Conquête spatiale :
nouveau départ


Une nouvelle ère pour l'exploration spatiale

Après plusieurs mois de confinement au sein de la station spatiale internationale (ISS), Kate Rubins et Jeff Williams ont eu l’occasion, le 19 août, de se dégourdir les jambes. À partir de midi ce jour-là, ils ont eu six heures pour installer la première passerelle qui permettra l’acheminement des astronautes américains vers l’ISS par navettes privées dès fin 2017. Pour raisons budgétaires, ce sont actuellement les Soyouz russes qui servent de taxi… 

Pas question, donc, pour la Nasa, ni pour ses homologues russe ou européen, d’abandonner la conquête spatiale. Côté Français, la société Arianespace, qui fait de notre pays un leader européen, prévoit la sortie de son nouveau lanceur pour 2020. Par ailleurs, le fondateur de la compagnie aérienne Virgin Atlantic et pionnier du tourisme spatial Richard Branson, espère attirer les richissimes passionnés d’espace souhaitant expérimenter l’apesanteur à bord de sa navette pour 200 000 euros le ticket. 

Toutefois, graviter autour de la Terre ne suffit plus. Les Chinois veulent coloniser la Lune pour en exploiter les ressources, et l’ESA souhaite en faire une base avancée pour des voyages plus lointains. Mais pour l’heure, ce sont les robots d’exploration qui visitent le Système solaire. Moins coûteux que les vols habités, ils fournissent de précieuses informations sur nos planètes voisines ou les comètes de passage comme Tchouri. En 2013, Voyager I était même le premier objet de fabrication humaine à sortir de notre Système solaire. 

Aller toujours plus loin, c’est aussi l’espoir de rendre visite à d’autres civilisations évoluées. La découverte le 13 août dernier de l’exoplanète de type terrestre la plus proche de nous jamais observée, continue d’alimenter ce rêve. En outre, un fait marquant de cette ère d’exploration robotisée est sans doute la diversification de ses acteurs. Le Japon devrait nous ramener des échantillons d’un astéroïde en 2020, la Chine a lancé mardi le tout premier satellite quantique et l’Inde reçoit des données de sa sonde low-cost « Mangalyaan » depuis septembre 2014. 

Le boost du secteur privé Cependant, ce sont les riches entrepreneurs et non les agences spatiales qui boostent la conquête. Du moment qu’il y a une chance que cela rapporte. Le fondateur d’Amazon Jeff Bezos a réussi le 4e atterrissage de son lanceur réutilisable New Shepard le 20 juin, et SpaceX son 6e le 14 août. 

La firme du milliardaire Elon Musk (également propriétaire de Tesla) devrait d’ailleurs faire redécoller un premier étage récupéré de cette manière avant la fin de l’année. Ces lanceurs réutilisables permettront de baisser significativement le coût des vols spatiaux et leurs créateurs visent la fortune dans les domaines du renseignement, de la connexion internet ou de l’étude du climat. 

Plus fou encore, Elon Musk rêve de coloniser Mars d’ici un siècle et Jeff Bezos de délocaliser l’industrie lourde et la production énergétique terrestres dans des stations spatiales, transformant ainsi la Terre en une sorte de jardin d’agrément avec seulement des habitations et de l’industrie légère… 

Fleur Olagnier

Geneviève Fioraso : «Pourquoi la France est leader du spatial en Europe»

Geneviève Fioraso, ancienne ministre de la Recherche, est l'auteur d'un récent rapport sur l’industrie du spatial.

La Dépêche du Midi - Quels sont les pays les plus actifs de la conquête spatiale aujourd'hui ? 

Geneviève Fioraso. - Sans conteste les États-Unis. Ils ont reboosté leurs activités depuis trois ans avec le plan d’Obama. La Nasa a augmenté son budget de 2 milliards d’euros cette année, soit l’équivalent du budget total du CNES, l’agence spatiale française. Ce sont les seuls à pourvoir mener de grands projets d’exploration lointaine par eux-mêmes. Mais bien que l’agence spatiale européenne (ESA) ne puisse pas concevoir de vols habités, elle a réalisé un exploit avec l’envoi de la sonde Rosetta à 520 millions de kilomètres autour de la comète Tchouri. Et la France, leader du spatial incontestable en Europe, a beaucoup porté ce projet. 

Que doit faire notre pays pour conserver sa place de leader européen et rester compétitif ? 

