Une année de faits divers

Ces affaires qui ont marqué la région en 2016



                                   Un long format de la rédaction de 

De l'affaire aussi macabre qu'hallucinante de la dépeceuse du Canal du Midi à la mort d'un gendarme ariégeois volontairement fauché par un chauffard sans permis, en passant par l'attentat terroriste déjoué à Carcassonne, le décès tragique d'une maman et de son bébé à la maternité de Decazeville, le meurtre de la boulangère de Carmaux ou celui d'un jeune Gersois de 23 ans battu à mort à la sortie d'une discothèque de Tarbes, la rédaction de La Dépêche du Midi revient sur ces faits divers qui ont tristement émaillé l'actualité de la région en cette année 2016.

Textes : Laurent Gauthey, Frédéric Abela, Claire Lagadic, Béatrice Dillies, Bernard-Hughes Saint-Paul, Stéphane Bersauter, Hervé Boucleinville, Josiane Battoue, Laurent Benayoun, Claire Raynaud, Sébastien Marcelle

Réalisation : Claire Raynaud

Ariège

Le major de gendarmerie Christian Rusig tué par un chauffard au lourd passé judiciaire 

Photo DDM Thierry Bordas
Par Laurent Gauthey

Le drame s'est noué dans la soirée du 26 novembre, sur un petit chemin entre Tarascon-sur-Ariège et Ussat-les-Bains. Le major Christian Rusig, 55 ans, en patrouille avec le gendarme Guy Garros, intervient sur un feu de voiture, au rond-point sud de Tarascon, sur la RN 20. Au volant de la voiture de Cindy, sa compagne, Loïc Gekière, 31 ans, un homme au lourd passé judiciaire, interdit de séjour en Ariège depuis 2014. Il fait demi-tour à la vue des gendarmes et prend la fuite, quittant la RN 20. La course-poursuite s'engage. 

L'alerte est donnée. Une autre patrouille de gendarmerie a été dépêchée sur place pour tenter d'interpeller le véhicule. C'est au niveau de la centrale électrique que le fuyard fait demi-tour. La première patrouille a positionné son véhicule en travers du chemin pour arrêter la voiture en fuite. C'est alors que l'automobiliste redémarre et fonce sur le major Christian Rusig, tentant de forcer le passage entre le véhicule de patrouille et un mur de clôture. 

Le major Rusig est happé par la voiture du fuyard et traîné sur plusieurs mètres. Son équipier, plein de sang froid, dégaine son arme de service et parvient à interpeller Loïc Gekière et sa compagne. Les secours arrivent. Très grièvement blessé, le major Rusig est évacué sur l'hôpital toulousain de Purpan à bord de l'hélicoptère de la gendarmerie. Il décède malheureusement des suites de ses blessures vers 5 heures, le dimanche matin.
Le conducteur est placé en garde à vue à la brigade de recherche de Pamiers ainsi que sa compagne. "C'est le début de l'enquête. Nous étudions toutes les possibilités. Mais l'hypothèse privilégiée n'est pas celle de l'accident", reconnaît alors Mme Bergereau, substitut du procureur de Foix, précisant que, dans la matinée, "les raisons de son geste restent inconnues". 

François Hollande dénonce "un acte inqualifiable" 

Les réactions au décès du major Rusig se multiplient. La nouvelle de ce tragique faits divers marque tous les esprits. Vers 15h30 le dimanche, le président de la République, François Hollande, condamne un acte inqualifiable."Le conducteur du véhicule devra répondre devant la justice de cet acte inqualifiable. Ce drame confirme les risques que prennent chaque jour les gendarmes et les policiers pour protéger les Français", souligne le président.
Plus tôt dans la matinée, Bernard Cazeneuve, qui est encore ministre de l'Intérieur, a exprimé "ses plus sincères condoléances, sa sympathie et son entier soutien dans ces circonstances si douloureuses" à tout l'entourage du major Rusig. "Le conducteur du véhicule a été aussitôt interpellé et devra répondre de ses actes devant la justice, qui devra agiravec toute la fermeté nécessaire. Cet acte odieux rappelle que chaque jour, les gendarmes, comme les policiers, exposent leur vie pour protéger celle des autres. Ils méritent à cet égard le respect et la gratitude de tous nos concitoyens", poursuit le ministre. 

Mis en examen pour homicide volontaire aggravé 

Lundi, Loïc Gékière est présenté au juge d'instruction, au pôle de l'instruction de Toulouse, et mis en examen pour "homicide volontaire aggravé". Les circonstances du drame se précisent.
Pierre-Yves Couilleau, procureur de la République, revient sur l'effroyable drame : "le conducteur s'est retrouvé face à la voiture des gendarmes qui était positionnée à la perpendiculaire de la sienne, non loin de la RN20. Le conducteur a choisi alors de ne pas s'arrêter et de passer dans un espace réduit entre la voiture de gendarmerie et un bosquet. Un espace de 80 centimètres. Le major qui est descendu de la voiture porte une veste bleue avec des bandes réfléchissantes sur les bras. Le conducteur heurte le gendarme, roule sur son corps et le traîne sur quelques mètres… Il y a une volonté de ne pas s'arrêter. Intention précisée par sa compagne, passagère du véhicule», commente le chef du parquet.
Selon les éléments d'enquête recueillis par les gendarmes de la brigade de recherches de Pamiers puis de la section de recherches, l'acte est délibéré. Sa compagne, elle, est poursuivie pour "complicité de conduite sans permis" et pour défaut d'assurance. 

"Je vous avais prévenus" 

Début 2016, Loïc Gekiere, qui fait l'objet d'une interdiction de séjour en Ariège depuis 2014, a déjà été arrêté par les gendarmes, lors d'un contrôle routier et les a carrément menacés. «La prochaine fois, leur a-t-il lancé, ce sera vous ou moi…»
Le 26 novembre, à Ussat, le chauffard assène cette phrase glaçante quelques minutes après son interpellation : «Je vous avais prévenus».
Lors de ses auditions, Loïc Gekiere dit pourtant n'avoir rien vu. «Il conteste l'homicide volontaire et indique ne pas avoir ressenti la sensation du choc», note le procureur Couilleau. Ce qui, au regard des témoignages et des constatations, paraît peu crédible. «Il a choisi de ne pas s'arrêter et d'emprunter l'espace séparant le véhicule de gendarmerie d'un bosquet proche du chemin», reprend le procureur ajoutant que «cette volonté de ne pas s'arrêter, coûte que coûte» a été exprimée «à plusieurs reprises» par le suspect qui est placé en détention préventive, dans l'attente de son procès.
Sans emploi et vivant d'expédients, entre «alcool et stupéfiants», Loïc Gekiere s'est marginalisé très tôt. Il a déjà passé 12 ans en prison depuis l'âge de 18 ans. Il encourt cette fois-ci la réclusion criminelle à perpétuité. 

Un parcours marqué par les séjours en prison 

En tout début d'année, Loïc Gekiere, 31 ans, a marqué les esprits, lors d'une comparution devant le tribunal correctionnel, à Foix. «L'extraction s'était mal passée», se souvient un policier. Au point que le jeune homme a dû être écarté de la salle d'audience où il comparait, déjà, pour ne pas avoir respecté une interdiction de séjour en Ariège.
Plusieurs fois condamné, Loïc Gekiere a déjà fait plusieurs séjours en prison. Très nombreux, en fait : il a passé 12 ans derrière les barreaux depuis sa majorité. Mineur, il a été condamné pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans et placé en détention. Vol, violences en réunion : son casier judiciaire porte de nombreuses mentions. Une vingtaine au total. Sa dernière condamnation remonte au début de ce mois de novembre : six mois de prison avec sursis, assortis d'une nouvelle interdiction de séjour en Ariège. Mais pas de prison ferme : Loïc Gékière s'est en effet débrouillé pour produire des contrats de travail. Depuis trois mois, il s'est installé à Calmont, en Haute-Garonne. Avec Sandy, sa compagne, ils ont loué une petite maison, au centre du bourg. Le jeune homme s'est rapidement brouillé avec son voisinage pour des questions de tapage nocturne. Sans emploi, il s'est fait connaître très récemment des services sociaux de la commune. Il leur a demandé une aide d’urgence car il n'a pas payé le loyer de sa petite maison depuis deux mois. 

Une émotion qui étreint l'Ariège et toute la France 

Les rideaux de fer des magasins ont été baissés. Le 30 novembre au matin, la petite ville de Tarascon-sur-Ariège s'est figée l'espace de quelques heures. Sur l'ancienne place du marché, sous un ciel d'un bleu lumineux, niché dans son écrin de montagnes, la foule est silencieuse. Beaucoup d'uniformes : les gendarmes sont venus très nombreux. Ses collègues, ses amis, ses proches : tous sont assommés par le chagrin. On attend le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui vient présider une cérémonie militaire en hommage au major Christian Rusig. Âgé de 55 ans, père de deux enfants, c'était un militaire au parcours exemplaire, qui était à quelques mois d'une retraite dont il ne profitera malheureusement jamais...

