Syrie : de l'enfer à l'espoir

Reem était étudiante, Louai poursuivait ses études de biologie. Ils vivaient à Alep, l'une des villes symboles de la tragédie syrienne. Leur vie a basculé, comme celle de tant de leurs compatriotes, quand ils ont commencé à participer aux manifestations pacifiques contre le régime de terreur de Bachar Al Assad. 

Devenus journalistes «pour transmettre des informations professionnelles» dans un paysage médiatique saturé par le régime, ils ont quitté leur pays pour témoigner de l'enfer au quotidien d'une population coincée entre Daech et Assad, mais aussi de l'espoir chevillé au corps et au cœur des citoyens syriens qui rêvent d'un État démocratique et civil débarrassé des extrêmes. 

Invités notamment par le collectif Toulouse solidarité Syrie dans le cadre du projet «Porter la voix des journalistes d'Alep», les témoignages de Reem Fadel et Louai Abo Aljoud interpellent. 

Accueillis hier dans les locaux de La Dépêche du Midi par Jean-Nicolas Baylet, directeur général, Reem et Louai ont confié à la rédaction (merci au traducteur Samir Arabi) une parole libre.

Le régime craint plus ceux qui combattent par la parole que ceux qui combattent par les armes.

La voix de deux journalistes qui témoignent

Reem Fadel

Elle était étudiante en arts dramatiques à Alep lorsque la révolution a éclaté en 2011. Elle publie alors des articles sur les manifestations sur Facebook sous son vrai nom. Le régime l'arrête et l’emprisonne dans des conditions très dures de décembre 2013 à février 2014 Elle est témoin de tortures. 

A sa sortie, elle continuera d’écrire sur internet mais sous pseudonyme. Elle quitte la Syrie fin 2015 avec ses parents pour Istanbul où elle est journaliste pour la chaîne Orient News.

Louai Abo Aljoud

Lorsque la révolution éclate en 2011, Louai Abo Aljoud, étudiant en biologie à la faculté de médecine d'Alep, prend des photos des manifestations. Le régime l’arrête et le torture durant deux semaines. 

À l’été 2012, il filme la prise d’Alep par l’Armée syrienne libre (ASL). Convaincu qu’il faut témoigner, il suit des stages de formation de journalisme en Turquie. 

En 2013, alors que Daech contrôle Alep, il est menacé de mort puis emprisonné six mois avec d’autres journalistes. Libéré après des négociations menées par la rébellion, il fonde en 2014 son agence de presse Gaziantep. Depuis la frontière syro-turque, il réalise des reportages pour différentes chaînes de télévision.

Les arrestations et la torture

Reem : «J'ai été arrêtée chez moi, accusée de faire entrer du lait dans la région bombardée et d'écrire des articles pour s'opposer au régime. Je suis restée trois mois en prison et ma famille a dû débourser 10 000 dollars pour me libérer. 

Pour le régime, il s'agit de terroriser la parole car il craint plus ceux qui combattent par la parole que ceux qui combattent par les armes. Il reste 200 000 prisonniers dans les prisons d'Assad aujourd'hui. Il n'y a pas de prison sans tortures, j'ai été relativement épargnée mais ils me montraient des gens qu'ils suspendaient en l'air. J'ai rêvé d'un morceau de pain pas moisi, d'une couverture pour le corps, d'une pièce pour la toilette, nous étions 40 femmes entassées dans un réduit où il n'y avait qu'un trou....» 

Louai : «J'ai été arrêté deux fois par le régime d'Assad puis kidnappé par Daech. La première fois, j'ai été retenu dix heures, quelques gifles. La deuxième fois, quinze jours, les hommes du régime m'ont torturé avec des bâtons électriques. La torture est omniprésente pour obtenir des aveux ou servir de leçon. Le régime a besoin d'aveux car il craint de répondre un jour devant le monde pour ses crimes. Devant le juge, je me suis déshabillé et j'ai montré mon corps avec les traces : «Voilà comment on m'a sorti des aveux». 

En 2013, j'ai été capturé par Daech, ils m'ont transféré dans «la prison des journalistes» au nord est d'Alep dans le sous-sol d'une usine de patates. Le chef de la prison était français, le chef de la torture était belge...» 

«Daech a tué 10 000 personnes, le régime Assad 500 000 ! » 

Louai : «Daech a tué environ 10 000 personnes. Le régime Assad environ 500 000 ! Il n'est pas naturel que certains intellectuels occidentaux croient en Bachar Al-Assad ou ne veulent pas savoir. Il faut savoir ce qui se passe sur le terrain. 

Daech est une pensée idéologique, on ne le combat pas seulement par les armes, il faut aussi une pensée. Il faut éliminer cette organisation qui joue un rôle principal dans le terrorisme mais en sachant que le facteur principal de la présence de Daech en Syrie, c'est Bachar Al-Assad. Il faut l'écarter pour réaliser un front unique contre Daech. On ne peut pas les combattre par la seule aviation. Nous avons besoin des Syriens qui combattent pour leur terre». 

