60 ans d'Europe

Anniversaire du Traité de Rome



Notre avenir

Par Jean-Claude Souléry

En cet anniversaire qui devrait célébrer un idéal politique, réécoutons « L'hymne à la joie » de Beethoven dans lequel se reconnaissent les Européens convaincus. Pourtant, le ciel est moins bleu et les étoiles grésillent comme pour nous dire que l’Europe, l’une des plus belles idées dont nous puissions rêver, souffre d’un désenchantement populaire. Ce n’est pas seulement une affaire de Brexit – la première amputation de ce grand corps malade –, mais davantage le constat d’un mal-être démocratique : on voit bien que les peuples sont désormais indifférents à l’aventure européenne, quand ils n’y sont pas hostiles. Et nous entendons le cri des loups populistes qui rôdent en meute au cœur de nos pays comme s’ils pressentaient un festin électoral. 

Il est temps de se lever. Défendre l’Europe parce qu’elle nous préserve des guerres ne suffit pas : notre génération a oublié le ravage des guerres. Cependant, comment ne pas rappeler que l’Union européenne assure depuis soixante ans, et quoi qu’on en dise, une longue période de paix et de prospérité, qu’elle demeure la première puissance économique mondiale et nous garantit un niveau de vie dont tant de peuples sont jaloux! Comment ne pas rappeler que, de Madrid à Prague, elle a vaincu les totalitarismes du dernier siècle et qu’on s’y exprime en toute liberté! Et nous pourrions ajouter que les actions terroristes dont nous sommes la cible demandent désormais une union renforcée : voilà une exigence qui nous concerne au plus haut point et doit forcément nous rassembler. 

L’Europe n’est pas une idée d’autrefois. Elle mérite, bien au contraire, qu’on redouble d’ardeur et d’imagination, qu’on propose aux peuples un nouveau « contrat de citoyen européen », lisible et concret, autant dire un nouveau départ. Afin que nous reprenions ici la belle formule de Mitterrand : « La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ».

25 mars 1957,
le Traité de Rome

Leur porte-plume ne tremble pas. Ils savent qu'en paraphant le Traité de Rome, en ce 25 mars 1957, ils engagent la France dans une aventure incertaine mais exaltante. Assis côte à côte, Christian Pineau, le ministre français des Affaires étrangères, et Maurice Faure, son jeune secrétaire d’État, s’appliquent à masquer leur émotion – elle est pourtant grande. Ils signent enfin, et le destin de la France s’ouvre à l’Europe. Pensez ! Douze ans auparavant – ce n’est rien douze ans ! – la France et l’Allemagne étaient encore d’irréductibles ennemis, la Seconde Guerre mondiale s’achevait par l’écroulement du Reich nazi, laissant dans la poussière et les ruines de terribles douleurs qu’on pensait insurmontables et, dans les cœurs, des boules de haine qui ne s’en iraient jamais. 

On l’appellera le Marché commun 

Douze ans... Mauvais présage ? La pluie mouille Rome ce 25 mars. Au bas de la place du Capitole conçue jadis par Michel-Ange, un long cortège de voitures officielles glisse sur le pavé. Des délégations d’hommes vêtus de noir en sortent pour monter jusqu’au palais des Conservateurs, près de la mairie. C’est dans ce palais qu’on a réservé la grande salle des Horaces et des Curiaces, aux lourdes tapisseries qui illustrent l’homérique combat entre les deux clans de la Rome antique. Là, on a dressé de longues tables recouvertes de draps, et d’impressionnantes rangées de sièges, où prennent place, l’air solennel et la mine figée, ceux qui vont signer. Il y a d’abord le plus connu, le vieux Konrad Adenauer, 81 ans, premier chancelier allemand au lendemain de la défaite, dont le visage portant mille rides témoigne d’une longue vie d’épreuves, et notamment de sa résistance aux nazis. On remarque aussi Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères du royaume de Belgique, européen pour deux, qui, plus tard, célébrera « l’appel à l’intelligence, à la sagesse, à la solidarité qui donne son sens à notre œuvre ». Les signatures s’enchaînent au fil des discours, elles donnent à ce traité créant la Communauté économique européenne, la force de six nations qui viennent de s’unir : l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France. 

On appellera ça le Marché commun, dans une perspective résolument économique qui autorisait « la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes », et pourtant la plupart de ceux qui auront vécu cette journée mémorable ne peuvent se défaire d’un sentiment encore plus noble. Parmi la délégation française, un homme, Jean-François Deniau, qui rédigea le préambule du Traité, allait plus tard expliquer ce qui par-dessus tout l’animait : « Nous avons eu avec l’Allemagne trois guerres en moins d’un siècle. Il nous fallait mettre en place un mécanisme qui empêche la guerre, de manière à ce que, même s’il y avait des fous qui voulaient faire la guerre, ils ne le puissent pas ». 

L’Europe qui vient ici de naître ressemble pourtant à un Meccano aléatoire. Elle n’est pas « supranationale » comme en rêvaient les idéalistes, mais davantage pragmatique, selon les souhaits formulés sept ans plus tôt, dès 1950, par Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble.Elle se fera par des réalisations concrètes créant une solidarité de fait ». Autant dire à tout petits pas. 

Au terme d’un patient travail 

D’ailleurs, pour que le Traité de Rome ait été ratifié, il fallut, d’abord, que ces mêmes Européens eurent signé, dès 1951, un tout premier engagement qui mettait en commun les ressources minières françaises, allemandes et italiennes : ce fut la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) qui servit de ballon d’essai – « un véritable saut dans l’inconnu », dira Robert Schuman. Mais ce premier pas sera déterminant pour l’avenir de l’Europe. « Ma préoccupation était moins de faire un choix technique que d’inventer des formes politiques neuves et de trouver le moment utile pour changer le cours des esprits », conviendra plus tard dans ses Mémoires Jean Monnet, celui qu’on va bientôt baptiser le « père de l’Europe ». Pourtant, dès 1954, le second ballon d’essai – la création d’une Communauté européenne de la défense – va très vite se dégonfler, sous les coups redoublés des gaullistes et des communistes. Nous sommes alors au cœur de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, et l’idée d’une armée européenne, initiée par les Américains, soulèvera la tempête du général de Gaulle qui n’y voit qu’un « mélange apatride ». Du coup, les députés français en repoussent l’idée au terme de débats longs et tumultueux. Cet échec, pourtant, va renforcer l’ardeur des « Européens » convaincus qui, dès lors, se lancent à corps perdu dans une éventuelle intégration de nos économies. Dès 1955, les négociateurs des six États en élaborent les modalités qui visent à « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». C’est leur patient travail qui vient d’aboutir en ce 25 mars 1957 à Rome. 

