Le cheveu crépu, 
invisible et incompris

      Dans les médias, la mode ou la publicité, les cheveux crépus sont très peu représentés. 

Quasi inexistants... Que ce soit dans les médias, la mode ou la publicité, les cheveux crépus n'existent pas. Au-delà d'un manque de visibilité criant, ils sont également victimes d'un dénigrement, au nom des standards de beauté occidentaux.

"Je peux toucher ?" Les porteurs de cheveux crépus au naturel ne connaissent que trop bien cette petite question. Qui parfois n'est même pas posée, la personne, collègue de bureau ou simple passager du bus s'empressant d'introduire sa main dans les cheveux en question.

Le cheveu crépu, même s'il revient en force dans le quotidien de nombreuses Noires et Noirs de France continue d'intriguer. Il est selon les avis des curieux, tour à tour "rigolo", "doux", "trop bizarre", ou encore "impossible à coiffer". Mais surtout il représente le grand inconnu. Il reste, par ailleurs, rare, voire carrément absent des médias, de la mode, de la publicité, des films, (à l'exception remarquée de Stéfi Celma dans la série Dix pour cent diffusée sur France 2 en octobre).

UN CHEVEU "MÉDIATIQUEMENT INCORRECT"

Les porteurs de cheveux afro sont invisibles. C'est le constat dressé par la journaliste et écrivaine Rokhaya Diallo, co-auteur, avec la photographe Brigitte Sombié, du livre Afro!, une compilation de 110 portraits de Parisiens, tous Afro-européens. Tous racontent leur parcours capillaire, comprenant souvent des injonctions au lissage et au défrisage, jusqu'à l'acceptation de leurs cheveux au naturel. Des profils très variés "toutes générations et origines géographiques confondues", souligne la journaliste.

"Pour certains, le port du cheveu afro est une véritable démarche politique et porte des revendications, alors que d'autres le font pour des raisons de bien-être ou d'esthétique", souligne-t-elle, déplorant un cheveu afro "médiatiquement incorrect".

En effet, les opérations de dénigrement sont nombreuses. C'est Voici qui se moque de l'Afro d'Omar Sy, qualifiant sa "coupe à la grimace de terrifiante". C'est le magazine Public qui ironise sur la chanteuse Solange Knowles, "coiffée comme un dessous de bras". C'est encore une chroniqueuse, noire, de Direct 8 qui en 2012, explique que cette coiffure ne lui permettrait pas de présenter le journal télévisé car "elle a un coté déguisement", voire "Huggy les bons tuyaux".

Les Etats-Unis tout aussi frileux 

Alors pourquoi ne voit-on que des cheveux lisses à la télévision ? "C'est déjà la question de la représentation des minorités dans sa globalité qui se pose, remarque Rokhaya Diallo. Avant même qu'on ne s'intéresse à la nature des cheveux, on voit bien qu'il y a un décalage énorme entre la rue et ce qu'on nous donne à voir dans les médias". Même les icônes venues d'Outre-Atlantique arborent le plus souvent un brushing impeccable, à l'image de la redoutable spin doctor Olivia Pope, héroïne de la série Scandal. "D'ailleurs dans cette série, il n'y a que deux moment où on voit Olivia avec ses cheveux frisés: quand elle est prise en otage, et lorsqu'elle se détend sur la plage loin de son bureau. C'est bien que les cheveux lisses sont associés à la représentation du professionnalisme", souligne la journaliste.

Les Etats-Unis font souvent figure de modèle, pourtant, eux non plus ne sont pas à l'aise avec les frisettes. "J'avais organisé une rencontre avec des Afro-américaines et Christiane Taubira. Elle n'en revenaient pas de voir qu'une ministre aussi haut placée avait gardé ses cheveux naturels. Pour eux c'était inconcevable. On m'a même dit que si Michelle Obama avait gardé ses cheveux crépus, cela aurait pu empêcher Barack Obama de devenir président !, se souvient-elle. Alors quand je leur ai dit qu'en France nous avions deux ministres qui portent leurs cheveux naturels…" (Christiane Taubira et George Pau-Langevin, ndlr)

Pénurie de coiffeurs

Ces cheveux crépus qu'on refuse de nous montrer, qui pour les coiffer? La question mérite d'être posée. Il a beau être médiatiquement invisible, il s'affirme de plus en plus à tous les coins de rue. Pourtant, l'entretien et la coiffure du cheveu crépu ne sont pas enseignés lors du CAP, ni du brevet professionnel de coiffure. Le plus souvent, ceux qui souhaitent se spécialiser doivent se former à l'étranger, généralement en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. En France des initiatives voient le jour, comme cette école Olilor, qui forme ses élèves à la coiffure sur tous types de cheveux.

Regardez le reportage de Nathalie Sarfati pour France Ô sur l'école Olilor


"Bonjour, est-ce que vous coiffez les cheveux crépus?"

En dehors de ces démarches isolées, la majorité des coiffeuses et coiffeurs ne connaissent pas le cheveu afro. Conséquence: difficile de trouver un coiffeur non estampillé "afro" qui accepte de s'en occuper. Nous avons appelé 8 salons de Paris et de province. Résultat : seul deux salons (parisiens) ont accepté de coiffer les cheveux crépus sans modifier leur nature ou leur aspect. Les autres ont tous fait part de leur manque de savoir-faire, ou alors proposé pour unique alternative le lissage ou le défrisage. Mention spéciale à cette coiffeuse de Montpellier pour qui les cheveux crépus ne sont, par définition, "pas coiffés".

Ecoutez un florilège des réactions entendues lors d'une simple prise de renseignements.


Pourquoi ne pas former les coiffeurs aux spécificités des cheveux de millions de Français? Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre l'Unec, l'Union nationale des entreprises de coiffure, sans succès. Tout juste nous a-t-on expliqué que l'institut, qui fédère les écoles de coiffure, se penchait très sérieusement sur la question. Il vient effectivement d'éditer des fiches sur le sujet à destination des coiffeurs. Mais celles-ci ne contiennent que des détails techniques sur les différents types de lissages et défrisages. Rien sur les techniques d'hydratation ou de scellage, pas de mention des "big chop", "afro puffs", "twist out" et autres "updo" (voire notre lexique) si chers aux cheveux naturels… Méconnaissance ou déni, ce manque fait en tout cas le bonheur des blogs et tutoriels vidéos qui fleurissent sur la toile (à lire dans un prochain article, à venir très bientôt...).

                                                                                                       

                                                                                                             Maïté KODA