Prison : quand les détenus ont la clé

L'herbe est toujours plus verte chez le voisin. Les pelouses de la prison de Mont-de-Marsan en témoignent. « Regardez… », pointe Philippe devant les centres de détention (CD1 et CD2) de l’établissement. Sacs et bouteilles plastiques vides, papiers… malgré un nettoyage régulier, le gazon du CD2 est une poubelle à ciel ouvert, traditionnelle protestation silencieuse des prisonniers contre le « système ». 

Devant le CD1 ? Rien. « Voilà… Pour moi la réussite des modules "respect", elle commence là. Ici, les détenus soignent leur environnement », sourit Philippe, lieutenant et adjoint au patron du bloc.

Chacun sa clef et porte ouverte

Mont-de-Marsan “Pémégnan” ? Derrière ses hauts murs de béton, deux maisons d’arrêt et deux CD abritent 670 prévenus et condamnés. Vaste enceinte où se déroule donc une expérimentation pilote, la première à avoir été menée en France : les “modules de respect”, ne rassemblant que des détenus et des surveillants volontaires, dans deux des quatre unités. 

Va et vient tranquille dans le CD1, de la cour aux étages. Costaud, registre “dur et tatoué”, Richard, 50 ans, fait ici partie des “anciens”et garde la clé de sa cellule à la poche. Phil, 51 ans ? Lui la porte autour du cou. Tout un symbole ? « Non, car endétention, c’est la règle d’avoir la clé de sa cellule », corrige Richard. 

«En fait, ce qui change tout, c’est qu’en signant pour “Respect”, on nous laisse la grille de coursive ouverte dans la journée, ce qui nous permet d’aller et venir librement dans le bâtiment, entre notre cellule, la cour, la salle de sport ou la salle informatique. On nous fait confiance et c’est important pour nous », explique Phil, qui s’occupe de la bibliothèque. 

« Oui, l’ouverture de la porte a tout changé. Avant, on était bloqués et c’était la foire, ça gueulait d’un étage à l’autre, genre « passe moi le tabac !» Maintenant, ça gueule moins et c’est le respect à l’intérieur », reconnaît Richard, qui explique avoir signé « pour ne pas changer de cellule » mais surtout « parce que c’est plus calme, désormais ». 


De fait, peu de cris ici, et pratiquement pas d’insultes, comparé au CD voisin. Un surveillant passe avec une binette pour le futur jardin… « C’est mieux entretenu aussi », souligne Richard, témoin cette fresque montagnarde qu’il a pu faire peindre sur le mur de “son” 12 m2. « Et la cour de promenade n’est plus une zone de non-droit », note un cadre. 

« Oui, la relation aux surveillants s’est apaisée et notre travail est facilité », confirme Philippe. « 70% d’incivilités, de tentatives d’agression ou de trafics en moins mais aussi une chute considérable des arrêts maladie et des accidents de travail », quantifie même André Varignon, le directeur de l’établissement. Celui qui début 2015 a lancé le premier ce programme inspiré du modèle espagnol “respecto” (lire plus bas).

 Transposé à Mont de Marsan ? Il signifie ainsi, pour les détenus qui le signent, l’acceptation d’une charte impliquant 25 heures d’activité minimum par semaine et le respect d’un ensemble de règles, en échange de cette plus grande liberté de mouvement en détention. 

Mais au-delà des horaires à tenir, du travail dans la journée, du nettoyage, de l’entretien, et, bien sûr, du respect de soi et des autres -détenus ou surveillants- « en rendant ces personnes actrices de leur vie en collectivité, nous les engageons aussi sur la voie d’une meilleure réinsertion », souligne André Varignon, se félicitant d’avoir des détenus « mieux dans leur tête », grâce à cette part d’autonomie retrouvée. Seulement attention… 

« Au moindre écart, c'est l’exclusion immédiate et ça aussi, ça cadre les gars »

« Au moindre écart, c’est l’exclusion immédiate et ça aussi, ça cadre les gars », assure Richard. Combien d’exclus, depuis le début ? « 140 sur 14 mois », nuance le directeur, mais qui souligne : « aucun pour tentative de violence, tous pour des bêtises telles que détention de stups, de clé USB, ou insulte ». 

Depuis 13 ans dans la pénitentiaire, Philippe mesure ce que cela dit, en termes d’évolution. « Fin 2015 en Savoie, un détenu a ébouillanté l’un de nos jeunes collègues », rappelle-t-il, « tandis qu’ici, on retrouve le sens du métier ». Mieux ? « S’est créé une forme d’émulation pour le respect de l’hygiène collective, la courtoisie », sourit André Varignon. Et l’expérience s’étend : en Dordogne, Neuvic s’y est mis, aussi. 

