Affaire Merah : cinq ans après, le procès

Attentats de Toulouse et Montauban : un mois de procès 

La cour d'assises spéciale de Paris ouvre ce lundi 2 octobre le dossier des attentats de Toulouse et de Montauban. Dix jours d’horreur en mars 2012 quand un garçon de 23 ans, qui était né et avait grandi à Toulouse, a confronté la France aux premiers attentats terroriste au nom du jihad et d’Al Quaïda. 

À Toulouse et à Montauban, trois parachutistes, trois enfants et un professeur d’hébreu ont payé de leur vie ce fanatisme criminel. Le tueur a fait d’autres victimes : un militaire a été grièvement blessé à Montauban et demeure aujourd’hui tétraplégique ; un élève alors âgé de 15 ans a été grièvement blessé lors de l’attaque de l’école Ozar Hatorah, et tente de se remettre ; un étudiant, pris pour cible au volant d’une camionnette, a été profondément choqué — la balle qui le visait s’est arrêtée dans le moteur. 

Face aux cinq magistrats professionnels qui composeront la cour d’assises spéciale (en matière de terrorisme, seuls des magistrats professionnels jugent), deux hommes : Abdelkader Merah, 35 ans, le frère du tueur et Fettah Malki, 34 ans. Mohammed Merah est mort lors de l’assaut mené par les policiers du Raid le 21 mars. 

Abdelkader Merah est accusé de complicité dans les trois attentats perpétrés par son frère. La justice lui reproche notamment d’avoir participé au vol du scooter qui a ensuite servi lors des attentats. Ce partisan d’une pratique très rigoureuse de l’islam aurait également contribué à la radicalisation de son jeune frère qu’il a curieusement croisé plusieurs fois entre le 11 et le 19 mars 2012. 

Fettah Malki est poursuivi comme Abdelkader Merah pour « participation à une association de malfaiteur à visée terroriste ». La justice lui reproche d’avoir fourni une arme, un pistolet-mitrailleur Uzi utilisé lors de l’attaque de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, et un gilet pare-balles au tueur. 

Abdelkader Merah, défendu par Mes Dupont-Moretti et Antoine Vey, comme Fettah Malki, soutenu par Mes Christian Etelin et Edouard Martial, réfutent ces accusations. Tous les deux nient avoir eu connaissance de la volonté de Mohammed Merah de commettre les attentats. Une défense qui sera mise à mal par un mois d’audition où se croiseront des témoins directs des assassinats, des policiers, des représentants du service de renseignement, notamment Bernard Squarcini, dont le travail va être pointé du doigt, l’ancien patron du Raid, Amaury de Hauteclocque, qui a mené l’assaut contre le tueur et les familles des victimes… 

S’il est reconnu coupable, Abdelkader Merah est passible, au maximum, de la réclusion criminelle à perpétuité pour la complicité d’assassinat. Fettah Malki, poursuivi pour association de malfaiteurs criminelle, encourt un maximum de 20 années de réclusion criminelle. 

Le verdict est attendu le jeudi 2 ou vendredi 3 novembre. 

Jean Cohadon 

Quelques chiffres… 

2 accusés
117 tomes de procédures
232 parties civiles
23 avocats
55 témoins cités
11 experts
24 jours d’audience
167 journalistes accrédités

Abdelkader, l'idéologue salafiste dans le box 

Blouson noir bien trop grand, jean et serviette sur la tête, Abdelkader Merah, l’un des frères du jihadiste Mohammed Merah qui vient d’assassiner 7 personnes dont des militaires et des enfants juifs au non d’Allah, est interpellé dans sa maison d’Auterive, à 45 kilomètres au sud Toulouse. Cet homme connu des services de renseignement pour son appartenance à l’islam radical est maîtrisé par les policiers de la brigade de recherche et d’intervention du SRPJ de Toulouse. Ce mercredi 21 mars 2012, alors que les caméras du monde font le siège devant l’immeuble du tueur au scooter pris d’assaut par les policiers du Raid pour neutraliser Mohammed Merah, rue du Sergent Vigné, au centre de Toulouse, à l’autre bout du département, celui que l’on décrit comme le « gourou » est placé en garde à vue. Il est soupçonné de complicité d’assassinats, d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et de vol en réunion. Écroué le 25 mars 2012, il restera derrière les barreaux jusqu’à son procès, ce lundi 2 octobre 2017, devant la cour d’assises spéciale de Paris. Toutes ses demandes de remise en liberté ont été refusées. Il réfute les accusations de complicité. 

« Vous ne casserez pas ma foi, la loi islamique on l’imposera chez vous » promet-il, après avoir été placé à l’isolement alors qu’il aurait tenté de convertir et de radicaliser des non musulmans, en prison. 

À 35 ans, Abdelkader Merah, peintre en bâtiment, est considéré comme « l’idéologue », celui qui aurait « armé » le bras de son frère Mohammed pour accomplir son jihad. Né à Toulouse, Abdelkader a grandi dans les quartiers nord de la Ville rose. Au sein du clan Merah (trois frères, deux sœurs), Abdelkader s’érige en modèle pour son frère Mohammed sur lequel il exerce de nombreuses violences. Il impose à leur mère la présence d’un chien dangereux à la maison et s’embrouille avec son autre frère Abdelghani lui reprochant de fréquenter une femme d’origine juive. De la fumette à l’alcool, Abdelkader passe très vite au port de la djellaba épousant les thèses d’un islam rigoriste. Il a 24 ans et considère « la loi islamiste au-dessus de la constitution française ». En 2006, c’est le début de sa radicalisation. 

Dans le quartier des Izards, il est surnommé le « petit Ben Laden », il glorifie les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, et effectue de 2006 à 2011, quatre voyages en Égypte pour étudier l’arabe littéraire dans une école coranique. Son frère Mohammed lui rend visite au Caire en 2010. En 2007 à Toulouse, lors du démantèlement d’une filière d’acheminement de jihadistes vers l’Irak le nom d’Abdelkader Merah apparaît dans le dossier mais il n’est pas condamné. Dans une note des services du renseignement daté du 8 mars 2011, il est pourtant considéré en 2007 comme un membre d’une cellule d’islamistes implantée dans le quartier des Izards. Fiché S, il gravite autour du cercle du réseau salafiste des frères Clain et de Sabri Essid dont le père épousera plus tard, religieusement, la mère d’Abdelkader Merah. Le 6 mars 2012, il est au volant d’une Clio lorsque son frère Mohammed vole le scooter Tmax qui servira aux assassinats. Il achète un blouson et un casque de moto que portera son frère lors des attaques terroristes. Entre le 11 et le 19 mars, à la veille ou au lendemain des attaques terroristes de Mohammed Merah, Abdelkader est en relation avec son frère. Ils se voient la veille de l’attaque de Montauban et le soir de la tuerie au cours d’un dîner à Toulouse. Une proximité soudaine qui intrigue les enquêteurs d’autant que la relation entre les deux frères n’a jamais été au beau fixe. Abdelkader reprochant à son cadet son inconstance et son ancrage dans la délinquance. Était-il au courant des assassinats perpétrés par Mohammed ? Pour les enquêteurs, il ne pouvait ignorer la volonté de ce dernier de faire le jihad puisqu’il avait confié à Abdelkader, dès 2010, qu’il cherchait à rejoindre une filière d’Al Qaïda, au Pakistan. Abdelkader aurait alors répondu aux enquêteurs lors de sa garde à vue : « Dès cet instant, j’ai su ce que cherchait mon frère ». 