Haute-Garonne

La démembreuse du Canal du Midi a massacré sa collègue de travail

Des agents de la PJ, sur les lieux de la découverte d'un des membres de la victime, à Toulouse./ Photo DDM  Thierry Bordas
Par Fréderic Abela et Claire Lagadic

Le 12 mai dernier, une dispute éclate entre deux femmes, deux collègues de travail, employées à l'Agefiph Toulouse, une association pour personnes handicapées. Maryline Planche, 52 ans, tombe sous les coups de sa collègue, Sophie Masala, 51 ans, qui décide de découper le corps de sa victime avant de disséminer les membres dans le Canal du Midi. C'est le début d'une affaire criminelle des plus macabres et des plus extraordinaires que la région ait connue. Sans doute un jour, elle rejoindra dans les livres les grandes affaires judiciaires de Toulouse, comme l'affaire Calas, la Tournerie des Drogueurs ou le crime du Cintra. Et pourtant, au départ, il ne s'agit que d'une altercation qui aurait pu se terminer par un pansement à l'hôpital et une explication devant un tribunal correctionnel. Voire un meurtre sans préméditation, tragique, mais comme il en existe hélas tous les ans. Ce qui est incroyable dans cette affaire, c'est bien ce qui s'est passé après le crime : cet horrible dépeçage. Au départ, une querelle professionnelle banale. On n'ose imagine une issue semblable pour toutes les fois où deux collègues se disputent, mais, entre Sophie Masala et Marilyne Planche, il s'agit d'une haine réciproque et bien enracinée. 


Embauchée au sein de l'association Agefiph (insertion des personnes handicapées) courant 2015, à Toulouse, Sophie Masala occupe le poste de conseillère en prestations, comme Maryline Planche dont l'expérience est bien plus grande dans cette structure. Une ancienneté qui lui confère aussi un statut de salariée «sérieuse et dévouée». C'est cette légitimité acquise au cours de sa longue carrière que semble lui contester, au fil des mois, sa collègue, Sophie Masala, arrivée de Montpellier pour un poste en CDI. 

Les différentes auditions et témoignages des proches et collègues de travail de ces deux femmes évoquent des relations conflictuelles entre les deux. Au sujet de Sophie Masala, certains collaborateurs dressent le portrait d'une femme «inquiétante et affabulatrice». «Elle s'est aperçue que sa collègue ramenait à son domicile des dossiers professionnels dont elle était censée s'occuper à l'agence», indique l'avocat de Sophie Masala, Me Dunac. C'est cette gestion de ces dossiers qui aurait été mal vécue par cette dernière et qui serait au cœur du conflit. La découverte de ces documents de travail, au domicile de Maryline Planche, constitue le point de départ de la violente altercation et d'une longue descente aux enfers. L'enquête menée par les policiers du SRPJ de Toulouse va en effet mettre en évidence un conflit ouvert pour des motifs professionnels.

Le jeudi 12 mai, Sophie Masala veut avoir une explication avec sa collègue Maryline Planche, chez qui elle se rend, quartier Saint-Georges à Toulouse. Lors de cette visite, une dispute éclate au sujet de ces fameux dossiers devant des témoins qui décrivent une scène violente où Maryline Planche aurait été rattrapée par les cheveux alors qu'elle tentait de fuir. Sophie Masala se saisit d'une bouteille de vin et assène un violent coup sur la tête de la victime qui s'effondre au sol, puis elle la frappe à coups de pied au flanc et la laisse agoniser jusqu'à la mort. Elle revient quelques heures plus tard dans l'appartement de la victime pour tenter de dissimuler son crime et laisser croire à un suicide en cisaillant un bras de la défunte.

Après avoir tenté de maquiller le meurtre, Sophie quitte l'appartement de Marilyne, dans le quartier Saint-Georges et rentre chez elle à Montpellier, où elle rejoint son concubin et ses deux enfants pour le week-end de Pentecôte. Quatre jours passent ensuite dont on imagine qu'ils vont laisser maturer une terrible détermination. À son retour, elle s'enfonce dans l'horreur, achète une scie à métaux et le 16 mai, elle retourne chez sa victime pour y procéder à une écœurante besogne : le découpage. Puis la répartition des restes dans des sacs plastiques. On connaît la suite...

La jambe gauche qui surnage dès le 24 mai vers Rangueil... Le bras gauche au même endroit le lendemain... Et le surlendemain, on repêche d'abord l'autre bras dans un bateau nettoyeur, puis le tronc dans une malle, et enfin la jambe droite toujours dans un sac plastique. 

Ce n'est que deux jours plus tard que la tête sera découverte, après les aveux de la meurtrière. Elle l'a enterrée sous une haie, à quelques mètres du balcon de son appartement. Comme s'il s'agissait d'une sorte de trophée...



15 jours d'escalade dans l'horreur


12 mai 2016 > Dispute. Violente dispute dans l'appartement de Marilyne Planche, rue Fonvielle, quartier Saint-Georges, à Toulouse. Elle est frappée à coups de bouteille de vin. Vol de son téléphone portable et de sa carte bancaire. 

17 mai > Corps découpé. Sophie Masala revient dans l'appartement de la victime et découpe son corps avec une scie à métaux achetée à Auchan-Gramont.
17 au 18 mai > Membres disséminés. Elle dissémine les membres dans le Canal du Midi.

22 mai > Disparition. Signalement de la disparition de Marilyne Planche par sa sœur. 

24 mai > Jambe gauche. Un promeneur aperçoit une jambe gauche de femme dans un sac plastique dans le canal du Midi à Toulouse, à hauteur de la passerelle du Bâtonnier Albert-Viala. 

25 et 26 mai > Bras, tronc et jambe. Le bras gauche apparaît le 25 dans le canal, le bras droit le lendemain, de même que le tronc de la victime emballé dans une valise noire aperçue par un SDF, boulevard Riquet, et la seconde jambe, dans un sac, boulevard de la Gare. 




26 mai > Interpellation. Sophie Masala, de retour de Paris pour un déplacement professionnel, est interpellée à sa descente d'avion à Montpellier et fait de premiers aveux en garde à vue. 

28 mai > La tête coupée. Après les aveux de Sophie Masala, la tête de la victime est retrouvée : elle était enterrée près du balcon de l'appartement de Sophie Masala, sous des buissons, résidence Le Lys, rue d'Assalit, à Toulouse.

Une meurtrière à la personnalité très trouble


«Je tombe des nues, je suis sous le choc, j'en ai encore des frissons... C'est quelqu'un de plutôt discret, une mère de famille normale avec qui on parlait mais elle était réservée», témoigne une ancienne partenaire de fitness et de musculation, sports qu'affectionne Sophie Masala, décrite comme grande, un brin costaud et à la chevelure aux reflets roux.

Cette apparence d'une quinquagénaire "normale" revient dans toutes les bouches de ceux qui l'ont côtoyée, dans l'Hérault ou la Haute-Garonne. Mais peu connaissent son attrait pour l'argent, que certains superposent à une attirance supposée pour les machines à sous. Jusqu'à franchir la ligne de la légalité.

Sophie Masala a été prise la main dans le pot de confiture en 2010. Elle travaille alors depuis des années au service administratif de la faculté de médecine de Montpellier. Et détourne des chèques d'inscription pour plusieurs milliers d'euros, ce qui lui vaut des poursuites judiciaires pour vol alors que deux procédures pour abus de confiance ont été dressées à son encontre cette même année.

«Elle travaillait dans un bureau, sur le plan professionnel et relationnel il n'y avait rien à redire à part ces faits», indique le doyen de la faculté. Elle est licenciée sur le champ. Certains parlent d'une somme de 40 000 € qui auraient été dilapidée dans des parties de jeux en ligne. La mère de famille enchaîne avec une formation et rebondit à l'Agefiph. Au même moment, elle s'installe avec sa famille à moins de dix minutes à pied de son travail, dans une résidence privée du quartier Richter, à Montpellier. 

Depuis les aveux de Sophie Masala, son compagnon, fan de ballon ovale, travaillant dans la sécurité en milieu étudiant où il est décrit comme «fiable et apprécié», préfère garder le silence, tête basse et digne lorsqu'il part au travail. Selon les enquêteurs, il a été «assommé», par les révélations. Les voisins sont également sous le choc, incrédules et effarés. «Ce ne sont pas des gens qui parlent facilement, presque un peu sauvages, témoigne l'un d'eux. C'est incroyable, je n'en reviens pas... Notre voisine... On ne voit ça qu'à la télé». Un autre décrit une personne chatouilleuse sur le bruit, capable de donner des coups de balai au plafond à cause de la musique et lancer des remarques acides sur les poils de chien et de chat qui traînent dans les escaliers.

