Le Tour dans la région, 
113 ans d'histoires

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Personne n'aurait imaginé, en 1903, en voyant les silhouettes fatiguées se présenter à la Prairie des Filtres de Toulouse, que la région allait accueillir pendant un siècle (et sans doute bien plus) cette épreuve unique au monde. Chaque année, le Tour de France se déroule en grande partie dans notre région. Selon le tracé, plus ou moins d'un tiers de l'épreuve pédale sous le soleil de Midi-Pyrénées. En fonction du sens emprunté par la course, les cols d'ici se chargent de faire la sélection ou de l'affiner.

On ne compte plus les journées décisives vécues sur les pentes de l'Ariège, de la Haute-Garonne ou des Hautes-Pyrénées. A la triste exception de 1992 où la Grande Boucle s'était voulue européenne (une seule arrivée à...Pau), la caravane n'oublie jamais sa visite occitane. De génération en génération, les « aficionados » se pressent par centaines de milliers au bord des étapes, sur les sommets ou ailleurs, pour une communion toujours renouvelée.

Dès l'édition inaugurale donc, Toulouse a été ville-étape et c'est dans les Pyrénées, en 1910, que les coureurs ont vraiment découvert la haute montagne. Depuis, tous les départements ont accueilli avec plus ou moins d'assiduité les géants de la route. Eddy Merckx, l'immense champion belge, a choisi Luchon pour se lancer dans le plus bel exploit de sa carrière. Louison Bobet a endossé à Saint-Gaudens le maillot jaune de son dernier Tour victorieux et le duo Anquetil-Poulidor a inventé entre Andorre et la Ville rose un des épisodes les plus savoureux de l'histoire. C'est aussi sous le ciel de nos montagnes que s'est déroulé un des pires drames de la course : la mort accidentelle de Fabio Casartelli, le jeune Italien, au soleil du Portet d'Aspet en 1995.

De Gustave Garrigou, l'Aveyronnais vainqueur en 1912, à Jean-Christophe Péraud, le Toulousain deuxième en 2014, en passant par Jacques Esclassan et Laurent Jalabert, les maillots verts tarnais, ils sont des dizaines de champions avec l'accent d'ici à s'être illustrés dans le feuilleton de juillet. Voici quelques repères pour se souvenir...

                                                                                                           Patrick Louis

Curiosités, scandales 
et coups de théâtre

René Vietto, en larmes sur un muret des Pyrénées.

Avec entre autres, l'étape la plus courte de l'Histoire de la Grande Boucle (Bagnères-de-Luchon-Superbagnères en 1971) et l'étape la moins chère (Labastide d'Armagnac-Pau en 1989 avec la bénédiction de l'abbé Massié...), la région Midi-Pyrénées ne manque pas de curiosités sur le livre d'or du Tour de France. José-Manuel Fuente, le petit grimpeur des Asturies, a immortalisé la première, au lendemain de la chute de Luis Ocaña, et Philippe Louviot, l'Aveyronnais de Capdenac devenu restaurateur dans le Lot, à Saint-Céré, regrette encore d'avoir manqué une occasion rêvée dans la seconde (enlevée par le modeste Irlandais Martin Earley). Pour une poignée de secondes, l'échappée est allée au bout, mais, place de Verdun, dans la cité du bon roi Henri, « Loulou », qui avait tenté sa chance à treize kilomètres de l'arrivée, a dû se contenter de la plus mauvaise place, la quatrième. Il ne savait pas encore qu'il ne pourrait jamais prendre sa revanche...