Dans sa maison d’Auterive, les enquêteurs ont retrouvé en perquisition de nombreux livres prônant le jihad, des prêches ou des conseils sur la façon de concevoir un attentat. Des recommandations pour déjouer les surveillances et ne pas attirer l’attention… autant de suggestions dont certaines ont été étrangement mises en pratique par son frère Mohammed. 

Durant ces cinq dernières années et lors de ses auditions, Abdelkader Merah a multiplié les sorties provocatrices et contradictoires. Glorifiant la façon dont est mort son frère, abattu par les hommes du Raid, mais condamnant ses actes. 

Quelle attitude adoptera-t-il dans le box lui qui a souvent brouillé les pistes ? C’est l’une des inconnues de ce procès. 

Frédéric Abéla

Fettah Malki et l'arme fatale

Comme Mohammed Merah, Fettah Malki voulait intégrer l'armée, en l’occurrence la Légion étrangère. Sans succès. 

Deuxième accusé à comparaître dans le box à partir de lundi 2 octobre, cet homme de 35 ans est poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, détention d’armes et recel de vol. C’est lui qui a fourni le gilet pare-balles, en février 2012, à Mohammed Merah, équipement qu’il portait lorsque le Raid l’a abattu le 22 mars 2012, ainsi que le pistolet-mitrailleur Uzi ayant servi lors de la tuerie de l’école juive, le 19 mars 2012. Transaction au cours de laquelle il a toujours soutenu ignorer les projets funestes de Mohammed Merah. 

Les deux hommes se connaissent bien. Dans le quartier des Izards, Fettah Malki fait figure de « commercial » du quartier. Connu pour son rôle de receleur, il se tient cependant très loin de la sphère religieuse et n’apparaît pas dans les réseaux islamistes toulousains. Il connaît de Mohammed Merah ses activités de délinquant et son appétence pour le maniement des armes. « A aucun moment il n’a imaginé que l’arme qui lui fournit allait servir à commettre des attentats », insiste l’un de ses avocats, Me Christian Etelin. « Comment peut-on lui reprocher de ne pas savoir à quoi était destinée cette arme lorsqu’il lui a cédée, alors que les services de renseignements sont eux-mêmes passés à côté du profil de Mohammed Merah ? », s’insurge-t-il. 

Né en Algérie et arrivé en France en 1993, à l’âge de 11 ans, Fettah Malki suit une scolarité débridée et échoue au baccalauréat en raison de ses multiples absences. Il compile les petits boulots d’intérim et se fait embaucher en tant que pizzaïolo en banlieue toulousaine jusqu’en 2013. Dans le quartier des Izards, Malki est connu pour revendre et acheter tout un tas d’objets à la provenance douteuse, y compris des voitures... Pour les enquêteurs, il est « la supérette » du quartier, ce qu'il nie. Alors que le SRPJ de Toulouse et les enquêteurs antiterroristes passent en revue les connaissances de Mohammed Merah cherchant à déterminer d’éventuelles complicités, le nom de Malki apparaît dans leur viseur. Une trace biologique de cet homme est identifiée sur un billet retrouvé dans une voiture de location de Mohammed Merah. Interpellé, Fettah Malki finit par admettre qu’il a fourni le pistolet-mitrailleur, un modèle ancien enterré dans un jardin à L’isle-en-Dodon, où il vit, près de Toulouse. L’arme est en piteux état et Merah lui aurait proposé de la retaper... À cet instant, Malki assure ne rien connaître des projets criminels du tueur au scooter. Il dit également ignorer l’appartenance de Mohammed Merah à l’idéologie salafiste et son fanatisme religieux. Quant au gilet pare-balles, Malki l’aurait acheté pour environ 800 euros à des jeunes du quartier Reynerie à Toulouse. Un gilet estampillé Police Nationale qui aurait été volé à une fonctionnaire dans des circonstances non élucidées. 

Ses liens avec Mohammed Merah ne s’arrêtent pas là. Entre les assassinats des militaires de Montauban et le carnage à l’école juive de Toulouse, Mohammed Merah est impliqué dans le braquage d’une bijouterie, à l’Union, près de Toulouse, le 16 mars 2012. Un casse à 200 000€ à la suite duquel Fettah Malki a été accusé et condamné pour recel à 2 ans de prison, en novembre 2016. Les auteurs de ce braquage lui ont vendu de l’or, 400 à 500 grammes en échange de 10 000€. Des bijoux ont été retrouvés dans le coffre d’une banque au nom de l’une de ses tantes. Certaines de ces pièces de valeur portaient encore des étiquettes et le prix. Longuement interrogé par les enquêteurs antiterroristes sur les complices de ce braquage dans lequel Mohammed Merah avait pris part, Malki reste muet se refusant à donner le moindre nom. « Vous n’avez qu’à chercher vous-même puisque vous êtes si forts », avait-il lancé aux enquêteurs alors qu’il tentait de les enfumer en leur vendant un scénario surréaliste sur la présence de ces bijoux. Écroué depuis le 1er juin 2013, Fettah Malki « a été aspiré malgré lui par les actes de Merah dont il méconnaissait complètement les projets criminels », soutient Christian Etelin. 

Frédéric Abéla

Latifa Ibn Ziaten : "Je veux qu'il me regarde dans les yeux et qu'il parle"

Latifa Ibn Ziaten est la mère d'Imad Ibn Ziaten, la première victimme de Mohammed Merah./ Photo DDM, Nathalie Saint-Affre

Latifa Ibn Ziaten est la mère d'Imad, la première des sept victimes de Mohammed Merah, tué le 11 mars 2012 à Toulouse. Alors qu’un film consacré à son engagement sortira sur les écrans ce mercredi, elle attend de pied ferme l’ouverture du procès devant la cour d’assises spéciale de Paris. 

Dans quel état d’esprit êtes-vous ? 

On compte les jours avant le début. C’est stressant. C’est très dur pour nous, les familles de victimes. Il me tarde ce jour-là. 

Qu’attendez-vous de ce procès ? 

On attend la vérité, la lumière pour nos enfants afin que mon fils repose enfin en paix. 

Appréhendez-vous le face-à-face avec Abdelkader Merah ? 

Au contraire. Je veux être face à lui puis savoir s’il est capable de me regarder dans les yeux. J’espère que ce frère parlera. C’est un humain. Il doit avoir une conscience. J’espère que, s’il regarde une mère dans les yeux, il parlera. Cet homme nous doit la vérité… Il la connaît. Il faut qu’elle éclate. 

Mohammed Merah sera le grand absent du procès. Vous le regrettez ? 

J’aurais voulu qu’il soit vivant. J’avais demandé à Sarkozy qu’on le prenne vivant. Malheureusement, ça n’a pas été possible. C’est pour cela que son frère doit parler car c’est son complice. 

On parle de « l’affaire Merah » mais est-ce ça pour vous ? 

J’ai le sentiment qu’on a oublié toutes victimes et qu’on ne parle que de Merah. Nos enfants servaient la République et ils ont été tués pour cela. Ils étaient dignes, il ne faut pas les oublier. 

Quel verdict attendez-vous ? 

J’ai confiance en la justice qui va juger un coupable. S’il n’y a pas de résultat, ce sera grave pour nous. Pour nos enfants et pour la jeunesse, il faut que la justice soit à la hauteur. 

Vous sillonnez la France et le monde avec un message de paix. Qu’entendez-vous sur Mohammed Merah ? 

