David Bowie

Le concert de Toulouse - 1987

David Bowie, qui vient de s'éteindre ce dimanche 10 janvier à 69 ans des suites d'un cancer contre lequel il luttait depuis 18 mois, avait donné une cinquantaine de concerts en France et un seul à Toulouse, au Stadium, le 4 juillet 1987... 

Nous vous proposons de retrouver les textes que La Dépêche avait publiés dimanche 5 juillet pour rendre compte de ce concert exceptionnel qui avait réuni plus de 30000 personnes.

Bowie : rock prêt-à-porter

Photo DDM, Michel Viala © Reproduction interdite.



Il s'est fait longtemps désirer (22h15) David Bowie a facilement récompensé l'attente des 30000 spectateurs venus le découvrir, hier soir au Stadium. Leçon de savoir-faire en deux heures et vingt-cinq chansons.

Depuis des ascensions futuristes ("Ziggy Stardust", "Diamond Dogs") au début des années "70", David Bowie a toujours hésité entre haute couture ("Heroes") et prêt-à-porter ("Let's dance"). Aussi au terme de vingt années d'une carrière bien remplie, le Bowie "87" est une sorte de compromis entre ces différentes périodes. 

D'un côté il prône sur disque le retour au rock et à une teigneuse simplicité, de l'autre (sur  scène), il fait dans le compliqué, renouant avec ses penchants théâtraux initiaux. Brushing rock sur son visage sas ride, costume rouge chic sur son corps fin et nerveux.

Si Bowie, aujourd'hui ne montre plus la marche à suivre, on lui pardonne facilement ses hésitations. Il existe peu d'artistes capables de gérer aussi longtemps et aussi bien leurs contributions musicales. L'effet Bowie est intact et se mesure à l'impatience des spectateurs à le voir faire son entrée sur scène. Idéal raffiné pour les uns, simple idole pour les autres, au fond chacun y trouve son compte.

Depuis Chuck Berry il y a dix ans, le Stadium n'avait pas accueilli de concerts. Preuve est faite depuis hier que l'on peut sans difficulté en accélérer le rythme. Démonstration est également faite - mais on le savait déjà un peu - que le rock n'est plus aussi sulfureux que par le passé. David Bowie est l'exemple même de cette évolution.

Patrick Venries

Un pique-nique géant

Avant, c'est une question d'organisation : il s'agit de boire, de manger, de ne pas avoir trop chaud, de trouver sa place... Là, aucun problème : les marchands de saucisses et de sandwiches sont installés jusque sur le pont Garigliano...  Dès midi, hier, premières queues aux guichets. Et on fait le marché : pizzas et tartes, bières et coca-cola... Et l'eau, surtout l'eau. Que l'on boit, que l'on se verse sur la tête, que l'on distribue : visages cramoisis qui se tendent vers les seaux rouges de la Croix-Rouge. Car, sur la pelouse (recouverte de bâches) du Stadium, ce qui  va finir par ressembler à un pique-nique géant s'offre à la rage du soleil.

Trouver sa place c'est plus délicat : il y a les maniaques de l'acoustique qui les essaient toutes et... finalement préfèrent les gradins. Oui, mais les gradins, c'est loin ! Car Bowie, on est venu pour l'entendre mais aussi pour le voir. En chair et en os. Pas seulement sur les écrans géants, dressés de chaque côté de la scène. 

"Il est si beau !"

"Il est si beau !", dit ma voisine, une jolie brunette avec des tranches d'orange aux oreilles, "quand il va entrer sur scène, aïe, aïe, aïe, mon coeur...". Certains, plus prévoyants, se sont armés de jumelles. Jeans, shorts, maillots ou jupes sages, le public dans l'ensemble est jeune, très jeune. Ils sont, paraît-il trente mille qui ont commencé à entrer aux environs de 18 heures. Les premiers se sont coincés contre la scène, jusque dans les pattes de l'araignée géante... Ils sont venus de Toulouse et de la région, de Bordeaux, de Perpignan et même d'ailleurs. Ils ont fait des kilomètres. Ils en auraient fait bien plus pour venir l'attendre gentiment, tous ensemble. 


A 20h30, "vent d'orage" de  Johnny Clegg. Puis l'entracte, grave et patient ; de moins en moins patient. 

Par terre, quelques malaises. La Croix-Rouge s'active. Dans le ciel, les premiers éclairs : la tension monte. Il va paraître, il va arriver...

