Préhistoire : la découverte de Bruniquel

Première mondiale

Edito

Il avait le front bas, les orbites proéminentes, le menton fuyant, le crâne allongé «en chignon». Il était taillé à la serpe, avec des membres courts, mais des muscles et des attaches puissantes, des os solides et une mâchoire d'acier. Alors, évidemment, vu comme ça, l'Homme de Néandertal, tel qu'on l'a découvert en 1856 en Allemagne, a endossé le rôle de la grosse brute préhistorique, traînant dans une main une massue, de l'autre une femme par les cheveux. Tout le contraire de «Cro-Magnon», élancé, affûté, belle gueule farouche et artiste à Lascaux. Bref, le miroir de nous-mêmes…

L'idée d'un homme primitif a été dure à avaler à l'époque, car cela signifiait qu'il pouvait y avoir une évolution, et ça, l'Église ne voulait pas entendre parler: la Bible expliquait déjà la Création du Monde. Depuis, Darwin est passé par là, et il n'y a plus que les créationnistes – hélas encore trop nombreux! – pour croire que notre Terre a été créée en six jours il y a 6000 ans.

Malgré tout, Néandertal a gardé une sale réputation. On sait qu'il a longtemps cohabité avec Cro-Magnon, donc avec le «sapiens-sapiens». Et lorsqu'on retrouvait ses os mêlés à des bijoux ou des outils, on en déduisait soit qu'il les avait piqués à Cro-Magnon, soit qu'il l'avait imité! Bref, on avait catalogué Néandertal comme un crétin congénital, même pas capable de parler, et opportunément disparu pour faire place nette au seul humain digne de ce nom: vous et moi. On lui déniait son «humanité», oubliant au passage que son cerveau est plus gros que le nôtre!

Et puis, on a découvert des outils bien à lui, des rites funéraires très élaborés et, même récemment à Gibraltar, des formes géométriques gravées dans la pierre qui ressemblent à des décorations. Ces traces, qui datent d'une époque où il cohabitait en Europe avec Cro-Magnon, laissent donc supposer une réelle culture néandertalienne.

La découverte de Bruniquel nous fait faire un bond gigantesque dans le temps. A l'époque où« sapiens-sapiens» arpentait encore l'Afrique, Néandertal jouait déjà avec les stalagmites dans les grottes du Tarn-et-Garonne!

Cela nous montre qu'il n'y a pas eu une humanité mais bien des humanités, diverses, qui se sont succédé. Et Néandertal est un grand frère qui a encore beaucoup à nous apprendre!

Dominique Delpiroux

La plus vieille construction humaine

Une installation à la finalité mystérieuse à 300mètres au fond de la grotte de Bruniquel/Ph. Étienne Fabre-SSAC

Dans une grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) spéléos et scientifiques ont découvert des constructions réalisées par les hommes de Néandertal il y a 176.500 ans! Une vraie surprise…


«Si on m'avait parlé de ces découvertes il y a quelques années, j'aurais été pour le moins dubitatif», confie le préhistorien français Jacques Jaubert. «Sans l'avoir vu, on n'y aurait pas cru», surenchérit Sophie Verheyden, spécialiste belge en reconstruction climatique à partir de dépôts sédimentaires de cavités souterraines. Dans une des salles du CNRS à Paris, aménagée pour l'occasion en conférence de presse ce 24 mai, les deux scientifiques accompagnés de Dominique Genty, directeur de recherche auprès de l'organisme français, font leur entrée le sourire aux lèvres. Une partie de la presse européenne attend leurs révélations, elles seront à la hauteur de l'excitation qui règne.

400 stalagmites

À la tête d'un groupe de chercheurs franco-belge soutenu par le ministère de la Culture, ils ont découvert, à Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, la plus vieille grotte souterraine aménagée par l'homme… de Néandertal. La cavité, fréquentée par nos ancêtres il y a environ 176.500 ans, a même dévoilé des constructions composées d'environ 400 stalagmites et situées à 300 mètres de l'entrée. Ce n'est pas tout: des structures de combustion démontrent que l'on utilisait à cette époque le feu pour s'éclairer dans un lieu obscur, et cela bien avant l'Homo Sapiens!