LE BLAIREAU QUITTE PAU EN PLEINE NUIT

Mais Pau a connu d'autres coups de théâtre, le plus célèbre d'entre eux restant l'abandon « discret » de Bernard Hinault lors du Tour 1980. Nouveau maillot jaune malgré sa défaite (face à Zoetemelk) dans l'étape contre-la-montre lot-et-garonnaise Damazan-Laplume, le « Blaireau » souffre d'une tendinite. Depuis le départ de Francfort, le peloton a dû disputer de nombreuses étapes sous la pluie et les abandons se succèdent. Vainqueur du prologue, le Breton a souffert par la suite, mais, alors que la course aborde les Pyrénées et doit repartir vers Luchon, Cyrille Guimard, directeur sportif d'Hinault, débarque en fin de soirée à l'hôtel des organisateurs. Jacques Goddet et Felix Lévitan sont encore en train de dîner. Ils apprennent l'incroyable nouvelle qui va bouleverser l'actualité. Les rares journalistes informés pourront rencontrer le coureur « échappé » dans la nuit vers la résidence lourdaise de son équipier Hubert Arbes. « Devant la souffrance finalement je suis un homme comme les autres avec ses limites », déclare Hinault qui va se faire opérer mais deviendra, dès la fin de l'été, champion du monde sur le très exigeant circuit de Sallanches.

GAUBAN, BARèS, CHARROIN, LES MAUDITS

Le Tour de France n'a pas toujours été généreux avec ses régionaux. Le Muretain Henri Gauban, pionnier participant à la première édition, a dû abandonner dans la deuxième étape Lyon-Marseille. L'année suivante, en 1904, même décor, même verdict. En 1905, c'est pire : il doit se retirer dès le premier jour entre Paris et Nancy avant d'être disqualifié, en 1906 entre Nancy et Dijon ! En 1907, il se retire entre Bordeaux et Nantes mais il a eu, au moins, cette fois, le plaisir de saluer ses supporters à Toulouse...

Jean-Marie Teychenne (1907), Eloi Guichard (1909) et Bertrand Aligon (1920) ont tous pris le départ du Tour sans jamais voir leur région... Le constat est également valable pour Max Charroin, le Frontonnais d'Afrique du Nord, qui a dû enlever son dossard dans l'étape de Dinard en 1950 et celle du Tréport l'été suivant. Pour Louison Bares, le plus Toulousain des Béarnais, le film est encore plus douloureux. A 22 ans, il a dû accepter la mise hors-délai chez lui, à Toulouse. Écoutons-le : « Dans le Peyresourde, je me suis retrouvé avec trois Belges et deux Français. On a attaqué la descente. Un motard, devant nous, a loupé un virage. Il s'est tué. La chaussée a été envahie par le public. On a été bloqué. Il nous a fallu du temps pour nous dégager. On est arrivé trop tard. Ça fait mal au cœur et c''est resté gravé pour toute ma vie. Je crois que j'étais trop jeune pour faire le Tour... ».

LA LÉGION ÉTRANGèRE DE LA VALLÉE DE LA LèZE

Parfois, un coureur se fixe ici ou là, le temps d'un passage, d'une saison ou même d'une carrière. Dans le sillage du merveilleux Frédéric Moncassin, double vainqueur d'étape ('s-Hertogenbosch/ Bordeaux et maillot jaune du Tour 1996), toute une légion étrangère est venue s'installer dans la région toulousaine et plus particulièrement dans la vallée de la Lèze. Si Thor Hushovd, futur champion du monde, n'a fait que passer, Jens Voigt et Stuart O'Grady ont, des mois et des années, roulé au sud de la métropole régionale pour peaufiner leurs étés fructueux. L'Australien, vainqueur du Paris-Roubaix 2007, a participé à... 17 Tours de France, a passé 3 jours en jaune en 1998, six en 2001, a gagné deux étapes individuelles, celle de Grenoble en 1998 et celle de Chartres en 2004, et deux par équipes, celle de Verdun 2001 et Nice 2013.

En 2001, sous les couleurs blanches et vertes du Crédit Agricole, il y avait aussi Jens Voigt, l'infatigable rouleur allemand. 17 Tours au compteur lui aussi (un record partagé avec George Hincapie), citoyen d'honneur de Labarthe-sur-Lèze et lauréat de deux étapes, à Sarran en 2001 et à Montélimar en 2006 au bout d'un raid qui devait changer la face de la course (il était avec Oscar Pereiro qui allait bénéficier du déclassement de Floyd Landis pour dopage...). Lors du succès des Crédit Agricole et de Jens Voigt, dans l'inoubliable chrono collectif disputé sur la Voie sacrée, Chris Jenner, le Néo-Zélandais de Toulouse, figurait dans les rangs de l'équipe dirigée par Roger Legeay.