Pierre Challier

Un modèle qui vient d'Espagne

« En 2014, notre directrice interrégionale voulait que nous élaborions un plan de prévention de la délinquance en détention. Sachant que depuis 15 ans nos voisins espagnols ont des programmes de ce type, nous sommes allés voir ce qui se faisait à Madrid. Nous avons discuté avec les surveillants, les gradés, les détenus et ce qui nous a frappés, c'est qu’avec des occupations constantes, la détention était très calme, sereine », se souvient André Varignon. 

Fort volontariat

Convaincu, mais aidé aussi par un fort volontariat dans son établissement, il a alors pu démarrer l’expérience le 26 février 2015 avec deux modules « Respect ». 

En échange d’une mesure de cellule ouverte de 7h à 18h, les détenus observent un planning rigoureux, incluant travail, étude, formation et sport, nettoyage des cellules et entretien du bâtiment par la commission hygiène, la vie quotidienne des modules étant assurée par les détenus de quatre commissions, les trois autres s’occupant de l’accueil, des activités et de la régulation pour régler les conflits entre personnes.

La prison en chiffres

Quelle est la réalité carcérale en France et en Europe ? La réponse en cartes.



Le regard de Robert Badinter, ancien ministre de la Justice 

Les détenus dans l'Histoire

Femmes 

Les femmes sont obligatoirement détenues dans un établissement ou un quartier d'établissement disctinct de celui des hommes. Elles ne sont fouillées que par des femmes surveillantes. 

A partir de 1840 et jusqu'à la fermeture de la prison de la petite Roquette en 1973, des religieuses ont assuré la surveillance des femmes détenues. Aujourd'hui encore, les femmes peuvent garder leur enfant auprès d'elles jusqu'à l'âge de 18 mois. Des organismes et des associations assurent l'accompagnement des enfants plus âgés aux parloirs. Certains établissements mettent en place des espaces qui leurs sont réservés.


Jeunes 

Depuis la fin du Moyen Age jusqu'aux années 1840, le sort des enfants délinquants consista le plus souvent dans leur confinement parmi la population des prisonniers adultes. Puis, avec la loi du 5 août, apparurent les colonies pénitentiaires agricoles d'enfants, chargées de rééduquer les mineurs par le travail. Les plus connues sont Belle-île-en-Mer, Aniane, St-Bernard, Mettray (souvenir de Jean Genet)... 

Sous l'influence des législations étrangères sur l’enfance, la loi du 22 juillet 1912 pose et reconnaît les grands principes qui organisent désormais le système français et préfigurent la protection judiciaire de l’enfance délinquante et en danger des ordonnances du 2 février 1945 et du 23 décembre 1958. L'innovation la plus importante de la loi de 1912 est la liberté surveillée. Cette date marque aussi la création des premiers tribunaux pour enfants. 

La notion du discernement Le Code pénal de 1791, puis celui de 1810 prévoient un dispositif spécial pour l'enfermement des mineurs de moins de 16 ans, condamnés, acquittés par manque de discernement ou détenus à la demande des familles. Pour les mineurs de plus de 13 ans, le tribunal ou la cour doit poser la question du discernement. Si le mineur est reconnu avoir agi avec discernement, il sera condamné à une peine mais il pourra bénéficier d’une excuse légale atténuante. Les peines sont subies soit dans une section dite de répression d’une colonie correctionnelle pour les peines criminelles, soit dans un quartier séparé de maison d’arrêt jusqu’à six mois, dans une colonie pénitentiaire de jeunes détenus entre six mois et deux ans, soit dans une colonie correctionnelle au-dessus de deux ans. 

Entre 16 et 18 ans, les mineurs reconnus coupables et ayant agi avec discernement sont assimilés aux majeurs, ils ne bénéficient d’aucune réduction de peine et subissent leur peine dans les mêmes établissements que les adultes. Les dernières colonies, ou "bagnes d'enfants", ont été fermées pendant la seconde guerre mondiale. Une loi du 30 décembre 1987 interdit l'incarcération des mineurs de moins de 13 ans.

Hommes

La majorité des détenus sont des hommes. Il existe deux catégories de détenus : les prévenus (en attente de jugement) incarcérés dans les maisons d'arrêt et les condamnés, placés dans les maisons centrales et les centres de détention. Depuis 1983, ils ne sont plus obligés de porter l'uniforme pénal fourni par l'administration pénitentiaire.



Lannemezan : évasion artistique au cœur de la centrale

À l'initiative du Parvis, des œuvres ornent les murs du bâtiment central de la prison. Des pièces choisies et présentées par les détenus eux-mêmes, dans le cadre d'un travail sur plusieurs mois. Une première dans ce lieu sous très haute surveillance. 

