Au coeur de l'opération Barkhane

Reportage de notre envoyé spécial à N'Djaména, Sébastien Bouchereau, pour Le Petit Bleu et La Dépêche du Midi.

Bienvenue au camp Kossei de N'Djamena 

La voiture, un modèle asiatique quelconque, circule sur les grandes avenues de N’Djamena, dans le quartier des ambassades et des ministères de la capitale tchadienne. Elle se faufile entre les motos et les taxis, et le chauffeur est sur le qui-vive : ici, on applique le code de la route avec une grande liberté, casques et clignotants sont en option, et les militaires locaux – armés de kalachnikov et postés aux croisements – ont d’autres chats à fouetter que de surveiller la circulation… Le Tchad est en effet impliqué dans la lutte contre les groupes armés terroristes sévissant dans la bande sahélo-saharienne (BSS), et depuis les attentats de 2015, la ville est « bunkerisée ». Vigilance donc car la guerre n’est jamais loin, la secte Boko Haram sévissant dans la région du lac Tchad. Alors qu’on s’éloigne du fleuve Chari, qui forme la frontière avec le Cameroun, la voiture longe la piste de l’aéroport. Un bruit de réacteur indique qu’un chasseur s’apprête à décoller, et les militaires tchadiens sont de plus en plus présents aux abords de la zone militaire. Dernier barrage, ultime virage, la voiture s’immobilise devant un lourd portail, entouré de fils barbelés, et d’où partent de longs murs de protection : bienvenue au camp Kossei, le QG de la force française Barkhane. La voiture est civile mais ses deux occupants à l’avant sont militaires. Leurs tenues sable, le blason d’épaule tricolore et les grades d’officier n’impressionnent guère le soldat posté en faction : à Kossei, c’est le laissez-passer qui fait foi, et le passager civil – un journaliste – devra confier son passeport, pour que le second portail du sas s’ouvre. Bienvenue, donc, au camp Kossei. 

Un camp qui s’étire sur 80 ha

Une ville dans la ville, un camp militaire français coupé de N’Djamena, occupant quelque 80 ha, et adossé à la piste de l’aéroport international. «Armé » par 900 soldats, vestige du dispositif Épervier des années 80, le camp accueille le quartier général de la force Barkhane, qui mobilise 4 000 soldats français sur un théâtre d’opérations immense, aussi vaste que le continent européen. Un QG situé plein Est, et d’où l’on supervise des actions sur le Tchad, le Niger, le Burkina-Faso, la Mauritanie et surtout le Mali. Ce pays a été sauvé en 2014 de la menace islamiste grâce à l’opération Serval, mais il reste au cœur des préoccupations : les terroristes y attaquent les convois français, un attentat commis à Gao le 18 janvier a tué 77 soldats locaux, et le partenariat entre les armées françaises et maliennes « reste à amplifier ». 

C’est dans ce contexte très tendu qu’évoluent les militaires du 48e Régiment de transmissions d’Agen. Le camp Kossei qui les accueille depuis octobre n’est certes pas soumis aux attaques, mais la tension vient plutôt du rôle capital confié à cette unité : la mise en œuvre d’un système de communication très élaboré et partagé par tous les militaires répartis sur les cinq pays de la BSS. Ce système permet de planifier et de conduire les opérations militaires sur terrain, d’où ce rattachement au camp Kossei, au plus près du général deWoillemont, le commandant de la force. Partis entre le 25 septembre et le 12 octobre 2016, la centaine de militaires agenais affectés à l’opération Barkhane sera de retour sur les bords de Garonne à la mi-février. La mission touche à sa fin, et l’on quittera sans regret la chaleur écrasante, le sable et la poussière, qui mettent à rude épreuve. Alors qu’Agen est dans tous les esprits, les femmes et les hommes du « 48 » nous racontent cette semaine leurs aventures tchadiennes. 


L’autre ennemi: la chaleur. À midi, il fait 45°C à l’ombre… 

D’abord, il y a la chaleur. Après il y a le reste : le camp, les baraquements, les miradors, les jeeps qui patrouillent le long des murs et des barbelés, quelques bâtiments de loisirs style paillotes, où les militaires se retrouvent le soir pour boire un coup, écouter un peu de hard rock et plaisanter. A ce moment-là, il fait nuit, mais encore et toujours la chaleur. « Vous avez de la chance, s’amuse un sous-officier agenais. Ces dernières semaines on a eu froid, il faisait 10 °C au lever du jour. A Madama, dans le désert, les températures étaient même négatives la nuit. Et puis on a aussi connu les fortes pluies, en début de mandat, et les fossés de ruissellement étaient remplis. Je ne vous dis pas la boue… » Sauf qu’en janvier, la température remonte vite-vite, et atteint les 45 °C à midi. Autant dire qu’elle agit comme une chape de plomb, un coup de massue, et gare à celui qui ne s’hydrate pas régulièrement. « J’ai connu une quinzaine d’opérations extérieures durant ma carrière, avoue le commandant Jean-Luc. Je suis expérimenté, je connais l’Afrique, et pourtant j’ai dû prendre un coup de chaud en début de mandat Barkhane, et je me suis retrouvé sur le flanc, à l’infirmerie pendant plusieurs jours ». 

Cette chaleur marque les organismes. On n’ose imaginer les conditions du combattant dans le désert, muni de son sac au dos, de son gilet pare-balles, son armement, etc. Mais à N’Djamena, loin du front, la chaleur n’en demeure pas moins traîtresse, et il est par exemple interdit aux « nouveaux » – qui arrivent de la France – de pratiquer une activité sportive dans les 15 premiers jours de mission. Merci de patienter, que le corps s’acclimate progressivement. Cette chaleur est écrasante, aussi faut-il « climer », c’est-à-dire créer du froid dans la chambrée – que l’on dorme dans un bâtiment en dur, dans un bungalow ou sous la tente –, dans les bureaux et jusqu’au moindre local technique. Les transmetteurs utilisent en effet des centaines d’ordinateurs et de serveurs, qui ne pourraient fonctionner sans climatisation. Le problème de la chaleur est répandu sur toute la bande sahélo-saharienne, et il a donc fallu faire preuve de débrouillardise pour les collègues basés dans les avant-postes. Ainsi, quand une petite antenne satellitaire est expédiée par avion aux transmetteurs éloignés, les « collègues » de N’Djamena y joignent un caisson de bois intégrant une « clim » civile bricolée. « C’est du système D, explique un sous-officier d’Agen, mais ça protège quand même l’antenne ». Quant au sable et aux nuages de poussière ça, c’est une autre affaire… 