Au début, c’était très dur. On me disait « Vive Merah ! C’est un héros ! ». Aujourd’hui, les gens ont pris conscience et je l’entends beaucoup moins.

Recueilli par Claire Lagadic

C'était il y a 5 ans...

Il y a cinq ans, l'impensable se produisait à Toulouse et Montauban. Le 11 mars 2012,  le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten, 30 ans, est abattu de sang-froid à Toulouse d'une balle dans la tête par le terroriste Mohammed Merah, qui signait là le premier meurtre d'une trilogie sanglante. 

Quelques jours plus tard, le 15 mars, à Montauban, ce sont deux autres militaires qui seront assassinés alors qu'ils retiraient de l'argent à un distributeur : Abel Chennouf, 24 ans, et Mohamed Legouad, 23 ans. Un troisième militaire, Loïc Liber, s'en sort par miracle, mais restera paralysé toute sa vie. 

Enfin, le 19 mars, ce sont quatre personnes qui seront tuées à Toulouse, rue Dalou, devant et dans l'école juive Ozar Hatorah : trois enfants, Myriam Monsonego, 7 ans, Gabriel Sandler, 5 ans, son frère Arieh, 4 ans, et leur père, professeur dans cette école, Jonathan Sandler, 30 ans. 

S'en suivra deux jours plus tard un siège de plus de 30 heures au domicile du terroriste, rue du Sergent-Vigne à Toulouse, par les hommes du RAID. Ce siège tiendra en haleine la France entière, incrédule, qui découvre qu'elle n'est pas à l'abri de la violence extrémiste sur son propre territoire. Cet attentat marquera malheureusement la première attaque terroriste d'une série bien trop longue à ce jour. Découvrez dans notre webdoc la rétrospective des faits, ainsi que les témoignages et confidences des proches des victimes, des forces de l'ordre ou encore des personnels soignants. 


"Ce nom, nous aurions aimé l'oublier..."

Son nom résonne comme un écho sinistre. Son nom est innommable. Et pourtant, nous l'avons tous en tête à l'évocation de ces crimes qui, voici cinq ans déjà, ensanglantèrent Toulouse et Montauban, sidérant nos consciences et stupéfiant la France. Nous aurions aimé l'oublier, ce nom, comme on oublie ces monstres qui peuplent nos cauchemars – mais c'est impossible. Car, s'il paraît facile avec le temps de perdre la trace d'un monstre imaginaire, comment ignorer que celui-là était un de nos compatriotes, né, grandi, éduqué sous notre République, à l'ombre protectrice de sa laïcité et de ses droits de l'homme ?….

En mars 2012, nous ne savions pas encore que les assassinats perpétrés par ce prétendu «loup solitaire » étaient les prémices d'une « guerre » plus vaste déclarée à la France. Nous ne savions pas encore – ou plutôt nous n'osions pas clairement dire – que notre ennemi avait un nom : le terrorisme islamiste. Qu'il se cachait dans les recoins de notre société, profitait de ses faiblesses et de ses injustices, qu'il savait utiliser les frustrations et les haines comme on retourne une arme. Et qu'il ferait suffisamment d'adeptes pour entretenir, au cœur du confort français, cette obsession qui ne nous quitte plus : ça peut recommencer, ça va recommencer.

Car, après « le » crime de Toulouse – et nous pensons ici à cette balle à bout portant dans la tête de la petite Myriam Monsonego, l'abjection qui résume tous les crimes du monde –, après Toulouse et « sa » petite juive, le terrorisme s'est déplacé selon un itinéraire qui ne doit rien au hasard et dont nous connaissons les étapes : Charlie, Hyper cacher, 13 novembre, Saint-Etienne-du-Rouvray, Nice…

Jean-Claude Souléry 

5 ans après, Christophe Miette, l'enquêteur du SRPJ, n'a rien oublié

Le 19 mars 2012, Christophe Miette, enquêteur au SRPJ de Toulouse, est à son poste de travail quand soudain, des cris retentissent dans son service. Il découvre que l'école juive Ozar Hatorah vient d'être sauvagement attaquée. Cinq ans après, le policier toulousain n'a rien oublié de cette affaire hors-normes. Il se souvient de l'effroi qui le saisit, lui et ses collègues, de l'enquête à laquelle il participe et qui permet en quelques heures de faire émerger un nom, celui de Mohammed Merah. Connu jusque-là comme "un petit caïd", le "tueur au scooter" mettra fin, dans le sang et la barbarie, à près de 20 ans pendant lesquels la France avait oublié l'atrocité des attentats commis sur son sol...

11 mars 2012 :
 Le militaire Imad Ibn Ziaten, 
première victime du «tueur au scooter» 

Latifa Ibn Ziaten, la mère du militaire tué à Toulouse/DDM, XAVIER DE FENOYL

11 mars 2012. Une date sinistre qui restera gravée dans les esprits comme étant celle du premier meurtre commis par « le tueur au scooter » Mohammed Merah. Lorsque le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten est retrouvé gisant près du gymnase de la Cité de l'Hers, à Toulouse, tué d'une balle dans la tête, les enquêteurs ne s'imaginent pas qu'ils ont affaire à un terroriste qui volera la vie de six autres personnes dans les jours suivant. 

Imad Ibn Ziaten, parachutiste chevronné du 1er RTP de Toulouse, avait rendez-vous ce 11 mars, vers 16 heures, avec un homme qui l'a contacté sur Le Boncoin pour lui acheter sa moto. Cet homme n'est autre que Mohammed Merah, qui a déjà tout planifié. Assis sur son scooter, il se montre insistant auprès de lui : « T'es militaire ? C'est vrai que t'es militaire ? », avant de pointer son 11.43 en direction d'Imad. « Mets-toi à plat ventre ! », lui ordonne le terroriste, qui n'a pas ôté son casque. Le militaire ne se plie pas à sa volonté, et le met au défi de lui tirer dessus. Merah ouvre le feu sur Imad. « Tu tues mes frères, je te tue ! », s'exclame-t-il avant de filer sur son scooter TMax volé. 

15 mars 2012 :
Mohamed Legouad et Abel Chennouf assassinés, Loïc Liber gravement blessé 

Les deux militaires tués à Montauban/SIPA

15 mars 2012. Quatre jours après son premier meurtre, Mohammed Merah récidive à Montauban. En début d'après-midi, il gare son scooter au sud de la ville, à quelques pas de la caserne Doumerc. À nouveau, il veut s’en prendre aux militaires.

Il repère trois parachutistes qui font la queue devant un distributeur de billets : Mohamed Legouad, Loïc Liber et Abel Chennouf.

Ensuite, la scène dure à peine quelques secondes. Le « tueur au scooter » crible de balles les deux premiers, recharge son arme et tire sur Abel Chennouf à bout portant.

Merah remonte sur son scooter et s’enfuit, malgré les tentatives d’un quatrième militaire de le faire tomber. Comme à Toulouse, il prend la fuite à toute vitesse en criant « Allahou akbar ».

En tout, il a tiré treize balles, avec une maîtrise et un sang-froid qui glacent tous les témoins. Seul Loïc Liber survit à cette attaque, grièvement blessé par deux balles dans la nuque. Il parvient à retrouver ses esprits après onze jours de coma, mais reste tétraplégique.


Le docteur Pierre Mardegan se souvient...