J.-C. S.

L'Europe à l’heure des choix

C'est une Europe en pleine tempête qui va célébrer demain à Rome le 60e anniversaire de son traité fondateur. En proclamant son unité et son «avenir commun» face aux vents de la discorde, du doute et de la défiance populiste. Une célébration romaine d'ores et déjà à l'ombre du Brexit, dont le Royaume-Uni lancera, presque immédiatement après, le 29 mars, le processus complexe et sans précédent. 

Brexit, mais encore vague migratoire, crise économique, terrorisme, repli identitaire, montée des populismes, incapacité à peser sur la scène internationale dans les conflits comme la Syrie ou l'Ukraine: conçue à Six pour reconstruire l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, l'Union européenne à Vingt-sept est-elle menacée de disparaître? Certes depuis sa création, l’Europe en a connu des épreuves. «Mais les crises qu’on rencontre aujourd’hui interrogent le sens profond du projet européen. Évidemment, la paix est toujours au frontispice , mais, au-delà, quel modèle économique et social voulons-nous en Europe?», s’interroge Frédéric Allemand, chercheur en études européennes à l’université du Luxembourg.

Les Vingt-sept: «déterminés»

Tout le monde – des fédéralistes aux nationalistes – s'accorde en tout cas à reconnaître que l'UE traverse le pire marasme depuis son acte de naissance. «L'heure n'est plus à s'imaginer que nous pourrions tous faire la même chose ensemble», a récemment admis le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui plaide pour «une Europe à plusieurs vitesses». Il y a 60 ans, l'Allemagne, la France, l'Italie et les pays du Bénelux s'engageaient à «établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens». Samedi à Rome, les chefs d’État et de gouvernement de l'UE se retrouveront à 27 au Capitole, dans la salle des Horaces et des Curiaces où fut signé le traité historique (en fait deux traités: l'un économique, l'autre atomique). Sans la Britannique Theresa May qui a décidé d'activer la procédure de séparation d'avec le bloc européen quatre jours après. Dans une déclaration solennelle, les 27 se diront «déterminés à rendre l'Union plus forte et plus résistante, grâce à une plus grande unité et solidarité entre nous». Une «Union indivisible», en réaction au Brexit. "Rome doit marquer le début d'un nouveau chapitre pour une «Europe unie à 27», estime Jean-Claude Juncker. 

L’avenir post-Brexit 

Mais au-delà de la profession de foi et des «belles paroles», les dirigeants européens savent bien que l'Union, si elle veut se sauver, doit «se rapprocher de ses citoyens», comme l'a souhaité le président du Parlement européen Antonio Tajani dans une tribune au journal Le Monde. Ce afin de répondre aux populistes qui, à l'instar de Marine Le Pen, dénoncent au nom du «peuple» les «dérives totalitaires» de l'UE, et prônent la sortie de l'euro. Pour faire avancer le projet européen, le président de la Commission a dévoilé le 1er mars, dans un «Livre blanc» sur l'avenir post-Brexit, cinq pistes de réformes de l'UE (voir ci-dessous). Il y a urgence, car en cette année 2017, le populisme est en embuscade en Europe lors d’élections, bien sûr en France mais aussi en Allemagne. 

J.-P. B.

Le calendrier du Brexit


Le calendrier du Brexit se précise. Il sera déclenché le 29 mars par Londres. Le 29 avril , un Conseil européen se tiendra afin d'adopter les orientations de négociations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Objectif : «rendre le divorce le moins douloureux possible pour l’UE», explique-t-on à Bruxelles. Les négociations ne devraient pas véritablement commencer avant le milieu ou la fin du mois de mai. Elles pourront durer jusqu’à deux ans pour mettre fin à plus de quarante années d’une relation tourmentée.

«Il faut montrer aux peuples qu'on les écoute»

Reste-t-il encore quelque chose de l'esprit des pères fondateurs de l’ Europe ? 

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Vous savez, les fameux «pères fondateurs» étaient très atlantistes (ils ne pensaient pas du tout à une Europe-puissance), assez fédéralistes par économisme (CECA, Marché Commun) ou idéalisme. Ils ne souciaient pas du tout à l’époque de l’attachement des peuples à leur identité et à leur souveraineté, qu’ils voulaient au contraire dépasser. C’était l’après-guerre. Sur le dépassement des nations, de Gaulle se moquait d’eux en disant : «On ne fait pas d’omelettes avec des œufs durs». Mais, ils ont été visionnaires à leur façon, un peu utopistes. De toute façon, ils raisonnaient pour l’Europe à Six, ce n’est pas chez eux que l’on trouvera des solutions pour aujourd’hui: les pro-européens classiques ne sont pas majoritaires, et les fédéralistes qui sont présents dans les médias et les think tanks sont inexistants dans l’opinion. 

De quoi l’Europe est-elle malade aujourd’hui ? 

Elle est malade du décrochage des peuples, ce qui est plus grave que Poutine, Trump ou l’afflux de réfugiés. Mais il faut distinguer les vrais anti-européens, irrattrapables, et tous les autres qui pourraient se réconcilier avec l’Europe, si elle parle et agit autrement: les sceptiques, les indifférents, les déçus (trop de promesses, de slogans donnant le sentiment que l’Europe peut faire des miracles) et les allergiques à la réglementation à outrance. 

Quels remèdes préconisez-vous pour «sauver l’Europe» ? 

Une «pause» brève de l’intégration, pour montrer aux peuples qu’on les écoute, une conférence des gouvernements volontaires pour imposer une subsidiarité radicale.L’Europe doit en général faire moins et mieux, et – dans quelques domaines à définir, à commencer par la sécurité – faire plus et bien. C’est le plan que j’expose dans «Sauver l’Europe» pour réconcilier le peuple et l’Europe. 

L’Europe ne souffre-t-elle pas de son élargissement ? L’afflux des migrants ne montre-t-il pas que l’Europe à 27 est incapable d’adopter des solutions communes sur des problèmes majeurs? L’élargissement a tout alourdi et compliqué, mais pouvait-on refuser ? 