Bref, du classique. Un dernier évoque «des voisins sans histoire» mais aussi une brouille, liée à l'argent, encore. C'était avec une autre locataire, partie depuis, très liée à Sophie Masala et puis fâchée du jour au lendemain : à cause d'un vol d'argent dans son appartement laissé ouvert et qu'elle lui imputait mais sans qu'il n'y ait de suites judiciaires. 

Lorsqu'elle décroche son poste en septembre 2015 à l'Agefiph, Sophie Masala       s'installe dans le quartier Guilhemery, à Toulouse, en début d'année. Elle y loue un studio en rez-de-chaussée et repart tous les week-end à Montpellier, pour retrouver son conjoint et ses enfants. «Je la croisais de temps en temps. Un matin, elle était en train de relever les numéros de son compteur d'électricité. Elle m'a dit, n'ayez pas peur, je suis votre voisine. Une femme plutôt élégante et avenante», se souvient Suzanne, une retraitée qui vit dans cette résidence à Toulouse.


Le destin tragique de Marilyne, la salariée modèle

Trois roses blanches pour Maryline... Le bouquet est accroché sur la porte de son appartement, au premier étage d'un immeuble chic du quartier Saint-Georges, au cœur de Toulouse. Pas de mots. Juste des fleurs, sous le scellé judiciaire, pour garder le souvenir d'une femme «agréable, discrète et sérieuse», comme aiment à la décrire, dans la douleur et la peine, ses plus proches voisins, littéralement atterrés par sa brutale disparition. 

Marilyne Planche, 52 ans, avait l'habitude de quitter son domicile tous les matins, très tôt pour se rendre à son travail, boulevard de la Gare, à Toulouse, au sein de l'association Agefiph. Là, elle œuvrait avec passion et dévouement en faveur de l'accès à l'emploi des personnes handicapées en tant que conseillère en prestations. «Une femme sans problème, une collaboratrice de qualité qui travaillait avec constance et sérieux depuis plus de 20 ans dans les bureaux de la délégation toulousaine», précise Didier Marcyan, directeur des ressources humaines de l'Agefiph, à Bagneux, en banlieue parisienne. 

Dans les couloirs feutrés de cet immeuble chic, une jeune femme passe devant le bouquet de fleurs, le ventre noué. «J'étais sa voisine. Nous avions des rapports cordiaux et agréables. Je suis profondément choquée. Le soir du crime, je suis rentrée tard chez moi. Je n'ai donc rien entendu, mais lorsque j'ai appris tout ce qui s'était passé, je n'en ai plus dormi... J'avais l'intention de déménager il y a quelque temps déjà. Mais là, j'ai accéléré les démarches et j'ai déposé mon préavis. C'est trop difficile. Vous savez, ici les gens ont besoin de parler... Il n'y a pas de cellule psychologique pour les prendre en charge.» 

Puis la jeune femme dont le visage est à peine éclairé par les lumières tamisées du couloir aperçoit une jeune résidente qui traîne une valise à roulettes. «Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas. Il s'est passé beaucoup de choses durant votre absence...» Inquiète, la jeune fille s'approche du bouquet de fleurs. Son visage se fige. «Je suis partie le 12 mai en voyage et je reviens à peine aujourd'hui. C'était ma voisine ! » 

Choquées, ces deux femmes rejoignent leur domicile. Leurs pas étouffés par le long tapis sombre et leur gorge retenant un cri de rage. Elles n'en diront pas plus. Propriétaire de son appartement, Marilyne vivait seule. Elle y avait ses habitudes et avait pris ses repères depuis longtemps. «Je la croisais souvent le matin. On se disait bonjour et elle se montrait très attentive. Elle était souvent seule et discrète», se souvient le concierge de l'immeuble. Une propriétaire normale. Une salariée modèle. Une voisine bienveillante et agréable et qui a connu le 12 mai une fin tragique. 

Quelle qualification pénale pour un tel acte ? 

Que risque pénalement Sophie Masala pour ce crime très particulier ? Le fait de découper un cadavre n'est pas en soi un crime. La loi parle bien d'acte de torture et de barbarie, mais lorsque ces faits ont été commis alors que la victime était vivante. Il en va de même avec les mutilations. Lorsque les actes de barbarie ou de mutilation ont entraîné la mort, même sans intention de la donner, la peine maximale est la réclusion à perpétuité.
Ce qui est reproché à Sophie Masala, c'est «la modification de l'état des lieux d'un crime», qui se rattache à la notion plus générale de dissimulation de preuves. C'est l'article 434-4 du code pénal, dans son alinéa premier : la dissimulation de preuves est «le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité, de modifier l'état des lieux d'un crime ou d'un délit soit par l'altération, la falsification ou l'effacement des traces ou indices, soit par l'apport, le déplacement ou la suppression d'objets quelconques.»
Là, c'est le fait d'avoir dissimulé le corps, d'avoir cherché volontairement à brouiller les pistes qui va être reprochée à Sophie, non pas le fait d'avoir «profané» le corps. Pour l'instant, l'autre qualification retenue est le «meurtre», c'est-à-dire sans préméditation. La peine maximale est de 30 ans de réclusion. Le fait que la mort ait été donnée avec une bouteille de vin, vraisemblablement trouvée sur place, semble démontrer qu'il n'y avait pas de préméditation. Le «découpage» par lui-même n'est pas prévu par le code pénal. En revanche, il ne manquera pas de faire forte impression sur un jury populaire, devant une cour d'assises…

Aude 

Un attentat terroriste déjoué
à Carcassonne

Photo DDM, Thierry Pons
Par Fréderic Abela

Lundi 13 juin...Un Tarnais de 22 ans, proche du Front al-Nosra, un groupe affilié à al-Qaïda, est arrêté à Carcassonne, alors qu'il semble préparer un attentat terroriste contre des touristes et les forces de l'ordre. Les policiers de la sécurité intérieure (DGSI) ont sans doute évité une nouvelle attaque terroriste sur le territoire national. Car c'est un scénario quasi identique au double assassinat d'un couple de policiers à Magnanville, en région parisienne, qui est visiblement sur le point de se produire à Carcassonne où des touristes américains et anglais sont visés. 

C'est vers 21 heures, ce 13 juin, qu'un homme de 22 ans, récemment radicalisé et surveillé par les enquêteurs toulousains en raison d'une fiche S pour son appartenance à l'islam radical, est interpellé en gare de Carcassonne. Le même jour que l'horrible attentat perpétré contre le couple de policiers à Magnanville. Arrêté par les enquêteurs du renseignement intérieur de Paris et Marseille, ce suspect au profil très inquiétant est en possession d'un marteau et d'un couteau de poche type Opinel. Il est placé en garde à vue dans les locaux de la police toulousaine. 


Une enquête est ouverte le même jour par le parquet antiterroriste de Paris pour «association de malfaiteurs en vue de la préparation d'acte terroriste.» L'état mental du suspect laisse entrevoir la présence de troubles psychologiques. Mais selon les conclusions d'une première expertise psychiatrique, il est accessible à une sanction pénale. Quelques heures après son arrestation, il est transféré à Paris, devant un juge antiterroriste.
Originaire de Lunel (Hérault) et domicilié à Lisle- sur-Tarn (81), où il est assigné à résidence, le suspect, converti à la religion musulmane et très vite radicalisé en 2014, via internet et les forums de discussion, «voulait mourir en martyr», indique son avocat toulousain, Me Jocelyn Momasso Momasso. 

Les enquêteurs retrouvent effectivement à son domicile un fusil et une machette. Selon des sources proches de l'enquête, le suspect aurait reconnu durant sa garde à vue des projets d'attaque sur des touristes étrangers, en réponse aux frappes américaines sur la Syrie, mais il aurait également évoqué son intention de vouloir frapper des policiers et des militaires après être entré en relation avec un émir. 

Un projet terroriste fomenté depuis son écran, comme des dizaines de radicalisés isolés et «jihadiste du clavier», agissant pour le compte des réseaux criminels basés en Syrie et appartenant à la caste de ces terroristes «low cost», candidats au sacrifice final. Depuis les appels lancés par leurs chefs religieux incitant leurs nervis à «frapper policiers et militaires durant la période du ramadan», ces radicalisés de l'ombre sont prêts à tout.
L'homme se revendique proche du Front al-Nosra, un groupuscule affilié à al-Qaïda.  «Cette arrestation démontre l'efficacité des services du renseignement et leur détermination à mettre à mal tous les réseaux terroristes sur le territoire national», commente Christophe Miette, du syndicat des cadres de la sécurité intérieure. 



