Bordeaux, l'écrin du vin

Le monde entier en rêvait, les Bordelais l'ont fait. La Cité du vin de Bordeaux, inaugurée hier dans le quartier des bassins à flots, à l’entrée de l’emblématique Port de la lune, a pour vocation de parler au monde. Et d’accueillir tout le monde. Un projet œcuménique bâti autour de la civilisation du vin et de ceux qui la font vivre, qui rassemble les divins breuvages (il y a des nuances mais tous ont leur personnalité) de 80 pays, et bien sûr des 66 départements viticoles français, soulignait Bernard Farges, président du CIVB (Vins de Bordeaux). 

« Un succès pour Bordeaux, un succès pour la France ». François Hollande.

Un enjeu considérable aussi, à la fois culturel et économique, a rappelé François Hollande, le déplacement du président de la République pour cette inauguration constituant un marqueur fort : « Un succès pour Bordeaux, un succès pour la France » a relevé le Président, indiquant que la viticulture était le deuxième secteur exportateur du pays… après l’aéronautique. Un tiers des 85 millions de visiteurs étrangers disent venir pour la gastronomie et le vin ! Des enjeux qui ont mobilisé les partenaires sur un projet de 81 millions, financé à 81 % par le public (principalement mairie de Bordeaux), le privé, avec 83 mécènes, apportant 19 %. 

Alain Juppé, maire de Bordeaux, pouvait trouver la journée gouleyante, lui qui, à l’origine du projet, trouvait tout naturel que « Bordeaux capitale du plus grand vignoble de France », jouent les locomotives pour l’ensemble du secteur. Car au-delà d’une architecture futuriste bluffante, ce lieu pédagogique et culturel ouvert à tous les publics se veut aussi un puissant moteur pour l’oenotourisme. 

La Cité compte ainsi attirer sur 450 000 visiteurs par an venus de toute la planète. Hier, les ambassadeurs des États-Unis et de Grande-Bretagne étaient de la fête mais aussi, le Premier ministre de la Géorgie où l’homme cultivait déjà la vigne il y 6 000 ans. « On peut dire que la Cité du vin est le United nations of wine » s’est enthousiasmée Sylvie Cazes, présidente du site. Joli symbole qu’une humanité réunie autour du vin et de ses valeurs propres.

A l’image du message d’Alain Juppé, particulièrement adressé aux jeunes : « Ici, on boit et on aime boire mais avec modération. C’est un art de vivre ». Et de partager.

Daniel Hourquebie 

La Cité du vin. Ouvert tous les jours de 9 h 30 à 19 h 30.entrée 20 euros.
Espace de consultation en accès libre.

L'inauguration

François Hollande./ Photo ANAKA / La Cité du vin


Hollande et Juppé unis par le lien du vin

Décidément, le vin crée des liens : « Se rapprocher, je ne sais pas, mais en tout cas, nous sommes ensemble », sourit François Hollande devant les journalistes.Le Président serre volontiers la main d'Alain Juppé, le maire de Bordeaux, qui l’accueille pour l’inauguration, au bord du grand fleuve Garonne. Ambiance plutôt « coule » entre les deux hommes, nonobstant leurs ambitions pour la présidentielle de 2017. 

Demain peut-être rivaux, hier unis par le lien du vin : « Vous êtes venu trois fois, vous aimez les inaugurations bordelaises », plaisante Juppé. « Ils ont trinqué au champagne », glisse une consœur, « la photo est sur twitter » ! Trinquer à quoi ? Au succès de la Cité bien sûr.

Alain Juppé savoure : « Un jour faste pour Bordeaux », dit-il. Même Alain Rousset, son rival socialiste, ex-concurrent à la mairie, y va de son compliment. Oecuméniques… 

Double manif 

Pas au point de convaincre les opposants à la loi travail cependant, qui trouvent toujours le texte imbuvable pour les travailleurs.Des syndicalistes ont ainsi bloqué la rocade bordelaise. Tenus à distance de l’inauguration, ils ont réussi à couper le courant, plongeant une partie du bâtiment dans le noir, mais pas l’auditorium où étaient prononcés les discours. Des opposants au recours aux pesticides dans la viticulture ont également profité de la caisse de résonance médiatique.

Et le courant semble être passé cette fois. Alain Rousset, président du conseil régional de la grande Aquitaine : « Nous romprons un jour et le plus tôt possible avec les phytosanitaires. Nous allons engager un travail de recherche pour une nouvelle conduite de la vigne. » Il a félicité Bernard Farges (CIVB) pour son » courage » sur cette question longtemps taboue. François Hollande a renchéri : « Je vous appelle à accélérer le rythme ! » Une question de santé publique et d’image dans l’opinion, a précisé le Président. ». 

D.H.


Une architecture exceptionnelle

Photo XTU / ANAKA / La Cité du vin






« Le nouveau phare du Port de la Lune » dit Juppé. « C'est votre Tour Eiffel ! », s’exclame Elaine, journaliste au New York Times, scotchée au pied de… au pied de quoi au fait ? L’architecture futuriste de la Cité du vin, son enveloppe, constituée de panneaux de verre sérigraphié et de panneaux d’aluminium, ont déjà fait beaucoup saliver tant l’ensemble (le monument ?) tranche avec le classicisme XVIIIe des emblématiques façades des quais de la Garonne ». 