Les traités disaient que l’adhésion est «ouverte» aux pays démocratiques d’Europe. Et de toute façon, un noyau dur – avec qui? –, une géométrie variable, plusieurs vitesses – pourquoi pas? –, cela ne règle pas la question de la répartition des pouvoirs entre Europe et Etats-nations, et de la subsidiarité. Même à 6, il n’y a pas forcément d’identité de vues – sur la Grèce ? sur l’énergie ? sur les interventions extérieures ? Il faut donc assainir le rapport citoyen-Etat-nation-Europe, quel que soit le nombre d’états membres. 

Une Europe de la Défense, souvent évoquée, verra-t-elle vraiment le jour selon vous ? 

Tout dépend de ce que l’on entend par là. Une Europe militairement défendue exclusivement par elle-même sans les États-Unis ni l’Alliance atlantique ? Non. Et, même si tous les budgets atteignaient 2%, quelles seraient les stratégies, les capacités? quelle capacité combative de ces forces ? Qui serait le commandant en chef ? Qui déciderait d’entrer en guerre ou pas ? En revanche, une capacité d’intervention extérieure,de maintien de la paix, par exemple au Sahel, pourquoi pas ? Des coopérations industrielles ou technologiques : oui, si elles sont rationnelles. Attention aux promesses verbales concernant l’Europe, sources d’illusions et demain, de désillusions. On en a trop fait et l’idée d’Europe en souffre aujourd’hui. Ne recommençons pas avec «l’Europe de la Défense» ! 

Recueilli par Jean-Pierre Bédéï 

> Hubert Védrine « Sauver l’Europe ! », Éditions Liana Levi, 2016.

L'Europe, ce grand marché économique

Depuis 60 ans, l'économie reste au cœur des préoccupations de l’Union européenne. Et pour cause puisque le traité de Rome instituait bien une communauté économique européenne (CEE) dont l’objectif était de conduire une intégration économique plus poussée entre les pays membres, six en 1957. Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, les pères fondateurs partaient du principe que les pays liés par des échanges commerciaux deviennent économiquement interdépendants et sont donc moins enclins à entrer en conflit. Très vite la CEE a étendu ses activités après la création de l’union douanière. Depuis, un immense marché unique a vu le jour, qui continue à croître et à développer tout son potentiel. Pour créer ce marché unifié, des centaines d’obstacles techniques, juridiques et bureaucratiques qui entravaient le libre-échange et la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux entre les pays membres de l’UE ont été supprimés. 

Cette concurrence libre et non faussée a eu le mérite de faire baisser les prix et d’offrir un choix plus large aux consommateurs, par exemple pour les communications téléphoniques, les billets d’avion, ou les fournisseurs d’électricité et de gaz. Les entreprises européennes qui vendent leurs produits dans l’UE bénéficient ainsi d’un accès direct à près de 500 millions de consommateurs. Des écueils persistent bien sûr comme la diversité des systèmes fiscaux nationaux qui provoque la détestable optimisation fiscale ou encore l’absence d’harmonisation sociale que souligne encore aujourd’hui le brûlant sujet des travailleurs détachés. De la politique économique de l’Union, la monnaie unique reste, d’évidence, la réalisation la plus concrète de l’intégration européenne.

Mais la politique économique de l’Union se déploie sur plusieurs champs de compétences qui concernent au plus près les territoires et les régions comme l’Occitanie. Destinée à stimuler la croissance économique et à améliorer la qualité de vie au moyen d’investissements stratégiques, la politique régionale – mise en œuvre notamment par l’intermédiaire du Fonds européen de développement régional (FEDER) ou le Fonds de cohésion – finance plusieurs domaines prioritaires (recherche et innovation, technologies de l’information et de la communication, compétitivité des PME, transition vers une économie sobre en carbone, etc.) et donne des résultats tangibles. 

Entre 2007 et 2012, elle a aidé les pays de l’UE à créer 769 000 emplois. En Occitanie, la Région gère 80 % des fonds européens 2014-2020, grâce auxquels 3 milliards d’euros vont appuyer la stratégie régionale pour l’emploi, l’innovation et la transition énergétique. Fin 2016, plus de 31 % des programmes européens Feder-FSE-IEJ et 25 % du Feader étaient déjà programmés et bénéficiaient à 10 900 projets. En 2017, le budget régional intègre 560 millions d’euros de fonds européens. 

Enfin, si la part des dépenses agricoles dans le budget de l’UE a fortement baissé, passant d’un montant record de près de 70 % dans les années 1970 à environ 38 % aujourd’hui, la politique agricole commune (PAC) est à la fois un pilier et un symbole de l’action de l’Europe. Le budget de la PAC, fixé pour la période 2014-2020, prévoit une enveloppe totale de 408,31 milliards d’euros.

Philippe Rioux

La stabilité grâce à l'euro

 Adoptée par 19 des 28 pays de l’Union européenne, la monnaie unique est utilisée chaque jour par 338,6 millions de personnes et apparaît, notamment depuis la crise de 2008, comme facteur de stabilité.Et plus de 175 millions de personnes dans le monde utilisent d’ailleurs des monnaies qui sont à parité fixe avec l’euro, deuxième devise la plus importante dans le monde après le dollar américain. Reste que l’orthodoxie budgétaire et la règle de 3 % de déficit budgétaire qui prévalent depuis l’avènement de l’euro sont source de tensions et d’interprétations divergentes entre pays du nord et du sud.

Repères économiques

14600 milliards d'euros

L’économie de l’Union européenne, mesurée en production de biens et de services (PIB), dépasse celle des États-Unis. En 2015, le produit intérieur brut de l’Union européenne était de 14 600 milliards d’euros. 

Exportations

En 2014, les exportations de biens de l’UE représentaient 15 % des exportations mondiales. Pour la première fois dans l’histoire de l’UE, elles ont été dépassées par celles de la Chine (15,5 %), mais elles précèdent toujours celles des États-Unis (12,2 %) 

Chômage

Avec 20,4 millions de personnes sans emploi, le taux de chômage dans l’Union européenne a atteint 8,3% en novembre 2016. La Grande-Bretagne et l’Allemagne sont sous la barre des 5 %, l’Espagne, l’Italie, la Croatie, Malte, Chypre et la Grèce entre + 10 et + 20 %. La France est comprise entre 5 et 10 %. En octobre 2016, 18,4% des jeunes étaient à la recherche d’un emploi dans l’Union européenne.

Commerce

L’UE ne compte que 6,9 % de la population mondiale, mais ses échanges commerciaux avec le reste du monde représentent environ 20 % du volume total des importations et exportations mondiales.Environ 62 % du volume total des échanges des pays de l’UE sont réalisés avec d’autres pays de l’UE.