UN apprenti jihadiste décrit comme gentil... mais parano

Véronique est tombée des nues lorsqu'elle a appris que Jossuam projetait de commettre un attentat contre des touristes étrangers à Carcassonne. Elle connaissait la conversion de ce jeune à l'islam. Il ne s'en cachait pas. Mais à Lisle-sur-Tarn, où il était assigné à résidence depuis deux ans, il parlait rarement de religion… sauf cette fois où elle avait abordé avec lui la question du voile. «Il m'a dit : stop on arrête, ou je vais me mettre en colère. J'ai dit OK. La discussion s'est arrêtée là.» Pour le reste, tous les deux parlaient assez librement, car il se sentait en sécurité avec celle que beaucoup au village appellent «la mama Corse».

La pause cigarette était l'occasion de discuter sur le trottoir, à chaque fois que ce grand fan du «Barça» lâchait sa playstation pour sortir de son T2. Véronique voyait en lui «un écorché vif, perdu, en panne de repères». Elle n'hésitait pas à le sermonner gentiment lorsqu'il prenait mal ce qu'il interprétait comme des «mauvais regards». «Il se sentait agressé. Je lui disais, tu t'en fiches. Je le rassurais je pense. Il faut dire que je vais avoir 50 ans. Je suis une maman. Il le sentait. Il était assez agréable avec moi.»

Pour autant, son allure en inquiétait parfois certains. L'automne dernier, après les attentats à Paris, une cliente de la boulangerie où il prenait son café avait pris peur en le voyant, le visage caché par un tissu qui lui recouvrait une bonne partie du visage. Il s'était précipité à sa suite pour lui dire, «n'ayez pas peur madame. Ce n'est pas parce que je suis comme ça que je suis un terroriste» ! Espéranza, au comptoir, ne travaillait pas encore à la boulangerie à cette époque. Mais elle confirme qu'il venait régulièrement prendre son café «chez Gaby». Elle décrit un homme «gentil, poli, qui ne causait pas de problème».
Même tonalité à la supérette du coin. «Il disait bonjour à chaque fois qu'il venait acheter quelque chose. Avec moi, il était toujours très poli», confie Monique, la caissière. Au fond du magasin, le boucher acquiesce.
«Bah, il était fou», tranche un voisin de Jossuam, qui préférait se faire appeler Youcef depuis sa conversion. Pour ce jeune d'origine marocaine, celui que les médias présentent comme un terroriste était surtout «parano et schizophrène». «Il était malade mentalement, voilà la vérité. On a tout essayé pour l'aider mais rien n'y a fait. De toute façon, dès qu'il sortait de chez lui, il était parano. Il croyait que tout le monde le regardait de travers. Ils le savent, les policiers, qu'il était fou.»
Plus précisément, les gendarmes, chez qui il devait pointer trois fois par jour. Les rares fois où il rentrait en retard, il éteignait son portable. Une fois, il avait confié que c'était «pour éviter d'être tracé par les gendarmes», qu'il accusait de lui chercher des «poux» pour rien. La preuve, disait-il, «les bleus» n'avaient jamais rien trouvé à son domicile… jusqu'à la dernière perquisition, le mardi 14 juin, au lendemain de son arrestation dans l'Aude, où un fusil, une machette et des téléphones portables ont été retrouvés chez lui.
C'est là que ça ne colle pas pour certains voisins ! Jossuam avait quitté Lisle-sur-Tarn il y a plus de deux mois. Pourquoi aurait-il laissé ce matériel dans le Tarn s'il projetait de commettre un attentat à Carcassonne, comme il s'en est vanté auprès des enquêteurs après son arrestation, lundi soir ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans le profil «psychiatrique» du suspect. Mais pour Maryline Lherm, maire de Lisle-sur-Tarn, le mal est fait. «Ce genre d'histoire est anxiogène pour les habitants. Nous sommes une petite commune de 4 500 habitants où il fait bon vivre. Une telle interpellation provoque de l'inquiétude.»

«Un jeune homme désœuvré»

Le témoignage de Maître Jocelyn Momasso Momasso, l'avocat toulousain du jeune converti.

Comment pouvez-vous décrire votre client ? 
Lors des multiples auditions du gardé à vue, j'ai rencontré un homme déterminé qui a manifesté une réelle volonté de s'expliquer à la fois sur son parcours qui l'a conduit à se radicaliser en 2014 et sur les faits eux-mêmes. Il est sûr que sans vouloir dévoiler le secret de l'enquête, c'est un jeune homme désœuvré sur plusieurs plans (familial, social, professionnel), qui a trouvé via les réseaux sociaux une sorte de famille.
Que sait-on de ses motivations ?
En accomplissant les actes pour lesquels il a été interpellé, il a la sensation de venger les souffrances de ses frères continuellement bombardés en Irak et en Syrie par la coalition internationale et plus précisément par les Russes et les Américains. Même si le modus operandi peut rappeler le drame de Magnanville, le gardé à vue avait plutôt des revendications liées à la politique internationale ainsi qu'aux conflits syrien et irakien.
Il voulait partir en Syrie ?
À défaut de pouvoir se rendre en Syrie, faute de moyens financiers, pour combattre aux côtés de ses «frères» et mourir en martyr, il a décidé de poursuivre son combat sur le territoire national. La saisine du pôle antiterroriste de Paris permettra de connaître les tenants et aboutissants de cet embrigadement vers le terrorisme djihadiste d'un jeune français radicalisé depuis peu.

Tarn

Le meurtre de Maryline, la boulangère de Carmaux :
un acte  prémédité ?

Marie, la boulangère de Carmaux, avait 53 ans./ DR
Par Béatrice Dillies

Elle s'appelait Maryline Blondeau, mais tout le monde l’appelait Marie. Cette femme de 53 ans a été trouvée morte le 23 juillet 2016 derrière la boulangerie où elle travaillait, à Carmaux. Cinq mois après, la piste du crime passionnel s’éloigne, celle d’un assassinat prémédité par son ex-amant se précise. Le procès devrait avoir lieu fin 2018. Rappel des faits.

Samedi 23 juillet à Carmaux. Marie s'apprête à faire sa tournée. Employée depuis 17 ans par « Le Fournil du Ségala », elle connaît ses 120 clients du jour par cœur. Est-ce à eux qu’elle pense au moment de se diriger vers le hangar ? À celui qui lui fait peur, depuis trop de mois ? La veille, elle a mis de l’ordre chez elle, bougé tous les meubles et pris des photos qu’elle a promis de montrer à une amie le samedi soir, enfin libérée de son amant. Du moins, c’est ce qu’elle croit.

Samedi matin à 8 h 30, Marie est retrouvée morte derrière la boulangerie. Son corps est transpercé par plusieurs coups de couteau. Très vite, les enquêteurs acquièrent la conviction que la victime connait son agresseur. En dehors des plaies mortelles au thorax, l’autopsie ne révèle en effet aucune trace de lutte. Le principal suspect n’est autre que son ancien « compagnon », un homme de 51 ans qui s’est installé chez elle début octobre 2015, au lendemain même du départ de son mari. Il s’agit d’une vieille connaissance qu'elle a retrouvée par hasard, à l’occasion de travaux de peinture effectués chez elle. Sa vie de couple est alors faite de hauts et de bas. Décrit comme un homme intelligent et rusé, le peintre aurait creusé les failles et obtenu ce qu’il voulait : le départ de l'époux. 


Pour Marie, la « lune de miel » est de courte durée. Quelques semaines après vient la première claque. Une amie ignore l'ampleur du problème, jusqu’au 25 décembre. Pour Noël, elle a invité sa sœur, un autre employé de la boulangerie, Marie et son « compagnon ». À table, ce dernier aurait jeté un froid en déclarant selon les témoins : « Si elle me quitte, je fous le feu à la baraque et je la flingue. » A-t-il mis ses menaces à exécution ? Toujours est-il qu’une semaine avant sa disparition, Marie doit faire face à un début d’incendie à son domicile. Un avertissement, deux semaines après avoir enfin eu le courage de rompre ? Ou une pure coïncidence ? L’amie ne croit pas au hasard et se terre elle aussi. Car, selon Marie, celui qui va vite être désigné comme le suspect numéro un par les enquêteurs du SRPJ de Toulouse aurait « mis un contrat » sur la tête de cette amie et sur celle de l'ex-époux, qu'il accuse tous les deux de l’avoir éloignée de lui. 

Marie répète à l’envi que « se mettre avec ce mec est la pire des conneries » qu’elle ait jamais faite. Elle rêve de renouer avec le père de ses enfants. Selon l’amie, «la troisième raclée » est le déclic qui lui donne le courage de mettre son amant dehors. Une décision insupportable pour le suspect... qui, lors de sa deuxième garde-à-vue, va reconnaître être l'auteur des coups de couteau. 