Le docteur Pierre Mardegan se souvient de l'après-midi de la tuerie de Montauban comme si c'était hier. Au-delà de l'émotion, le patron des urgences de l'hôpital de Montauban ne veut retenir que le professionnalisme de ses équipes et des forces de l'ordre pour sécuriser le travail des secours.

Dr Mardegan, quel type d'alerte avez-vous reçu ce jour-là ?

Ce sont les militaires du 17e RGP qui appellent pour trois blessés par balle. Avec le Smur, le Dr Bertrand arrive rapidement sur les lieux et décrit une scène de guerre. Les trois blessés sont en arrêt cardiaque.

Dans quelles conditions vos équipes ont pu intervenir ?

Face à des plaies hémorragiques, on sait très bien que chaque minute compte. Infirmiers, médecins et pompiers n'ont pas cédé à la panique et ont su agir froidement. Avec professionnalisme, les militaires sécurisent la zone en tirant des draps blancs et mettent en place un cordon de protection armés de leurs fusils. Nos conditions de travail sur site sont les meilleures possible. On se sent alors en parfaite sécurité dans ce contexte très flou.

De quoi étiez-vous inquiets ?

On ne sait pas encore à qui on a affaire. Cela peut être un règlement de compte avec des assaillants qui rôdent encore à proximité ou alors l'œuvre d'un déséquilibré mental qui peut très bien revenir. La présence de l'armée était très rassurante.


Sur les trois blessés, un homme est pris en charge à l'hôpital puis transporté sur Toulouse…

Pour transporter cet homme, là aussi, la sécurité était primordiale. Très vite, la police a sécurisé l'hôpital, contrôlant tous les accès puis l'ambulance transportant le blessé vers le service de neurochirurgie de Rangueil a été escortée, craignant une attaque. Toutes les mesures ont été prises pour mettre en sécurité la victime et mes équipes.

Quand comprenez-vous que cet acte est terroriste ?

On ne réalise qu'une fois chez soi quand on regarde les infos et que le lien est établi avec le meurtre d'un premier militaire sur Toulouse quelques jours plus tôt.

Quelle leçon avez-vous tirée de cette tuerie ?

En pareil cas, on voit bien que la médecine d'urgence répond au terrorisme : on soigne puis on sauve. Notre organisation s'oppose à la désorganisation recherchée par les terroristes. Depuis, nous nous entraînons régulièrement et le plan «tuerie de masse» a été mis en place au niveau national. Nous l'avons testé efficacement il y a quelques semaines lors du coup de folie qui a ensanglanté les allées de l'Empereur à Montauban.

Propos recueillis par Phillipe Cahue

Loïc Liber, rescapé de la tuerie de Montauban 

C'est de sa chambre des Invalides à Paris d'où il peut contempler la tour Eiffel que Loïc Liber nous a donné de ses nouvelles. Après le CHU de Rangeuil, le centre de rééducation de Cerbères (66) puis l'hôpital Percy de Clamart (92), le soldat du 17e RGP ayant survécu aux balles de Merah a rejoint en juin 2014 l'institution spécialisée dans la prise en charge des blessés de guerre. Tétraplégique, Loïc Liber reste cloué sur son lit ou sur son fauteuil, même s'il confie avoir retrouvé quelques sensations : « Je ressens mieux mes épaules et mon cou. Au niveau des bras et des mains, ce n'est que partiel ». Cinq ans après avoir été transpercé par une balle qui lui sectionna la moelle épinière, Loïc continue à se battre. Il s'exprime aujourd'hui avec une élégante facilité. « Je fais tout ce que je peux dans la situation qui est la mienne. J'essaie de faire au mieux ». Juste avant notre conversation, il avait pédalé deux heures sous le contrôle de son moniteur. « Le vélo ça me permet d'améliorer mes articulations au niveau des jambes ».

Le soldat s'accroche en dépit d'un moral fluctuant : « C'est par vagues. Des fois ça va, des fois ça ne va pas et quand ça ne va pas je me dis que demain sera un autre jour… J'ai la foi ». Quand tout va bien, ce fan de football (supporter de l'OL) va parfois au Parc des Princes. Parfois au cinéma. Fauteuil roulant et accompagnateur. La vie malgré tout, en dépit d'une jeunesse pleine de promesses évanouie un jour de printemps sur un trottoir de Montauban.

La date du 15 mars, un cap délicat pour lui

« C'est un moment assez pénible. C'est douloureux et bouleversant. Même 5 ans après, j'ai du mal à oublier. Ce n'est pas évident. Avant j'étais debout. Là, je suis paralysé à vie ».

En octobre prochain, aura lieu le procès d'Abdelkader Merah devant la cour d'assises spéciale de Paris. Un rendez-vous qu'il avoue attendre et redouter en même temps. « Je veux que la justice fasse son travail et reconnaisse que cette situation n'avait pas lieu d'être. J'étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Ça a été tragique pour moi… mais ce fut pire pour les enfants à Toulouse ». Loïc reste bouleversé par le sort réservé aux enfants de l'école Ozar-Hatorah. Lui est vivant et il pèse la valeur des soutiens qui l'accompagnent. 

Ses amis du «17» qui lui rendent régulièrement visite, son avocate Laure Berges-Kuntz toute aussi présente, la princesse Caroline de Monaco, marraine du régiment qui s'est déjà déplacée trois fois à son chevet. Et puis Émilienne, sa mère, qui aussi souvent qu'elle le peut, quitte sa Guadeloupe pour être auprès de son fils. « Là, je lui ai fait la surprise. je savais que cette semaine du 15 mars serait délicate. Loïc était tellement heureux».

Pierre Mazille 


Quand Abdelghani Merah rencontre Albert Chennouf, le père d'un militaire assassiné par Mohammed Merah

Albert Chennouf-Meyer, le père d'Abel, tué par Mohammed Merah en mars 2012 , a rencontré Abdelgani Merah, le frère de l'assassin, le mardi 23 août à Nîmes. Pour des raisons de sécurité, cette rencontre a été tenue secrète et a eu lieu dans un bar près de la gare de Nîmes, rapportaient nos confrères de Midi Libre en août dernier, qui ont diffusé une vidéo de leur rencontre.

Une rencontre hautement symbolique souhaitée depuis longtemps par Abdelghani Merah, qui a toujours condamné les actes de son frère et qui est engagé dans la lutte contre la radicalisation. C'est le frère du terroriste qui avait pris l'initiative d'écrire aux familles des victimes afin de présenter ses condoléances et «dénoncer de la manière la plus ferme ces actes odieux perpétrés par mon propre frère».

Plus de quatre ans et demi après les faits, le père d'Abel Chennouf avait alors accepté de rencontrer le frère de Mohammed Merah, au mois d'août 2016.« Vous n'êtes pas responsable »

« Vous n'êtes pas responsable »

«Accueil poli, poignées de mains longues, sincères, presque amicales, les deux hommes sont très émus, détaille Midi Libre. Mais Albert Chennouf-Meyer tient à jouer cartes sur table dès le début de la rencontre. « Je tiens à vous dire que je n'ai rien à excuser, je ne pardonnerai jamais cette catastrophe. Mais vous, vous n'avez rien fait. Je n'attends pas de pardon, car vous n'êtes pas responsable. J'ai beaucoup de respect pour vous », dit le père au frère de Mohammed Merah.

19 mars 2012 :
massacre à l'école juive d'Ozar Hatorah

La police scientifique devant l'école Ohr Torah/DDM/XAVIER DE FENOYL

19 mars 2012. La peur s'empare à nouveau de Toulouse vers 8h du matin, à l’heure où les enfants rentrent en classe. Devant le collège juif Ozar Hatorah, à la Roseraie, personne ne remarque l’homme casqué qui dépose son scooter.

