Benjamin des Gachons : 
des pétitions en ligne 
et des hommes

Parmi les plateformes de pétition en ligne, " change.org " s'est rendue incontournable. La NR vous emmène découvrir l'équipe française.

C'est une information qui doit toujours faire son petit effet sur les interlocuteurs de Benjamin des Gachons. Dans le top cinq des pays qui utilisent le plus " change.org ", la Russie est devant la France, à la quatrième place. « Même en Russie, il y a une irruption citoyenne dans le débat public, un désir d’imposer des changements via les citoyens » explique le directeur de “ change.org ” France. Bien évidemment dans ce pays autoritaire où la liberté d’expression est mise à mal, les combats ne sont pas majoritairement de grandes luttes à l’échelle de cet état continent. Ce sont surtout de petits combats locaux, du quotidien, qui trouvent une issue heureuse grâce à ce genre de mobilisation. 

Pays d'origine de " change.org ", les Etats-Unis comptent le plus important nombre d'utilisateurs de la plateforme, devant le Royaume-Uni, l'Espagne (portée par le mouvement des Indignés notamment), la Russie, donc, et la France. 

En Turquie, la tension est aussi vive entre l'entreprise et le pouvoir. Et en Chine, " change.org " n’a pas le droit de cité.

L'équipe française compte quatre personnes : Benjamin des Gachons, le directeur, Aminata Dembele qui est chargée de campagnes, Sarah Durieux, directrice des campagnes et de la communication et Naïma Benallal, chargée des campagnes et de la communication.

En France, de grandes pétitions sur la plateforme ont permis une large mobilisation contre la loi Travail, de médiatiser l'affaire Jacqueline Sauvage et de permettre sûrement sa grâce, ou la nationalisation de tirailleurs sénégalais… mais d’autres ont aussi permis au maintien d’une AVS dans une école de Nice, que le Jeu de Paume ne quitte pas Tours ou que des lois sur le don de surplus alimentaire ou sur le harcèlement à l’école voient le jour. « Ce qui est spécifique en France c’est que dès le départ en 2012, beaucoup d’utilisateurs étaient des associations ou des collectifs. Il y a eu un glissement d’année en année vers les citoyens eux-mêmes pour des combats en terme d’éducation, de santé, pour donner de la visibilité au handicap… » Et ce n’est pas la plateforme via un algorithme compliqué qui décide ce qui fait la une.

On utilise le pouvoir technologique pour aider des mouvements qui font sens dans une période de défiance vis-à-vis du monde politique

« Les utilisateurs sont les ambassadeurs de ce modèle. Notre souhait est de montrer que si change.org est perçu comme un site automatisé c'est surtout le travail des gens qui l’utilisent et de mes équipes qui le font vivre. On utilise le pouvoir technologique pour aider des mouvements qui font sens dans une période de défiance vis-à-vis du monde politique. C’est le contre exemple parfait de ce monde-là. Ce sont les gens eux-mêmes qui sont les acteurs de ce changement » garantit Benjamin des Gachons. 

Change.org accompagne et forme aussi des utilisateurs pour que leurs combats soient plus efficaces. « Mes collègues et moi-même venons des ONG. On croise ces expertises et nous les mettons dans les mains des citoyens. L’objectif premier est " l’empowerment " c’est-à-dire de faire réaliser à chacun qu’il a un pouvoir. Tout ceci ne peut être géré par un algorithme… Il y a un accompagnement humain. »

Benjamin des Gachons a été recruté par change.org en 2012 pour le lancement de la version française. Auparavant, il travaillait pour Avaaz, une ONG qui utilise aussi la pétition en ligne. 

C'est lui-même qui a recruté ses équipes. Après sa formation en philosophie à la Sorbonne, il a notamment travaillé sur le terrain pour une ONG appelée " Peuples solidaires " (Action Aid) en pointe sur les questions de droits de l’Homme pour des paysans d’Afrique de l’Ouest, d’Inde... " J’ai été sur le terrain, confronté au militantisme et j’ai beaucoup appris ". 