«Beaucoup de passages dans la grotte n'ont pas encore été étudiés par souci de conservation et on a pour le moment très peu d'éléments sur cette époque, mais ces informations ajoutent une ligne au scénario du mode de vie de l'homme de Néandertal», jubile Jacques Jaubert. Et il y a de quoi se réjouir puisque, jusqu'à présent, la preuve de fréquentation d'une grotte par l'homme datait de 38.000 ans, avec le site de Chauvet (Ardèche).

Pour réaliser ces découvertes, la scientifique Sophie Verheyden a utilisé la méthode de l'uranium-thorium sur des carottes de stalagmites. Quelle ne fut pas la surprise du groupe de recherches lorsqu'ils découvrent que ces structures datent en fait d'il y a 176.500 ans et non de -47.000 ans avant notre ère comme l'indiquaient les premiers travaux effectués sur ce site au milieu des années 1990.

Un lieu de culte ?

Par ailleurs, si le lieu, «propice à la conservation archéologique», n'a pas mis en lumière de restes humains, on ne peut pas en dire autant s'agissant des traces animales. Ce sont des ossements d'ours brun qui auraient permis d'alimenter les feux allumés dans la grotte. «Au mieux, on trouvera également un ou deux silex taillés», espère encore Dominique Genty. Malgré ces annonces officielles et historiques, les scientifiques se montrent pour le moment très prudents quant aux causes de la présence de l'homme de Néandertal à 300 m de la sortie. Pourquoi étaient-ils allés si loin dans la grotte? Jacques Jaubert apporte un élément de réponse: «Ce n'était pas pour y vivre». Le préhistorien évoque plutôt des «raisons cultuelles».

Découverte en 1990 chez des propriétaires privés dans ce petit village de près de 620 habitants, la grotte de Bruniquel pourrait encore livrer de nombreux secrets. «On doit finir le travail de documentation et la description générale de la structure mais ces révélations ne sont qu'une étape», prévient Jacques Jaubert…

Hugo-Pierre Gausserand



Des «spéléofacts»

Ce sont deux cercles, tangents, l'un de dix mètres, l'autre de trois, composés avec des morceaux de stalagmites, qui ont attiré l'attention des scientifiques. Il ne pouvait s'agir de formation naturelle, mais bien d'une construction précise, avec des morceaux de roche cassés ou découpés, calibrés et disposés de manière harmonieuse, et soutenus par des cales. 

L'équipe scientifique a développé un nouveau concept, celui de «spéléofacts», pour nommer ces 400 stalagmites brisées et agencées sur 112 mètres!

«On a l'impression qu'ils sont encore là»


Leurs noms sont inconnus du grand public. Le monde entier va pourtant entendre parler du joyau archéologique que Jean Kowalczewski, son fils Bruno et Michel Soulier ont mis au jour en 1990. Et pour cause: les trois hommes ont permis de découvrir la grotte de Bruniquel, la plus ancienne du monde. Les chercheurs en ont la certitude. Comme cela vient d'être annoncé à Paris à l'issue de nouvelles études, l'homme de Néandertal a mis la main à la grotte de Bruniquel au moins 130.000 ans plus tôt que ce l'on croyait déjà depuis 1995. Cette année-là, les scientifiques avaient lancé pourtant une première bombe en avançant un âge de 47.600 ans au moins pour la cavité tarn-et-garonnaise. Aujourd'hui, on est à 176.500 ans. À côté, les grottes de Lascaux (20.000 ans environ) et de Chauvet (38.000 ans) sont des gamines.