Avec encore un grand sang-froid, Mohammed Merah sort son arme, et se met à tirer « sur tout ce qu’il voit devant lui », raconte un témoin. Son arme s’enraye, il en saisit une deuxième, celle dont il s’était déjà servi à Toulouse et Montauban.

Une enfant s’échappe, mais il la pourchasse dans la cour de l’école pour l’achever à bout portant. Alors qu’elle est à terre, il soulève les cheveux d’une fillette de  7 ans pour lui tirer une balle dans le crâne.

En à peine une minute, Mohammed Merah assassine Jonathan Sandler, un enseignant de 30 ans, Gabriel et Arieh, ses fils de 5 et 4 ans, et Myriam Monsonego, 7 ans. Brian Bijaoui, un lycéen de 15 ans touché par plusieurs balles, s’en tire miraculeusement.

Encore une fois, Merah quitte les lieux sur son scooter sitôt sa tuerie achevée. Déjà pisté par les enquêteurs depuis la tuerie de Montauban, il se retranche dans son appartement de la Côte Pavée. Sa folie meurtrière y prendra fin trois jours plus tard.

A Ozar Hatorah, «Ma fille hurlait : papa ça tire, y a des morts !»

Cet individu qui a déjà tué trois fois voulait exécuter un nouveau militaire ce matin-là. Il ne l'a pas trouvé. Alors il a roulé jusqu’à la rue Jules-Dalou, à Toulouse. Il s’est arrêté, a sorti une arme et a ouvert le feu.

 « J’étais au bureau. Il devait être 8 heures. Mon téléphone sonne. Ma fille, alors en troisième, hurle : Ça tire de partout, y a des morts, faut que tu viennes ! J’ai sauté dans ma voiture et j’ai foncé. » 

Pierre-Yves, père de deux élèves alors inscrits à Ozar Hatorah, n’a rien oublié. Ni le cœur qui s’emballe, ni l’angoisse qui compresse, ni les radios qui diffusent encore de la musique alors que lui cherche des informations. « Je téléphonais aux parents, aux amis. On ne comprenait pas même si l’information circulait entre proches… Je suis arrivé, enfin. C’était bloqué. Des pompiers, des policiers partout. Tu ne sais pas et tu trembles. On t’annonce un mort, puis une deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième… Le professeur d’hébreu, ses enfants, la fille du directeur. L’horreur. Mes enfants m’appelaient, en larme et je suis resté bloqué dehors pendant des heures. » 

Extrait d’une réunion à Purpan, le docteur Ducassé, patron du Samu, roule aussi vers l’école théâtre d’un carnage. « J’ai eu du mal à me frayer un chemin. Une de mes équipes d’intervention se trouvait dans l’école, d’autres arrivaient. Rapidement, ils ont évacué l’adolescent blessé au thorax. Avec le colonel Moine, des pompiers, on a organisé, on essayait. Les réflexes professionnels font agir. Il y avait ce petit garçon qu’on essayait de réanimer. Malgré son état désespéré, nous l’avons évacué pour pas qu’il ne meure sur place. » 

Ces enfants, un commandant de police les a vus en arrivant avec ses collègues. « J’étais au commissariat central quand la fusillade a éclaté. On a pris une voiture avec trois collègues de la sûreté pour aller sur place. Nous ne savions rien, même pas si le tireur se trouvait encore là. Quand j’ai franchi le portail de l’école, j’ai découvert une petite fille blonde entourée par les médecins. Ils essayaient de la sauver. Dans mon métier, j’ai vécu des horreurs : les attentats de Paris en 1995, l’explosion de l’usine AZF en 2001. Là c’était différent. Nous étions dans une école, avec des enfants. Que penser devant une petite fille mourante qui a pris une balle en pleine tête ? Tout le monde avait les yeux mouillés de larmes, personne ne parlait mais il demeurait une grande agitation. Je ne sais même pas si les gens de l’école, les enfants notamment, savaient que le tueur s’était enfui. » 

« Tu es dehors et tu réalises peu à peu. Tu es devant une école où se trouvent tes enfants. Tu es rassurée parce qu’ils sont vivants et horrifiés par la violence de l’acte, par son antisémitisme, par sa signification. Comment l’interpréter ? Comment l’accepter ? », interroge Pierre-Yves le parent d’élèves. 

« J’ai encore devant mes yeux Mme Sandler devant le corps de son mari et de son fils avec une incroyable dignité. Il faut prier, disait-elle », confie le patron du SAMU. « Passé l’émotion, il faut redevenir flic. Nous ne sommes jamais préparés à de telles situations pourtant tu dois affronter, retrouver les bons réflexes, éviter la pagaille de l’émotion », glisse le commandant de police. 

« Au bout d’un moment, avec le procureur Valet, nous avons décidé d’aller à la rencontre de tous les élèves, réunis dans le réfectoire. Il fallait parler, improviser un début de cellule psychologique », confie le docteur Ducassé. « Mais comment expliquer ? Que dire ? Comment justifier les actes d’un homme qui vient et tue des enfants ? »

« Tuer des enfants, faut pas », déclare justement un homme devant la télévision d’un café du quartier des Izards. Nous sommes le lundi 19 mars 2012 en fin de matinée. Comme beaucoup d’autres, il regarde les chaînes d’information et s’indigne. Il s’appelle Mohammed Merah. Il a 23 ans. C’est lui l’auteur des assassinats. 36 heures plus tard, le Raid tente de l’interpeller dans son appartement de la rue du Sergent-Vigné. C’est le début du siège. Mohammed Merah, le tueur au scooter, sera finalement tué le 22 mars lors de l’assaut des policiers du Raid. Entre le 11 et le 19 mars, à Toulouse et Montauban, il a assassiné trois militaires, exécuté trois enfants et un père de famille ; et grièvement blessé un adolescent et un autre parachutiste. 

Jean Cohadon

Attentats de Merah: 5 ans après, vivre avec «une chape de plomb»

Cinq ans après les attentats de Merah, le directeur de l'école juive Ohr Torah de Toulouse Yaacov Monsonego, dont la fillette a été assassinée, donne du sens à sa vie en poursuivant sa mission pédagogique.

« On a l'impression de vivre avec une chape de plomb sur la tête mais il faut faire avec », affirme d'une petite voix cet homme brisé de 57 ans lors d'un entretien avec l'AFP.

« Ce qui nous retient aujourd'hui, donne beaucoup de sens à notre vie, c'est l'institution, ce sont les enfants. C'est le message qu'on continue à véhiculer, à faire passer », ajoute-t-il.

Dimanche 19 mars (10H30), Yaacov Monsonego, en présence du ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux et de nombreuses personnalités, prendra la parole lors de la cérémonie du souvenir de cet attentat. Un arbre de vie, œuvre du sculpteur Charles Stratos, sera dévoilé dans la cour de l'établissement, dont l'internat porte le nom de Jonathan et le collège-lycée celui de Myriam.

Après la folie meurtrière, beaucoup de juifs avaient fait, selon le rabbin de Toulouse Harold Avraham Weill, leur Alya (immigration en Israël). Pas M. Monsonego, père de quatre autres enfants et également rabbin.