L'ex-compagnon violent est finalement mis en examen pour homicide volontaire avec préméditation et incarcéré le 29 août 2016. Les deux enfants de Marie et leur père se constituent partie civile. Ils sont aujourd’hui représentés par Me Hervé Fournier, un ancien bâtonnier. Pour lui, « tout l’enjeu du procès, qui devrait se tenir fin 2018, début 2019, va être de faire reconnaître la préméditation pour que la peine de l’accusé soit la plus lourde possible ». Sans nier les faits qui sont              « moches », Me Sebastien Delorge, l'avocat de la défense, attend de la mesure :      « Qu’il s’agisse d’un amour pathologique est évident et ces deux termes devront être pris en compte. »


Souvenirs sur la tournée de la boulangère : «Marie était notre rayon de soleil»

Des larmes, il y en a eu, oui, un peu. L'assassinat de Maryline a été un sacré choc pour les 100 à 120 clients qu’elle servait tous les jours le long de sa boucle matinale de 90 km dans le Carmausin. Mais très vite, les rires sont venus au secours d’un passé encore vivant dans les cœurs. Il faut dire que Marie - puisque c’est comme ça que tous l’appelaient - avait une personnalité attachante.

Corinne Fabre, sa patronne, avait prévenu : « Elle ne montrait pas quand ça n’allait pas. Elle avait toujours le sourire. Elle s’entendait bien avec tout le monde.» Et Christelle, la collègue qui la remplaçait de temps en temps, n’a pas mis longtemps à le découvrir. Il lui a suffi pour cela de reprendre la route qu’elle n’avait plus suivie depuis les faits. Trop dur. Mais, une fois la première porte ouverte, son sourire est entré en résonance avec celui de ses anciens clients, tout heureux d’évoquer grâce à elle la mémoire de celle qu’ils n’ont pas oubliée.

Michel Bardy entendait Marie klaxonner vers 8 h 45, en général. « C’était ma copine. Dès qu’on se voyait, on parlait de marche à pied et de vélo », se souvient le retraité âgé de 73 ans. « C’était une passion pour elle. Elle faisait des randos un peu partout, mais surtout du côté de Gaillac. Elle en profitait pour faire la tournée des caves ; c’était une bonne vivante. Ah, Marie ! C’était le rayon de soleil du quartier Bellevue quand elle arrivait place Robert-Azéma. »

À trois parallèles de là, à la lisière de Blaye, Valérie Morais voyait Marie débouler vers 9 h 15. Et elle n’était pas la seule à l’attendre. Gaya, son malinois, dressait l’oreille au premier coup de klaxon. C’était le signe qu’il allait avoir sa gourmandise de la matinée : un demi-croissant. « L’autre moitié était pour Jack, mon berger allemand, rigole Julie Estèbe, la belle-fille de Valérie, qui habite rue Guy-Mollet, « la rue en dessous » précise-t-elle.

« Ah ça, qu’est-ce qu’elle aimait les chiens, on parlait souvent de son dogue argentin », reprend belle-maman. « Et de tatouage aussi. Elle savait que j’en avais un, poursuit Julie. Sur les derniers temps, elle m’avait dit qu’elle voulait se faire tatouer le prénom de ses enfants. Mais elle n’osait pas trop. » Silence. Puis, sur un ton plus grave. « C’était une femme admirable. »

Et rieuse ! Solange Tequi, 88 ans en janvier, se souvient des éclats de rire quasi systématiques à chaque fois que Marie lui tendait son épi. « On rigolait sur les cornes. » Un rire discret… mais un peu plus sonore quand elle passait chez Rocco Perugia, un de ses chouchous, vers 11 h 30. Là, le vendredi, sentant le week-end arriver, il n’était pas rare que Marie fasse une pause un peu plus longue que d’habitude. Le temps de prendre un verre avec l’ancien mineur âgé de 92 ans et d’échanger quelques mots. « Souvent, elle repartait avec des pâtes que j’avais préparées pour elle, avec du parmesan ou à l’arrabiata. Elle était gentille pour Rocco », confie le vieil homme qui n’a pas perdu son accent italien.

Et puis, il y avait les après-midi chez M. L.  !  Ah, les après-midi chez M. L. ! Il a suffi d’une envie pressante, sur la tournée, pour qu’elle passe du pas de la porte aux toilettes. Depuis, elles ne se sont plus quittées. « On était devenues comme des sœurs. Je lui apprenais à aller sur Facebook. Je me souviens d’une après-midi entière à faire des pauses photos. On était comme des gamines ! Je lui ai appris à envoyer des mails aussi. Et elle m’avait demandé de lui apprendre l’anglais. Qu’est-ce qu'on a passé comme après-midi, ici ! Elle s’installait. Elle buvait sa bière, les pieds sur la table… Elle était complètement atypique à Carmaux. Pour moi qui viens de Paris, c’était inévitable qu’on s’entende. C’est devenu une amie. Plus que ça, oui, une sœur. Je me souviens, quand il faisait beau, on se mettait toutes les deux dans le jardin. Elle amenait une bouteille de champagne. On se racontait des trucs. Les gens nous entendaient rire à côté ! C’était fusionnel, oh oui… et je n’y crois toujours pas. »

Aujourd’hui, M. L. n’arrive plus à imaginer son amie en train de franchir la porte d’entrée. Elle n’arrive plus à la voir vivante. « Quand je me couche, je la vois toujours allongée, morte. » Sa voix s’étrangle. C’est fou ce que ça peut faire mal, parfois, un coucher de soleil...

Aveyron

Elodie et son bébé décèdent pendant l'accouchement à la maternité de Decazeville

Elodie Assié avait 36 ans. Elle était déjà maman de deux enfants. / Photo DR.
Par Bernard-Hughes Saint-Paul

C'est un drame de nos jours rarissime en France : le décès d'un maman et de son bébé au cours de l'accouchement.
Ce traumatisme, tant pour les proches des victimes que pour les professionnels de santé, s'est produit le 6 octobre dernier à la maternité de l'hôpital de Decazeville, avec les décès d'Elodie Assié et de son bébé Gabin.
Firminoise de 35 ans, déjà maman de deux garçons nés d'un précédent couple, Elodie Assié est une femme solaire. Gérante d'un restaurant d'entreprise dans une société industrielle, elle est d'un naturel optimiste, tonique, invariablement de bonne humeur.
Le 5 octobre, elle est appelée à la maternité de Decazeville afin de suivre des examens. "Le terme était passé de deux jours. La maternité a appelé pour qu'Élodie vienne. Les examens ont montré que le bébé était assez haut. Une procédure a été mise en place pour déclencher l'accouchement. Puis les douleurs sont arrivées, de plus en plus fortes jusqu'à en être insoutenables. Le monitoring a montré qu'il y avait un problème pour le bébé, mais à la césarienne, le bébé était déjà décédé. L'état de santé d'Élodie s'est dégradé, on nous a dit en raison d'un problème de coagulation. L'hôpital a parlé un temps de l'amener à Rodez mais c'était trop tard. Elle s'est affaiblie et elle est morte vers 8 heures du matin», racontent sa maman et son frère.

Immédiatement, deux enquêtes sont ouvertes : l'une administrative par l'ARS (Agence régionale de santé) Occitanie qui diligente ses inspecteurs afin de vérifier le fonctionnement de la maternité et de notamment contrôler si le protocole de prise en charge a été respecté. Dans l'attente des résultats de son inspection, l'ARS, décide alors de suspendre pour trois mois les accouchements à la maternité de Decazeville; les patientes dont l'accouchement est programmé à Decazeville sont ainsi réorientées vers les établissements hospitaliers de Rodez, Villefranche-de-Rouergue et Aurillac. La maternité de Decazeville peut toutefois continuer à s'occuper de tout ce qui est prénatal, comme la préparation à l'accouchement, les consultations relatives à l'allaitement maternel, ou encore les échographies gynécologiques et obstétriques, et de tout ce qui est postnatal.

L'autre enquête est judiciaire afin de déterminer ou écarter d'éventuelles responsabilités pénales. La direction, l'équipe médicale, la famille et le compagnon d'Elodie sont auditionnés par la police pour recueillir tous les témoignages.

Quelques jours plus tard, le 12 octobre, les résultats des autopsies des victimes et la remise d'un rapport intermédiaire de l'ARS sont transmis au parquet de Rodez. "L'autopsie de la jeune femme et de l'enfant décédés (...) a permis d'établir le mécanisme des faits, liés à un hématome rétro placentaire, dont la cause première n'est pas identifiée à ce jour", indique le procureur Yves Delpérié. Un hématome rétro placentaire est un décollement prématuré du placenta, empêchant les échanges, notamment en oxygène, entre la maman et le bébé. Ces éléments incitent le parquet de Rodez à ouvrir une information judiciaire en recherche des causes de la mort.
Le 14 octobre, une foule immense assiste aux obsèques d'Elodie et de Gabin. Ils reposent désormais à Saint-Cyprien-sur-Dourdou, auprès du papa d'Elodie.