Les architectes Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, de l'agence XTU évoquent l' "élément liquide", un bâtiment "tout en flux".

D'autres parlent de « carafe à vin » ou de « cep de vigne ». Si le contenu est passionnant, voilà en tout cas un flacon spectaculaire qui mérite à lui seul le déplacement y compris dans ses aménagements intérieurs (volumes, utilisation du bois : « C’est normal que les gens imaginent des choses, on l’a fait pour ça, car le vin est aussi un peu mystérieux », glissent les architectes…





Coupe de la Cité du vin






Le goût de la découverte

Photo PQR Sud Ouest



Le parcours permanent




Le « parcours permanent », c'est le cœur de la cité du vin, expliquent ses animateurs. Un parcours « immersif, sensoriel et interactif » avec 19 modules numériques, 120 productions audiovisuelles sur 3,000 m2, qui évoque le vin comme patrimoine universel par le prisme des arts, de l’histoire, de la philosophie, de la géographie, des savoir-faire ou de l’artisanat.

Un audioguide « compagnon de visite » numérique en huit langues, accompagne le visiteur. Ici, pas de casque sur les oreilles qui doivent rester aussi libres que la langue pour partager ses impressions. 

Les ateliers et les expositions



De nombreux ateliers thématiques (y compris dégustation !) sont au programme ainsi que des visites guidées. Le site ne se définit pas vraiment comme un musée (ou alors un musée vivant), mais il propose un espace de 720 m2 avec l’ambition de réaliser « trois expositions temporaires de haut niveau par an ». Pour son ouverture, 88 clichés d’Isabelle Rozenbaum qui a suivi les 36 mois de l’impressionnant chantier. 

La Cité dispose également d’un auditorium et accueillera de nombreux événements… y compris certains matches télévisés de l’Euro ! 

Le restaurant panoramique




Bien sûr qu’on y boit et qu’on y mange ! Les restaurants, bars et la boutique aux 800 références en provenance de 80 pays, constituent autant d’expériences gustatives bien concrètes. 

Des expériences qui culminent à au belvédère du 8e étage à hauteur de 35 mètres où, à la fin de la visite, se combinent une magnifique vue à 360° sur la ville de Bordeaux et la dégustation parmi 20 vins du monde au choix choisis dans la cave de la Cité du Vin parmi 14 000 bouteilles. 

Et pour le jeune public, un verre de jus de raisin, s’il vous plaît !

D. H.

Le Grand Sud, terre de vins

Si Bordeaux dispose désormais de la Cité du vin, c'est tout le Grand Sud qui est une terre de vins, et tout particulièrement la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, première région viticole de France.

Entre le nouveau découpage régional et l'annonce d'une récolte heureuse, un avenir plus radieux s'ouvre cette année aux viticulteurs. La fusion des deux régions va porter à 273 000 hectares (dont 236 000 pour la partie méditerranéenne) la superficie viticole globale, soit encore 8 % de la surface agricole utile quand elle ne dépasse pas 3 % en moyenne nationale. Quant à la production, elle devrait grimper autour de 17 millions d'hectolitres, dont 13,5 millions pour la partie languedocienne, marquant ainsi une nette hausse quand le niveau des récoltes stagne dans les toutes les autres régions françaises, à l'exception de la Corse.

Tout va donc bien pour nos vignes qui sont capables en outre de produire des cépages et des gammes différents mais complémentaires. Le salon Vinisud créé en 1994 est plus que jamais la vitrine d'un Languedoc qui livre des vins servis sur les tables des restaurants étoilés.

Mais c'est bien du côté du Languedoc-Roussillon qu'est intervenue ces dernières années une vraie révolution. Face à une consommation de vin qui ne cesse de chuter, il était indispensable d'améliorer les cépages. Les jeunes viticulteurs installés, il y a deux ou trois décennies, ont consenti à arracher les vieux pieds moyennant des primes et abandonner une production à forte dominante de vins de table issus de coupages. Exit les vins de qualité médiocre issus de cépages à haut rendement. Il a fallu sacrifier 40 % des vignes à partir des années soixante-dix, date à laquelle la surface plantée atteignait encore 400 000 hectares !


Bataille à l'export

Les vignerons sont revenus à des variétés traditionnelles comme le syrah ou le grenache, ont fait naître l'appellation vin de pays, jusqu'à obtenir, voilà presque 30 ans, l'appellation d'origine contrôlée qu'accorde au compte-gouttes l'INAO. Cette montée en gamme, qui fait aujourd'hui la quasi-unanimité chez les vignerons languedociens, a été sanctionnée par des exportations en hausse régulière. Les ventes à l'étranger de vins d'appellation d'origine protégée (AOP) et d'indication géographique protégée (IGP) ont représenté l'an passé 813 millions d'euros (en hausse de 8,3 %), et quelque 3,6 millions d'hectolitres (+ 5,7 %), indique la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) de Languedoc-Roussillon. Et cette course à l'excellence est regardée avec envie du côté des vins du Sud-ouest.