Installé tout près d'eux, à Eaunes, Magnus Bäckstedt s'est imposé dans l'étape d'Autun en 1998 mais aussi dans le Paris-Roubaix 2004, mais il n'a terminé que deux des sept Tours de France auxquels il a pris part. On pourrait ajouter à cette légion étrangère, l'Hispano-Argentin Juan Antonio Flecha, vainqueur en 2003 à Toulouse de l'étape du centenaire. Il la connaissait par cœur puisqu'il vivait, à l'époque avec sa fiancée dans la Ville rose.

LUCHON : DES POISSONS OU DU POISON ?

L'histoire du Tour de France à Luchon est riche d'épisodes magnifiques, mais pas seulement. En 1971, Eddy Merckx a quitté le lycée qui servait de « refuge » à son équipe Molteni pour un établissement plus digne de son standing. Mais, malgré les lits de camps assassins, il n'avait pas, contrairement à ses compatriotes du Tour 1962, dû se battre contre des « truites » avariées. C'est en tout cas la version officielle communiquée par l'équipe Wiel's Groene Leeuw de l'inclassable Berten de Kimpe, décimée entre la reine des Pyrénées et Carcassonne (abandons de Hans Junkermann, de Smet et De Mulder, et De Middeleir éliminé...). Pour tous les suiveurs, il était alors évidemment question de dopage (le maillot jaune depuis Saint-Gaudens était Tom Simpson, triste clin d'œil à ce qui allait arriver quelques années plus tard), mais le sujet était alors pratiquement inabordable. Il valait mieux accuser les poissons !

LE GUIDOn SCIé DE ROGER LAPéBIE

Luchon encore, Luchon toujours... Le 19 juillet 1937, au matin de la 15e étape d'un Tour qu'il devait remporter, Roger Lapébie part s'échauffer. Il s'aperçoit alors après avoir évité la chute que son guidon a été... scié ! Les soupçons, sans suite, se porteront sur un mécanicien belge de l'équipe de France. Roger fait monter en urgence un nouveau cintre mais celui-ci ne dispose pas d'un emplacement pour le bidon de ravitaillement. Guy, son frère, le père de Serge installé un peu plus tard au Mourtis, rattrapera le coup en lui faisant parvenir un bidon de ravitaillement. Déjà vainqueur Digne, Roger s'imposera encore à La Rochelle et la Roche-sur-Yon et entrera en jaune au Parc des Princes...

LE MéCHOUI DE RADIO ANDORRE

Le gigot que l'on distingue nettement sur toutes les photos d'époque a sans doute été accusé un peu lourdement... Jacques Anquetil, lors de la journée de repos du Tour 1964, accepte l'invitation de Radio-Andorre pour un méchoui regroupant de nombreux suiveurs. L'affaire n'aurait pas été plus loin si Maître Jacques, dans le brouillard de l'Envalira, n'avait manifesté le lendemain d'inquiétants signes de faiblesse. Lâché par un Raymond Poulidor survolé, le Normand devra sa survie et son maillot jaune qu'à l'adresse du Marseillais Louis Rostollan, aussi efficace dans la montée que dans la descente ! Au bout du compte, Poulidor, mal dépanné sur un incident à l'approche de Toulouse, va perdre à nouveau du temps sur son éternel rival. Le méchoui n'avait fait que pimenter cette sortie des Pyrénées sans empêcher le Normand d'inscrire pour la cinquième fois (et c'était une première) son nom au palmarès du Tour.

LES SACRIFICES DE VIETTO

Avec celle de Poulidor et Anquetil, épaule contre épaule, cette image est une des plus célèbres de l'histoire du Tour de France. Elle date de 1934 et représente le jeune René Vietto, en larmes sur un muret des Pyrénées, « abandonné » après avoir donné sa roue à son leader et maillot jaune, Antonin Magne. Lors de la 15e étape entre Perpignan et Ax-les-Thermes, l'ancien chasseur de palaces cannois avait déjà donné sa roue à Magne, victime d'une chute dans la descente du Puymorens. Le lendemain, après ce précieux sauvetage (le leader de l'équipe de France n'avait perdu que 45'' sur son plus dangereux adversaire l'Italien Giuseppe Martano), nouveau pépin pour le « patron » qui se retrouve à terre dans la descente du Portet-d'Aspet pas encore maudite mais déjà très dangereuse... Vietto, averti, fait demi-tour, remonte en partie le col pour céder son vélo à Magne qui gagnera le Tour à Paris.

