, en 1939, ça a été une autre forme de camping, c'était la guerre et on a traversé des années de misère. En juin 40, les lois de Vichy nous ont interdit toute activité en tant que juifs, mon père a perdu l'entreprise, on s'est exilé. Je me souviens que notre première voiture a servi pour l'exode, c'était une C4 Torpedo de 1932, j'en ai racheté une longtemps après pour ma collection Citroën... Cette voiture était très grande, on avait avec nous Serge Reggiani qui était un copain de mon frère Gilbert, ils se connaissaient par le théâtre. Il faut dire que Gilbert était le comédien de la famille, il était admissible au conservatoire, mais il n'a pas été pris, il était juif ! Pendant la guerre, on a connu dix-sept déménagements, l'Ariège, Marseille, etc. A chaque fois qu'on arrivait quelque part, on était dénoncés et il nous fallait fuir. 

«Avec les tentes américaines» 

Au lendemain de la guerre, l'entreprise Trigano redémarre. «Après guerre, on a récupéré les tentes que les Américains avaient laissées sur place, la toile sentait encore plus fort que nos «Triganettes» et nos «Patrouilles» (un modèle pour les scouts), mais ça nous a bien servis pour équiper le Club Méditerranée. On est devenu les rois du camping, mais on n'était pas les seuls, il y avait aussi les tentes Raclet, Jamet, Cabanon, et Maréchal qu'on a racheté. Mais on les a tous pris de vitesse avec la publicité. Dans les journaux, je mettais des annonces bidon comme «un franc par jour et par personne», et dans nos 70 magasins, on proposait des remises à tous les clients, qu'ils soient membres d'un comité d'entreprise ou simplement abonnés au gaz. Il y avait les «nuits du camping», pendant lesquelles on restait ouvert jusqu'au dernier client, et «les trois jours», juste avant les départs du mois d'août. On avait des artistes aussi, qui nous faisaient de la réclame, Francis Blanche, Zanini, Antoine, la femme de Sacha Distel... Quand je pense que tout cela est né du Front populaire, du mot de «vacances» que j'ai entendu au meeting de Léon Blum quand j'avais 13 ans ! Le camping a conquis la France, on a même fait camper le baron et Nadine de Rothschild sous un cabanon, à Corfou. 

Moi, je n'ai toujours pas campé. Un jour où je voulais épater une conquête, je lui ai proposé de l'emmener à Deauville dormir à la mer, les gars du magasin m'ont mis dans le coffre une tente, mais avec des piquets dépareillés. J'ai fini la nuit au Normandy.»

Propos recueillis par Pierre Mathieu

"1936, l'année des congés payés". Un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes : Jean-Marie Decorse, Pierre Mathieu. Mise en page : Philippe Rioux. Photographies : archives DDM, Xavier de Fenoyl, Florent Raoul. ; archives municipales de Toulouse ; Assemblée nationale, DR. Vidéos : INA, DR. Les textes de ce long format ont été publiés dans La Dépêche du Midi en juillet 2016. © La Dépêche du Midi, août 2016.