Avec ses 50 ans d’expérience, la France possède de nombreux atouts, dont la société Arianespace. Il est fondamental que notre nouveau lanceur Ariane 6 soit prêt en 2020 : c’est le socle qui garantira notre autonomie vis-à-vis de l’accès à l’espace. De plus, pour rester un outil européen, notre base de lancement de Kourou doit être modernisée. Et le succès du système de navigation Galileo est primordial. À la fin de l’année, les premiers services seront proposés. D’ailleurs, la défense américaine s’y intéresse déjà : en cas de défaillance de leur GPS, ils pourront se servir de Galileo pour localiser leurs ennemis en contexte de guerre. Il faut aussi développer les satellites de télécommunication, les emplois, les start-up… 

Finalement, qu’est-ce qui peut motiver les États à investir dans le spatial ?

Tout d’abord, ce secteur représente 18 000 emplois en France, 35 000 en Europe, et génère presque 20 fois plus d’emplois indirects. C’est aussi un domaine qui possède énormément d’applications concrètes. L’airbag est issu du spatial, tout comme 54 % des données utilisées par le GIEC pour démontrer l’influence de l’Homme dans le changement climatique. En Inde, les agriculteurs utilisent des applications météo pour savoir comment arroser, les viticulteurs s’appuient sur les données satellites, etc. Le spatial induit donc du progrès social. C’est aussi un des plus gros domaines fournisseurs de données de la planète, aussi révolutionnaire que le numérique. 

Coloniser Mars en 2025, la Lune dans 15 ans, croyez-vous à tous ces projets fous ?

 Elon Musk veut s’établir sur Mars dans moins de 10 ans, c’est impossible bien sûr ! La Nasa elle-même le dit. Mais je crois qu’aujourd’hui, dans un contexte mondial difficile rempli de tensions, il est important de rêver. Obama veut atteindre la Planète rouge en 2035, pourquoi pas ! Nous ne savons pas ce qui va se passer mais il est important d’avoir de grands projets universels, qui nous rassemblent tous. Oui, Elon Musk vend du rêve, mais ça ne fait pas de mal. Et après tout, le rêve est un moteur, c’est lui qui nous fait progresser.

Propos recueillis par Fleur Olagnier

L'aventure
vers Mars passe
par Toulouse

« Vers le milieu des années 2030, je pense que nous pourrons envoyer des hommes en orbite autour de Mars et les faire revenir sains et saufs sur Terre », annonçait Barack Obama en février 2015. Le milliardaire et fondateur de SpaceX, Elon Musk, quant à lui, a prévu d'entamer une colonisation (et non plus une exploration) de la planète rouge dès 2025 ! 

Le site internet Mars One souhaite d’ailleurs organiser une sélection de 24 volontaires parmi 200 000 candidatures pour être les premiers à fouler le sol martien. Il est bien loin le temps du premier survol par la sonde américaine Mariner 4 qui nous a offert les 20 premières photos de Mars… 

En novembre 1971, Mariner 9 parvenait à se mettre en orbite. Une première sur une planète autre que la Terre. La sonde a engrangé 7 329 images qui ont permis de cartographier 85 % de la planète. Cinq ans plus tard, de véritables laboratoires scientifiques de 600 kg, les Américains Viking 1 et 2, sont déposés en douceur sur le sol martien. Viking 1 fonctionne six ans, un record de longévité pour l’époque, et mesure la vapeur d’eau dans l’atmosphère, la température à toutes les latitudes et entame la recherche de composés organiques. 

Mais alors, où sont les petits hommes verts ? Pour le savoir, il a fallu se déplacer. « En 1997, les Américains envoient Sojourner. Cette boîte à chaussures sur roulettes a parcouru une dizaine de mètres autour du site d’atterrissage », précise Patrick Pinet, directeur de recherches CNRS et directeur adjoint de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie de Toulouse (IRAP). 

La première collaboration américano-toulousaine 

« Il a découvert des roches striées de bandes horizontales comme des roches sédimentaires et même des sortes de galets. De quoi suggérer la présence d’eau liquide… » Et la même année, commence la mission Mars Global Surveyor : « À l’IRAP, nous avons conçu l’instrument MA/GER de mesure du champ magnétique. C’est la première fois de l’Histoire que des Français, des Toulousains en plus, collaboraient avec les scientifiques américains », raconte Lionel d’Uston, directeur de recherche CNRS à l’IRAP depuis 1991. 