« J'ai bien cru que le Tour était fini racontera Magne plus tard, ma chapine s'était enroulée autour de mon pédalier et je ne pouvais pas réparer... Je désespérais quand, dans le virage plus bas, j'ai vu René qui grimpait à toute allure. Il venait m'apporter sa bicyclette ! Un peu plus loin, je retrouvais Roger Lapébie qui nous attendait, j'étais sauvé... ».

LES ABANDONS DE THÉVENET

Un peu plus tôt, un autre Français, Bernard Thévenet, avait quitté Pau dans un sale état. C'était en 1978 et le Bourguignon, vainqueur sortant, espérait encore tenir la dragée haute à un jeune espoir nommé... Bernard Hinault. Le duel n'aura pas lieu. Le leader des Peugeot traîne sa misère. Il a du mal à respirer et fait l'élastique à l'approche des premières difficultés. Déjà mal en point la veille sur les pentes du col basque de Marie-Blanque, il a la sensation d'étouffer, fait l'élastique en queue de peloton. A la sortie de Barèges, alors que la longue montée du Tourmalet se profile, Thévenet s'arrête. Le Tour est fini et le magnifique « Nanard » de l'été 75 ne retrouvera plus jamais son meilleur niveau. Au Pla d'Adet, où le grimpeur nivernais Mariano Martinez s'impose, Joseph Bruyère défend avec succès son maillot jaune mais l'autre Bernard, Hinault, a marqué des points précieux. Personne ne l'empêchera de gagner le premier de ses cinq Tours de France.

Deux ans plus tôt, Thévenet, tenant du titre après ses exploits de l'été 1975, avait calé, déjà en Midi-Pyrénées. Le Tour remontait vers Paris et dans l'étape lotoise, du côté de Martel, par une chaleur étouffante, il devait mettre définitivement pied à terre... Hasard ou coïncidence...

« L'ENFER » DE DANTE

Lors de ce Tour 1978, le premier disputé et gagné par Bernard Hinault, Dante Cocolo n'a « manqué » la lanterne rouge que pour quelques minutes. Parti dans l'équipe Jobo, celui qui devait devenir maire de Ondes puis président du club de foot de Montauban, n'a pas passé que des bons moments au cours de cet été particulier. « En vérité je n'ai jamais vraiment aimé le vélo, dira plus tard le dossard 104 (équipier de Jean-François Pescheux qui allait devenir un des patrons du Tour), je préférais le football mais mon père m'a poussé vers le cyclisme... ». Cocolo qui allait redevenir un excellent coureur amateur a quand même eu l'honneur et le mérite d'atteindre les Champs-Elysées (77e à 3h24'18, entre Régis Delépine et Alain Tesnière). « Là, j'ai pleuré parce que je savais que je n'y reviendrai plus jamais... »

DUTIRON ET L'ÂNE DE NAPOLÉON

L'histoire situe mal l'incident mais insiste sur l'étape, celle de Bayonne-Luchon en 1920. Estampillé Corse mais répertorié Italien dans l'histoire du Tour, Napoléon Paoli a percuté un âne avant de se retrouver maladroitement installé sur son dos. La bête aurait alors pris un galop étonnant en sens inverse de la course, mais la chronique ne précise pas si le pauvre coureur a écopé ou non d'une pénalité... D'autant qu'un peu plus loin, une pierre détachée de la montagne le laissa K.O et, dit-on, un peu plus tard dans une cabane du Tourmalet qu'il avait franchi en pleine nuit.

Et comment ne pas évoquer pour cette période si lointaine, le premier Bigourdan, Amédée Dutiron, qui partage son prénom avec l'incroyable Fario, héros d'une BD troublante de Lax. Employé à la construction du pic du Midi, il va découvrir et courir le Tour, malgré un handicap récolté dans les glaces du Tourmalet. Entre la fiction et la réalité, le cœur du Tour n'en finit pas de battre...