Au-delà du terrible drame humain qui a bouleversé l'Hexagone, ces décès à la maternité sont un coup de massue pour l'hôpital de Decazeville et la population du Bassin decazevillois. Car après des mois d'incertitude et de mobilisation des syndicats et de la population, l'ARS a enfin prolongé, le 28 mai dernier, l'autorisation de fonctionnement de la maternité pour cinq ans et annoncé qu'une visite de conformité était prévue dans six mois, afin de vérifier si le plan d'action était conforme aux préconisations suivantes : recrutement d'un pédiatre dans les 3 mois suivant la publication du poste ; réorganisation de la présence des praticiens en gynécologie-obstétrique ; mise en place de divers protocoles médicaux, concernant la prise en charge des parturientes ; l'aboutissement d'un projet médical partagé dans le cadre du groupement hospitalier de territoire (GHT). Au moment du drame, toutes les préconisations avaient été respectées, hormis le recrutement du pédiatre.



Le rapport définitif de l'ARS est remis, l'enquête judiciaire se poursuit

Le 7 décembre , l'Agence régionale de santé Occitanie a remis à la justice et au directeur de l'hôpital de Decazeville le rapport administratif interne définitif qui a décortiqué le fonctionnement de la maternité et passé au crible les actes effectués ou manquants le jour du double décès. Ce rapport n'a pas été rendu public. Seul le maire de Decazeville, également président du conseil de surveillance de l'hôpital, et le président de la commission médicale d'établissement, ont été informés de son contenu.

Le 15 décembre, la CSOS (commission spécialisée d'organisation des soins) de l'ARS (Agence Régionale de Santé) Occitanie s'est prononcée en faveur de l'arrêt de l'activité gynéco-obstétrique à la maternité de l'hôpital de Decazeville. Cet avis est consultatif et la décision finale incombera à la directrice de l’ARS mais le fil de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la maternité n’a jamais été aussi mince…

De son côté, l'enquête judiciaire se poursuit. Toutes les auditions ont été réalisées. Plusieurs mois seront sans doute encore nécessaires pour mettre en concordance le rapport définitif de l'ARS et les éléments recueillis durant l'enquête préliminaire et l'instruction, avant une décision du magistrat.

 Réouverture de la maternité : le nouveau combat du bassin de santé decazevillois

La décision par l'ARS de suspendre pour trois mois les accouchements à la maternité de Decazeville est vécue localement comme l'occasion rêvée pour l'ARS de fermer définitivement la maternité, qui n'allait pas atteindre cette année les 300 accouchements requis. "Si la maternité est fermée, les patientes sont-elles plus en sécurité ou moins en sécurité ? Moins en sécurité car elles sont confrontées à plus de risques sur la route pour rejoindre une maternité à plus de 45mn de route", martèlent les partisans d'une réouverture rapide de la maternité.
Car la suspension des accouchements a des effets pernicieux : quatre sage-femmes en CDD sur les sept du service gynécologie-obstétrique voient leur contrat s'arrêter d'ici fin janvier. Un des gynécologue a demandé sa mutation vers une autre ville.
Or, cette maternité de proximité montre toute son utilité : depuis le 6 octobre, trois bébés sont nés aux urgences de l'hôpital (deux le 17 novembre dont un prématuré de 1kg, accouché par une sage femme; le troisième le 9 décembre), et quatre parturientes ont été transportées en urgence par les sapeurs-pompiers à la maternité du centre hospitalier de Rodez.

Tout d'abord assommés par le drame du 6 octobre, les personnels du centre hospitalier ont réagi aux naissances aux urgences, en exigeant en assemblée générale le 17 novembre, la réouverture de la maternité. Le 22 novembre, le congrès départemental de l'UD CGT-Santé adoptait une motion en ce sens. Et réuni le 7 décembre, le collectif Tous Ensemble relance le combat du territoire de santé pour la réouverture et le maintien de la maternité de Decazeville.

Une délégation de la CGT Santé a déjà rencontré une première fois le préfet de l'Aveyron à propos des risques routiers pris par les parturientes. Une autre entrevue a eu lieu le 14 décembre en préfecture avec la CGT Santé dont des représentants de l'hôpital de Decazeville.
Par ailleurs, le collectif Tous Ensemble pour le Bassin decazevillois a programmé des réunions publiques (depuis le 16 décembre à 18 heures à la salle d'accueil d'Aubin) sur tout le territoire de santé, concernant les dangers d’une fermeture de la maternité. Tous Ensemble va par ailleurs demander à rencontrer la directrice de l’ARS ; va demander à être reçu au ministère de la Santé, et va organiser une première grande manifestation d’ici la fin du mois de décembre ou début janvier.

Lot-et-Garonne

Un conflit de voisinage se solde par une tentative de meurtre

Les lieux du drame./ Photo DDM Jean-Michel Mazet
Par Stéphane Bersauter

Un conflit de voisinage, larvé depuis de nombreuses années, a pris un caractère dramatique, à Nérac, lorsqu'un septuagénaire a tiré à coup de fusil sur son voisin avant de se rendre à la police, à Agen.

Vers 9 heures du matin, le 10 juin 2016, à Nérac, sur un chemin à Torrebren, des coups de feux retentissent.  Un septuagénaire vient de tirer avec une arme à feu sur le fils de son voisin, le blessant grièvement au niveau du visage et plus particulièrement à l'œil. D'un côté du fusil, Driss Boutamjine, 70 ans, l'auteur des coups de feu. De l'autre, Jean-Marc Bonnet, 58 ans, le fils de son voisin qui se trouve là parce qu'il doit assister à l'inhumation d'un membre de sa famille et qui en temps normal, vit dans les environs d'Arles, dans les Bouches du Rhône.

Le père de la victime appelle les secours. Son fils est touché à la tête. C'est une force de la nature, il ne s'écroule pas encore. Il fléchit, se relève avec l'oreille en sang. La médecine n'a pas encore dit qu'il a perdu un oeil, un diagnostic qui sera posé au CHU de Purpan à Toulouse, où Jean-Marc Bonnet a été évacué. Driss Boutamjine, le tireur présumé a pris la fuite à bord d'un véhicule de couleur blanche. Immédiatement, les forces de l'ordre mettent en place un plan Epervier. Peu après 10h30, Driss Boutamjine se présenté spontanément au commissariat d'Agen, en tenant son fusil à la main, dissimulé sous un vêtement. Dans la chambre de l'arme, deux cartouches percutées. Dix minutes après, il se confie à un policier. Il pense « avoir fait une connerie à Nérac. » Il commence à parler, dit avoir tiré un « coup de semonce » en l'air. Les policiers fouillent sa Peugeot 205, retrouvent un pistolet sous un siège. Chez lui, à l'issue d'une perquisition, des armes sont saisies : un fusil à pompe et une 22 Long Rifle. Il est transféré dans la journée dans les locaux de la gendarmerie de Nérac, où il est placé en garde à vue puis mis en examen pour tentative de meurtre, avant d'être écroué à Agen.

Le septuagénaire vit seul dans la maison de garde-barrière jouxtant la propriété du fils de la victime. Il y entrepose des voitures, parfois en mauvais état, qui sont le nœud de cette querelle de voisinage au long cours. Car ces véhicules empiètent sur les terres de la famille Bonnet. Le maire de Nérac, Nicolas Lacombe, a perçu «le caractère potentiellement dangereux de la situation ». Il y a six ans, une réunion a été organisée en mairie, en présence du sous-préfet et du capitaine de gendarmerie. «J'avais écrit par ailleurs au procureur de la République pour lui signaler l'aspect particulièrement conflictuel de ce conflit », souligne le premier magistrat. C'est bien ce vieux conflit de voisinage, né de la dispute autour d'une servitude, qui est à l'origine du drame : cette servitude c'est le chemin menant à la maison de Driss Boutamjine, dont il s'arrogerait la pleine jouissance selon un titre officiel. Ce matin du 10 juin, la victime et son père, estimant aussi être dans leur bon droit ont emprunté ce chemin pour rejoindre leur résidence de famille. Mais Driss Boutamjine a, ce 10 juin au matin, barré l'accès à son chemin avec une planche bardée de clous pour éviter toute intrusion sur ce qu'il estime être sa propriété. Une planche qu'il n'a pas encore retirée au moment où se présentent en voiture Jean-Marc Bonnet et son père, qui sont victime d'une crevaison.