« Un autre monde »

« Tout abandonner : pour faire quoi ? Et pourquoi ? », interroge-t-il. « Non, il y a la mission que nous (avec sa femme Yafa) nous sommes données. La scolarité des enfants (environ 150 élèves) est une magnifique expérience. Il n'était pas pensable de mettre un terme à tout cela », répond-il.

A ses yeux, l'important, dans le contexte actuel, est le message à faire passer : réveiller les consciences, montrer que le « mal existe ».

« On dormait les portes ouvertes. L'internat était ouvert la nuit comme le jour. On était persuadé que jamais cela ne pouvait nous arriver, que c'était pour ailleurs. Et que cet ailleurs était un autre monde, une autre planète », dit-il.

Mais même si « l'éducation reste une passion », l'ambiance a changé: « l'allégresse, la joie » a laissé la place à « l'impression de vivre avec une tonne, un boulet qu'on tire en permanence ».

Du 2 octobre au 3 novembre doit se tenir devant la cour d'assises spéciale de Paris le procès du d'Abdelkader Merah, frère aîné de Mohammed et de Fettah Malki pour les tueries de mars 2012. Mais M. Monsonego refuse de s'y attarder. « Je n'en attends absolument rien », insiste-t-il.

« Je n'ai plus de place dans mon cœur pour ça. Il n'y a plus rien qui m'intéresse. Il n'y a que ma mission sur terre : construire un maximum d'enfants, les rendre heureux, leur donner une belle situation professionnelle, qu'ils deviennent de bons juifs, avec de vraies valeurs dans le respect de la République dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous évoluons et que nous admirons », décrit-il.

« Pour moi, eux (les accusés) n'existent pas. Je les ignore totalement », ajoute ce rabbin, les yeux embués de larmes en évoquant la disparition de sa fille.

« Heureusement qu'il y a la foi. On a la conviction que la petite n'est pas un kleenex qu'on a jeté à la poubelle. Mais qu'elle existe, qu'elle est là où nous allons tous la rejoindre un jour ou l'autre », plaide-t-il.

Mais du bout des lèvres, il ajoute ne pas tout comprendre et n'être parfois pas d'accord avec le « chef d'orchestre qui dirige tout ».

Franck Touboul président du CRIF : « C'était lunaire, apocalyptique »

Président du CRIF Midi-Pyrénées, Franck Touboul veut croire qu'après cinq ans de douleur, l'école martyre pourra retrouver, "l'année prochaine peut-être, une sorte de joie de vivre". Le 19 mars 2012, il était de ceux qui, quelques minutes après le sanglant assaut, ont découvert l'horreur. "Rentrer dans une école, faire cela à des enfants..." L'émotion et la douleur étreignent encore le représentant toulousain de la communauté juive qui évoque "un spectacle lunaire, apocalyptique dans cette cour d'école devenue, depuis, "une sorte de bunker où se côtoient militaires armés et enfants sous l'oeil des caméras de vidéosurveillance, derrière des portes sécurisées...".

19 mars 2017 : le recueillement à Ohr Torah et square Charles-de-Gaulle

21 mars 2012 :
le début de l'interminable siège au domicile du terroriste

Le siège au domicile de Mohammed Merah/DDM archives/Thierry Bordas

21-22 mars 2012. Après avoir localisé Mohammed Merah, les forces de sécurité verrouillent les alentours de sa résidence, au 17 rue du Sergent-Vigne, quartier de la Côte-Pavée. Dans la nuit du 20 au 21 mars, tout le quartier est bouclé avec la plus grande discrétion. Pour garantir un effet de surprise, les voisins du « tueur au scooter » n'ont pas été avertis de l’opération.

Les hommes du Raid tentent un premier assaut aux alentours de 3h20 du matin. Ils essaient de forcer la porte, mais sont accueillis par une rafale nourrie. Trois policiers sont blessés, dont un à la tête, les forces d’élite se retirent. Un nouvel assaut est lancé vers 5h30, sans plus de succès.

Commence alors une interminable attente, rythmée par les différentes tentatives de dialogue avec le forcené. Son profil se dessine plus précisément. Il se revendique d’Al-Qaïda, affirme vouloir « venger les enfants palestiniens » et dénonce l’intervention française en Afghanistan. Il affirme aussi avoir agi seul, dit sa fierté d’avoir « mis la France à genoux. »

La France tenue en haleine

La mère de Merah, interpellée à son domicile de Bellefontaine, est amenée sur place. Elle n’essaie même pas de dialoguer avec son fils, disant n’avoir aucune influence sur lui. Pendant ce temps, les habitants du petit immeuble de quatre étages sont évacués.

Toute la journée du mercredi, la France suit en direct la confrontation entre le terroriste et le Raid. Après avoir annoncé qu’il allait se rendre dans l’après-midi, il change d’avis. La guerre psychologique bat son plein.

Reclus dans l’obscurité, les pieds dans l’eau après la rupture d’une canalisation, Merah est seul. Il ne dort pas. Les policiers espèrent qu’il finira par craquer, mais une deuxième nuit d’affrontement commence.

« Jamais vu un assaut d'une telle violence »

Le jeudi matin vers 10h30, les policiers lancent des grenades dans l’appartement. Pas de réponse. Après plus de trente heures d’attente, ils démontent les portes et les fenêtres.

Craignant des explosifs dissimulés, ils inspectent méticuleusement le petit deux-pièces avec un dispositif vidéo contrôlé à distance. Toujours aucun signe de vie. La rumeur du suicide de Merah commence à courir, relayée par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant.

À 11h27, la petite caméra passe sous la porte de la salle de bains. Mohammed Merah en jaillit et tire à tout-va, une trentaine de fois en tout. Les hommes du Raid n’ont « jamais vu un assaut d’une telle violence. »

Il court vers une fenêtre et saute du premier étage en continuant de tirer. Atteint d’une balle en pleine tête, il est retrouvé mort dans la pelouse, au pied du bâtiment.



Témoignage d'un policier du Raid : « Nous avons eu face à nous un homme qui voulait mourir en martyr » 

Aujourd'hui à la retraite, François Elbahri vient de passer plus de 35 ans dans la police dont 32 ans dans les forces d'intervention, GIPN puis Raid. En mars 2012, il appartenait aux forces d'intervention chargées d'interpeller Mohammed Merah dans son appartement de la rue du Sergent-Vigné, à Toulouse. 

Quand le Raid a-t- il été mis en alerte pour interpeller Mohammed Merah ? 

Au lendemain des assassinats des parachutistes à Montauban dans un contexte très tendu, la direction générale de la police nationale a souhaité qu'une équipe du Raid soit présente à Toulouse. Vingt policiers se trouvaient donc sur place prêts à intervenir. 

Une fois Merah soupçonné, pourquoi a-t- il été décidé d'intervenir à 3 heures du matin le mercredi 21 mars ? 

Cette décision du chef du Raid, après accord du procureur de la République intervient par mesure de sécurité. Nous sommes face à un suspect qui vient de commettre plusieurs attentats ultra-violents. L'idée qui impose cette intervention nocturne est de le surprendre. On s'attend à une résistance importante. 

« Il savait que nous allions venir. Il nous attendait » 


En réalité, il n'a pas été surpris...

Non. Nous sommes face à un individu qui se sait traqué, très déterminé. Quand la colonne d'assaut approche de la porte de son appartement, il a rapidement ouvert le feu. Un dispositif d'ouverture avait été mis en place et il a commencé à tirer à travers la porte, puis il l'a ouvert, a passé le bras et a continué à tirer. En réalité il savait que nous allions venir. Il l'a dit après lors de la négociation : il nous attendait. 