Les régionaux dans l'histoire du Tour

La victoire de David Moncoutié à Digne-les-Bains, le 14 juillet 2005. CHRISTOPHE ENA/SIPA

L'histoire entretient parfois, et pendant des années, un siècle même, d'étranges erreurs, en tout cas de fâcheux oublis. Sans notre confrère aveyronnais Roger Lajoie-Mazenc, auteur d'une enquête lumineuse sur Gustave Garrigou, notre région attendrait sans doute toujours son premier vainqueur du Tour de France. Elle le tenait pourtant, sans le savoir, depuis des années durant, avec ce héros de l'édition 1911, originaire du Rouergue, de Vabre-Tizac. Il avait été le seul, l'année précédente, à grimper le Tourmalet sans mettre pied à terre. Sans cette enquête, concrétisée par un ouvrage passionnant (« Itinéraire d'un enfant de l'Aveyron devenu géant de la route »). Mais le plus étonnant, c'est que le brave Garrigou avait lui-même été précédé par un autre lauréat, celui de 1905, Louis Trousselier ! « Un Aveyronnais de Paris, précise l'historien de Firmi, ses parents étaient originaires de Vimenet, son père tenait un magasin de fleurs, boulevard Haussmann. Garrigou et lui se sont souvent retrouvés à l'entraînement sur la Côte d'Azur. Trousselier descendait en train, Garrigou en vélo... ». Depuis, même si Luis Ocaña, le maillot jaune de 1973, a été fêté comme un des leurs par une bonne partie des aficionados gersois, le successeur se fait attendre...

ESCLASSAN ET JALABERT, LES TARNAIS VERTS

Mais ça n'a pas empêché, à travers les générations, de très nombreux « Occitans » de briller sur les routes du Tour. Le Tarnais Jacques Esclassan, en 1977, a ramené le maillot vert à Paris, un des trophées les plus convoités, celui du classement par points. Il sera imité à deux reprises par son voisin de Mazamet, Laurent Jalabert (1992-1995), qui ajoutera en fin de carrière deux maillots à pois de meilleur grimpeur (2001-2002). Au départ de l'édition 1996, les journalistes avaient même fait du populaire « Jaja » l'adversaire principal de Miguel Indurain après sa victoire à la Vuelta. Mais le coureur de la Once n'était pas dans le coup et a dû abandonner à la sortie des Alpes. Le maillot à pois, avant lui, avait été décroché par le Tarn-et-Garonnais Christophe Rinero, en 1998, année où « Tito » avait fini au pied du podium. Même si des circonstances particulières ont marqué cet été là, les pois sont bien à lui et pour toujours.

DOUZE REPRÉSENTANTS EN 2001 !

Trois régionaux ont pris le départ de l'édition inaugurale : Jean Dargassies de Grisolles, Philippe de Balade d'Agen, Henri Gauban de Muret. Mais aucun des trois n'a vu Paris. Par la suite, les coureurs du Midi seront beaucoup plus nombreux à participer et à aller au bout de la compétition.

En 2001, par exemple, avec l'apport des étrangers installés depuis longtemps en Haute-Garonne, dans la vallée de la Lèze notamment, ils étaient... 12 régionaux ! Didier Rous (Montauban, 11e), Alexandre Botcharov (Soueich, 17e), Laurent Jalabert (19e, vainqueur à Colmar et Verdun), Stéphane Goubert (Narbonne, 31e), Jens Voigt (Labarthe-sur-Lèze, 46e, vainqueur à Sarran et à Verdun avec le Crédit Agricole), David Moncoutié (Biars-sur-Cère/Toulouse, 48e), Laurent Roux (Goujounac, 50e), Stuart O'Grady (Labarthe-sur-Lèze, 54e lui aussi à Verdun avec le Crédit), Nicolas Jalabert (Mazamet, 115e), Gilles Maignan (Caucalières, 121e), Christopher Jenner (Labarthe-sur-Lèze, 139e vainqueur à Verdun par équipes) et Christophe Rinero (abandon 7e étape). On n'a jamais autant regretté la disparition des équipes régionales qu'à cette époque !