Par le plus grand des hasards

Comme la plupart des découvertes, Bruniquel eut lieu par le plus grand des hasards. Tout a commencé avec Jean, paisible ferronnier à la retraite de 78 ans, à Caussade. «Quand j'étais gamin, nous n'avions pas beaucoup de distractions. Alors, on était souvent sur le causse, en forêt, à faire des balades… On espère toujours trouver quelque chose. Je faisais aussi un peu de spéléo, en amateur. Enfin, spéléo, c'est un grand mot. À l'époque, les parents n'avaient pas les moyens de m'inscrire dans un club. Ils étaient locataires d'une ferme. Quand j'avais un peu de temps libre, je me promenais. Il y a tellement de trous à explorer dans cette vallée de l'Aveyron. Celui de Bruniquel, je l'avais repéré par hasard. Mais je n'y étais pas entré. On aurait dit un trou de renard. Les chasseurs avaient bouché cette entrée pour éviter que les chiens n'y pénètrent. Ils avaient construit un petit muret de pierres.»

Une quarantaine d'années plus tard, en février 1990, Jean n'a rien oublié de ce trou caché à l'abri des chênes et genévriers. Et le signale à son fils Bruno. Ce dernier, qui est alors âgé de 15 ans, est élève à Limoux pour devenir garde forestier. Membre de la Société spéléo-archéologique de Caussade (SSAC), il est en vacances chez lui et va suivre les conseils de son père. Sa mère le conduit un jour à Bruniquel. Bruno s'est dirigé seul ensuite vers le trou, avant d'en forcer l'entrée. L'adolescent a progressé dans le boyau étroit sur une vingtaine de mètres, avant de s'arrêter au niveau d'un énorme éboulis.

Aussitôt, Bruno va prévenir ses amis de la SSAC. Le lendemain, une équipée de six personnes reviendra dans le trou avec, bien évidemment, Bruno, mais aussi l'épouse du président Michel Soulier, ses deux fils… «Il était fou de joie, surexcité», se souvient le père de Bruno. Ce jour-là, un dimanche, Michel Soulier est à Paris. En allant le chercher le soir à la gare de Cahors, sa femme va tout lui raconter: «Ils ont progressé dans la cavité et sont arrivés sur un mur, un barrage formé par les morceaux de stalagmites. C'était curieux», raconte le président.

À son tour, la semaine suivante, Michel Soulier se rendra dans la grotte. «Le passage était trop étroit pour moi. Je ne passais pas les épaules. Je n'ai pu rentrer que le surlendemain.» Une fois à l'intérieur, tout est enchantement. Les dizaines de bauges à ours, les stalagmites et stalactites, les coulées dignes des cathédrales gothiques, le silence, l'odeur d'argile, la fraîcheur et... la fameuse et étrange structure, aménagée avec des centaines de morceaux de concrétions et qui serait l'œuvre de notre bon Cro-Magnon. «On tombe vraiment sur quelque chose hors du commun. Aussi bien par les vestiges que par les formes de la roche. On a un ensemble cohérent entre la présence de l'homme, de l'animal et du milieu minéral», note le spéléologue.

De son côté, Jean Kowalczewski (son fils Bruno étant actuellement en Nouvelle-Zélande) est toujours ému en évoquant l'intérieur de la grotte. «J'y suis rentré trois fois. Et à chaque fois, c'est émouvant d'imaginer que des gens ont vécu là, ont réalisé cette structure et que vous êtes là, aujourd'hui, à violer leur espace. On a l'impression que ces personnes sont encore là, autour de nous. Qu'elles nous regardent.» Le site reste évidemment fermé au public.

Thierry Dupuy

La Préhistoire est née dans le Grand Sud

Quand on pense préhistoire, on pense forcément à Lascaux et la Dordogne… Mais c'est oublier que cette discipline est née ici, chez nous, entre Toulouse et les Pyrénées, et qu'un peu partout, nous avons des bijoux et des chefs-d'œuvre venus du fond des âges. Et voilà que les stalagmites de Bruniquel viennent s'ajouter à cette galerie prestigieuse.

Ainsi, c'est Émile Cartailhac, dont on peut voir la maison rue des Salenques à Toulouse, qui le premier, en 1865, va présenter au Muséum d'histoire naturelle de Toulouse «la Galerie des cavernes», à une époque où la préhistoire commençait à être à la mode. 