« Il faut intégrer davantage la zone euro »


Sur l'échiquier international, face aux tentations isolationnistes des USA, une certaine hostilité de la Russie envers l'Europe, la puissance de la Chine, quelle doit être selon vous la stratégie de l'Europe en matière économique ?

Pascal Lamy, ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce. L'Europe se trouve aujourd'hui dans une position d'accusée : trop libérale, trop d'austérité. Faut-il selon vous la réinventer ?

Tout le monde ne partage pas ce diagnostic. Les positions anti-européennes ou eurosceptiques sont minoritaires dans tous les pays européens, sauf dans le cas de la Grande Bretagne pour des raisons qui tiennent beaucoup à la spécificité de sa relation avec l'Union. Ce qui par contre est vrai c'est que le soutien des opinions à l'intégration européenne a baissé depuis 10 ans. Ce que l'Europe devait apporter, c'est à dire davantage de prospérité et de sécurité, a été mis en doute depuis 10 ans à juste titre en raison de la grave crise économique que nous avons subie. En outre, ce qui s'est passé en Ukraine ou avec les migrants syriens a pu donner l'impression que l'Europe était incapable de stabiliser la situation à ses frontières. Si je relativise la critique, je ne la néglige pas pour autant. Mais je ne crois pas qu'il faille redéfinir le principe ou les institutions qui ont été adoptés pour créer un espace politique supplémentaire au niveau de l'Europe. Je crois toujours qu'il faudra intégrer davantage l'Union européenne dans l'avenir au nom d'un principe, d'une ambition, peut-être dans un sens à réinventer. Mais nous devons être unis pour peser dans un monde qui autrement n'ira probablement pas, sinon, dans la direction de nos valeurs, de notre identité.

En matière fiscale, bancaire, quelles solutions devraient être mise en place pour soutenir la croissance européenne ?

Il faut davantage de discipline et de solidarité entre les pays et principalement entre les deux leaders de l'Europe à partir du moment où la Grande Bretagne entame un parcours de sortie. Les Français doivent accepter une plus grande discipline et les Allemands davantage de solidarité. Il faut intégrer davantage la zone euro, poursuivre dans la direction de l'union bancaire, harmoniser l'impôt sur les sociétés. Il est aberrant que dans un marché intérieur unifié comme celui de l'Europe, la concurrence fiscale continue de prévaloir.

Dans son livre blanc, la commission européenne évoque le scénario d'une Europe à plusieurs vitesses. Qu'en pensez-vous ?

L'intégration différenciée, c'est un peu comme le monstre du Loch Ness, une figure de style qui ressort périodiquement. On sait très bien que quand certains états veulent aller plus loin ensemble, ils peuvent parfaitement le faire. Sur l'impôt sur les sociétés par exemple, rien n'empêche les Français et les allemands de converger sur une imposition commune.

Si vous deviez résumer les principaux apports économiques et industriels de l'Europe aux différents pays, quels seraient-ils ?

L'essentiel, à mon sens, réside dans la paix et la démocratie. Dans les 70 années qui ont précédé la naissance de l'Union européenne, il y a eu trois guerres dont deux mondiales qui ont fait 70 millions de morts. Dans les années 80, 17 des 28 états membres d’aujourd’hui n'étaient pas des démocraties. En matière économique et sociale, chacun sait que l'accession à l'union européenne a permis aux pays qui n'en étaient pas membres de se moderniser, de croître, et cela sans exception. Quand Jacques Delors a lancé le marché intérieur dans les années 80, cela a créé 9 millions d'emplois en 10 ans. L'union des européens a apporté pendant très longtemps davantage de prospérité, de paix, de sécurité, même si, le bilan de ces dix dernières années est moins bon.

Le Parlement européen a adopté le CETA avec le Canada. Quels avantages pour les consommateurs français ?

C'est l'avantage classique de l'ouverture des échanges, avec des produits canadiens moins chers. Comme le marché européen pèse, la Grande Bretagne non comprise, 450 millions, et le marché canadien 35 millions, ce ne peut pas être une mauvaise affaire. Quand au TIPP, il sera probablement gelé tant que M. Trump restera président. La partie du TIPP qui consistait à aboutir à une convergence vers le haut des normes de précaution en Europe et USA continue de faire du sens.

Marine Le Pen prône le retour d'une « monnaie nationale ». Vous en pensez quoi ?

Les épargnants perdraient du jour au lendemain 30 % de leur épargne en raison de la dépréciation de la monnaie pas rapport à la valeur de euro.

Votre livre, co-écrit avec Nicole Gnesotto (1), interroge sur l'avenir du monde. Où va-t-il ?

Ce livre est à deux voix. Nous ne donnons pas de réponse commune à la question que nous posons. Nicole Gnesotto a sa propre interprétation, géopolitique et à court terme plus pessimiste. La mienne est plus géo-économique et moins pessimiste. C'est aux lecteurs, à qui nous fournissons des faits, des lectures, des interprétations, de se faire une idée.

Comment interpréter l'élection de Trump, le Brexit, la montée des nationalismes ? Est-ce une déviation temporaire, un accident qui va être corrigé ? 

On a vu aux Pays bas que la montée de ces forces xénophobes n'était pas inexorable. Est-ce le début d'un autre âge que celui de ma génération, marquée par la globalisation et la construction européenne ? Personnellement, je pense que les forces d'intégration économique à la base des grands mouvements du monde contemporain sont des forces de rapprochement et de stabilisation. Si vous regardez cette planète de la lune, et que vous mettez des points rouges là où il y a des conflits, des guerres, de la famine et des morts, ce sont comme par hasard des endroits qui sont restés à l’écart de la mondialisation.

Propos recueillis par Serge Bardy

1. «Où va le monde, le marché ou la force». Ed. Odile Jacob. 240 pages. 19,90 euros.

La fraternité face aux populismes

Le Lotois Maurice Faure gardait fièrement dans la bibliothèque de son bureau une photo, prise le 25 mars 1957, dans la prestigieuse salle des Horaces et des Curiaces, au Capitole de Rome. C'est là qu’il avait signé avec Konrad Adenauer et les autres dirigeants européens ce parchemin historique. 