Un groupement de transmissions Léopard au top

L’armée de terre comporte cinq régiments de transmissions, qui se relayent sur le terrain d’opération africain. Ainsi, le 48e RT d’Agen a-t-il déjà été envoyé sur cette zone : en 2013, dans le cadre de l’opération Serval, en 2015 et en 2016-2017 pour Barkhane. Et on peut logiquement s’attendre à un nouveau départ, en 2018. À l’automne dernier, ce sont 107 militaires qui ont quitté Agen pour une mission longue de quatre mois. Ils ont intégré le camp Kossei de N’Djamena, où se trouve le groupement de transmissions de l’opération Barkhane. « Armée » par des Aquitains, cette structure a pour nom de code GTRS Léopard. Les Agenais pèsent pour moitié dans la composition de cette unité, où l’on trouve aussi des aviateurs de l’armée de l’air ou des « terriens » issus d’une compagnie de transmissions de Besançon. Le dispositif est commandé par le lieutenant-colonel Patrice Chabot, le « patron » du 48e RT. Le groupement est ensuite divisé en trois sous-groupements : N’Djamena (Tchad), Niamey (Niger) et Gao (Mali). Ces Agenais se trouvent donc au cœur de l’état-major, mais également répartis dans différents points avancés, comme à Madama (juste au sud de la frontière avec la Libye), mais aussi à Gao, Tessalit, Kidal, Abéché, Faya-Largeau. Ils se déplacent pour installer, réparer, mettre en œuvre des matériels souvent très sophistiqués, sans lesquels les ordres seraient vains. 

« Nous avons mis en place une bulle satellite, explique le lieutenant-colonel Chabot, afin que personne sur la BSS ne soit coupé du monde, pour faire en sorte que les chefs puissent communiquer entre eux à tout instant. Chez nous, c’est donc du jour et nuit, du H24 : il faut que ça marche. Qu’ils soient radios, satellitaires, téléphoniques, quels que soient les PC, il faut que les réseaux fonctionnent. C’est un défi permanent : les conditions sont difficiles, avec la chaleur et le sable, nous sommes dépendants de la chaîne logistique. Nos transmetteurs sont des combattants et des experts techniques : ils doivent être au top. » 

Une ville dans la ville 


La capitale tchadienne N’Djamena compte plus d’un million d’habitants. Elle est située à l’Est du pays, et elle est séparée du Cameroun par le fleuve Chari. Ses eaux sont poissonneuses, et les enfants n’ont pas peur de s’y baigner non loin des hippopotames… Ses rives sont également propices à la culture maraîchère. La circulation automobile en ville est un peu brouillonne, un objet de curiosité qui a son charme… Le tourisme est quasi inexistant dans cette partie de l’Afrique : le Tchad est en effet un pays très pauvre, et depuis les attentats de 2015, N’Djamena est sous haute surveillance. La vie se poursuit toutefois – sur la photo de droite, la vente de carburant dans des bouteilles en plastique – et les associations humanitaires restent présentes. A l’arrivée au camp Kossei, une fois les fouilles opérées, le portail s’ouvre sur une ville dans la ville, faite de baraquements et de barbelés.

Tchad : la mission sensible des transmetteurs d'Agen

En opération dans la bande sahélo-saharienne (BSS) depuis l'automne dernier, une centaine de militaires du 48eRT d’Agen œuvrent au sein du groupement de transmissions de l’opération Barkhane, basé au camp Kossei de N’Djamena au Tchad (lire notre édition d’hier). Cette unité, le GTRS Léopard, est constituée comme un régiment, et divisée en trois sous-structures, puis en postes détachés. Des transmetteurs d’Agen sont ainsi répartis en différents endroits, au Tchad, au Niger ou au Mali. Ils sont tous des combattants, doivent savoir se servir de leur arme s’ils sont attaqués, par exemple lors d’un convoi. Les transmetteurs sont en effet parfois envoyés loin de la zone arrière de N’Djamena pour installer ou réparer un équipement de télécommunication.

Ils sont combattants certes, mais surtout des experts. Car l'armée de terre déploie sur l’opération Barkhane du matériel très sophistiqué, mis en œuvre par des spécialistes. Il requiert des compétences de haut niveau, méconnues, surtout par ceux qui passent chaque jour devant la caserne Toussaint d’Agen, ignorant qu’on y cogite aussi fort…

« On ne nous voit pas, c'est parfait, cela signifie que tout fonctionne bien, s’amuse le lieutenant-colonel Richard, Agenais et chef des opérations du GTRS Léopard. Nous n’avons pas le droit de tomber en panne : de jour comme de nuit, tout doit fonctionner. Et si le plan A tombe, il y a derrière un plan B, voire un plan C. Le service est continu pour appuyer le commandement (avec des moyens satellitaires, de radio ou de téléphonie), mais également pour appuyer directement l’infanterie ou les blindés lors d’opérations. Pour ce faire, nous fournissons du matériel léger ou bien des véhicules type VAB équipés de moyens de transmissions. »

Quand ils ne sont pas dans les sous-groupements transmissions de Gao (Mali) ou de Niamey (Niger), les hommes et femmes du 48e RT opèrent au sous-groupement de N'Djamena, siège du GTRS. Ils sont répartis dans plusieurs services : les uns veillent aux antennes et systèmes satellitaires, les autres aux émissions et matériels radio. Autres fonctions : la cybersécurité, la logistique, le chiffrement, l’élaboration des systèmes informatiques, la gestion des réseaux filaires en cuivre ou de fibre optique, la maintenance du matériel informatique, l’administration des réseaux informatiques, etc., etc. Des tâches souvent très complexes, ayant nécessité de longues formations à l’école des transmissions ou à la caserne Toussaint d’Agen.

Une grande parabole tournée vers l'espace

La partie la plus visible – et symbolique – du GTRS, ce sont les moyens satellitaires. La grande antenne parabolique, haute de plusieurs mètres, est pointée vers le ciel, du moins vers les satellites militaires qui, de l'espace, relient tous les soldats de Barkhane à Paris. « Il s’agit du plus grand hub satellitaire déployé par l’armée française, explique fièrement un sous-officier. Nous sommes dans l’ère du tout satellite qui est notre support premier pour véhiculer des données numériques. Elles peuvent être lourdes, par exemple les vidéos transmises en direct par un drone. Cette station THD est de génération Syracuse3, et à ce service principal s’ajoute une antenne HD, qui est un peu notre plan B ». Entretien de la station, dépannage, évolution technique : le service est H24, et le matériel est donc soumis à rude épreuve. «Nous sommes très dépendants de l’énergie et de la climatisation, ajoute le sous-officier. Nous avons donc des groupes électrogènes en cas de coupure électrique – assez fréquentes par ici – et un système de climatisation. Car si la station chauffe, elle s’arrête, et là c’est… catastrophique ».