Il est l'adjoint d'un autre immense paléontologue, le Gersois Édouard Lartet considéré comme l'un des fondateurs de la préhistoire française. Il va notamment découvrir un fameux fossile, celui d'un grand singe… dans le Gers, à Sansan! Un endroit où il va également mettre au jour les restes de mammifères disparus, ce qui commence à interroger tous les scientifiques de l'époque. On commence à se dire qu'il y a peut-être eu quelque chose qui ressemble à une… évolution! Mais le concept est encore tabou!

Lartet va également comprendre qu'il y a des choses intéressantes à Aurignac, en Haute-Garonne. Mais c'est l'abbé Henri Breuil, «le pape de la préhistoire», qui aura l'intuition qu'il y a à Aurignac un étage important de l'évolution des hommes préhistoriques, qu'on appellera l'Aurignacien.

Tout près de là, en 1922, dans le minuscule village de Lespugue, on trouve des grattoirs, des silex, des perles en os et le dernier jour des fouilles… la fameuse Vénus de Lespugue (Photo ci-dessus), une statuette en ivoire aujourd'hui de renommée mondiale, «séquestrée» par le Musée de l'Homme à Paris, alors que sa place naturelle devrait être à Toulouse!

On peut désormais citer rapidement les merveilles des Pyrénées! La grotte du Mas d'Azil, les mains négatives de Gargas, le Tuc d'Adoubert, ou le «Salon noir» de la grotte de Niaux, qui a été étudié par l'Ariégeois Jean Clottes, un de nos plus grands préhistoriens actuels, celui qui a mené l'étude de la Grotte Chauvet.

À Carcassonne, Jean Guilaine est LE spécialiste de l'archéologie agraire et du néolithique. Tandis qu'à Tautavel il y a 40 ans, Henry de Lumley exhumait le crâne d'un homme vieux de 400.000 ans! Quand on pense à tout ce beau monde qui vivait autrefois chez nous…

D. D.

Qui était l'homme de Néandertal?

«L'homme de Néandertal pouvait être aussi créatif»

Trois questions à José Braga, anthropobiologiste, professeur à l'université Toulouse III-Paul Sabatier.

Qu'est-ce qui vous paraît fondamental dans cette découverte? 

La grande surprise, c’est d’avoir une datation aussi ancienne pour quelque chose qui a délibérément été construit et organisé par les hommes de Néandertal, et cela au fond d’une grotte! 176.000 ans, cela correspond à ce que l’on appelle le stade isotopique n° 6, c’est-à-dire une période glaciaire. Ces hommes vivaient à une époque très froide, avec des conditions climatiques très rigoureuses, et ils étaient isolés en Europe. À cette époque, il n’y avait pas d’«Homo sapiens -sapiens» en Europe. Ils n’y arriveront que vers - 50.000. En fait, ces hommes sont issus d’une population plus ancienne qui s’est établie en Europe aux alentours de 400.000 ans, et cette population va devenir néandertalienne. 176.000 ans, cela correspond au Néandertalien ancien, avec des caractères archaïques. Au même moment, en Afrique, il y a une autre population, celle qui va donner «sapiens-sapiens», mais ces deux espèces ont un ancêtre commun. 

Qu’est-ce que cette découverte nous dit de ces Néandertaliens anciens?

De toute évidence, ils ont un comportement complexe: une partie du monde scientifique a eu tendance longtemps à considérer les Néandertaliens comme des individus plus rustiques, moins sophistiqués, moins élaborés que les «sapiens-sapiens». Et même lorsqu’on a découvert des «cultures» néandertaliennes (des sites néandertaliens, avec des bijoux, des outils, des parures...), certains ont estimé que c’est par acculturation avec «sapiens-sapiens» qu’ils ont réalisé ces objets, donc par imitation. Mais cette découverte montre bien qu’on peut leur attribuer un comportement aussi créatif que celui qu’on prête aux premiers hommes modernes. Et surtout, on voit que ces réalisations sont trois fois plus anciennes que Lascaux ou Chauvet: elles témoignent que Néandertal vivait dans une société relativement complexe. 

Les Néandertaliens étaient donc aussi familiers des grottes et du feu?