Puis il y a eu Mars Odyssey, MAVEN, ExoMars 2018… Les projets martiens dans lesquels la Ville rose est impliquée se sont multipliés. Sans oublier la mission européenne Mars Express. « C’est la première tentative européenne d’exploration de Mars. Même si le lander s’est crashé, l’orbiter, lui, est toujours opérationnel. Nous avons travaillé sur les données de l’instrument OMEGA qui confirment que la planète s’est formée dans un contexte humide », raconte Patrick Pinet. 

Et aujourd’hui, deux rovers continuent à se balader sur Mars : Opportunity depuis douze ans, et Curiosity a entamé son périple de 13 km le 6 août 2012. Ce dernier a notamment découvert des traces d’eau liquide potable et de carbone organique, nécessaire à l’apparition de la vie. 

« L’instrument ChemCam de Curiosity, conçu et fabriqué à l’IRAP, a été l’un des plus actifs et a permis de décrypter la composition chimique du sol », raconte Violaine Sautter, chercheuse CNRS. Et c’est maintenant son petit frère SuperCam qui prend forme à Toulouse. Il embarquera à bord de la mission de la Nasa Mars 2020 dont les objectifs sont notamment le prélèvement d’échantillons transportables sur Terre et la fabrication d’oxygène in situ, pour préparer l’arrivée de l’Homme… 

Un million de Martiens d’ici cent ans 

De son côté, fort de ses récents succès sur la Lune (premières photos en couleur de la surface !), Pékin est aussi en plein rush pour envoyer un orbiter et un rover sur Mars dans quatre ans. Et les entreprises privées sont ambitieuses. Elon Musk espère établir un million d’humains dans une cité martienne autosuffisante d’ici cent ans. Il a aussi évoqué plusieurs fois la construction d’un vaisseau-cargo qui emporterait tous les 26 mois une centaine de personnes sur la planète rouge à partir de 2024 : « C’est dangereux et des gens mourront probablement. Ils ouvriront la voie et à terme il sera très sûr d’aller sur Mars », a commenté le milliardaire.

Fleur Olagnier

Toujours plus loin de la Terre

Des stations spatiales orbitales

Les ingénieurs de la Nasa et de l'agence spatiale russe, Roscosmos, ont présenté leur projet de station spatiale autour de la Lune lors d’une conférence à San Diego mi-juillet. Cet habitat permettrait notamment d’étudier les astéroïdes, de simuler un voyage de 400 jours pour se préparer à une expédition vers Mars, et même de servir d’étape avant un départ vers la planète rouge, une priorité pour la Nasa d’ici à 2035. La Russie apporterait son savoir-faire en matière de modules spatiaux et les États-Unis leur lanceur ultra-puissant, le Space Launch System. Plus fou encore, le géant de l’aérospatiale Lockheed Martin a présenté en mai dernier au sommet « Humains vers Mars » de Washington, son idée d’une station spatiale habitée en orbite martienne… dans 12 ans. La construction du « Mars Base Camp » s’appuierait sur la capsule Orion de la Nasa qui devrait effectuer un vol inhabité autour de la Lune en 2018. Le « camp de base » autour de Mars serait une station scientifique d’observation, de commande des robots martiens en temps réel, et bien entendu, un point de départ pour les premiers humains qui fouleront le sol de la planète rouge.

Coloniser la lune

En 2018, les chinois seront les premiers à poser un robot d'exploration « Chang’e 4 » sur la face cachée de la Lune. D’ici à 2031, ils souhaitent y établir une base de recherches habitée, dès que leur fusée lourde sera prête, et pourquoi pas exploiter les potentielles ressources de notre satellite en Helium-3, un carburant possible pour les futures centrales à fusion nucléaire. L’ESA, quant à elle, possède rêve d’un village lunaire. Mais malgré une réelle maîtrise technique grâce au programme Ariane, elle manque pour l’instant cruellement de budget.

Voyage interstellaire

Après avoir investi 100 millions de dollars dans la recherche d'extraterrestres, Stephen Hawking et Yuri Milner récidivent. Le physicien et le milliardaire russe ont le projet d’envoyer de minuscules vaisseaux spatiaux sur Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre système solaire à 41 000 milliards de km, en moins de 20 ans. Ce serait incroyable, car avec nos technologies actuelles, il faudrait des milliers d’années pour l’atteindre. Ils proposent donc d’utiliser un système fonctionnant avec un rayon laser de 100 milliards de watts.


"Conquête spatiale : nouveau départ". Un long format de la rédaction des informations générales de La Dépêche du Midi. 

Textes : Fleur Olagnier.
Mise en page : Philippe Rioux.
Infographies : agence Idé.
Photos : AFP, DR.