Ce service gère également des moyens satellitaires plus réduits, qui peuvent être envoyés par avion jusqu’à un poste avancé. Il a également en son sein un spécialiste des réseaux hertziens, et des techniciens de maintenance.

Mais la radio n'a pas disparu pour autant. Elle équipe encore toutes les unités, et fait office de parade là où le satellite est inopérant. « C’est un moyen de secours indispensable », explique un militaire du rang, qui a passé deux mois dans le désert de Madama, au nord du Niger. Chaque jour, le contact radio est établi à partir de N’Djamena avec tous les PC de Barkhane. Si la technologie satellitaire venait à flancher, la chaîne du commandement ne serait donc pas interrompue. Sur un tel espace géographique, ce lien est vital ».

« Recevoir un dessin ou un colis en Opex,
ça n'a pas de prix »

Les transmetteurs seront de retour à Agen bientôt, entre le 5 et le 17 février. Quel bilan tirez-vous de ce mandat de quatre mois ?
Lieutenant-colonel Chabot, commandant du 48e RT d'Agen : « Le bilan est excellent. L'ambiance également, et les gens travaillent beaucoup. Ils sont très sérieux. La mission est donc une réussite, même si l’on ressent une certaine fatigue en fin de mission. Nous délivrons à la force Barkhane du service 24 heures sur 24, et forcément quatre mois, c’est long même si la pression est « saine ». Les transmetteurs vont revenir soulagés à Agen, fiers du sentiment du devoir accompli. Nos chefs sont très contents de notre travail. »

Les messages que vous ont adressés nos lecteurs, mais aussi les élèves de Saint-Caprais – notamment pour Noël – ont-ils eu l'effet escompté sur le moral des militaires ?

« Evidemment, toutes ces preuves d’amitié et de solidarité nous touchent vraiment au cœur. Nous savons que la population d’Agen est derrière nous, qu’elle pense à nous. Le régiment est très bien implanté en ville, et tous ces gestes sympathiques confortent cette relation affective. Recevoir un dessin, une lettre, un colis quand on est loin, ça n’a pas de prix. »

Après Barkhane, quelles sont les prochaines étapes pour le 48e RT ? « Le travail continue, le régiment est une machine qui ne s'arrête jamais ! Nous sommes ici une centaine, mais il ne faut pas oublier la base arrière qui est constituée des 750militaires restés à Agen ou qui participent à l’opération Sentinelle – se déroulant en permanence sur le territoire national. Il y a une nouvelle échéance en mars, avec un départ vers La Réunion, puis d’autres Opex suivront. Nous aurons également un événement symbolique le 10 mars, avec la dissolution officielle à Agen du GTRS Léopard. »

Une cyberattaque est toujours redoutée

Le groupement de transmissions de l'opération Barkhane est une mécanique très pointue, ayant recours à une gamme de compétences très large. Un spectre étendu peuplé d’acteurs au langage parfois obscur. Le militaire évolue en effet au milieu de nombreux sigles et acronymes, et les termes techniques s’y ajoutant, l’ensemble paraît codé…

Parmi les « métiers » rencontrés à N'Djamena, il est en un bien mystérieux : le chiffrement. Dans des locaux hypersécurisés, un petit groupe travaille au codage des postes radios et de tous les flux de communication entre les unités. Les clés de chiffrement, qui viennent de France, sont changées régulièrement afin que l’ennemi ne puisse pas percer le sens des messages. Très discrets sur leur fonction, les chiffreurs prennent les avions militaires pour installer les nouveaux codes sur des radios éloignées parfois de milliers de kilomètres. Autre cellule qui cultive le secret, le service de cybersécurité. Le capitaine Etienne et l’adjudant Delphine gèrent des milliers de mots de passe, permettant d’accéder aux différents réseaux informatiques. Tout dépend du niveau de confidentialité. Un militaire peut consulter internet sur un ordinateur, mais ce réseau est dit « non protégé ». Pour les messages à « diffusion restreinte », ou estampillés « classé défense » ou « confidentiel », il devra apprendre à jongler sur plusieurs ordinateurs et autant de mots de passe. L’affaire est très sérieuse car personne ne doit pénétrer dans le ou les réseaux informatiques de la Défense – une cyberattaque étant toujours redoutée. « Nous veillons à ce que les consignes de sécurité informatique soient strictement respectées, explique l’adjudant Delphine. Une clé USB ne peut pas être insérée dans une unité centrale si elle n’est pas passée préalablement pas une station dite « blanche », qui garantit sa « propreté ». Nous avons souvent des alertes et un virus est détecté chaque semaine… ».

Autre structure qui ne fait pas de bruit, beaucoup moins bruyante qu'une attaque d’hélicoptère et moins visible qu’un convoi géant du Bataillon logistique traversant le désert : le centre de transmission des messages. Il reçoit et rediffuse des ordres confidentiels défense ou à diffusion restreinte. Une quarantaine de messages chaque jour, adressés aux principaux cadres de Barkhane, et nécessitant d’être lus dans les temps. C’est son habilitation « secret-défense » qui permet à un sous-officier de relancer un colonel pas assez réactif. Ou quand la fonction l’emporte sur le grade… 

Dépannage : « Allô le 13, on est encore plantés… »

