Alexandre Reis
acclimate le riz
au terroir breton

Des usines textiles de Salazar au Portugal à la haute couture, Alexandre Reis a récolté son premier riz 100 % breton à l'automne 2016. 

Le grain est vert. Vert émeraude comme le nom donné au littoral des Côtes d'Armor. Et à la cuisson, ce vert est encore plus prononcé. C’est peu dire que personne ne croyait à la possibilité de cultiver du riz en Bretagne. Pourtant, Alexandre Reis est en train de réussir son pari au Domaine du Triskell rouge. La première récolte a eu lieu en novembre 2016 et un chef malouin, Christophe Dabout, ainsi qu’un chef parisien doublement étoilé, Pierre Marchesseau, ont cuisiné ces grains prometteurs en février. 

Leur place semble toute trouvée à la table des grands restaurants... mais très sûrement aussi dans les assiettes des consommateurs bretons et français. 

A raison de nombreuses heures d'effort, de pragmatisme et d’expérimentation, Alexandre Reis est en passe d’acclimater le riz au terroir breton. Sans rizière. Cet ancien styliste fait pousser ses « paddy » de riz directement dans la terre sur les recommandations d’un paysan malien

« Pour l'instant, on adapte les techniques. Les variétés récoltées l'an passé ont été replantées. » Toutes n'ont pas donné. Mais Alexandre Reis est là pour expérimenter.

En rangs bien alignés, quinze variétés venant de France, d’Italie, du Vietnam, des contreforts de l’Himalaya ou de Madagascar poussent donc de l’autre côté d’une petite route sinueuse, en contrebas de la ferme où il s’est installé en février 2014. A mesure qu'il accompagne la rénovation de cette belle bâtisse, il vit au rythme des plantations, des récoltes, des préparations culinaire, des rencontres avec les chefs et des marchés... l'ensemble de son activité aujourd'hui. Et recevoir curieux et journalistes.

« Nous avons beaucoup de contacts qui parlent de nous, notamment à l’étranger », raconte Alexandre Reis. C’est grâce à ces contacts qu’il a pu se procurer certaines semences étrangères. « Si ça marche ici, nous nous sommes engagés à leur renvoyer de quoi semer. » 

Au moment de la récolte, le riz est fauché à la faucille avant d'être séché en petits ballots suspendus. A l'abri. Ensuite, il faut égrainer et trier le riz... et comme la culture est encore en phase expérimentale, tout se fait à la main

Pourtant, au début, il devait surtout y avoir du safran sur les cinq hectares achetés à Evran (Côtes d'Armor). Après avoir mené mille vies, d'enfant esclave d'une usine de textile à Portugal (à 5 ans), à l'informatique, en passant par la restauration et la haute-couture, Alexandre Reis entendait concrétiser un rêve de longue date. 

De son passage dans le monde de la haute couture, il y a développé son nez pour les parfums et son goût pour les épices. Il voulait en cultiver. Il a commencé avec 8.000 bulbes de safran répartis sur 5.000 mètres carrés. L'été 2017 avait aussi pour but de tous les récupérer afin de séparer les nouveaux bulbes nés sur ceux qui étaient en terre pour porter la safranière à un hectare. Un travail long et fastidieux. 

C'est l'activité principale du domaine. Et qui attire aussi. " Nous avons beaucoup de stagiaires qui viennent ici et au moment de la récolte de la fleur à la fin de l'année, des personnes âgées du coin, curieux de cette culture, viennent la découvrir. " Le domaine est ouvert toute l'année. 

A l'été 2017, les deux Alexandre
ont extrait les 8.000 bulbes de safran plantés en deux ans
pour les séparer 
et démultiplier leur production. 

Mais ce retour à une vie simple ne pouvait suffire à ce perfectionniste. La présence d'une zone humide sur ses terres l’intrigue. Il se renseigne auprès de météorologues sur les prévisions climatiques à moyen terme et voit dans le réchauffement climatique une possibilité. 

« Ils m’ont dit qu’in fine, la température en Bretagne sera la même qu’au nord du Portugal actuellement. Il y a aura donc quand même des hivers très froids. » Mais rien d’insurmontable pour le riz. A moins que les température ne descendent de façon drastique sous les zéro degré de manière prolongée. 

« Je cherche à acclimater des semences à notre terroir. Si on réussit, il faudra déposer un brevet sur le vivant. Mais ça coûte 30.000 euros, ce n'est pas à la portée des petits paysans ». Il n’a pas besoin de cette activité pour vivre. Son but n’est pas « de se faire de l’argent mais de pouvoir développer la culture du riz en France ». 

Dans la veine du chef de Cancale Olivier Roellinger, et d’une dizaine d’autres grands chefs, qui s’alarme de la préemption du vivant et des semences par les grandes multinationales, Alexandre Reis veut offrir aux agriculteurs une alternative aux catalogues des grands semenciers.