 «Le vignoble de Cahors et ses 4 000 hectares est connu d'abord pour son malbec très populaire en Grande-Bretagne, en Europe du nord et en Amérique du nord, où il se partage le marché avec les vins argentins. Nos exportations, de 20 à 25 %, sont en pleine croissance. Nous avons un fort potentiel, mais faut-il définir des stratégies pertinentes ! Grâce aux énormes progrès à l'export du Languedoc, nous espérons être entraînés dans une dynamique plus énergique que celle qu'on connaît avec un vignoble actuel essentiellement orienté vers le marché français», souligne Bertrand-Gabriel Vigouroux, propriétaire du château de Mercuès près de Cahors.

Jouer sur la diversité régionale

C'est aujourd'hui tout l'enjeu économique à l'heure où la part des vins régionaux dans les exportations françaises progresse très sensiblement.

«La complémentarité entre les deux régions existe de fait puisque nous avons constitué des interprofessions autour de bassins viticoles. Nos choix stratégiques seront de trouver une identité commune à nos produits, de trouver des synergies tout en faisant vivre la diversité de nos vins et de nos territoires pour conquérir de nouveaux marchés à l'export», précise Bernard Augé, du comité interprofessionnel des vins du Languedoc-Roussillon. «Nous sommes au début d'une réflexion pour faire naître des vins d'assemblage. Midi-Pyrénées apporte la fraîcheur de ses vins, nous la rondeur et la chaleur, tant pour les rouges que pour les blancs», poursuit-il.

Une nouvelle croisade s'ouvre, qui pourrait passer par la création d'une marque commune très fédératrice. Mais la décision est aussi politique.

Jean-Marie Decorse



«Les vins du Sud-Ouest ont un côté secret»

Jean-Luc Petitrenaud, critique gastronomique, nous lire sa vision des vins du Grand Sud.

La Dépêche - Pour vous quel est l'atout majeur des vins du Sud-Ouest ?

J.-L. P. - Les vins du Sud-Ouest sont des vins très intimistes. Ils ont l'avantage de ne pas ramener leur gueule. C'est-à-dire qu'ils ne se prennent pas pour des Bordeaux ou des Bourgogne. Ces vins sont réellement sans prétention, et c'est ce qui fait leur plus grand atout. Ils ont aussi un petit côté secret qui donne envie de les découvrir.

D'où vient leur nouvelle popularité ?

Ils ont été redécouverts récemment par les touristes. Une nouvelle mode s'est développée : le local. Si on est dans le Lot, on boit du Cahors. Les touristes ont eu envie de découvrir leurs secrets, de s'aventurer hors des sentiers battus. Ils deviennent de vrais aventuriers du vin. Et une fois chez eux, ils ont envie de faire découvrir et partager avec leurs amis et leurs familles ce vin qui leur a procuré tant de joie.

Mais cette évolution fut compliquée. Vous m'auriez posé cette question il y a 50 ans, la réponse aurait été totalement différente. Je vous aurais répondu sans aucun doute que les touristes étaient plus fermés. Ils portaient des jugements plus définitifs. Pour eux il n'existait que le Bourgogne ou le Bordeaux. Dorénavant, les petits vignobles sont en passe d'être redécouverts.

Comment ces vins ont-ils évolué ces dernières années ?

Les producteurs font sans aucun doute preuve de plus de sagesse. Les productions sont ainsi devenues plus raisonnées puisque leurs cultivateurs agissent avec moins de précipitation. Le résultat est là, les vins actuels sont extrêmement vrais. Les producteurs fournissent parallèlement des efforts pour atteindre un vin de moins en moins trafiqué. Ce ne sont plus des cercueils ambulants comme auparavant. Grâce à cette volonté, on ressent vraiment le goût du fruit. Ces vins laissent ainsi voir plus de fragilité, ce qui fait leur charme. Ils sont devenus bien en place dans leurs chaussures cirées.

On ne peut cependant pas aller jusqu'à parler de révolution œnologique.

Comment vont évoluer ces vins au cours des années ?

Ces vins du Sud vont devenir des vrais vins de rencontre.

J'ose espérer que nous allons également quitter cette idée bourgeoise selon laquelle les vins doivent rester longtemps en cave pour être bons. Les vins doivent seulement être bus au moment où on doit les boire.

Propos recueillis par Justine Sanch-Maritan


"Bordeaux, l'écrin du vin". Un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi. Texte : Daniel Hourquebie, Jean-Marie Decorse, Justine Sach-Maritan. Mise en page : Philippe Rioux. Photos : AFP, Photo PQR Sud Ouest, Cité du vin, cabinet d'architecture XTU, Anaka, La Dépêche, Daniel Hourquebie. Vidéos : Cité du vin ; Dépêche News, Manon Haussy (Château Chambert, Cahors et Fronton), Sébastien Lapeyrère (Gers), Lucie Paimblanc (cocktails Cahors). Infographies : Philippe Rioux. © La Dépêche du Midi, juin 2016.