Certains apportent « du service », d'autres évoquent la relation aux « clients », se considérant comme fournisseurs d’accès au même titre qu’Orange ou Bouygues Telecom… Les conversations avec les transmetteurs du GTRS sont parfois surprenantes et renvoient aux méthodes des entreprises privées. « On est plantés » est par exemple une phrase régulièrement prononcée sur le camp Kossei. Le réseau est souvent encombré – des données étant prioritaires sur d’autres – et les coupures d’électricité n’arrangent pas les connexions. L’internet (non sécurisé) passe par un opérateur camerounais et le débit évolue souvent au rythme tranquille du fleuve Chari… Alors, « quand on est plantés », on compose le 13 pour accéder à un téléopérateur de la cellule « Help desk » du dépannage à distance. Une sorte de 115 de l'informatique. « On compte environ 2 000 ordinateurs sur le camp Kossei, explique un sous-officier. Cela fait pas mal d’utilisateurs, sachant que certains ont deux voire trois postes sur leur bureau, selon le réseau ou le niveau de confidentialité. Nous sommes là pour configurer les machines et pour dépanner. Nous sommes sept personnels, dont plusieurs au téléphone. Parfois il ne s’agit pas véritablement d’une aide technique, sur un problème ou un bug, mais d’une intervention pour faire évoluer le « droit d’en connaître » d’un client, qui veut accéder à telle ou telle donnée, ce qui nécessite des ouvertures de droits progressives. » Déverrouillage d’un compte utilisateur bloqué, oubli d’un mot de passe, mais aussi remplacement d’un clavier ou d’une souris sont quelques-uns des problèmes les plus courants. Pour la souris ou le clavier on se déplace, mais le reste on agit souvent à distance en se connectant directement au poste incriminé. Comme dans le civil… « Ici, les principaux ennemis, que l’on soit technicien satellitaire, agent de maintenance ou responsable de réseau, c’est la chaleur et la poussière. Il faut protéger le matériel. Même lorsque les locaux sont fermés et bien climatisés, les pannes peuvent survenir. Nous avons du matériel en stock, rangé dans des conteneurs climatisés, ce qui nous permet de remplacer les machines défaillantes. »

Des fils téléphoniques par milliers

Entre le camp Kossei, le site d'Abéché et d’autres postes militaires, la section fils du GTRS ne compte pas moins de 1 200 abonnés. Car si la téléphonie passe par le satellite pour les sites très éloignés, le camp de N’Djamena est truffé de réseaux souterrains, des centaines de câbles en cuivre transportant la voix. Un réseau qui s’est construit au… fil des décennies, l’armée française étant présente ici depuis les années 80. Ce service du GTRS veille au réseau, ajoute parfois des ramifications et donc de nouvelles lignes. Il s’occupe également du réseau de fibre optique. 

Il faut montrer patte blanche

On retrouve les transmetteurs du 48e RT d'Agen dans des missions très spécialisées, comme la gestion des antennes satellites (de différentes tailles et puissances), la maintenance des systèmes et réseaux à l’échelle de toute la BSS (intranet, internet et services confidentiels d’emploi des forces), ou encore dans la gestion du réseau téléphonique. Mais il est une mission moins technique mais pas moins importante : la sécurité de certains points névralgiques du camp Kossei. Celle du périmètre extérieur est confiée aux fantassins du groupement tactique blindé Conti, mais trois sites intérieurs du camp (le centre des opérations, le quartier général et le centre de transmissions) sont confiés au GTRS, donc aux militaires du 48e RT. 24 heures sur 24, ils surveillent, filtrent les entrées de ces trois points. Malheur à qui n’a pas le bon laissez-passer… 

La vie quotidienne d'un militaire agenais en Opex

Il est 5 heures du matin, ce jeudi 26 janvier. Il fera jour dans une heure mais les réveils sonnent déjà sur le camp Kossei, siège du quartier général de la force Barkhane au Tchad. Premiers claquements de porte, premiers murmures, puis des petits groupes se forment. Pas d'uniforme en vue en cette heure matinale : on la joue short, T-shirt et basket, et l’on part en petites foulées pour le sacro-saint footing.

Le militaire est sportif, on le constate chaque matin à Agen : les soldats du 48e Régiment de transmissions quittent la caserne Toussaint au pas de course, direction la rocade ou le centre-ville, puis les bords du canal.

Mais au Tchad, hors de question de courir à 8 heures. La température grimpe en effet dangereusement une fois le soleil levé, et c'est donc au petit jour qu’on s’en va gambader le long des barbelés, « à la fraîche ». Garçons et filles, du militaire du rang à l’officier, s’élancent et franchissent innocemment les postes de garde. Derrière leurs sacs de sable, fusils d’assaut en bandoulière, les plantons les regardent s’éloigner sur les pistes en terre. Quelques saluts hâtifs entre sportifs qui se croisent, on se chambre, on rigole : la journée est lancée. Le chemin fait le tour du camp. On passe à proximité des citernes du service des essences, des containers du dépôt de munitions. Un peu plus loin, on distingue la base aérienne et les appareils de l’armée de l’air tchadienne. Des hélicoptères de transport – de fabrication russe – sont rangés sur le tarmac. Sous des hangars poussiéreux, de vieux Mig dignes de l’Union soviétique sont définitivement cloués au sol.

Autorisé seulement après quinze jours d’acclimatation, le décrassage matinal prend fin avec la nuit. Douche puis petit-déjeuner dans l’un des selfs, où l’on croise matin, midi et soir les 900 militaires basés au camp Kossei : pilotes, fantassins, gendarmes, médecins, mécanos du matériel, commandos de l’air, etc., et les transmetteurs d’Agen bien sûr.

Ici, on ne badine pas avec l'hygiène. Avant de manger, on se lave soigneusement les mains, quitte à les frotter ensuite avec du gel hydroalcoolique. « Nous sommes très vigilants, explique un sous-officier en poussant son plateau-repas. Une turista massive pourrait mettre la force Barkhane au tapis. »

Vers 8 heures, les chefs de service du groupement de transmission se retrouvent pour le « point de situation ». Une réunion permettant d'évoquer l’état du matériel, les réparations en cours (à N’Djamena ou ailleurs sur la BSS), la logistique, etc. Le « patron », le lieutenant-colonel Chabot – rattaché directement au général commandant la force – doit tout savoir. Un point météo indique aussi que le sable va s’inviter sur Madama (Niger). Sur la carte, les zones touchées sont immenses, larges comme trois départements français… Autre point météo, mais relatif à l’espace cette fois. Pas de tempête solaire annoncée, les satellites militaires ne seront pas perturbés. L’officier du renseignement fait également son rapport, marqué par les conséquences de l’attentat perpétré à Gao (77 morts le 18 janvier).

Alors que la réunion se poursuit, ailleurs chacun est à son poste dans les différents services du groupement de transmissions, servis en majorité par des militaires d'Agen. Experts en systèmes informatiques, spécialistes de la téléphonie, des satellites ou de la radio entretiennent, réparent. Certains échelons fonctionnent 24 heures sur 24, une interruption du « service » – sur une zone large comme le continent européen – étant juste… impossible.

A midi, retour vers « l'ordinaire ». Sur le chemin du self, sous un soleil de plomb, des dizaines de treillis, vestes couleur sable et T-shirts kaki sèchent sur de longs fils parallèles. Les lavandiers ne chôment pas, et cette vaste blanchisserie est confiée à du personnel tchadien. D’autres creusent ailleurs des tranchées, construisent des bâtiments ou travaillent aux cuisines : un soutien local très apprécié des militaires, ouvrant sur une relation faite d’amitié et de confiance. « Ils sont courageux, durs au mal, toujours disposés à nous aider, explique un militaire agenais. Les Tchadiens, et plus largement les Africains, nous inspirent le plus grand respect. »

Un militaire bien dans ses rangers, c'est avant tout un militaire bien dans sa tête.