On a retrouvé des traces d’occupation de la Caune de l’Arago à Tautavel datant de 400.000. Mais il s’agit juste d’un abri-sous-roche, rien à voir avec cette grotte où ils se sont enfoncés dans le ventre de la terre. C’est la première fois qu’on découvre des traces de comportement Néandertaliens aussi loin dans des grottes. Quant au feu, on estime que l’homme l’a domestiqué entre un million d’années et 500.000 ans. En France, à Terra Amata près de Nice, c’est autour de 400.000 ans. En Afrique du Sud, à Swartkrans, on a même des traces qui remontent à 1,5 million d’années! 

Recueilli par D. D.


L'odyssée de l'homme de Néandertal

Sa présence en Europe


L'homme de Néandertal et le climat

Les Néandertaliens à l'origine d'innovations techniques?

Gros plan sur la «2e humanité»

«Ce qu'il faut bien comprendre, c’est qu’à cette époque, nous avons deux humanités bien différentes.En Afrique, il y a l’Homo sapiens-sapiens, et en Europe, il y a l’Homme de Néandertal. Elles ont toutes les deux leur culture, leurs inventions, leurs outils» explique à Toulouse le Pr Jacques Jaubert, de l’université de Bordeaux, qui est un peu le chef d’orchestre de cette étude sur la grotte de Bruniquel. Voilà donc l’occasion de réhabiliter ce brave homme de Néandertal, aussi futé sans doute que «sapiens-sapiens» qui, de nos jours, ne nous convainc pas toujours de son génie. 

«Points de chauffe» 

Jacques Jaubert rappelle que les Néandertaliens sont à l’origine de beaucoup d’inventions dans l’histoire de l’humanité: ils ont été les premiers à utiliser les pigments ou les plumes, à réaliser des bijoux avec des coquillages, à enterrer leurs morts, à fabriquer des armes de chasse… 

Vous avez dit primitif ? Sur les berges de l’Aveyron, dans cette caverne qu’ils devaient sans doute partager à l’occasion avec des ours, ils ont organisé des cercles composés de morceaux de stalagmites, disposés d’une manière qui nous échappera encore sans doute longtemps.On a relevé aussi sur les lieux dix-huit «points de chauffe», pas forcément des foyers, mais des endroits qui ont été en contact avec les flammes. «Parmi les créations néandertaliennes, en déduit Jacques Jaubert, on peut donc rajouter cette construction de Bruniquel, où il a fallu s’enfoncer à 330mètres sous terre, dans un milieu hostile, en utilisant un éclairage qu’il fallait entretenir et alimenter.Ensuite, sur place, ces hommes ont dû élaborer une chaîne opératoire, transporter et agencer près de deux tonnes de stalagmites, qui s’étalent sur une longueur de plus de 100mètres. Tout cela est le signe d’une société complexe!» 

Les recherches vont se poursuivre

On a appris beaucoup de choses, donc, mais cette grotte et son «installation» gardent encore beaucoup de mystères. En particulier, les chercheurs aimeraient désormais bien savoir ce qui peut éventuellement se cacher sous une épaisse couche de calcite qui «nappe» tout le site, comme une sorte de caramel préhistorique. Du coup, impossible que l’on puisse fouiller et creuser sans abîmer les lieux. Peut-être sous ces accumulations pourrait-on trouver des sépultures, des outils, des bijoux… Malgré tout, les recherches vont se poursuivre. «Des recherches non-invasives, précise Michel Vaginay, directeur du Patrimoine à la DRAC. Il est nécessaire de réaliser des sondages mais avec beaucoup de précautions et de manière encadrée. Une demande de protection au titre des monuments historiques est en cours auprès du ministère de la Culture de même qu’un suivi climatique.» 

Enfin, cette grotte comporte un gros éboulis proche de l’entrée qui lui aussi est très ancien et doit receler vraisemblablement d’autres trésors, accumulés à différentes époques. Il apportera peut-être des indications aussi sur la manière dont les Néandertaliens pénétraient dans la grotte qui, aujourd’hui, n’est accessible que par une «chatière» délicate: «L’entrée est dans le secteur de l’éboulis» estime Michel Soulier. 