Traité économique ? Prolongement de l’embryonnaire Communauté du charbon et de l’acier (CECA) qui avait remis en marche la mécanique énergétique d’une Europe saignée à blanc ? Politique agricole commune ? Oui, sans doute, mais Faure et Adenauer, les deux Résistants savaient chacun que derrière ces épousailles matérialistes, chacun de leur peuple criait : « Plus jamais ça ! » De fait, la création de l’Europe a été le meilleur rempart contre la guerre, car les pays ont su faire pot commun à la fois de leurs forces et de leurs faiblesses. Or, des guerres, il y en a eu aux portes de cette Europe qui se construit depuis 60 ans. A Chypre, dans les années 60, dans l’ex-Yougoslavie, dans les années 90 et depuis peu, en Ukraine, où la partition de fait n’est admise par personne. Communauté économique européenne, donc. Économique ? Oui, mais pas que. Puisque petit à petit, les règles du jeu se sont imposées naturellement à tous les pays. L’Europe en construction était une Europe démocratique et sociale. Et cela pouvait même faire figure d’exception à l’époque. Souvenons-nous : en 1957, l’Espagne est sous la botte du « caudillo » Franco, qui a imposé une chape de plomb sur le pays depuis sa victoire sur les Républicains en 1939. Le Portugal est lui, sous la férule tout aussi dictatoriale de Salazar. La péninsule ibérique tout entière est pauvre, « sous développée » comme on disait à l’époque. Dictature aussi, dès 1967 en Grèce, avec les colonels, jusqu’en 1974. D’autres totalitarismes asservissaient le continent, sur son flan est. Jusqu’en 1989, l’Europe est coupée en deux par le rideau de fer : dictature communiste implacable, qui écrasera l’espoir de liberté à Budapest en 1956 et à Prague en 1968. Quant à la Pologne, elle évite le bain de sang en 1981 quand le syndicat Solidarnosc se soulève. Mais la reprise en main du général Jaruzelski maintiendra le couvercle encore quelques années. 

Valeurs communes

C’est sur un socle commun de valeurs que l’intégration successive des États dans l’Union a pu se faire, dès que les libertés fondamentales étaient respectées : institutions démocratiques, système judiciaire indépendant, liberté de la presse, protection des minorités, et, chemin faisant, abolition de la peine de mort. 

L’Europe, c’est aussi la mise en pratique d’une réelle solidarité. La politique agricole commune a permis une redistribution des richesses vers les régions qui avaient besoin de se restructurer ou celles qui subissaient les aléas agricoles. Les FEDER (fonds européens de développement régional) ont aidé depuis de nombreuses années, les régions les plus défavorisées. Cela a concerné dans un premier temps les pays méditerranéens, notamment, le sud de l’Italie, des régions espagnoles et portugaises, la Grèce, et une bonne partie du sud de la France. Bon nombre de projets d’équipement ou de désenclavement ont reçu la manne de l’Europe. Ces dernières années, les aides ont pris le chemin des nouveaux pays membres Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Pays baltes… 

Mais l’Europe va-t-elle tourner le dos à ses valeurs et à ses habitudes ? La crise des migrants a jeté une lumière crue sur certains régimes. Le populiste Hongrois Viktor Orbàn mène une chasse sans pitié à ceux qui tentent de traverser son territoire. La Pologne qui avait bénéficié des largesses de l’Europe refuse à son tour l’accueil des migrants. Quant à l’Angleterre, elle tourne le dos définitivement à l’Europe en votant un « Brexit » qui stupéfie le Continent. Pour l’instant, le couple franco-allemand tient bon. Mais l’Europe est à rebâtir et à reconstruire. De toute urgence. 

Dominique Delpiroux

Erasmus : génération Europe

D'un point de vue symbolique, c’est sans doute une des plus belles réussites de l’Europe. Imaginé par Jacques Delors, ce système d’échange international a permis en 30 ans à plus de 5 millions de personnes d’aller étudier à l’étranger. À l’origine, il permettait aux seuls étudiants de partir suivre une année de cursus à l’étranger. Mais il n’a cessé de s’étendre, passant de 11 pays inscrits au départ à 33 pays participants. Désormais nommé Erasmus + il a aussi gagné élèves du primaire et du secondaire, des lycées professionnels, demandeurs d’emploi, etc. Découvrir un pays, une langue, une culture, des pratiques éducatives différentes, voire une autre gastronomie, voilà un avantage souvent décisif dans la recherche d’emploi des étudiants qui ont suivi cette filière. Pour les responsables d’Erasmus + qui viennent de dresser le bilan des 30 ans du programme, la construction d’ «une citoyenneté européenne» et d’ «une Union européenne plus équitable, plus inclusive et durable» est en marche. Erasmus + a même eu les honneurs du cinéma. 

Dans le film à succès «L’Auberge espagnole» de Cédric Klapisch (2002), un jeune Français part étudier à Barcelone. Mais il s’agit surtout d’une étude… de mœurs! Une étude publiée en 2014 estimait d’ailleurs que, depuis le lancement d’Erasmus, plus d’un million de bébés sont nés de couples formés lors de ces séjours d’étude. Des chiffres difficilement vérifiables, mais un phénomène qui laisse à penser que l’Europe, c’est aussi une fraternité qui se construit.

Repères

Culture

L'Union européenne s’attache à préserver le patrimoine culturel commun de l’Europe et à le rendre accessible à tous, ainsi qu’à soutenir et promouvoir les secteurs artistiques et créatifs en Europe. L’éducation (y compris l’apprentissage des langues) ; la recherche scientifique ; les technologies de l’information et de la communication ; la politique sociale ; le développement régional. dans le cadre de sa politique régionale, l’UE participe au financement d’écoles de musique, de salles de concert et de studios d’enregistrement. Elle a également financé la restauration de théâtres prestigieux, comme le Teatro del Liceu à Barcelone et La Fenice à Venise. Chaque année, deux villes reçoivent le titre de « capitales européennes de la culture ». 

Langues

La politique de multilinguisme de l’UE poursuit deux objectifs : protéger la grande diversité linguistique de l’Europe ; encourager l’apprentissage des langues. L’UE compte actuellement 24 langues officielles, et plus de 60 langues régionales ou minoritaires indigènes, parlées par quelque 40 millions de personnes.

Sciences

Les pays de l’UE sont responsables de leurs systèmes d’éducation et de formation, mais reçoivent le soutien de l’UE pour établir des objectifs communs et partager les bonnes pratiques. Outre le programme bien connu Erasmus, l’UE déploie de nombreux programmes comme celui intitulé « Marie Sklodowska-Curie» qui soutient la formation et le développement professionnel des chercheurs dans toutes les disciplines scientifiques, en les aidant à étudier et à travailler dans différents secteurs et pays.