MARCAILLOU ET GAY, LE GUIDON SAINT-PRIEN à L'HONNEUR

La plupart du temps, avant et entre les deux guerres, il fallait se contenter de supporter un ou deux représentants. Des éléments parfois très en vue, comme Romain Bellenger, 3e en 1923, Jules Merviel de Saint-Beauzély ou encore l'Espagnol de Toulouse Salvador Cardona (4e en 1929). Les frères Albert et Antoon Van Schendel, Néerlandais de la Ville rose, ont accompagné l'adorable Sylvain Marcaillou lors de ses campagnes des années 30. Manuel Huguet, Tino Sabbadini, Jacques Dupont, Philippe Agut et bien sûr l'inimitable Georges Gay ont suivi. Deux fois deuxième d'étape en 1957, le futur patron du GSC Blagnac qui a facilité le passage à l'étage supérieur à tant de professionnels (Andorra, Jalabert, Moncassin, Moncoutié...), avait en partie sauvé le maillot jaune de Jacques Anquetil dans les Pyrénées. Il avait été discrètement mais très généreusement récompensé pour son aide. Louison Bobet, star de l'époque et triple vainqueur du Tour, l'avait baptisé « Poujade », allusion au leader syndical qui venait de Saint-Céré, un des clubs du coureur lotois...

MONCASSIN EN JAUNE

Entre le coureur du Bassin Manuel Busto (1957-58-59-60-61-62) et Robert Poulot (équipier de Poulidor lors du fameux Tour 1964, personne en 1963 ! Le phénomène ne se reproduira qu'à deux reprises, en 1983 et en 2016, en raison de la blessure du Ruthénois Alexandre Geniez et de la non-sélection du Commingeois Julien Loubet. Michel Périn (Nérac), Pierre Martelozzo (Ariégeois installé dans l'Aude), Roland Smet (Foix) et les frères Dominique et Gilles Sanders (Toulouse) sont au rendez-vous des années 70-80, comme le Lourdais Hubert Arbès, qui accompagne Bernard Hinault dans trois de ses cinq victoires (1979-1981-1982). Le Tarbais Alain Dithurbide participe lui aussi (83e en 1984) avant que Robert Forest (Saint-Alban, 16e en 1985) ne fasse naître de vraies promesses. Henri Abadie, Philippe Louviot et Christian Chaubet accueillent Laurent Jalabert dès 1991. Frédéric Moncassin (deux victoires à 's-Hertogenbosch et Bordeaux en 1996, 1 jour en jaune), Didier Rous (une belle étape en solitaire pour le Montalbanais en 1997 à Colmar), Thomas Davy, précèdent la génération évoquée plus haut au sein de laquelle le rapide Stéphane Barthe se démarque par quelques places et Christophe Bassons, le Tarnais, par son altercation avec Lance Armstrong et ses prises de position contre le dopage... et le système.

JEAN-CHRISTOPHE PÉRAUD SUR LE PODIUM !

Avant de rejoindre les rangs de l'organisation, l'Albigeois Cédric Coutouly a pris soin de boucler sa Grande Boucle (celle de 2006), comme son voisin Jean-Marc Marino (il a terminé sa carrière aux côtés de Peter Sagan en 2014 !) et les autres représentants d'une riche génération débutée avec le Marmandais Pierrick Fédrigo (quatre étapes au total, ce n'est pas rien), David Moncoutié, l'inusable ambassadeur de Cofidis (vainqueur chez lui à Figeac en 2004 et l'année suivante, le 14 juillet à Digne-les-Bains) et Blel Kadri, inoubliable vainqueur à Gerardmer en 2014.

N'oublions surtout pas enfin celui qui fut le premier français à monter sur le podium du classement final, 17 ans après Richard Virenque. Jean-Christophe Péraud, passé très tard sur la route après une carrière internationale et une médaille olympique en VTT, a été le dauphin de Vincenzo Nibali lors du Tour 2014. Les braves Trousselier et Garrigou restent seuls là-haut, mais la deuxième place du Toulousain ne dépare pas la collection, bien au contraire. 