Une fois ce brevet déposé, il est même prêt à offrir de quoi se lancer à un agriculteur à condition qu'il respecte sa philosophie : un riz complet, sans produits chimiques. « On voudrait à terme faire une coopérative rizicole bretonne et se développer dans le grand Ouest où il y a beaucoup de zones humides. » 

D'excellents rendements

Il pense même que cette culture pourra se faire sur terrain sec « avec un minimum d’arrosage ». La plante étant capable d’aller chercher l’eau en profondeur. D’après leurs premiers calculs, les rendements seraient même très bons. « Avec quatre kilos de semences à l’hectare, nous avons un rendement de 1,3 tonne. Dans les rizières immergées, il faut 70 à 80 kg de semences pour 2 à 5 tonnes de riz » détaille-t-il.

Alexandre Laverty, " le grand Alexandre ", est venu à la rescousse
d'Alexandre Reis 
lorsqu'il souffrait du dos. 
Depuis, ils ont décidé de s'associer 

Tout n'a pas été simple pourtant. La deuxième année d’exploitation de sa safranière, il se blesse au dos. Il se retrouve en béquilles et sous morphine. « Je me suis demandé si je n’allais pas être obligé de vendre ». Un ami de longue date, Alexandre Laverty, celui qui avait repéré l’annonce de vente de la ferme, vient à son secours. Le « grand Alexandre » a travaillé comme paysagiste pendant dix ans avant que son dos, lui aussi, ne l’oblige à lever le pied. 

J'ai envie de faire de la résistance…
mais pas de la résistance solitaire !

Aujourd’hui, ils sont associés. Les murs appartiennent à Alexandre Reis et Emmanuel Lescoat, qui a eu le même coup de cœur pour cet ensemble seigneurial de 1764, et qui vient les épauler les week-ends et les vacances. « Mais cela nécessitait que je m'installe en agricole. J'ai donc déposé un dossier à la chambre d'agriculture et à la Safer. » Et quitté Paris. 

« J’ai longtemps travaillé à l’international, comme free lance pour de grandes maisons, des personnalités, des familles royales... Je dessinais, je brodais… j’étais capable de faire un modèle du début à la fin. Un vrai styliste. C’était magnifique comme métier. C’est un milieu que j’adore mais je voulais faire du 100 % Français. Dans une maison de haute couture, ce qui rapporte, ce ne sont pas les défilés mais ce sont tous les à côtés comme les bijoux, les sacs… qui ne sont pas toujours faits en France. » A Evran, tout est fait maison.

« J’ai 60 ans et je veux donner une suite à cette ferme. J’aimerais que " le grand Alexandre " suive derrière. Et ça me touche de le voir aussi investi. J’ai envie de faire de la résistance… mais pas de la résistance solitaire ! Il y a plein de gens qui nous suivent comme des ingénieurs agronomes, un apiculteur du coin… » En témoigne les nombreux amis et famille reçus à sa table y déguster des plats jamais vraiment improvisés.

La ferme achetée à Evran (Côtes d'Armor) date de 1764. 
Il possède en outre 5 hectares mais aussi des animaux. 

« J'ai toujours voulu une ferme à l’ancienne » reconnait-il. Il a un cheval, une vache, un âne, vingt poules pondeuses enregistrées dont ils vendent les œufs. Et un couple de cochons. Cinq de leurs petits sont réservés et le sixième sera utilisé pour les préparations culinaires du Domaine du Triskell rouge, son activité principale. Avec Alexandre Laverty, ils développent des rillettes au safran, de la moutarde au safran, du vinaigre de cidre… pour les particuliers mais aussi pour les grands chefs du Collège culinaire de France dont il fait partie en tant que producteur. Il leur propose ses produits mais aussi certaines préparation qu'il élabore conjointement avec eux. Par retours d'échantillons et dégustations. Une fois l'équilibre trouvé, la recette est gravée dans le marbre.

« Je suis passé de la haute couture à la haute culture »

Il participe aussi à l'économie locale à travers le réseau local Made in Dinan et ses réunions de développement avec d'autres chefs d'entreprises. Il y a aussi les marchés, les dégustations culinaires et le point de vente sur le domaine que les deux Alexandre ont particulièrement soigné. 

Et sa ferme reste expérimentale. La prochaine étape sera le travail autour de la rose comestible. « Des rosiers anciens qui sentent très bon. De vieilles variétés pour la gastronomie, pour des gelées de rose par exemple pour les grands chefs, des pâtissiers et les particuliers. Avec les boutons on pourra faire des vinaigres de cidre à la rose de Damas par exemple… on essaye de planter des choses dans le but de les acclimater à la Bretagne. »

 « Je suis passé de la haute couture à la haute culture » a-t-il désormais coutume de dire. Sans la moindre once de regret.

Né au Portugal il y a près de 60 ans, 
Alexandre Reis a été un " enfant esclave " qui a commencé à travailler à 5 ans dans une usine textile avant que sa mère ne le fasse venir à Paris. A l'age de 9 ans. 

A son arrivée à Paris, voyant la neige
tomber, il a cru à la fin du monde.

Peu habitué à manger de la viande, 
il se régale de sa première cote de porc... il en réclamera une chaque
soir à sa mère pendant un an. 

Le riz est une graminée... qui ne diffère pas tant que ça du blé dans la façon de la cultiver.