Le couloir central est large, irradiant, interminable. Ici, les portes s'ouvrent, se referment, surtout. Le fracas métallique étouffe les consignes incessantes que crachent les radios. La dernière grille brouille la torpeur de cet ensemble aseptisé. Derrière, deux paysages capturés dessinent une fenêtre sur un monde insondable, une chimère impalpable, ici au cœur de la centrale pénitentiaire de Lannemezan. «Quand j'ai vu ces deux tableaux, je suis parti loin, loin…, glisse un détenu. Où ? Je ne sais as. Mais j'étais dehors !» à quelques pas de là, les barreaux, toujours là, masquent difficilement la silhouette d'un éléphant en fer de récup. L'œuvre trône là comme un guide ailleurs, comme un maton ici. «Comment ont-ils fait pour lui faire passer le portique de sécurité ?», se marrent deux prisonniers. En fait, c'est l'une des deux œuvres façonnée par un détenu.

Légèreté d'un échange qui tranche avec l'investissement d'une poignée de leurs camarades dans ce projet d'exposition lancé par Le Parvis il y a près d'un an, avec la participation de la DRAC et du SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation). Des rencontres hebdomadaires de deux heures pour échafauder le projet, découvrir le fonds artistique du FRAC, sélectionner les œuvres mais aussi rédiger les notices ou réfléchir à la mise en forme de l'exposition. «On a aussi travaillé sur les métiers de l'art, détaille Magali Gentet, responsable déléguée du centre d'art, qui, avec Catherine, a côtoyé les détenus pendant des mois. Il a fallu tenir compte des lieux, de la sécurité.» Impossible, par exemple, d'utiliser internet pour visualiser le fonds artistique. «Au fil des échanges, le message a cheminé entre les détenus mais aussi les surveillants. Le projet a résonné dans la prison.»

Entorse à l'isolement 

Une première artistique dans la centrale qui a bousculé les règles intérieures. Ainsi, des détenus des bâtiments A et B, rigoureusement isolés habituellement, ont cohabité au sein de ce groupe de travail. «Je m'intéresse un peu à tout; donc, quand on m'a parlé de l'expo, je me suis proposé, explique Francis, un peu déçu de la faible mobilisation des détenus de son bâtiment lors du vernissage par rapport au A, malgré son lobbying. Que des œuvres d'art rentrent ici, ça ne me fait pas grand-chose. Ce sont les gens comme Magali et Catherine qui viennent à notre rencontre sans rien attendre en retour, qui nous font du bien. Ce sont des filles fantastiques. D'ailleurs, à chaque fois, un détenu leur préparait un gâteau. Elles essaient d'apporter un peu de savoir à la population carcérale.» 

Des animatrices qui ont aussi apprécié «cette expérience où l'on se découvre», de l'avis même de Marie-Claire Riou, directrice du Parvis. «Il y a ici des gens avec de longues peines qui ont pour certains un engagement fort et se montrent curieux, racontent Magali et Catherine. Il y a une intelligence, un regard et une réception positive. Pour eux, c'est une poche d'émerveillement, de liberté. Voir ces grands gaillards, très durs, s'émouvoir comme certains l'ont fait pendant le vernissage, c'est chouette !» 

Une expo un brin désordonnée, qui mêle les supports, les styles et les messages. «Tous ces bas instincts, vous trouvez pas que c'est un peu l'esprit de la prison», s'interroge un détenu à la vue d'une série de photos. «Des images m'amènent des réponses, d'autres me font juste réfléchir. Mais là, j'ai pas compris le message», concède un autre, un brin décontenancé.

«J'aime créer» 

«Quand on a présenté le projet initialement, je doutais que les détenus adhèrent, reconnaît Lætitia Dorier, responsable du SPIP à la centrale. Ce n'est jamais facile de les mobiliser sur des actions. Là, c'est la première fois qu'il y a autant de monde. Le fait que des personnes extérieures se soient investies sur du long terme n'y est pas étranger.» Comme Farid, ils sont plusieurs à assister au vernissage, sans avoir pris part à la conception de l'expo. «C'est très intéressant, avoue ce jeune amateur d'art. Les gens ont posé des questions. C'est déjà bien de les faire réfléchir. Moi, j'aime créer à partir de peu. Forcément, ça me parle.» Un penchant qu'il pourra assouvir prochainement. Car si cette exposition égaiera le bâtiment central jusqu'à la fin du mois, d'autres passerelles entre la prison et le Parvis se dessinent… 

Andy Barréjot

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"Prison : quand les détenus ont la clé". Un long format de La Dépêche du Midi. Textes : Pierre Challier, ministère de la Justice pour la section historique, Andy Barréjot (pour Lannemezan). Photos : Pierre Challier, ministère de la Justice pour la section historique, Andy Barréjot (pour Lannemezan). Infographies : agence Idé. Mise en page : Philippe Rioux.