La nuit est tombée. La scène s'illumine. Le ciel aussi : David Bowie en descend. Et le Stadium, enfin, s'électrise complètement.

"Ça valait la peine de venir pour voir ça non ? un grand truc comme ça..." conclut, à côté de moi, une moustache blasée.

Elizabeth Pasquié



Biographie, discographie




Alain Lahana, son ami toulousain

Le Toulousain Alain Lahana travaille dans le monde de la musique depuis plus de 40 ans. Actuel manager de Patti Smith et Iggy Pop, il a organisé les tournées françaises de David Bowie pendant 16 ans, à partir de 1989. Ce lundi 11 janvier, il ne voulait d'abord pas parler. Parce qu’il déteste les hommages de circonstance. Et parce qu’on sent dans sa voix combien il retient ses larmes… 

Comment avez-vous réagi à la mort de David Bowie ? 

J’ai commencé à recevoir des coups de fil à 7 h 30. Des amis qui m’annonçaient la mort de Bowie. Je n’y croyais pas. Je me disais : « Non, ce n’est pas possible ». Je suis sous le choc. 

Cela arrive 3 jours après la sortie de l’album « Blackstar »… 

Bowie s’est toujours bien mis en scène. C’est lui qui a conduit sa vie. J’écoute le dernier disque en boucle depuis ce matin. Il faut être attentif aux textes : tout est dit (sur la mort, les pleurs, le Paradis, NDLR)

Comment qualifier la carrière de Bowie ? 

L’œuvre est immense ; le mec était immense. Quelle période de Bowie préférez-vous ? Mes albums phares sont « Life on Mars », un classique, et « Earthlink », un truc très fort, un beau coup de rein. Ma chanson clé ? Je dirais « Heroes ». C’est l’hymne d’une génération, pas une simple chanson. 

Quel a été le moment le plus fort de votre collaboration ? 

Sur les 16 ans où nous avons travaillé ensemble, il n’y a pas un moment qui n’ait pas été exceptionnel. Je suis un sacré veinard d’être dans cette histoire ! 

Il y a pourtant eu un épisode incroyable et méconnu, à Saint-Malo… 

Après les concerts de Paris-Bercy, en 1990, on était en contact direct. Il m’a demandé si je connaissais un endroit paisible pour les 3 semaines de répétition de son groupe Tin Machine, en août-septembre 1991. Je lui ai parlé de Saint-Malo, où j’avais alors une maison. Cela s’est fait comme ça, naturellement. Je l’ai installé à l’Hôtel des Thermes. 

Tous les matins, il buvait son café et lisait le journal en terrasse sans que personne ne lui demande un autographe ! Il se baladait à pied, sans garde du corps ; personne ne voulait croire que cet Anglais discret était David Bowie. Les répétitions se sont faites dans un vieux cinéma de 350 places, en plein centre. 

A la fin, on a organisé un concert gratuit, avec participation libre à verser dans une boîte. Personne n’y croyait. Internet n’existait pas alors. J’ai dû aller dans la rue racoler les gens. Le concert a été fabuleux mais la recette plutôt maigre. 

David a été le personnage clé de toute une génération

Qui était l’homme Bowie ? 

David a été le personnage clé de toute une génération (et même de plusieurs). Il a changé les codes, musicalement et au-delà. Mais dans le quotidien de la relation, c’est la simplicité qui l’emportait. Avec des gens comme ça, en coulisses, il faut toujours désacraliser les choses. 

Aviez-vous gardé contact ? 

Pas depuis 10 ans qu’il s’était mis en retrait. J’avais juste reçu un bref message l’année dernière. Deux ans après la sortie de « The Next Day », « Blackstar » laissait espérer une tournée… Les années passant, la probabilité était devenue totalement nulle. Après 2004, deux projets de tournées avaient été reportés. Depuis, il y avait bien des rumeurs mais rien de concret. Le refus de Bowie de se produire à nouveau sur scène ne m’étonne pas. Il jouait un personnage à la Dorian Gray. Il ne voulait pas devenir vieux et offrir un tel visage au public. 

Propos recueillis par Jean-Marc Le Scouarnec 

Album « Blackstar » (Columbia/Sony Music). Compilation « Nothing has changed » (Parlophone/Warner).

Son dernier clip : Blackstar

"David Bowie. Le concert de Toulouse - 1987". Long format de La Dépêche du Midi. Textes : Patrick Venries, Elizabeth Pasquié, Jean-Marc Le Scouarnec. Photo : Michel Viala. Mise en page : Philippe Rioux. © 2016.