Là, les versions divergent… Pressés par le temps, puisqu'ils doivent se rendre à des obsèques, les Bonnet père et fils racontent avoir laissé le véhicule sur place et cherché à rejoindre la route pour être récupérés par un ami, lorsqu'un coup de feu a claqué dans leur dos en direction du fils. 

Driss Boutamjine, lui, raconte que père et fils sont arrivés côte à côte sur le chemin. Comme le fils semblait «remonté» et vu la carrure comparée à la sienne, il aurait attrapé son fusil qu'il garde dans sa voiture pour chasser les oiseaux qui viennent grappiller ses cerises. Dans le passé, Driss Boutamjine avait soi-disant pris des coups. « Je voulais lui faire peur », expliquera-t-il. Et il tire donc dans le but de simplement leur faire peur…L'un de ses avocats Me Sophie Grolleau confirme. « Il a visé pour faire peur, mais le fils a bougé. C'est un bon chasseur. S'il avait voulu tuer, il l'aurait fait. Et je rappelle qu'il s'est rendu. » Devant les gendarmes d'Agen Driss Boutamjine l'a dit dès sa première audition. « Je connais des gitans, j'aurais pu partir en Espagne. » Il dort depuis le mois de juin à la prison d'Agen...


"Mon client ne voulait pas tuer"




Me Martial, vous défendez Driss Boutamjine. L'avocat de la famille de la victime affirme qu'il y a eu préméditation ce 10 juin. Quels arguments lui opposez-vous ?

« Préméditation ? Certainement pas ! Les Bonnet ont fait exprès de passer chez lui. A chaque fois qu'ils passaient, il y avait un problème entre eux. Driss Boutamjine ne le supportait plus. C'est pour cette raison qu'il avait installé cette planche cloutée. Sur ce point, on peut discuter si c'est un acte civilisé ou pas mais c'est secondaire, ça ne va pas plus loin(...) Un avocat ne peut pas revêtir la robe de l'accusation publique en mettant en avant une soi-disant tentative d'assassinat, autrement qu'avec l'idée de faire passer un message avant le procès. »

Votre client reste sur sa ligne de défense depuis six mois ?

« Il n'a rien touché à ses premières déclarations devant les gendarmes. Il ne voulait pas tuer, il voulait leur faire peur parce que lui-même avait peur. Des histoires, il y en a déjà eu par le passé. Il dit qu'il a été été bousculé par le fils Bonnet. Driss Boutamjine a une sensibilité à fleur de peau. N'oubliez pas qu'il se rend au commissariat d'Agen, et pas aux gendarmes. Je tiens quand même à rappeler qu'il leur faisait peu confiance. »

Cette histoire part d'une querelle de voisinage qui remonte à vingt ans. C'était évitable ?

« Il faut quand même dire que la cour d'appel d'Agen a statué, en sa faveur, sur le litige qui l'opposait les Bonnet (en décembre 2002, NDLR). On peut comprendre qu'il ne supportait plus ces allées et venues sur sa parcelle. Il a déposé un nombre conséquent de plaintes et de mains courantes sans réel résultat. C'est vrai, ça peut agacer tout le monde à force. Je le redis, il ne voulait plus avoir à faire avec les gendarmes(...) Et j'imagine aussi que se faire traiter de « sale bougnoule » par la famille ne l'a pas calmé. »

"Il les attendait, il voulait en découdre"


Pour Me Christian Salord l'avocat de la famille, ce qui s'est passé ce jour-là sur le chemin relève de la préméditation et donc l'assassinat. « Il n'existe pas de hasard » dit-il. «Il les attendait, il voulait en découdre. C'est un assassinat, ils sont tombés dans le piège qu'il leur a tendu. Il avait préparé son coup, il devait savoir qu'ils se rendaient dans leur résidence secondaire pour les obsèques d'un proche. »

L'avocat, dont le cabinet est à Aix-en-Provence puisque la famille de la victime y est domiciliée, attend de la confrontation et de la prochaine reconstitution un élément majeur dans ce dossier criminel. «Il doit se résigner à passer aux aveux sans réserve, il doit admettre devant le juge d'instruction qu'il avait l'intention de les tuer. Le père le dit lui-même, il s'en est fallu d'un cheveu pour qu'il ne soit pas tué ou blessé. »

Aux gendarmes, le père a d'ailleurs déclaré qu'il pensait qu'il allait « mourir, car je n'étais pas armé. » Il n'a pas vu Driss Boutamjine tirer sur son fils, dit-il encore aux enquêteurs. Le fils lui « a perdu une partie du visage ce matin-là. Il a perdu un œil, une partie de sa face a été arrachée. Tant d'un point de vue moral qu'esthétique, vous imaginez bien que ce n'est pas terrible. »

Lot

Les pyromanes de l'eau

Photo DDM, Marc Salvet
Par Hervé Boucleinville

Dans la nuit du 8 au 9 juin, trois bateaux appartenant à une société de location ont brûlé à Rouelle. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, au port Saint-Mary à Cahors, l'ancien l'ancien bateau restaurant « Fil des douceurs » est dévasté par les flammes et trois bateaux coulent. A chaque fois, il s’agit d’actes criminels.

La petite commune de Douelle, située à une dizaine de kilomètres au nord de Cahors, a vécu, dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 juin, quelques heures aussi sombres que mouvementées. Des riverains, réveillés par des bruits inhabituels, donnent l'alerte vers 4 heures 30 du matin : plusieurs bateaux amarrés sur le Lot sont en feu. Les pompiers déploient des moyens considérables : trois engins d'incendie, un émulseur spécialisé en feux d’hydrocarbure, une équipe de plonge et une de dépollution, soit au total une quarantaine d'hommes venus des casernes de Cahors, Catus et Luzech. Malgré leur intervention, deux des bateaux en feu rompent leurs amarres et dérivent avant de sombrer dans le Lot. Au total, trois embarcations sont détruites par les flammes.

Ces bateaux de 12 à 15 mètres, pouvant accueillir huit à dix personnes, appartiennent à la société Le Boat qui a investi dans une flotte de 28 bateaux pour faire de la location de plaisance sur la rivière pendant l'été. Alors que la saison vient tout juste de commencer, le coup est rude pour la société puisque le préjudice avoisinerait les 600 000 €. Car les incendies ne sont pas les seuls dommages enregistrés. Jean-Baptiste Audic, gérant de la société, a été prévenu dans la nuit. Une demi-douzaine de bateaux ont en effet été visités : autoradios et décodeurs ont été volés et des extincteurs vidés dans des embarcations. 


Cette même nuit, le village subi des dégâts : des fleurs ont été arrachées, des murs tagués, un container à ordure jeté dans le Lot, d'autres renversés. «C'est assez exceptionnel, on se pose des questions» commentait Bénédicte Lanes, maire de Douelle. 

Quelques jours après les faits, un jeune majeur est interpellé. Les gendarmes lotois ont pu remonter sa piste et celle de son complice, un mineur, grâce à leurs tags laissés un peu partout dans le village. Une signature en quelque sorte que les enquêteurs ont pu comparer avec des lettres de tags retrouvés sur un site de rencontre internet où figure le prévenu. Jugé en comparution immédiate, il est  condamné par le tribunal correctionnel de Cahors à 8 mois de prison dont 4 avec sursis et l'obligation d'indemniser les victimes. 

A la barre du tribunal, le jeune homme raconte son méfait. Le 8 juin au soir, il passe une soirée chez des copains, non loin de Douelle. Ils boivent un peu. Il décide de rentrer chez lui, à pied. Un ami l'accompagne. Sur leur chemin, ils renversent des jardinières, taguent des murs. Arrivés sur les quais, il leur prend en tête de monter dans les bateaux. Sans effraction. «Les bateaux, ça nous a attirés. On est monté dans plusieurs, je ne me souviens plus trop. On a regardé si on pouvait prendre des choses. À la base, on n'avait rien en tête. On a joué avec les extincteurs. Je reconnais que c'était stupide. On a tout mis en bazar. On a allumé un rideau avec un briquet, ça a pris feu. On a pris peur. On est parti. On a tout laissé en l'état», raconte le jeune homme.

incendie mystère à Port Saint-Mary

Dans la nuit du 8 au 9 septembre, c'est un scénario similaire qui se produit. Les flammes et le feu embrasent plusieurs embarcations accrochées au ponton du port Saint-Mary, à Cahors. Un violent incendie qui dévaste notamment l’ancien bateau restaurant « Au fil des douceurs ». Malgré l'intervention d'une cinquantaine de sapeurs-pompiers en provenance des centres d'incendie et de secours de Cahors, Luzech, Castelfranc, Prayssac, Catus, Lalbenque, Limogne-en-Quercy, Figeac et Gramat, trois autres embarcations sombrent dans les Lot, deux autres subissent des dégâts dus à la chaleur et à la proximité du brasier. 