En opération extérieure, le moral des troupes est essentiel et le contact avec les familles primordial. Et ce qui est valable au camp de N’Djamena l’est d’autant plus sur les bases avancées que sont Madama, Gao, Kidal, Tessalit, etc.

Pour faciliter le contact avec la métropole, et Agen en ce qui concerne nos transmetteurs du 48e RT, l’état-major des armées a mis une place le dispositif Ilopex, acronyme de « l’internet et la téléphonie de loisir en opération extérieure ».

« Il s’agit d’un crédit numérique mensuel de 1,3 giga, explique le capitaine Emmanuel, auquel s’ajoute 168 unités numériques. Chaque militaire a son propre compte, et cela permet de téléphoner, d’envoyer des mails ou de faire de la visioconférence, avec Skype par exemple. » Une salle équipée d’une dizaine d’ordinateurs est mise à disposition, ainsi que des cabines téléphoniques « publiques » située dans le camp.

« Ce dispositif, qui permet de contacter très facilement la famille, est de plus en plus utilisé par les propres équipements de nos militaires, ajoute l’officier, via les smartphones et les tablettes. Le camp est doté d’un réseau wifi, et l’on peut ainsi joindre l’épouse, la copine, le copain d’où l’on veut durant ses temps de pause. » Mais gare évidemment aux indiscrétions lâchées sur les réseaux sociaux. « Les gens ont été briefés avant le départ, et il y a un guide des bonnes pratiques sur Ilopex. On ne peut pas consulter n’importe quel site, et l’on ne doit pas donner des informations (textes et images) sur les opérations. Cela reste évidemment surveillé. Les militaires connaissent les dangers d’une information délivrée sur Facebook. Elle peut présenter des risques pour les militaires en opération, mais également pour les familles. Il y a donc une très grande vigilance, et une forme d’auto censure. »

Ce contact avec les familles, essentiel, s’organise différemment selon les personnalités des uns et des autres. Une maman qui a laissé des enfants à Agen (lire ci-dessous) téléphonera par exemple chaque jour, à une heure précise.

« Moi, confie le capitaine Emmanuel, je ne téléphone pas à jour fixe. Car si je manque un rendez-vous par obligation de service, la famille va forcément s’inquiéter. Le rythme est donc volontairement irrégulier, et avec mon épouse et notre fils cela se passe très bien. »

Sport, musique et détente au Hard Rock café N'Djamena

Une mission longue de quatre mois, où l'on travaille chaque jour. L’opération Barkhane est très exigeante. Même si la zone arrière de N’Djamena est beaucoup moins exposée que le Mali, les journées des Agenais n’en demeurent pas moins intenses. Le système des communications mis en place sur les cinq pays de la bande sahélo-saharienne (Mauritanie, Mali, Burkhina-Faso, Niger et Tchad) doit fonctionner coûte que coûte. Cette architecture est très pointue, donc fragile. « Nous sommes au cœur du commandement, explique un transmetteur. Et en cas de problème, je peux vous assurer que le cœur bat très fort… » Dans ce contexte de stress, et de cloisonnement (les militaires basés à Kossei ne sortent que très rarement du camp), le moral est entretenu par quelques échappatoires, comme le sport ou les activités de loisirs. On peut ainsi compter sur le footing matinal (qui entretient aussi une certaine cohésion), mais d’autres préfèrent se rendre à la salle de sport. Doté de rameurs, de tapis de course et de nombreuses machines de muscu, on vient y suer durant ses temps de pause. 

D’autres improvisent un parcours de santé dans le camp, se livrent à une partie de volley-ball ou vont faire des longueurs dans la piscine. Étonnamment cet équipement, créé avant l’opération Barkhane, est assez peu fréquenté. Car on ne se jette pas à l’eau pour barboter ou siroter un daïquiri, mais pour faire de l’endurance. « Franchement, avoue un officier, l’eau est très fraîche, dans les 20 °. Moi je suis d’Agen, pas de Normandie… » Les loisirs passent aussi par des clubs aux activités les plus diverses, dont la musique. Le soir, dans un hangar, un groupe de rock répète son prochain show. Pour le jour de l’An, quel tabac devant quelque 800 militaires ! La musique, on l’écoute aussi au Hard Rock café N’Djaména, le bar-paillotte géré par le groupement de transmissions. On y descend du soda avec modération, en écoutant Gun & Roses et Trust. On y suit aussi les grands rendez-vous télé. Dimanche, peu de fans pour le duel Hamon/Valls. On a plutôt vibré pour les handballeurs : cocorico.

Mamans et soldats, au prix d'une douloureuse séparation

L'arme des transmissions comporte, comme toutes les composantes de l’armée de terre, des personnels féminins. Ils font même partie de l’histoire des « trans ». Les anciens de l’ESOAT d’Agen se souviennent encore des « Merlinettes » qui furent les premières femmes « soldats » de l’armée de terre. Elles étaient spécialistes des transmissions et leur surnom était dérivé du colonel Merlin, commandant les transmissions en Afrique du Nord. Les femmes ont donc une place historique dans les régiments de transmissions, et plusieurs d’entre elles sont parties sur l’opération Barkhane avec le 48e RT d’Agen.

Pour les mères de famille, un vrai déchirement La plupart d'entre elles sont mères de famille, et ces quatre mois en opération extérieure sonnent parfois comme un véritable déchirement. La séparation d’avec les enfants est parfois lourde à supporter, mais « la guerre c’est la guerre », lâche l’une d’entre elles. Floriane, jeune caporale de 26 ans, est sur des charbons ardents. Il ne reste qu’une vingtaine de jours avant le retour à Agen, et elle brûle d’impatience de retrouver son compagnon et leur enfant, un petit garçon né en octobre 2015. « Il allait avoir 1 an lorsque je suis partie en opération, raconte-t-elle. J’aurais pu refuser, en m’appuyant sur le contexte familial, mais j’ai accepté car je suis militaire par vocation. C’est mon devoir de partir en mission. Mais le prix à payer est élevé : j’ai raté les 1 an de mon fils, je ne l’ai pas vu faire ses premiers pas, je ne lui ai pas offert son cadeau de Noël… 