Alors, lieu de culte ou, comme certains l’imaginent, système hydraulique pour retenir l’eau? A moins que, sur cette terre du Quercy, ces cylindres renversés soient l’ancêtre du jeu de quilles! 

Dominique Delpiroux

Le casse-tête de la datation

Dès 1995, une première équipe de chercheurs et de spéléologues avait déterminé, à partir de la datation au carbone 14, un âge minimum d'au moins 47.600 ans (la limite de la technique) d’un os brûlé, nous indique le communiqué commun du CNRS, de l'Université de Bordeaux et du Museum de Sciences naturelles de Bruxelles. C’est à partir de 2013 qu’une équipe de chercheurs a lancé une nouvelle série d’études et d’analyses.

Les sols alentour n’ont livré aucun vestige pouvant aider à dater cet ensemble : une croûte épaisse de calcite dissimule le sol d’origine. Les chercheurs ont donc utilisé, avec le concours de collègues des universités de Xi’an (Chine) et du Minnesota (USA), une méthode de datation appelée uranium-thorium (U-Th) basée sur les propriétés radioactives de l’uranium, omniprésent en faible quantité dans l’environnement. Au moment de la formation des stalagmites, l’uranium est incorporé dans la calcite. Au fil du temps, l’uranium se désintègre en d’autres éléments, dont le thorium. Il suffit donc de doser, dans la calcite de la stalagmite, le thorium produit et l’uranium restant pour en connaître l’âge.
Pour construire ces structures, les hommes de Néandertal ont dû fragmenter les stalagmites et de les transporter. Une fois le site abandonné, de nouvelles couches de calcite, avec des repousses de stalagmites, se sont développées sur celles déplacées et édifiées par l’Homme.
En datant la fin de croissance des stalagmites utilisées dans les constructions et le début des repousses scellant ces mêmes constructions, les chercheurs sont parvenus à estimer l’âge de ces agencements, soit 176.500 ans, à ± 2000 ans. Un sacré bond dans le temps!

Une équipe internationale et pluridisciplinaire

Ces travaux ont associé les laboratoires suivants:
• Le laboratoire "de la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie" (PACEA - CNRS/Université de Bordeaux/ministère de la Culture et la Communication) avec Jacques Jaubert Catherine Ferrier, et Frédéric Santos.
• L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), Bruxelles, Belgique, avec Sophie Verheyden et Christian Burlet.
• Le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE - CNRS/CEA/UVSQ) avec Dominique Genty, Dominique Blamart, et Édouard Régnier.
• L’Université de Mons, Belgique, avec Serge Delaby.
• Le laboratoire Archéovision (CNRS/Université de Bordeaux Montaigne) pour le relevé en 3D des structures, avec Pascal Mora.
• Le laboratoire "Littoral, environnement et sociétés" (CNRS/Université La Rochelle) pour les analyses magnétiques des traces de feux, avec François Lévêque.
• Le Laboratoire de géologie de l'Ecole Normale Supérieure (CNRS/ENS) pour les analyses Raman avec Damien Deldique et Jean-Noël Rouzaud.
• L'université Xi’an en Chine et l’université du Minnesota aux États-Unis avec Hai Cheng et Lawrence R. Edwards.
• Des équipes des sociétés Hypogée, Archéosphère (France) GETinSITU (Suisse) pour les relevés topographiques.


La Société spéléo-archéologique de Caussade, présidée par Michel Soulier, a assuré la gestion du site, la couverture photographique et le soutien technique et logistique durant les opérations programmées.


"Préhistoire, la découverte de Bruniquel". Un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes : Dominique Delpiroux, Hugo-Pierre Gausserand, Thierry Dupuy et CNRS. Mise en page : Philippe Rioux. Photos : SSAC, Manuel Massip (DDM), CNRS, DR. Infographies : DDM, agence Idé, DR. Vidéo : CNRS, DR, P. Michel, P.-E. Zahn, A. Aguer (Dépêche News), Luc-Henri Fage (www.felis). © La Dépêche du Midi 2016.