Gens d'ici et d'ailleurs

Un comédien pose devant un bus Yvette Horner, en 2010./Pascal Pavani/AFP

Le Tour de France n'a jamais emprunté ne serait-ce qu'un bout du tour de ville de Cajarc sur les bords du Lot. Depuis des années, Jean-Marie Leblanc puis Christian Prudhomme, les directeurs de l'épreuve, n'ont cessé de multiplier les hommages, les clins d'œil, les visites à tous ceux qui ont « fait » le Tour. Robert Decremps (1920-2000) appartient à cette famille hétéroclite mais n'a pas eu droit - pas encore, au petit détour qui le saluerait au pays de Françoise Sagan et du Schmilblick de Coluche. Robert Decremps, c'est Dero. Il n'a pas laissé de traces particulières sur les feuilles de classement de la Grande Boucle, mais tous les anciens se souviennent de ses dessins qui bien avant le terrible Chenez, accompagnaient les lecteurs du journal « L'Equipe » lors de tous les événements importants. A l'image de Pellos dans les « Miroirs », il a merveilleusement éclairé les champions et leurs exploits, au bord de la route, mais aussi sur les stades.

« Après la guerre, expliquait Déro, il y avait beaucoup de dessinateurs dans les journaux. J'avais commencé par des dessins au théâtre. Tout de suite après, je suis entré à L'Equipe ». Il avait été remarqué par Jacques Goddet, le patron du journal et du...Tour. Soixante-dix de ses caricatures sont aujourd'hui visibles au musée olympique de Lausanne.

NON, TON ACCORDéON NE NOUS FATIGUAIT PAS YVETTE...

Déro avait vu arriver dès 1952 Yvette Horner, sous son sombrero, accrochée sur le toit d'une Traction. La populaire accordéoniste, originaire de Tarbes, a précédé les coureurs pendant onze étés. Un marathon épuisant mais qui lui a offert une incroyable notoriété. « Le Tour a changé ma vie, confie-t-elle, c'est lui qui m'a rendue célèbre ». Un Tour presque aussi épuisant que celui des cyclistes. Au cours de ces multiples rondes à travers l'Hexagone, son entourage, afin de la préserver un peu des coups de vent et de soleil, avait imaginé d'installer à sa place un mannequin à son effigie. Le chapeau, la robe, l'accordéon, il ne manquait rien... sauf Yvette.

Le public a vite montré son hostilité en balançant tout ce qu'il trouvait sur la « poupée » ! Très vite, le clan d'Yvette a rangé le tourne-disque pour repasser en live... Tant pis pour les moustiques et les brûlures en haut des cols...

Comme Yvette, Jacques Chancel (Joseph Crampes né le 2 juillet 1928 à Ayzac-Ost décédé à Paris le 26 novembre 2011) était originaire des Hautes-Pyrénées ; les familles de ses parents venaient de Lavedan.

CHANCEL : LE NEZ CASSé PAR UN MANIFESTANT SUR LA ROUTE DU TOUR 1989

Star de la radio, inoubliable interviewer de « Radioscopie » pendant dix-sept ans sur France Inter, animateur du «Grand échiquier » sur Antenne 2, le journaliste a également suivi de nombreux Tours. Il fut même, à l'été 1988, à l'origine de l'annonce, en direct, du contrôle positif de l'Espagnol Pedro Delgado. Au soir de la 17e étape entre Pau et Bordeaux, il interroge « Perico », leader de la course. « Pedro, êtres vous certain d'aller jusqu'à Paris en jaune ? N'avez-vous peur de rien ? Pas même d'un incident ? » Chancel entrouvre les portes du doute en estimant qu'il y aura le lendemain une « tempête » du côté de Limoges. Le soir même, Patrick Chêne, du service des sports de la chaîne, confirme l'information. Delgado a été contrôlé positif au probénécide, un masquant utilisé lors de la prise de stéroïdes anabolisants. Le Ségovian ira finalement jusqu'aux Champs-Elysées et conservera son beau maillot. Le médicament incriminé figurait bien sur la liste des produits interdits du Comité Olympique International, mais pas encore sur celles de l'UCI !