Reem : «Comment se fait-il que l'Europe arrive à croire El-Assad quand vous voyez ces effrayantes statistiques ? Le croire, c'est ajouter une catastrophe morale à la tragédie humaine qui se joue». 

« Chaque vendredi, il y a 500 points de manifestations pacifiques »

Louai : «Notre message, c'est que les Syriens veulent combattre à la fois le régime et Daech. Nous voulons un Etat civil et démocratique débarrassé de Daech et de tous les extrémistes». 

Reem : «Chaque vendredi en Syrie, il y a 500 points de manifestations pacifiques qui reprennent les drapeaux et les slogans de la révolution. Ce sont de simples citoyens syriens qui veulent la chute du régime et le démantèlement des services de renseignements, le départ de toutes les forces étrangères et une Syrie unie. 

Mais déjà après cinq ans de destruction et de tuerie, rien qu'un cessez-le-feu effectif serait une avancée et cela peut se faire si l'Europe suit.» 

« Il faut que ceux qui parlent entendent la souffrance du peuple » 

Louai : «Il faut que l'Europe entende la souffrance des peuples sur le terrain. Or la coalition a aussi bombardé des civils. Alors aujourd'hui, on n'attend rien de personne... sauf une connaissance sérieuse du terrain chez ceux qui parlent. 

Quand Daech avance, on ne peut pas dire «je reste les bras croisés» comme l'a fait la coalition à Palmyre. On ne peut pas propager les droits de l'Homme et de la paix et simplement arriver avec une valise de secours. Notre peuple n'a pas besoin d'un pansement mais de solutions radicales.» 

« Nous sommes capables de trouver une solution entre nous »

Louai : « Après avoir écarté la mafia du régime Assad, il faudra traduire tous les criminels de guerre devant les tribunaux internationaux, et construire à partir des structures préservées de l'Etat et des départements en Syrie, avec la société civile qui fait de la résistance. Nous sommes capables de prendre en main le nouvel Etat de l'après Assad. 

On est des sentimentaux, nous sommes capables de trouver une solution entre nous» 

Reem : «L'Europe panique en se disant, si Assad chute, c'est le chaos. Mais non, nous sommes prêts à relever le défi avec toute l'opposition modérée, ceux qui n'ont pas de sang sur les mains et tous ces citoyens de la société civile. Nous n'avons pas besoin de chef de l'opposition, c'est le peuple syrien qui les désignera.» ! 

« A Genève, il faut commencer par un bon geste de paix » 

Reem : «Le comité qui représente l'opposition n'a pas demandé le départ d'Assad mais simplement le respect des conditions humaines pour commencer à négocier. Un vrai cessez-le-feu (il fonctionne partiellement), la libération des prisonniers (ils sont toujours emprisonnés), la fin des sièges des villes affamées (elles sont toujours assiégées). La communauté internationale est incapable de faire respecter ces trois conditions ! A Genève, il faut commencer par un bon geste de paix !»

Comprendre le conflit
en Syrie en cartes


Les principaux lieux des manifestations en mars 2011



Cinq ans de guerre



Palmyre : les dessous
de la reconquête


Dimanche dernier, l'armée syrienne appuyée par son allié russe, a infligé une défaite au groupe État islamique en lui reprenant la ville de Palmyre, qu’il avait conquise en mai 2015, y détruisant des monuments uniques au monde. 

Cette « libération » de la cité antique a été qualifiée d’ « important exploit » par Bachar Al Assad qui se pose depuis en héros, notamment aux yeux des chancelleries occidentales. Pour les deux journalistes que La Dépêche a reçus hier, l’événement de dimanche ne reflète, selon eux, qu’une vision partielle voire partiale de l’histoire de Palmyre. « En mai 2015, il y a clairement eu un accord entre le régime et Daech. Un officier de Bachar a négocié le départ des troupes en contrepartie du bombardement de la prison de Palmyre de façon à ce que toute la documentation – c’est-à-dire les preuves des exactions commises dans cette prison très répressive – soit détruite. 

Les jihadistes ont également pu récupérer les armes de l’armée régulière qui étaient stockées à Palmyre. C’était le second stock d’armes en importance », assure Louai Abo Aljoud. Les exactions commises dans cette prison sont d’ailleurs racontées dans le livre « La coquille » de Moustafa Khalifé. Second point d’étonnement du journaliste, l’inaction de la coalition internationale. 

« Palmyre est une ville isolée, entourée de désert à 200 kilomètres à la ronde. Que ce soit lors de la prise de la ville par Daech ou de son abandon, comment imaginer que par satellite la coalition n’ait rien pu faire pour stopper les jihadistes de Daech ? Comment se fait-il que le régime n’ait rien vu ? », s’interroge-t-il. « Il y avait 280 voitures qui avançaient vers Palmyre. On a laissé faire… », estime Louai Abo Aljoud, qui doute que la reprise de Palmyre soit le fait d’une véritable bataille victorieuse du régime.

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"Syrie : de l'enfer à l'espoir". Long format réalisé par la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes : Daniel Hourquebie et Philippe Rioux. Photos des journalistes : Serge Bardy. Photos : AFP, DR. Vidéo La Dépêche : Ava Mergy. Mise en page : Philippe Rioux