Le papa s’en occupe très bien, et je suis en relation constante avec la nounou qui m’envoie des textos et des images. Nous faisons peu de visioconférences car le petit ne comprend pas ce qu’il se passe. Il ne s’intéresse pas forcément à moi, ça peut faire du mal. Et puis ce n’était pas facile pour mon mari au début, le petit nécessite beaucoup de travail, et à distance cela me stressait beaucoup. Mais nous avons finalement trouvé le bon rythme, et je reçois des petites vidéos qui me comblent de bonheur. Je suis très impatiente de revenir à Fouylayronnes, dans notre maison que nous avons achetée seulement un mois avant mon départ. Mais j’appréhende aussi. Comment mon fils va-t-il réagir ? Va-t-il seulement me reconnaître ? » Un sentiment partagé par l’adjudant Alexia. Agée de 36 ans, résidant à Pont-du-Casse, elle est également la maman d’un petit garçon, âgé d’un an et demi. « C’est ma 7e Opex, explique-t-elle, mais c’est la première fois que je laisse un enfant derrière moi. J’ai l’impression de passer à côté d’une partie de ma vie. Je sais que je partirai sur d’autres opérations, et cela donnera un rythme particulier à notre vie de famille. A 20 jours de rentrer, je cogite beaucoup. Quelles vont être les premières réactions de mon fils ; j’ai peur qu’il ne me regarde pas. » 

Dans la chambre qu’Alexia partage avec d’autres personnels féminins, les photos du petit sont bien en place. Elles ne sont jamais loin non plus au bureau, et chaque matin est ponctué d’un texto du papa : un « Tout va bien » qui lance la journée. « J’ai emporté avec moi l’un des doudous du petit, ajoute Alexia. Quand je suis partie à Gao au Mali, le doudou était dans le sac à dos ; j’emportai un peu de mon fils avec moi. »

Les dames de cœur

Nous avons rencontré plusieurs personnels féminins du 48e RT au cours de ce reportage au Tchad, et toutes font preuve d'un grand courage à l’évocation d’une vie familiale mise en sommeil. Citons l’adjudant Delphine, qui a par exemple eu une vive émotion en découvrant dans notre journal, à Noël, les dessins que lui adressaient ses enfants. Citons Floriane, très impatiente de rejoindre Foulayronnes. Quant à Mélaine et Alexia elles ont un point commun : leur conjoint est aussi militaire au 48e RT. La première (ici, apportant des fournitures scolaires dans un orphelinat de N’Djamena) a un compagnon affecté à Madama : elle ne le verra qu’à son retour à Agen. La seconde rejoindra Pont-du-Casse juste avant le départ de son conjoint pour l’opération Sentinelle. « En deux ans, notre enfant n’aura vécu que 12 mois avec ses deux parents ensemble… »



« Allô Saint-Caprais ? Parés pour la visioconférence ?»

Jeudi 26 janvier, 10 heures. Branle-bas de combat dans la salle de réunion de groupement de transmissions de l'opération Barkhane, au camp Kossei de N’Djamena. Une visioconférence est programmée avec des lycéens de Saint-Caprais, un rendez-vous important aux yeux des transmetteurs du 48e RT d’Agen.

« Nous sommes ici depuis quatre mois, explique le lieutenant-colonel Chabot, et nous en sommes à notre troisième rendez-vous en direct avec ces jeunes. Il s'agit d’une opération très importante à nos yeux, car elle illustre l’attachement de la ville à son régiment. Par ailleurs, les lycéens sont très curieux. Leurs questions sont vraiment pertinentes, et témoignent d’un vif intérêt pour nos conditions de vie. Cette sollicitude nous oblige, et la relation 48e RT/Saint-Caprais n’est rien d’autre que le lien entre les armées et la Nation. »

Lors d'un briefing, les questions ont été étudiées la veille par le « patron » du 48e RT. « Je ne vais pas pouvoir rester durant toute la visioconférence, avait-il expliqué la veille à ses subordonnés. Mais il y a une série de questions sur l’attaque de Gao [NDLR : un attentat islamiste perpétré au Mali le 18 janvier, ayant tué 77 personnes] et je tiens à répondre personnellement. Cette affaire est très sensible, les jeunes demandent si des Français ont été blessés, ce qui n’est pas le cas, mais il faut leur répondre clairement, et leur expliquer que nous sommes présents dans la bande sahélo-saharienne pour justement combattre ce fléau du terrorisme. »

« On suit plus le handball que la primaire… »

Les autres réponses (liées aux actions humanitaires, à la population locale, à la fin de mission, mais portant aussi sur le mondial de handball et sur le duel Hamon/Valls) sont réparties entre le commandant Jean-Luc, le capitaine Emmanuel, et les trois autres militaires qui assisteront à l'échange.

10 h 15 : le contact est établi avec Agen. Premiers sourires des militaires agenais lorsqu'ils découvrent l’image pixélisée de jeunes lycéens emmitouflés dans leurs vêtements. « Il fait froid ici à Agen, les températures sont négatives, explique une professeur. Vous voyez ce qui vous attend à votre retour ! »

Malgré les bugs et interruptions de connexion de part et d'autre, le jeu des questions-réponses durera plus d’une heure. Les sujets programmés sont évoqués, auxquels s’ajoutent d’autres questions spontanées. Frigorifiés ou timides, élèves de seconde, première et terminale sont invités à participer plus activement à l’échange.

Des questions fusent sur le dossier « Minette ». Cette petite chatte était en effet la mascotte du groupement de transmissions, mais les militaires ont dû s'en séparer. « Toutes les unités ont abandonné leurs mascottes, car la rage sévit au Tchad, explique le capitaine Emmanuel. Enfin, abandonner n’est pas le bon terme. Nous avons confié Minette à un professeur de français qui réside à N’Djamena, et qui s’en occupera très bien. »

S'agissant de l’actualité « nous suivons beaucoup plus l’équipe de France de handball que la primaire de la gauche, soyons francs, ajoute l’officier. Les militaires ne commentent pas la politique, mais ils s’intéressent bien sûr aux débats et à l’élection présidentielle, comme tous les citoyens. »

« Avez-vous des regrets, par rapport à des événements ratés ? », les interroge-t-on. « Oui, répond le commandant Jean-Luc. Quatre de nos militaires ont été papas durant cette mission. Ils n'ont pas encore vu leurs bébés, mais ils se rattraperont dès leur retour à Agen. Et puis il y a Noël, bien sûr. A ce propos, merci beaucoup pour vos dessins. Nous avons également bien reçu vos friandises, chocolats, etc., c’était un vrai cadeau de Noël. »