Les pétitions qui aboutissent à une fin heureuse sont celles qui sont « mises à jour », qui « informent sur ceux qui les mettent en place, qui les relancent » reprend le directeur, parfaitement conscient de l'impact. « Beaucoup d’entreprises regardent ça avec intérêt comme autant de signaux complémentaires de leurs propres études. Les droits humains, l’environnement, la justice sociale comme la transparence de la vie politique et l’éducation ou la santé sont des thèmes porteurs. »

Change.org, ce sont trois modes de financement. 
1. Les campagnes sponsorisées par les ONG pour se faire connaître et recruter. Un modèle historique mais en baisse. 
2. Le parrainage de pétition, comme sur Facebook, pour booster son audience. 
3. Le soutien direct. Pour quelques euros par mois, change.org échange des informations exclusives et des appuis de formation.

Le cas de l'affaire Jacqueline Sauvage est révélatrice. Cette mère de famille, placée derrière les barreaux après avoir tué un mari violent a beaucoup ému la France. Mais le relais médiatique n’a surtout fonctionné qu’après qu’une pétition en ligne a pris une ampleur considérable : 435.971 signatures au final. « C’était très spontané au départ. Trois personnes différentes avaient lancé ce combat : deux sur change.org et une autre par un autre biais. Elles se sont contactées et à elles trois ont créé une vraie lame de fond. La pétition a été animée, il y a eu des mises à jour régulières ainsi que des manifestations dans la rue… On nous reproche de faire de la mobilisation virtuelle mais là comme dans beaucoup d’autres actions on dépasse ce cadre. » 

Car c’est l’un des principaux reproches fait à change.org. Une signature en quelques clics sur un site internet n’aurait pas autant de valeur qu’une contremarque dûment signée à la main sur une feuille de papier. « Il y a un phénomène d’accélération de la mobilisation et de facilitation de faire signer une pétition. C’est parfois perçu comme étant dommageable. Mais le fait que ce soit plus facile ne le rend pas moins efficace. C’est plutôt une bonne nouvelle. Grâce à la révolution numérique on peut mieux se faire entendre. Pourquoi la mobilisation citoyenne resterait à part ? Qu’elle ne soit que l’apanage d’experts ? Et ce même si les ONG font un travail formidable. Cela reste des gens qui mènent campagne »

Fondée aux Etats-Unis en 2007 par Ben Rattray, " change.org " compte aujourd'hui entre 120 et 150 salariés. 
Elle se revendique entreprise sociale et environnementale.

A la question de savoir si " change.org " est une multinationale comme une autre, Benjamin des Gachons explique : « nous sommes une entreprise sociale, avec un label B-Corp et de hauts engagements sociaux et environnementaux. Nous plaçons notre impact social avant notre rentabilité. Nous sommes tout à fait transparents et fiers. » 

Pour lui, les critiques « ne sont pas adaptées. Bien que nous soyons créés depuis 10 ans, nous avons toujours un format de start-up, loin de générer de gros bénéfices mais nous sommes appuyés par des investisseurs qui y croient comme la Fondation Omidyar Network du fondateur d'eBay. » L’entreprise fondée par Ben Rattray compte « entre 120 et 150 salariés. Le siège est aux États-Unis et les ingénieurs et le développement mobilisent environ 80 personnes. Ce sont de petites équipes dans les pays à part à Londres où il y a un hub plus important qui gère l’Europe, l’Amérique latine et l’Asie. »


L'autre hantise c’est le piratage ou les fausses signatures… «La fiabilité des signatures est un enjeu central. Nous mettons en oeuvre énormément de processus techniques et humains pour repérer les actions frauduleuses comme l’envoi de signatures à un haut rythme, l’utilisation de la même adresse IP… Sous 24 h, maxi 48 h, toute activité frauduleuse est retirée. Au final, c’est 0,01 % de notre activité qui est impactée. Il n’y a pas de risque zéro mais nos résultats sont fiables et sont suivis. Pour signer une pétition, il faut une adresse e-mail et avant de valider, nous vérifions et envoyons un email à l’adresse pour vérifier. Nous prenons ça très à coeur, c’est un défi quotidien. Ce qui s’est passé lors des élections américaines est une menace. » 

En France, change.org compte 9 millions d’utilisateurs qui utilisent régulièrement la plateforme pour lancer des pétitions. Et chaque mois, ce sont 2 millions de visiteurs uniques qui les consultent.