Des policiers du Raid ont-ils été blessés ? 

Oui. Un a été touché au genou, l'autre a été sauvé par son casque mais a quand même subi un traumatisme crânien, un autre a pris trois balles dans son gilet pare-balles ce qui secoue toujours. 

Cette intervention a-t- elle été prise un peu à la légère ? 

Pas du tout. Jamais. Quand on travaille dans l'intervention, on se prépare toujours à des choses compliquées. Là les faits commis nous donnent le ton, nous savions que ça risquait d'être difficile. D'ailleurs, c'est parce que nous nous méfions que nous intervenons au milieu de la nuit. Nous espérions le surprendre. 

Après ce premier échec, que se passe-t-il ? 

Un début de négociation, des échanges avec lui. Vers 5 heures, nous avons de nouveau tenté de le surprendre. Il a riposté immédiatement. 

La négociation reprend alors le dessus... 

Tout à fait. Les échanges deviennent plus nourris, plus longs. Pour nous il s'agit d'une phase de stabilisation. Merah ne paraît pas fermé. Il demande du temps pour réfléchir à ses actes, prier, préparer sa reddition... 

En réalité, il gagne du temps 

En effet. Dans la soirée, vers 22h45, il échange une dernière fois avec le négociateur. Il explique qu'il nous a trompés, qu'il ne veut pas se rendre mais mourir les armes à la main, en martyr. 

Commence alors une nuit bruyante... 

Oui. Nous avons détruit les fenêtres de son appartement situé à l’entresol et l’avons régulièrement sollicité au cours de la nuit. 

Le jeudi matin, la décision de donner l'assaut est prise. 

Deux groupes d'intervention pénètrent dans l'appartement dévasté. Une progression très lente, discrète. Nous ne savions pas ce dont il disposait. Il existait la crainte que l'appartement soit piégé. 

« Face à un tel individu, il faut beaucoup de préparation, c'est notre métier, mais également pas mal de courage pour affronter un tel feu. » 


Cette progression va être lente avant un incroyable et long échange de coups de feu... 

Au moment où nous touchons la porte de la salle de bain après une lente progression, il sort et tire dans tous les sens. Est-ce qu'il ne nous a pas entendus ? Possible. En tout cas, une fois sorti de sa cache, ils nous a affrontés sans jamais arrêter de tirer. 

Confirmez-vous que les ordres consistaient à le prendre vivant ? 

Bien sûr. Mais quand nous intervenons, l'objectif est toujours de prendre le suspect vivant. En l'occurrence avec Merah, pouvoir l'interroger, comprendre sa radicalisation, comment il s'était préparé... Pouvoir l'auditionner était important. 

Avez-vous utilisé des armes non létales ? 

Oui. Nous intervenons en réalité avec différentes armes, dont des armes de force intermédiaire. Les tirs à balles réelles ont touché ses jambes. Nous avons eu face à nous un homme qui voulait mourir en martyr en tuant des hommes du RAID et qui a combattu avec une mobilité, une agilité incroyable. Face à un tel individu, il faut beaucoup de préparation, c'est notre métier, mais également pas mal de courage pour affronter un tel feu. Plusieurs collègues ont été blessés ce jour-là. C'est ce qui a rendu les polémiques après l'assaut très difficiles à supporter pour les équipes du Raid. 

Merah a finalement été abattu par un sniper. Pourquoi ? 

Il s'est approché de la fenêtre et a continué à tirer vers les hommes situés en bas. Encore un des collègues a été atteint d’une balle à ce moment là... Il ne nous a laissé aucun choix. 

« Les polémiques ont été mal vécues chez nous mais également chez les gendarmes. » 

Malheureusement d'autres attentats ont ensanglanté la France depuis. Qu'avez- vous appris de l'assaut contre Merah ? 

Chaque opération fait systématiquement l'objet d'une analyse. Nous le savions mais avec Merah nous avons eu la démonstration de la volonté de ces individus radicalisés d'aller à notre rencontre, au combat. On l'a vu après avec les frères Kouachi qui sont sortis affronter le GIGN à Dammartin-en-Goële ou avec Coulibaly à l'Hyper Cacher. Il faut s'adapter, se préparer, mettre des stratégies au point. Le Raid le réalise au quotidien et forme les forces de la police nationale qui, elles aussi, se sont adaptées avec de nouvelles armes, de nouveaux modes opératoires ou la création d'antennes du Raid en province, dont une à Toulouse. 

Malgré les attentats, leurs violences, les polémiques ont continué entre Raid et GIGN. 

Elles sont liées à quelques anciens loin du terrain et des réalités d'aujourd'hui. Elles ont été mal vécues chez nous mais également chez les gendarmes. Nous travaillons ensemble, nous échangeons, encore plus aujourd'hui qu'hier. On l'a montré lors de la traque des frères Kouachi où l'on a su collaborer. Entre les deux unités n'existent pas de rivalités. Elles n'ont pas lieu d'être face à une menace qui reste réelle. 

Propos recueillis par Jean Cohadon

L'après Merah ou le défi de la déradicalisation en France

Des militaires/DDM/Thierry Bordas

Merah, une radicalisation qu'on n'avait pas vu venir ?

Il y a cinq ans de cela, Mohammed Merah commettait son premier assassinat. Il a été le précurseur d'une nouvelle forme de terrorisme sur notre territoire, avec depuis notamment, les attentats de Charlie Hebdo, du 13-Novembre, de Sait-Etienne-du-Rouvray ou encore de Nice...

Un loup solitaire. Voilà ce qui a été dit de Mohammed Merah, quelques jours après les tueries de Toulouse et Montauban. «Mohammed Merah présente un profil de ce que l'on pourrait appeler autoradicalisation salafiste atypique» estime le procureur François Molins. «Il s'est autoradicalisé en prison, tout seul, en lisant le Coran. C'est un acte volontaire, spontané, isolé» affirme de son côté le patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini. Son avocat Christian Etelin, ne dit pas autre chose : «Une affaire de loup solitaire (…) enfermé dans des difficultés psychologiques.»

Mais cette analyse-là n'est pas partagée par tout le monde. Pour le juge antiterroriste Marc Trévidic, Merah a exercé une forme de taqiya, la dissimulation enseignée chez les djihadistes pour pouvoir se fondre dans la masse en Europe. Surtout, on commence à comprendre le rôle délétère de son frère Abdelkader, salafiste lui-même, et de sa sœur Souad. Merah a été en contact avec le jihadiste Sabri Essid, son «frère» (en fait, le fils du deuxième époux de sa mère) ou les frères Clain. Et a fréquenté la cellule d'Artigat, où prêche «l'émir Blanc» Olivier Corel. Sans oublier les séjours au Pakistan et en Afghanistan, voilà un loup solitaire très entouré.


Mohammed Merah a imposé un cauchemar terroriste à la France qui avait passé seize années sans attentats sur son sol, quand l'Espagne ou l'Angleterre étaient meurtries.

Mais surtout, il inaugure une nouvelle forme de terrorisme, où les auteurs ne seront plus des Carlos ou des Abdallah, venus d'ailleurs et portés par des organisations étrangères. Merah a grandi dans le quartier des Izards et s'est radicalisé en France et en prison.

C'est un parcours identique que l'on va trouver avec les frères Kouachi, qui ont connu la même enfance douloureuse avec des parents approximatifs et une rencontre avec les salafistes qui les fait basculer vers l'islam pur et dur. Passage aussi par la case Yemen, piqûre venimeuse à la source du radicalisme.