« Nous aussi, nous aurons un cadeau pour vous, ajoute tout sourire le capitaine Emmanuel. Nous viendrons même vous l'offrir directement au lycée, à la mi-mars. » « C'est Minette ? », demandent les jeunes, espiègles. Oups, désolé : pour elle, le mandat au Tchad durera beaucoup plus longtemps… 

Beau succès de l'opération colis de Noël du Petit Bleu

Le moral des troupes est un ingrédient clé dans la réussite d'une opération extérieure. Et tout ce qui relie les militaires du 48e RT à la ville d’Agen donne évidemment du baume au cœur. Ainsi, l’édition du Petit Bleu insérée dans le colis de Noël a-t-elle été très appréciée. Réunis sur cinq pages, vos messages de soutien et les dessins d’enfants en ont ému plus d’un, notamment les pères et mères de famille. « Mes deux enfants ont vu leurs dessins publiés dans le Petit Bleu, je n’étais pas peu fier, explique un capitaine avec un large sourire. Regardez, ils sont épinglés au mur, et j’ai l’exemplaire du journal dans mon tiroir. » Même sentiment pour l’adjudant Delphine, et pour d’autres encore.

Outre le lycée Saint-Caprais et le Petit Bleu, des remerciements ont également été adressés à la ville d'Agen, qui a fait parvenir des confiseries (notre pruneau, pardi !) et des charcuteries. « Il nous en reste, tout est stocké ici, montre d’un geste le commandant Jean-Luc en ouvrant son armoire. Parfois le self ferme, pour un grand nettoyage, et nous cassons la croûte ensemble. Je peux vous certifier que les petits délices venant d’Agen ont alors la cote ! »

D'autres Agenais sur l'opération Barkhane

On ne va pas vous faire le coup de la « mafia garonnaise », mais un envoyé spécial de notre journal qui parcourt 4 000 km pour rejoindre des soldats agenais en opération extérieure, ça ne manque pas d'effet. C’est même tapis rouge pour cet « ambassadeur » de quelques jours, qui raconte le froid, les travaux sur le boulevard piéton, les décos de Noël ou les derniers résultats du SUA. Agen est sur toutes les lèvres, un dénominateur commun qui dépasse le 48e Régiment de transmissions. D’autres Agenais sont en effet déployés ailleurs en bande sahélo-saharienne, et pas forcément au sein du 48. C’est par exemple le cas de Guillaume, un gars bien de chez nous, parti s’exiler dans la région de Verdun par amour pour… les blindés. Dès ses premières paroles, proférées dans l’ombre d’un char Sagaie, aucun doute n’est permis : c’est bien notre accent ! « Moi je suis d’Agen même, explique le maréchal des logis, âgé de 35ans. Maman est aujourd’hui sur Marmande, mais mon frère est resté au Passage. Agen c’est ma ville, et j’y reviens à chacune de mes permissions. Je me suis engagé en 2003, et je voulais travailler sur le char Leclerc. Je suis allé au centre de recrutement, et on m’a dit d’aller voir du côté de Verdun. J’ai donc intégré le 1er Régiment de chasseurs de Thierville-sur-Meuse, à côté de Verdun. Bon, ce n’est pas la même météo qu’à Agen, mais je m’y plais bien. Je reviens en Lot-et-Garonne dès que possible. Mon frère est bénévole au SUA, et Armandie est pour moi une étape obligée, comme une petite balade sur le pont-canal. Dans mon unité, nous sommes très peu du Sud-Ouest. Enfin, il y a quand même Florian, qui est de Montauban. » Ledit « chef » Florian acquiesce : « Mon épouse et moi-même sommes de Montauban. Nous nous sommes installés sur Verdun car je fais aussi partie du 1er RC. Et moi aussi, c’est le char Leclerc qui m’a fait monter dans le Nord. Quand vous rentrerez au pays, n’oubliez pas de saluer pour moi tous les Montalbanais. » Message passé.

Affectés au groupement blindé Conti, ces soldats du 1er RC s'occupent actuellement de la sécurité du camp Kossei. Des blindés, le brigadier-chef Christophe en croise lui aussi, mais désossés. Cet Agenais de Pont-du-Casse âgé de 29 ans est en effet mécanicien. Affecté au sous-groupement maintenance, il joue de la clé à molette sous un camion quand nous arrivons pour l’interroger. « Tout se passe très bien. Excellente ambiance, je suis totalement pris par le boulot. Et ça file vite : je suis à Agen le 14 février. » Pour la Saint-Valentin, un cadeau exceptionnel l’attend : le bébé que sa compagne a mis au monde en son absence. 

Une mission également tournée vers la population locale

« Notre présence sur la bande sahélo-saharienne a pour principaux objectifs la réduction de la menace terroriste et l'appui aux forces partenaires africaines pour leur montée en puissance », nous explique un officier d’état-major de la force Barkhane. « Mais l’opération comprend également un volet humanitaire et de développement. L’eau a été remise dans toutes les écoles de Kidal (Mali) par exemple. Dans le domaine énergétique, nous installons aussi des panneaux solaires, et dans celui de l’éducation nous participons à la réfection d’écoles. » 

De telles missions sont également menées par les aumôniers militaires (catholiques, protestants, musulmans et israélites). Des soldats du 48e RT participent d’ailleurs à ces actions, comme l’évoquent deux Agenaises, la caporale Floriane et la première classe Mélaine : « ça fait aussi partie du job, et c’est bouleversant. Nous sommes allés dans un orphelinat début janvier, et dans une école hier, à N’Djamena. Nous apportons des cahiers, des stylos, mais aussi de la nourriture, et la réaction des petits est vraiment touchante. Ils sont très affectueux, heureux de nous voir. Surtout, ils sont extrêmes pauvres. Il faut les aider. » 

Cette aide aux Tchadiens passe également par l’hôpital militaire de la base de Kossei. « Le soldat français est en bonne santé, explique un chirurgien. Nous n’accueillons donc exclusivement que des patients tchadiens lors de nos consultations. Le système de santé est ici quasi inexistant, et les gens font parfois un long chemin pour consulter. C’est un peu comme un Samu, et nous pratiquons les chirurgies viscérales et orthopédiques. Ici, tous les jours nous opérons pour des fractures de la jambe, causées par des accidents de deux-roues. Nous sommes aussi présents sur la chirurgie pariétale, la gynécologie, la pédiatrie. Nous traitons également des cas de tuberculose, de parasitose, d'infection de plaie, etc. » Les malades et leurs accompagnants doivent au préalable franchir les postes de sécurité avant d’accéder à l’hôpital, et une quarantaine de patients est reçue chaque jour, sans oublier la consultation du dentiste – qui arrache surtout des dents, tant l’hygiène buccale est aléatoire. « Nous restons évidemment totalement disponibles pour nos militaires, ajoute un médecin. Mais l’aide à la population locale nous occupe en effet à 99 %. C’est là une très belle mission, méconnue, de l’armée française. »