«Face aux menaces, l'Europe doit préserver son unité »


Quelles sont, selon vous, les valeurs que porte l'Europe ? 

Bernard Guetta, journaliste, spécialiste de géopolitique. Dès l’origine, l’Union européenne a réuni les plus solides et les plus profondes des démocraties du monde. Nulle part ailleurs, la liberté n’est aussi bien garantie. Par ailleurs, l’Union réunit des pays où le niveau de protection sociale, la solidarité vis-à-vis de la maladie, de la vieillesse est le plus élevé du monde, sans aucune comparaison possible. Alors, même si l’Union souffre de certains problèmes chroniques, c’est là qu’on vit le mieux sur terre, sans s’en rendre compte. Pour cela, il suffit d’aller voir en Chine, en Afrique ou en Russie. Pour ce qui est des États-Unis, Obama avait mis en place un système d’assurance maladie que son successeur est en train de remettre en cause, alors que pour nous, c’est quelque chose d’aussi naturel que l’eau chaude ! Là-bas, c’est considéré comme du communisme, au mieux comme du socialisme ! 

Quels sont les points forts de l’Europe ? 

Justement, ce degré de liberté et ce niveau de protection sociale à nulle autre pareils. Elle a réussi, dans un monde dominé par l’idéalisme et la contestation du rôle de l’État comme arbitre entre les intérêts sociaux des uns et des autres, à maintenir la protection sociale. C’est fondamental. C’est aussi incroyable, et si les pays européens n’étaient pas unis, alors que la puissance de l’argent est sans frontière, aucun de ces pays n’aurait pu maintenir un tel niveau de protection sociale. Le deuxième point est le maintien de la paix. Après l’effondrement du bloc soviétique, l’Europe a sûrement évité une guerre entre Roumanie et Hongrie, en leur demandant de renoncer à leurs revendications territoriales. Ensuite, l’unité de l’Europe permet aux différents États membres de peser sur les négociations internationales, ce qui aurait été impossible seuls, face à la Chine ou aux USA. 

Comment expliquer alors le désamour des Européens pour l’Union ? 

L’évolution du monde fait peur à tous les Occidentaux et donc aux Européens. Nous sommes en train d’assister à l’effritement de l’influence primordiale que nous avions dans le monde. Ensuite, nous sommes en concurrence avec des économies redoutables : Chine, Japon, Inde, et bientôt pays émergents. Face à cela, on a peur ! Le réflexe primitif, puissant mais stupide, c’est de fermer les volets et de barricader les portes : par panique d’un monde nouveau, beaucoup d’Européens ont envie de barricader portes et fenêtres. Enfin, jusqu’à l’arrivée de l’Euro, les Européens étaient favorables à l’unité de l’Europe, mais ils ne voyaient pas les bénéfices qu’ils en tiraient. Mais avec l’Euro, les différents pays ont été obligés de respecter les critères d’endettement et de déficit pour éviter les déséquilibres trop criants : soudain, les Européens ont vu débarquer l’Europe dans leur vie quotidienne, avec les restrictions budgétaires et personne n’aime ça ! L’Europe est devenue une « Mère la rigueur » impopulaire.

Quels sont les dangers qui guettent l’Europe de demain ? 

Ils sont nombreux. La volonté de Trump d’engager une guerre commerciale est redoutable. Le désir de Poutine de reconstituer l’Empire russe avec sa zone d’influence est redoutable aussi. Et puis, il y a les nouvelles concurrences des pays émergents. Si l’Europe avait la mauvaise idée de se défaire de son unité, il est à craindre que nous soyons obligés d’affronter ces menaces dans des conditions infiniment moins favorables que si nous restons unis. 

Recueilli par Dominique Delpiroux

Présidentielle : leurs projets pour l'Europe

2017 est une année importante pour l'Europe.Cruciale ? A voir… Car après la présidentielle française, les législatives allemandes à l’automne pourraient bouleverser la donne. Un nouveau tandem franco-allemand serait l’occasion de relancer le moteur européen, et de prendre enfin des initiatives pour rapprocher l’Union de ses citoyens et sortir de la polycrise dans laquelle l’Europe s’est enfoncée. 

Réfugiés, terrorisme, croissance en berne, montée des populismes, fragilité grecque, Brexit… Les problèmes s’accumulent et l’Union européenne a de plus en plus de mal à parler d’une seule voix ou à agir en cohérence. Depuis 60 ans la construction européenne n’a cessé de progresser, surmontant diverses crises politiques ou institutionnelles. Mais elle paraît aujourd’hui proche de craquer. Et les citoyens-électeurs n’en ont jamais paru si éloignés. A tel point que des candidats figurant parmi les principaux – Mélenchon et Le Pen – proposent ni plus ni moins de sortir de l’Europe, de renier les Traités signés, jusqu’à abandonner l’euro et revenir au franc. Les enjeux sont donc énormes, et pour autant la question européenne ne semble pas bénéficier d’une place à la hauteur dans les débats de cette campagne présidentielle française. De Le Pen à Macron, en passant par Fillon, Hamon et Mélenchon, ce sont cinq visions différentes de la place de la France dans l’Europe qui sont proposées aux électeurs. 

Olivier Auradou

Ce qu'ils proposent

François Fillon. Un sursaut européen 

François Fillon appelle à « un sursaut européen », qu'il n’entrevoit possible que « si la France et l’Allemagne redeviennent le moteur de la construction européenne ». Ses premières propositions pour relancer l’Europe entendent « mettre fin à la crise migratoire », en renforçant le corps européen de garde-frontières, en réformant « en profondeur les accords de Schengen » ou encore en actant la « création d’un droit d’asile européen ». Autres propositions avancées par le candidat Les Républicains, « donner à l’Europe la capacité de peser militairement », « doter la zone Euro d’un directoire politique […] et d’un secrétariat général, autonome de la Commission ». Côté économie, François Fillon s’oppose aux accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou la Chine, et veut « renégocier la directive sur le détachement des travailleurs ». Enfin, il veut « en finir avec les élargissements permanents de l’Union européenne », et refuse l’entrée de la Turquie.