Dans l'émission « Autour du Tour », le Bigourdan a invité des dizaines d'artistes amoureux du Tour ou non dans un mélange de cultures bouillonnant. Le 13 juillet 1989, entre Toulouse et Montpellier, la caravane traverse le village de Montarnaud. La route bloquée par des manifestants, Chancel descend de sa voiture pour lever le barrage. Il finira l'étape le nez cassé par un habitant particulièrement énervé.

JOSé, LE GASCON AMI D'HINAULT

José Alvarez, un Tarnais d'adoption (il était venu s'installer près de Mazamet et de son équipier à la « Mutuelle-de-Seine-et-Marne », Nicolas Jalabert), dispose d'un des rôles les plus importants de la course puisqu'il pilote la fameuse « voiture rouge n°1 », celle du patron du Tour. « Je ne sais pas comment j'aurais fait sans lui », confie Christian Prudhomme, très attaché à celui qui chaque été, conduit les hauts personnages invités, à commencer par le plus prestigieux d'entre eux, le président de la République.

Disparu à quelques jours du départ de l'édition 2014, José Alvarez n'a jamais eu de fonction officielle dans l'épreuve reine mais il ne se passait jamais longtemps sans que l'on voit arriver l'élégant ambassadeur gascon et son épouse Jacqueline. « Il était comme un père pour moi... », devait déclarer Bernard Hinault, son ami depuis les années 80. Après avoir réussi dans l'industrie du cycle, négociant des contrats exclusifs, notamment avec les marques italiennes les plus célèbres, José Alvarez aurait pu entrer en affaires avec le Tour au plan commercial. Il aurait alors précédé l'entreprise aveyronnaise RAGT, acteur majeur du retour des « Forçats » à Rodez à l'été 2015. Partenaire officiel, parrain du classement par équipes, le spécialiste de la semence ancré depuis des lustres dans le monde agricole avait d'abord monté une équipe professionnelle avant de s'orienter vers une autre forme d'action sur toutes les épreuves d'ASO.

Un autre Tarnais, l'Albigeois Cédric Coutouly, est de son côté devenu régulateur sur une des motos d'ASO. Avant de rejoindre les rangs d'Amaury Sport Organisation, il avait effectué une bonne carrière professionnelle, bouclant un Tour de France, celui de 2006 à la 133e place. Il a ainsi prolongé sa passion après avoir raccroché le vélo.

QUAND ELIE BAUP JOUAIT AU COUREUR DANS SON ViLLAGE DE LARROQUE, QUAND PIERRE BERBIZIER éTAIT éBLOUI PAR EDDY MERCKX...

Elie Baup, avec ses chevaux du Comminges, est peut-être un client anonyme de l'entreprise rouergate. Il reste en tout cas un des footballeurs les plus attachés au cyclisme et à ses héros. Quand il n'est pas bloqué sous les spots d'un studio parisien, l'ancien « prof » de Fabien Barthez, entraîneur du Toulouse Football Club, des Girondins de Bordeaux ou de l'AS Saint-Etienne, ne manque jamais l'occasion de venir saluer ses amis coureurs. « Dans ma campagne, au pied des Pyrénées, j'ai été élevé au biberon Grande Boucle ! Je n'ai jamais manqué une seule édition et quand on revenait de l'étape, dans mon village de Larroque, je jouais au coureur sur mon vélo ».

Du ballon rond au ballon ovale, il n'y a qu'un coup de pédales, surtout dans les Pyrénées. Pierre Berbizier, l'ancien demi de mêlée international, né à Saint-Gaudens et formé à Lannemezan, n'a jamais oublié ses échappées de juillet. A onze ans, il a même été le témoin fasciné de ce qui reste un des épisodes les plus éblouissants de l'histoire. « Merckx était déjà en jaune mais encore au début de sa carrière. On ne le savait pas aussi fort encore. Avec mon père, on s'était installé sur les pentes du Soulor et on écoutait sa progression solitaire. Soudain, je l'ai vu, il était là, devant moi, à quelle allure, à quelle vitesse... Une vraie mobylette. A cet âge-là, je n'ai pas réalisé que je vivais un si grand moment. Je n'ai jamais oublié cette puissance qu'il dégageait... ». Détail de ce souvenir unique, Pierre et Eddy sont nés tous les deux un 17 juin. Juste avant le départ du Tour...