Mitterrand : retour à Jarnac

Ce 26 octobre 2016, François Mitterrand aurait eu 100 ans. A l'heure où se dessine la campagne pour la prochaine élection présidentielle, la figure de l'ancien chef de l'Etat et son héritage marquent les esprits, particulièrement à gauche. Ce soir à la pyramide du Louvre, à l'invitation de l'Institut François-Mitterrand, François Hollande rendra hommage à son prédécesseur.

En janvier dernier, pour les 20 ans de la mort de François Mitterrand, botre reporter Pierre Challier s'était rendu à Jarnac, le village de naissance de l'ancien président. Retour sur les traces du Président.


=================


Au pied du quai François- Mitterrand coule la Charente. Puis le promeneur remonte le Quai de l'Orangerie « ses façades bien dessinées, les tilleuls que je respirais l’été avec passion », écrivait l’homme de lettres. Trait d’union blanc jusqu’au pont où l’imposante façade Courvoisier domine la place du Château. « Les gens viennent plus à Jarnac pour le cognac que pour l’ancien Président. Il y a eu une période où il était la priorité, mais aujourd’hui, on a moins de demandes », résume alors la jeune femme, à l’Office de Tourisme. Au pied du quai François-Mitterrand coule la Charente…

Le quai de l'Orangerie avec dans son prolongement le quai François Mitterrand. 
"Jarnac, c'est une petite ville de maisons blanches sur le bord de la Charente. Je revois le quai de l'Orangerie, juste au débouché de chez moi, avec ses façades bien dessinées, les tilleuls que je respirais, l'été, avec passion" écrivait l'ancien président.

Et nos amours faut-il qu'il m’en souvienne… murmure donc le fantôme d’Apollinaire devant la colonne Morris portant trois dates phares pour la ville. 1916, 1996, 2016… Né au 22 de la rue Abel-Guy à quelques centaines de mètres de là, François Mitterrand aurait eu 100 ans le 26 octobre prochain. Et comme « il ne passait pas trois mois sans revenir à Jarnac, sa piété familiale étant très forte », rappelle l’ancien maire socialiste Jérôme Royer… disparu le 8 janvier 1996, le premier président de gauche de la Ve République repose depuis 20 ans au cimetière des Grand’Maisons, dans le caveau familial des Lorrain, branche maternelle de la famille à laquelle il avait toujours voué le culte de ses morts.

Arbre généalogique que présente Véronique Frantz, dans la maison natale, à deux pas du temple protestant. Jules et Eugénie, les grands-parents adorés. Joseph etYvonne, les parents. « Antoinette, Marie-Joseph, Colette, Robert, Jacques, Geneviève et Philippe, ses frères et sœurs ».

Ici ? Le salon rose, la salle à manger style « Henri II-Napoléon III bretonnisant », les chambres et les livres omniprésents racontent les racines. Une opulente bourgeoisie, cultivée, catholique pratiquante mais « chrétienne sociale » à l’image du révéré Robert Lorrain. Et suggèrent aussi d’éventuelles revanches à prendre. Sur le mur l’enseigne familiale Fabrique de Vinaigre assurait de bons revenus mais pas le haut du pavé local, face aux fortunes négociantes de cognac dont les demeures seigneuriales et chais fanés marquent la cité. Goût acide plutôt que rondeur dorée en bouche… 

« François Mitterrand ?C'était le président de Jarnac ! »

Dehors, une bande de gamins sort du collège Jean XXIII. « François Mitterrand ? C’était le président de Jarnac ! », lance fièrement Pierre. « Il nous a fait payer des impôts », jette Charles, répétant ses parents. « C’est une icône pour mes grands-parents, c’était un homme d’état », préfère se souvenir au café de l’Union Valentin, 22 ans, ouvrier frigoriste. La gauche unie, Les 39 heures payées 40, la cinquième semaine de congé, l’augmentation de 10 % du smic, l’abolition de la peine de mort… « Toutes ces avancées sociales, c’était un grand homme », souligne Éric, son collègue de 56 ans. Naître à droite, passer à gauche, « la guerre et le stalag », expliquent les fidèles. « Il avait une vision historique, une véritable élévation de pensée sur l’Europe », rappelle Gilles Ménage, onze ans d’Élysée et secrétaire général de l’Institut François Mitterrand veillant sur cette maison natale assumant « moins de 3 000 visiteurs par an ». 

Commerçante, Nadia regrette d’ailleurs cette absence de tourisme présidentiel, « faute de communication ». « L’image de François Mitterrand est profondément liée à Jarnac, mais s’en servir touristiquement, ça me gênerait », répond le nouveau maire, François Raby, « sans étiquette ». Qui pour l’heure doit gérer ces 20 ans et la venue de François Hollande, de la famille, d’Hubert Védrine, de Jack Lang, Pierre Bergé ou Louis Mexandeau. Il prend néanmoins le temps d’ouvrir le musée des donations présidentielles.





Sa pièce préférée ? Cet immense globe, fabriqué à dix exemplaires pour être offert aux chefs d’état. Il y pointe la France. « François Mitterrand avait pris soin d’y faire porter Jarnac, Latche et Château-Chinon », sourit-il. Manteau et chapeau exposés dans la vitrine à l’entrée…

Les roses rouges ? Fleuriste, Isabelle se désole… Elle en a commandé 200 et « c’est la "cata" : une seule gerbe et une commande de Toulouse d’une vingtaine, j’espère que je n’ai pas acheté ça pour rien », s’inquiète-t-elle, jouant du désépinoir. Chez Compter Fleurette, l’autre enseigne ? « ça va. J’ai neuf commandes pour le moment, le président de la République, Mme Ségolène Royal, l’Institut, les Amis, le Sénat, la ville, mais pas de particuliers ».

Le Premier ministre ? « C’est en attente de réponse, on ne sait pas… » « De François Mitterrand, je retiens la fidélité des chevaliers qui ont servi son épopée », ponctue Jérôme Royer ; « sa volonté d’aller jusqu’au bout et ses derniers mots, « je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas »», conclut Gilles Ménage.

Le Sud-Ouest, sa terre

Dans sa propriété des Landes à Latche.
François Mitterrand et le Sud-Ouest, c'est une longue histoire d’affection, de fidélité politique, de rencontres avec les paysages et les hommes.




Hommage 20 ans après sa mort


"Mitterrand, retour à Jarnac", un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes : Pierre Challier. Photos : Pierre Challier et DR. Mise en page : Pierre Vincenot, Philippe Rioux. © La Dépêche du Midi janvier-octobre 2016