Benoît Hamon. Refonder l'Europe

Le candidat socialiste veut «refonder l’Europe», menacée selon lui par les «forces nationalistes qui prônent le repli sur soi et la xénophobie», alors que les peuples «souffrent du chômage de masse». Pour y parvenir, Benoit Hamon compte proposer «un traité de démocratisation de gouvernance de la zone euro». En clair, la mise en place d’une assemblée démocratique représentative, pour y débattre du budget et des politiques d’harmonisation fiscale et sociale. Il vise également un plan d’investissements de 1000 milliards d’€ à l’échelle du continent pour la «transition écologique et économique». Benoit Hamon compte réviser la directive sur les travailleurs détachés, pour «mettre fin à la concurrence entre les peuples», et lutter contre «l’optimisation ficale» grâce à une taxe sur les multinationales. En matière de sécurité, il souhaite une plus grande coopération dans le domaine de la défense et «mutualiser» les moyens de lutte contre le terrorisme.

Marine Le Pen. La souveraineté française

La candidate du Front National est l'opposante la plus farouche à l’Union Européenne. Le premier de ses 144 engagements est d’organiser, dans les six mois suivant son élection, un référendum sur l’appartenance à l’UE, pour « restituer au peuple français sa souveraineté sur quatre points : territoriale, monétaire, législative et économique ». Si l’UE ne cède pas sur ces quatre points – des fondamentaux de la construction européenne –, alors Marine Le Pen appellerait les Français à voter oui à la sortie de l’Union. Décision symbolique, le drapeau européen sera retiré de l’ensemble des bâtiments publics du pays. Pour « rétablir les frontières nationales et sortir de l’espace Schengen », la présidente du Front Natiionalcompte recruter 6 000 agents des douanes pour repeupler les anciens postes-frontières. Enfin, la Politique agricole commune sera remplacée par une « politique agricole française » pour « soutenir le modèle français des exploitations familiales ».

Emmanuel Macron. Un acquis essentiel 

Européen convaincu, Emmanuel Macron affirme que « l'Europe est un acquis essentiel », et que « la vraie souveraineté passe par une action européenne ». Premier objectif, « rétablir la confiance ». Pour cela, Emmanuel Macron proposera aux Etats de l’UE d’organiser pendant 6 à 10 mois fin 2017 des conventions démocratiques, desquelles sera établie une feuille de route commune. De nombreuses mesures sont néanmoins déjà mises sur la table par le candidat d’En Marche !, parmi lesquelles : renforcer le corps de police des frontières européen, créer un fonds européen de Défense, créer un budget pour la zone euro pour les investissements d’avenir et l’assistance financière d’urgence, mettre en place un socle de droits sociaux européens et renforcer les instruments anti-dumping, réformer le marché carbone européen, créer un fonds européen de 5 milliards d’€ pour les start-up, ou enfin envoyer 200 000 jeunes Français à l’étranger dans le cadre d’Erasmus.

Jean-Luc Mélenchon. Sortir des traités européens

Jean-Luc Mélenchon dresse un constat lapidaire : « L'Europe de nos rêves est morte ». Ce qui l’amène à la conclusion tout aussi radicale, il faut « sortir des traités européens ». Concrètement, le candidat de La France insoumise compte « s’exonérer du pacte de stabilité », « refuser les traités de libre-échange », « stopper la privatisation des services publics » et « refuser les régressions du droit européen sur les questions sociales et écologiques par rapport au droit national ». Il propose deux plans, A et B. Le premier est une sortie en douceur, « concertée » avec les autres Etats, à qui il soumettra des propositions pour « dévaluer l’euro », « mettre fin à l’indépendance de la Banque centrale », ou encore « refonder la PAC ». En cas d’échec, le plan B est une sortie « unilatérale » de l’UE. Jean-Luc Mélenchon proposera alors de nouveaux accords, comme « une alliance des pays d’Europe du Sud », ou « renforcer des programmes de coopération plus larges (Erasmus, CERN, Airbus…)».

Les autres candidats

> Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France. Souverainiste, il veut « remplacer l'Union européenne par une communauté des Etats européens ». et faire sortir la France des traités actuels. 

> Philippe Poutou, Nouveau parti anti-capitaliste. Le candidat trotskiste rejette les traités et l’Europe telle qu’elle est, et souhaite une Europe fondée sur la solidarité entre les peuples. 

> Nathalie Arthaud, Lutte Ouvrière. Pour la représentante de Lutte Ouvrière, une Europe unie « est une nécessité ». Elle appelle ainsi les travailleurs à mettre en place les « Etats-Unis socialistes d’Europe ». 

> Jean Lassalle, indépendant. Plutôt flou sur le sujet, le Pyrénéen appelle de ses vœux une « Europe des nations […] adaptée au monde d’aujourd’hui ». > Jacques Cheminade indépendant Sortir de l’UE et de l’euro pour se « recentrer sur une Europe des patries », réunie « autour de grands projets d’infrastructure ». 

> François Asselineau, Union populaire républicaine. La page « Europe » du site internet du candidat UPR renvoie sur un message d’erreur… Tout juste sait-on qu’il veut la sortie de la France de l’Union Européenne, et de l’OTAN.

«Nous pourrions avoir une chance historique, si... »

Mélenchon et Le Pen veulent sortir des traités européens, Hamon refonder l'Europe. Croyez-vous que la présidentielle française soit l’élection de tous les dangers pour l’Union européenne? 

C’est une élection qui est cruciale pour la question européenne, dans la mesure où elle a lieu après le Brexit, après la victoire de Trump, et à moment où il y a un courant populiste fort à travers toute l’Europe. Le deuxième point, qu’on ne souligne pas assez à mon avis, c’est que depuis le Brexit, l’image de l’Europe a été revalorisée chez les Européens, à commencer par les Français. Elle est plus populaire qu’il y a un an. Le pourcentage de ceux qui veulent quitter l’Europe est en recul. Ça ne veut pas dire que les Français ne sont pas critiques vis-à-vis du fonctionnement de l’Europe. C’est d’ailleurs un des enjeux de la présidentielle française puis des législatives allemandes. On verra à l’automne si on aura un couple de leaders décidé à relancer l’Union dans un premier cercle.

Justement, si Macron était élu en France et Schultz en Allemagne, pourrait-on assister à la relance du moteur franco-allemand ?