Un posé d'assaut au Tchad

Les premiers transmetteurs du 48e RT, déployés depuis quatre mois dans la bande sahélo-saharienne (opération Barkhane), seront de retour cette semaine à Agen. Nous les avons rencontrés fin janvier dans leur QG de N'Djamena, au Tchad, avant de publier ces jours derniers une série de reportages sur leurs missions, leur vie quotidienne au camp Kossei et les relations entretenues avec Agen durant cette Opex. Les hommes et femmes du régiment d’Agen ne sont qu’une partie de la communauté militaire mobilisée à N’Djamena. On y croise des aviateurs, des « cavaliers », des fantassins, des mécaniciens, des logisticiens, des médecins, etc. qui se rencontrent parfois dans le cadre d’exercices. Un entraînement très spectaculaire s’est ainsi déroulé fin janvier à Ati, à une soixantaine de kilomètres de la capitale tchadienne. Dans un paysage désertique, que se partagent les cailloux, les arbustes rachitiques et les bouses de chameaux, un posé d’assaut a été réalisé par l’armée de l’air, les fusiliers et commandos de l’air et une équipe du 1er Régiment du train parachutiste de Toulouse (lire ci-dessous). « L’aéroportage, ou posé d’assaut, est un transport de troupes en ordre de combat. Il s’agit d’une manœuvre très délicate, nécessitant une préparation très minutieuse de la soute, pour limiter au maximum le temps passé au sol. » Objectif : ne pas dépasser les trois minutes…

Blessé évacué




L'avion, un Hercule C 130, accueille ce jour-là une vingtaine de soldats d’élite. Deux jeeps P4 montent en marche arrière dans la soute, avant que le cargo ne s’élance sur la piste. Pas de hublot pour admirer le paysage lunaire. Il fait chaud dans la soute. Le bruit des moteurs, les odeurs de carburant et les turbulences n’impressionnent guère les soldats. L’un dort accroché à son fusil, un autre mâchouille un chewing-gum sous son casque – tel un GI blasé – et tapote sur son smartphone.

Le rouge est mis. Les ordres, ou plutôt les cris, fusent. Atterrissage imminent, on se cramponne. L’Hercule touche le sol, engage les rétro propulseurs, puis les rampes s’abaissent. Les deux véhicules descendent, suivies par les soldats. Courir, vite, et se mettre à couvert, pendant que les moteurs sont remis dans un fracas d’enfer. L’avion quitte la modeste piste dans un nuage de poussière. En moins de trois minutes.

Les commandos connaissent bien leur partition. Éléments d’assaut et groupes de protection font face au petit aéroport d’Ati, où les soldats tchadiens – kalachnikov sur les genoux – les regardent placidement.

Seconde étape de l’exercice, l’évacuation d’un blessé. L’un des jeunes militaires français va jouer ce rôle. Au sol, il est pris en charge par ses camarades. Un premier diagnostic est établi, puis le détachement demande une évacuation sanitaire. Une demi-heure plus tard, un autre appareil – un Casa – se pose sur la piste. Il est équipé de tout le matériel médical nécessaire aux soins d’urgence. Le blessé est installé dans l’appareil, confié aux médecins, puis l’avion redécolle en direction du plus proche hôpital.

« Une évacuation médicale de ce type, explique un officier d’état-major, nous a permis de transférer récemment un soldat, gravement blessé lors d’un combat au Mali. Vingt-deux heures plus tard, il était opéré dans un hôpital parisien. »






Une fois le Casa dans les airs, l’Hercule C130 vient rechercher le détachement de soldats. Là encore, on fait « fissa » pour charger voitures et personnels. Top chrono : ni une ni deux, le quadrimoteurs redécolle.

Les deux avions se rejoignent et volent en patrouille, un ballet insolite qui s’achèvera à N’Djaména. Exercice parfait, mission accomplie.

Retour au quartier occupé par les transmetteurs agenais qui, eux aussi, ont « fait le job » pendant quatre mois. Ne reste qu’une seule chose sur leur feuille de mission : boucler les valises, et dire « adieu » au Tchad. Ou plutôt « au revoir Barkhane », rendez-vous en 2018 ?



Avec les paras toulousains du 1er RTP

Le posé d'assaut, aussi specta culaire soit-il, illustre le rôle essentiel de l’avion sur un théâtre d’opérations vaste comme le continent européen. Les aéronefs (Hercule C130, A400M, Transall, Casa…) permettent de projeter du fret et du personnel. Autres missions périlleuses : envoyer en terrain hostile des commandos pour récupérer un pilote qui se serait crashé, ou bien transporter un blessé grave. Mais l’essentiel des vols concerne du fret. Les livraisons, qui peuvent parfois être larguées du ciel, sont du ressort d’une unité unique en France : le 1er Régiment du train parachutiste, qui est basé à Cugnaux, non loin de Toulouse (près de la piste de Francazal). Neuf militaires sont actuellement détachés à N’Djamena et gèrent toutes les opérations de chargement et de déchargement.

« Nous sommes des spécialistes de la livraison par les airs, expliquent le capitaine Aurélien et l'adjudant Adel. Des avions décollent d’ici chaque jour et ils font des trajets les menant sur différentes bases françaises. Nous recevons des ordres de chargement, c’est la planification, puis préparons le fret en palettes, la veille du vol. Le jour J, nous nous occupons des passagers puis installons le fret dans la soute. Les modalités de chargement doivent tenir compte des contraintes de vitesse qui seront imposées lors du déchargement (pour un posé d’assaut, les véhicules doivent par exemple être chargés en marche arrière, avec un arrimage adapté). »

Les militaires toulousains sont également chargés de la sécurité rapprochée de l'avion quand il est au sol. « A ce moment-là, ajoutent-ils, nous sommes aussi les yeux du pilote. »


"Au coeur de l'opération Barkhane" Un long format de la rédaction du Petit Bleu avec La Dépêche du Midi.

Textes, photos et vidéos : Sébastien Bouchereau. Montage vidéo : Sébastien Marcelle. Mise en page : Philippe Rioux.

© Groupe La Dépêche, février 2016