C'est en prison qu'ils vont d'ailleurs rencontrer Amedy Koulibali. On connaît la suite : les uns vont perpétrer le massacre de Charlie Hebdo contre «les mécréants», l'autre s'en prendra à une policière et à aux clients de l'Hyper cacher de Vincennes.

Entre-temps, l'hydre Etat islamique est née en Irak et en Syrie : les liens sont noués avec les candidats au jihad en Europe, qui se revendiquent de cette organisation fanatique. Comme les auteurs des attentats du 13 novembre, qui ont grandi en Belgique avec ni plus ni moins de galères que des milliers de jeunes Belges ou de jeunes Français.

Difficultés psychologiques ? Prédisposition à la violence ? Personnalités frisant la psychose ? Oui, bien sûr. Mais qui sont toutes tombées dans les griffes des prédicateurs qui les ont manipulées jusqu'au désastre, en fabriquant, sur place ou à distance, des terroristes bien de chez nous.

Dominique Delpiroux

Le défi de la déradicalisation 

C'est sans doute le défi le plus difficile à relever. Comment faire revenir dans le giron de la République des individus qui lui ont tourné le dos de la manière la plus violente ? Comment redonner le sens commun à ceux qui ont sombré dans une sorte de folie sectaire ?

Devant la multiplication des départs en Syrie, et surtout face aux attentats terroristes qui ont endeuillé notre pays, le gouvernement a tenté de combattre le mal à la racine, en lançant une politique de déradicalisation. En suivant, cent millions d'euros ont été consacrés à cet objectif. Depuis, pas moins de 80 structures se sont lancées dans la déradicalisation, pressées par les collectivités, les préfectures, l'éducation nationale ou les grandes entreprises. 

Plus de 2 200 personnes signalées comme radicalisées ont été suivies en 2016. Mais ces structures, montées à la hâte, sont loin d'avoir rempli leurs objectifs. Les premières évaluations parlent avec sévérité de «bricolage» réalisé par des personnes qui n'ont pas vraiment les compétences pour s'attaquer à des individus dont les convictions sont enracinées de manière quasi morbide. Un «bricolage» qui a souvent aussi été facturé au prix fort, pour un résultat nul.

Dans un récent rapport, les sénatrices Esther Benbassa, écologiste, et Catherine Troendlé, Les Républicains, parlent d'un «échec» dans leur rapport d'étape de leur mission d'information baptisée « Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe ». Elles citent en particulier le cas d'un centre dédié à Pontourny, dans l'Indre-et-Loire qui s'est révélé être un fiasco complet.

La sociologue Dounia Bouzar, qui s'était elle aussi lancée dans la déradicalisation, a également essuyé un échec cuisant, avec une jeune fille qui avait soigneusement joué le jeu de la dissimulation : les radicaux savent parfaitement user de la «taqiya» ( la dissimulation). Face à cela, il faut des intervenants qui allient une bonne dose de psychologie ou de pédagogie à des compétences proches de celle des agents du renseignement.

La déradicalisation est aussi un gros problème en prison, où il faut tenter d'éviter la «contamination». Une formation particulière des surveillants va s'accompagner d'un effort pour détecter et évaluer la dangerosité potentielle des détenus radicalisés.

Va-t-on tirer les leçons de ces échecs ? De toute façon, il n' y a pas le choix : le gouvernement va désormais se concentrer avant tout sur la prévention, soutenue par l'accompagnement individuel et un travail de réinsertion. Agir en amont semble la solution la plus urgente.

ABDELGHANI MERAH ET SA MARCHE CONTRE LA RADICALISATION

Merah, le nom est difficile à porter. Alors, après le massacre perpétré par son frère, Abdelghani Merah s'est mis dans sa « petite bulle. » Il a tiré le rideau et a tenté de se protéger.

Mais, « j'ai eu un déclic en voyant le film La Marche, qui raconte la marche des Beurs en 1983. » Une aventure que lui-même n'avait pas connue, il était trop jeune à l'époque.

« Avec ce mouvement venu des jeunes issus de l'immigration, la France avait acquis une couleur supplémentaire. Mais ma génération n'était pas au courant. En redécouvrant cela, j'ai eu envie de me mettre dans les pas de ces militants. »

Parti de Marseille, il est arrivé jusqu'à Rosheim en Alsace, soit 788 kilomètres de rencontres, d'expériences, de discussion, de débats.

« Je suis soutenu par des associations comme la Brigade des Mères ou Force Laïque, qui m'aident à payer mes hébergements. Je rencontre des gens très chaleureux qui m'accueillent, me soutiennent, parfois m'invitent chez eux. Je suis très touché et très ému par la diversité française, qui se montre tellement généreuse. »

En revanche, Abdelghani sait que sa démarche ne plaît pas à tout le monde. Il n'annonce jamais son itinéraire à l'avance. Il a reçu indirectement des menaces. Car le message qu'il fait passer dérange. Abdelghani veut être un empêcheur de prêcher en rond.

« Je veux réveiller les consciences, dit-il. Avertir qu'il y a un danger énorme qui frappe à nos portes. Après les événements de Toulouse, j'ai rencontré d'autres familles, des parents de radicalisés, comme le père de Quentin. Cela peut arriver aussi bien dans une famille d'origine maghrébine, que dans les autres familles. Moi, j'en veux beaucoup à quelqu'un comme Olivier Corel (ndlr : «l'émir blanc» d'Artigat, en Ariège), qui continue ses prêches. D'une manière générale, on est beaucoup trop complaisant avec les radicaux. » 

À l'occasion de cette marche, et bien avant, il a pu rencontrer des jeunes tentés par la radicalisation. Il veut briser les tabous et surtout dissiper les légendes.

« Je leur dis que mon frère, Mohammed, n'était pas ce qu'ils croyaient ! Mohammed détestait l'Algérie, il aimait la France, le fait qu'ici on puisse être soigné gratuitement ! Mais c'est notre autre frère, qui l'a traumatisé. Il le maltraitait, même physiquement. Il l'a transformé en monstre… »

Abdelghani regrette un temps où selon lui, les quartiers n'étaient pas encore à l'abandon. « On était bien plus encadrés. Il y avait la police de proximité, il y avait des éducateurs, l'école, des associations qui s'occupaient de nous, comme Vitécri (ndlr : fondée par certains membres de Zebda) ».

Il se remémore la descente en enfer de sa famille. « Quand j'ai senti venir la radicalisation, j'ai essayé de parler à Mohammed… Mais il appelait Corel en suivant et il démontait tout ce que je disais. C'est pour cela que je veux terminer ma marche en étant reçu au ministère de la Justice : je veux dire qu'il ne faut pas laisser les prédicateurs recruter en toute impunité. Ma marche est républicaine, contre l'intégrisme religieux, contre le racisme et l'antisémitisme, contre ces gens qui volent le cœur et le cerveau de nos enfants. »

                                     Un long format de la rédaction de

Textes et reportages : Jean-Claude Souléry, Laurent Benayoun, Philippe Cahue, Pierre Mazille , Jean Cohadon, Frédéric Abéla, Manon Haussy, Agnès Grimaldi, Olivier Auradou, Dominique Delpiroux, Tom Vergez. 

Photos : Nathalie Saint-Affre, Thierry Bordas, Xavier De Fenoyl, AFP et SIPA.

Réalisation : La Dépêche Interactive