Je pense qu’une victoire de Macron en France et Schultz en Allemagne serait une chance historique de relancer l’Europe. C’est absolument leur passion à l’un comme à l’autre, ils ont des sensibilités convergentes, et accessoirement ils pourront se parler dans la même langue puisque Martin Schultz parle français. Ils ont conscience tous les deux que c’est maintenant qu’il faut réagir, et que le Brexit est l’occasion pour simplifier tout ce qui est normes, directives, et d’aller beaucoup plus loin, notamment sur des débuts d’harmonisation fiscale. Enfin, dans la situation actuelle, il y a aussi la nécessité d’avancer dare-dare sur la défense européenne, et l’Allemagne est beaucoup plus ouverte sur ce sujet qu’il y a un an. On n’a jamais été dans une période où l’Europe était aussi menacée qu’aujourd’hui, mais avec tout de même l’hypothèse d’un couple franco-allemand faisant de la relance de l’Europe son orientation majeure. 

Ne trouvez-vous pas que le sujet est minoré dans les débats et interviews des candidats, pour rester sur des thématiques franco-françaises ?

Vous me faites plaisir en me posant cette question ! J’ai animé des débats à la télévision depuis 1970, je n’ai jamais obtenu une seule fois dans une émission que les questions européennes passent en tête, ça a toujours été en fin de débats, autant dire sacrifiées. Plus les débats étaient longs, moins on parlait d’Europe. Le débat de lundi était caricatural là-dessus. Quand ont dit que les gens ne comprennent pas le fonctionnement de l’Europe c’est normal, on ne leur explique pas. On considère ça comme ennuyeux. 

Les politiques, qui se défaussent régulièrement sur l’Europe, sont-ils responsables de la désaffection des citoyens ? 

Bien entendu. Pour les anti-européens en particulier, tout ce qui va mal c’est à cause de l’Europe. Mais les plus coupables ce sont les gouvernements, français comme européens, qui disent tous que ce qui va bien est grâce à eux, et ce qui va mal à cause de l’Europe. 

Quels sont les risques, après le Brexit, qu’un Frexit ait lieu ?

Le risque du Frexit existe, si Marine Le Pen gagne, ce qu’on ne peut pas écarter, puisque c’est sa priorité. Là où il y a un doute, c’est qu’elle organisera un référendum mais pourrait le perdre. Je dirai qu’il y a aujourd’hui un risque sur cinq d’un Frexit. 

Recueilli par O.A.

"L'Union européenne sera ce que nous en ferons"

Isabelle Jegouzo, représentante en France de la Commission européenne, devait animer vendredi 24 mars au conseil départemental de l'Aude, un débat citoyen sur le thème : « Quelle Europe nous voulons ? ». Interview. 

Pourquoi engagez-vous ces dialogues avec les citoyens européens ? 

Notre objectif, à travers ces rencontres, c’est de répondre aux interrogations des gens, débattre sur les sujets qui les préoccupent,recueillir leurs propositions, lutter contre les idées reçues sur l’Europe. Alors qu’on se dirige vers une Europe des 27, avec le déclenchement probable du Brexit la semaine prochaine, nous devons réfléchir à ce que nous voulons faire ensemble pour l’avenir. Et puis, il est important de montrer que la Commission européenne n’est pas une source lointaine, abstraite, qui décide seule et de tout dans son coin. 

Quelles sont les interrogations des gens que vous rencontrez lors des débats ? 

De nombreuses questions portent sur le fonctionnement des institutions européennes, notamment la Commission, jugée trop éloignée des réalités des gens. Nous expliquons qu’elle n’a pas tous les pouvoirs, qu’elle applique les décisions prises par les États membres et le parlement. Nous avons également des débats sur des sujets plus techniques. À Carcassonne, nous allons parler d’agriculture, de convergence fiscale et sociale, de l’avenir de l’Europe, du brexit et de ses suites… 

Et les principales critiques ? 

On assiste à une montée des critiques. Quand on parle de l’Europe, on parle de crises : celles de la dette souveraine, des réfugiés, du terrorisme. L’Europe serait trop chère, Shengen faciliterait la circulation des criminels, on serait mieux si on sortait de l’euro. Face à ce questionnement, qui peut être légitime, nous voulons rétablir la vérité, lutter contre les fantasmes, dire aux citoyens ce qu’elle fait réellement et ce qu’elle ne fait pas. L’Europe est souvent considérée comme toute puissante, ou, à l’inverse, comme impuissante. Il est vrai aussi que les États renvoient les responsabilités sur l’Europe quand cela se passe mal. Cette façon de présenter les choses contribue à faire de l’Europe une entité étrangère. 

C’est l’exemple des législations inutiles comme la taille des concombres ? 

L’Europe n’est pas indemne de tout reproche. Pour ce qui concerne les cucurbitacées, c’est fini depuis plusieurs années. Plus sérieusement, sur cette question des normes, il faut que nos produits puissent circuler dans un grand marché de près de 500 millions de consommateurs. Pour les entreprises, il est beaucoup plus simple d’être confrontées à une seule norme, souvent élaborée avec les producteurs, plutôt qu’à 28.

Dans le cadre du CETA, l’Union européenne a imposé un certain nombre de ses propres normes, notamment sur les appellations protégées qui sont nombreuses en France. Avec le Canada, un pays exigeant en matière de qualité, on a fixé un standard mondial haut. Si nous ne l’avions pas fait, d’autres l’auraient fait avec des normes plus basses. Quand on négocie pour près de 500 millions de consommateurs, on a une force plus importante. Les Britanniques qui s’apprêtent à sortir de l’union européenne vont devoir renégocier la totalité de leurs accords commerciaux, mais avec un marché de 60 ou 65 millions de personnes, les conditions seront moins favorables. 

Pour les 60 ans du traité de Rome, vous publiez 60 belles histoires financées par l’Europe ? Pourquoi  ?

 Pour montrer que l’Europe agit pour le quotidien des gens. Il y a Erasmus, Galileo, mais aussi des initiatives régionales ou locales. L’Union européenne a par exemple contribué à la reconstitution en quelques années du stock de thon rouge en Méditerranée, menacé d’effondrement en 2007, comme elle a financé à hauteur de 30 % l’école de la seconde chance à Toulouse. L’Europe c’est notre maison commune. C’est aussi une construction extraordinaire dans l’histoire de l’humanité avec une période de paix inconnue jusqu’alors... 

Recueilli par Serge Bardy

"60 ans d'Europe". Un long format de la rédaction des informations générales de La Dépêche du Midi.
Textes : Jean-Claude Soulery, Serge Bardy, Jean-Pierre Bédéï, Dominique Delpiroux, Olivier Auradou, Philippe Rioux
Mise en page : Philippe Rioux.

© La Dépêche du Midi, mars 2017.