De cette nuit rouge, il ne reste que le squelette noirci de l’ancien bateau-restaurant et les éléments apparents d’un des trois bateaux qui ont coulé. Un coup dur, en pleine saison touristique pour le gérant de la société Babou Marine, Sylvain Baboulène, propriétaire d’une partie des bateaux qui ont été détruits dans l’incendie. Les policiers de Cahors mènent l'enquête tambour-battant. Le 19 septembre, les enquêteurs de la sûreté urbaine placent en garde à vue un mineur impliqué dans de la revente de matériel numérique volé, puis identifient quelques heures plus tard son complice majeur, qui est à son tour interpellé.  

Rapidement, un complice majeur est identifié et interpellé. Parallèlement à ces investigations, les enquêteurs découvrent des éléments laissant à penser que les deux mis en cause pourraient être impliqués dans l’affaire du port Saint-Mary. Entendus sur ces faits, l’un d’eux reconnait être auteur de l’incendie des bateaux et révèle l’identité d’un troisième individu, qui reconnaîtra à son tour, après son arrestation avoir lui participé à la mise à feu des embarcations. Jugés en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Cahors, les deux jeunes majeurs sont condamnés pour l’un à 12 mois d’emprisonnement dont 8 avec sursis avec mise à l’épreuve et pour l’autre à 10 mois d’emprisonnement dont 6 avec sursis avec mise à l’épreuve.

Gers et Hautes-Pyrénées 

Luigi, 23 ans, victime de la violence ordinaire 

Photo D.R.
Par Josiane Battoue

Tous ceux qui ont assisté à la scène font état d'un épisode d'une violence inouïe. Lorsqu'il sort de la discothèque R & G Room de Tarbes, le dimanche 24 avril au petit matin,  Luigi Guarderia, un jeune homme de 23 ans originaire de Masseube dans le Gers, trouve les pneus de sa Peugeot 308 crevés. À ce moment-là, plusieurs jeunes, âgés d'une vingtaine d'années environ et eux-aussi originaires du Gers, l'encerclent. Les coups fusent. Le petit groupe décampe et laisse Luigi agonisant sur le parking de la discothèque. Lorsqu'ils arrivent sur les lieux du drame quelques minutes plus tard, les pompiers et le Samu des Hautes-Pyrénées trouvent le jeune Gersois au sol, inanimé. Il est en arrêt cardio-respiratoire, mais les secours réussissent à le ranimer. Dans un état jugé critique, il est héliporté à l’hôpital Purpan, à Toulouse, où il décède des suites de ses blessures quatre jours plus tard. 

L'auteur présumé de l'agression, un jeune de 25 ans domicilié dans le Gers et qui a déjà eu maille à partir avec la justice, est interpellé quelques heures après le drame. Déféré devant le parquet de Pau à la suite de sa garde à vue, il est présenté au juge d'instruction du pôle criminel. Les faits d'agression en réunion ne sont pas retenus, le suspect étant déclaré seul responsable des faits. Aucune arme n'a été utilisée pendant la bagarre, ce sont des coups violents et répétés portés à la tête qui ont causé la mort de Luigi. Mis en examen pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le suspect a été placé en détention provisoire le 26 avril 2016. Il s'y trouve toujours indique Jean-Christophe Muller, procureur de la République à Pau, qui précise que « la procédure d'instruction se poursuit. »

« Luigi n'a pas eu le temps de rejoindre sa voiture, où il voulait dormir. Il a dit quelques mots à des jeunes qu'il connaissait un peu, qui venaient de se faire refouler de la boîte de nuit. Ils lui sont tombés dessus…Tout cela, c'est de la violence gratuite, de l’acharnement. Si ça n’avait pas été mon fils qui était sorti à ce moment-là, ils s’en seraient pris à quelqu’un d’autre », dénonce Marcelle Girot, la mère de Luigi. 

«Luigi était un gamin adorable, qui pouvait rendre service à n'importe qui. Ses amis savaient qu'ils pouvaient toujours compter sur lui. Il avait énormément d'amis», raconte la maman. Elle décrit un jeune homme sans problèmes, passionné de moto, sportif, qui travaillait en intérim au moment du drame mais qui avait pour projet de s'engager dans l'armée. «Il n'était pas bagarreur… et il ne faisait pas partie d'une bande ! Il était joyeux, toujours en train de rigoler. Il était bosseur, on n'avait rien à lui reprocher. On nous a enlevé quelqu'un de magnifique», conclut la maman.

Tarn-et-Garonne

Meurtre passionnel au cœur de l'été 

Photo DDM Manuel Massip
Par Laurent Benayoun

Le destin de deux hommes, de deux familles a basculé dans la tragédie au cœur d'un été 2016 qu'on pensait paisible à Castelsarrasin, en Tarn-et-Garonne. Laurent Bigot, un sans domicile fixe de 54 ans, originaire du Loiret a été tué, le 10 juillet, sur le parking désert d'un centre commercial de Castelsarrasin.   

Josian Dauriac, 44 ans, père de deux enfants et domicilié à Saint-Pompont, en Dordogne, est l'auteur, peu après 6 heures, des coups de feu et du coup de couteau fatal. Selon l'avocat de Josian Dauriac, Me Laurent Boguet, son client aurait agi pour protéger sa compagne du «harcèlement oppressant» de la victime.

L'enchaînement est désormais connu, jusqu'à la terrible scène finale filmée par des caméras de surveillance. Après une nouvelle nuit éprouvante pour lui et sa compagne, perturbée par des allées et venues imputées à Laurent Bigot, Josian Dauriac, qui aurait fini par trouver le sommeil autour de 3 heures, dans la nuit du 9 au 10 juillet, reprend la route pour rejoindre son poste de travail, dans un camping en Dordogne. Peu avant 6 heures, il aperçoit la camionnette de Laurent Bigot qu'il décide de suivre à distance. Au bout de quelques minutes, les deux hommes se font face. Josian Dauriac demande alors fermement à Laurent Bigot d'arrêter de harceler sa compagne.

Le ton serait alors monté, une version confirmée par les caméras. Au terme d'une empoignade, évaluée à quatre minutes, Josian Dauriac, excédé par l'attitude de son rival, serait retourné dans sa Citroën Xantia chercher sa carabine 22 Long Rifle. Il s'en serait servi à trois reprises, blessant son adversaire au genou notamment. Au paroxysme de sa crise, dans «une rage indescriptible», selon Me Boguet, il se serait alors emparé d'un couteau, assénant un coup fatal à la victime, au niveau du thorax, provoquant une asphyxie et une hémorragie fatales.

Face au juge de la détention et des libertés, Josian Dauriac a reconnu l'intégralité des faits qu'on lui reproche. Une position qu'il avait déjà assumée devant les fonctionnaires de la police judiciaire de Toulouse, où il avait été placé en garde à vue.

La conviction de Me Boguet est en tout cas établie : Josian Dauriac n'aurait pas prémédité son geste mais a simplement voulu protéger sa compagne, jusqu'à commettre ce terrible geste. L'affaire aurait basculé quand Laurent Bigot, visiblement épris d'une femme qu'il avait croisée, quelques années auparavant, sans qu'une relation affective ne se noue entre eux, a décidé de la revoir. Il a fini par retrouver sa trace, via internet et les réseaux sociaux, commençant alors à lui envoyer de nombreux messages, par mail ou téléphone, rodant, quelques jours avant le crime, autour de la ferme isolée de la compagne de Josian Dauriac : «Une personnalité très inquiétante», estimait Laurent Boguet, qui tient là un argument de défense solide. «Mon client filait une relation de confiance avec sa compagne à tel point qu'ils envisageaient de vivre ensemble», assure Laurent Boguet. Lequel assure aussi que les policiers avaient été alertés par la jeune femme des allées et venues du SDF.

Selon Me Boguet, son client avait l'intention de se rendre à la police, après avoir passé quelques jours au vert, du côté d'Alicante, en Espagne. Les policiers, qui avaient repéré son signalement, grâce aux caméras, sur la scène de crime, l'ont interpellé, en douceur, chez lui, en Dordogne. Me Boguet indique aussi que son client avait réglé sa situation professionnelle, démissionné de son travail. Une façon de tout mettre en ordre avant de s'expliquer sur un geste qui aura coûté la vie à un autre homme.

Josian Dauriac a été mis en examen (1) pour meurtre et non pour assassinat (ce qui exclut, à ce stade, la préméditation). Il a été mis en détention provisoire à la maison d'arrêt de Montauban. Un procès devant la cour d'assises devrait avoir lieu d'ici quelques mois, à la fin de l'instruction confiée au juge Bergougnan. Le casier judiciaire du suspect est vierge, comme celui de sa victime d'ailleurs.

(1) Rappelons que toute personne mise en examen est présumée innocente tant qu'elle n'a pas été reconnue coupable et condamnée.