Comment j'ai retrouvé mon cheveu naturel ?

Parcours croisés de quatre jeunes Guadeloupéennes

Âgées de 18 à 25 ans, quatre jeunes femmes Guadeloupéennes ont décidé d'arrêter le défrisage pour retrouver leur cheveu naturel. Au delà du changement de tête, ce passage au "nappy" est une étape de vie pas simple à franchir. Marie-Ena, Daïna, Reyana et Leila ont accepté de se confier à La1ère.

Daïna s'est levée à 7 heures ce matin. Jour de shampoing oblige, elle a passé près de 2h30 à se coiffer. "C’est contraignant mais je ne regrette rien", affirme la jeune femme de 25 ans. Née en Guadeloupe, Daïna a passé son enfance à rejeter son cheveu crépu. "Je n’en pouvais plus de passer des heures à le démêler. À 11 ans, j’ai réussi à convaincre ma mère de me laisser défriser mes cheveux, raconte Daïna. Je voyais le côté pratique, fini les nœuds. À l’époque, le défrisage était comme un uniforme en Guadeloupe".

"Le défrisage était comme un uniforme en Guadeloupe"
Daïna

LE BONHEUR DU CHEVEU LISSE

Un uniforme que portent aussi Reyana et Leila, dès l'âge de 11 ans. "C’était souvent pour la première communion que l’on voulait se défriser, constatent les jeunes Guadeloupéennes. Pour être belles et entrer dans le carcan de beauté du cheveu raide". "J’avais une grosse touffe impossible à coiffer et le démêlage était un enfer, se souvient Leila, 24 ans. J’étais tellement contente du défrisage. Mon cheveu était enfin lisse et soyeux". Pour Reyana, la question s’est à peine posée. "Ma sœur aînée défrisait, j’ai fait pareil, elle était mon modèle", explique la jeune femme de 18 ans.

Leila, Reyana, Marie-Ena et Daïna

Les folies capillaires

Cheveux lisses, ces jeunes adolescentes découvrent la facilité de l'entretien et du coiffage : "une autre vie", disent-elles. Daïna entame alors toutes sortes de "folies capillaires" : court, long, rouge, blond, décoloré, elle fait tout de ses cheveux sans jamais consulter un coiffeur. "Trop peu de professionnels connaissent le cheveu afro, après une mauvaise expérience, j’ai décidé de devenir mon propre coiffeur", explique Daïna qui vit désormais à Paris. Un choix que ses amies font aussi. Sauf Marie-Ena qui ne manque pas d’anecdotes sur ses passages au salon de coiffure.La douleur du défrisageLa douleur du défrisage

La douleur du défrisage

"J’y allais toujours avec mon peigne dans mon sac à main. La plupart du temps je démêlais moi-même mes cheveux, les coiffeuses me faisaient trop mal. Pourquoi acceptent-elles nos têtes si elles ne savent pas faire ?" s’agace Marie-Ena. "De toute façon, elles prônent toutes le défrisage, un jour l’une d’elles m’a dit : tu n'imagines quand même pas aller à la Défense avec ton afro ?"

"À peine posé, le produit me brûlait le cuir chevelu"
Marie-Ena

Marie-Ena est restée "naturelle" jusqu'à l’âge de 16 ans, mais à contre-cœur. "Mon cheveu était trop fin pour être défrisé, confie-t-elle. Ma cousine avait tenté l’expérience et tous ses cheveux étaient tombés au rinçage". Effrayé par ce défrisage mais attiré par "la beauté du cheveu raide", Marie-Ena tente un "wave" à 16 ans. "C’est censé être un défrisage moins violent, explique-t-elle. Mais à peine posé, le produit me brûlait le cuir chevelu et j’avais des croûtes sur la tête dans les semaines qui suivaient". Un "enfer" se souvient Marie-Ena qui était pourtant satisfaite du résultat.

"Mon cheveu était plus souple, plus facile à coiffer, même si ce n’était pas drôle je faisais deux "waves" par an", raconte-t-elle. Et malgré de graves chutes de cheveux, à l’âge de 18 ans, la Guadeloupéenne continue le défrisage. Comme Marie-Ena, adolescente, Leila a du mal à assumer son cheveu naturel et surtout elle ne sait pas le gérer. "Dès qu'il avait de la longueur, j'étais perdue, alors je coupais et je défrisais par facilité", se souvient la jeune fille.

APPRIVOISER LE NATUREL

Début 2012, Marie-Ena a découvert le retour au naturel de sa maman. "Ça me plaisait mais je me disais : est-ce que je vais l'assumer ?". Quelques mois plus tard, lors d’un week-end d’hiver, elle échange avec une amie sur ses problèmes de cheveux. "Elle m’a montré des forums, des blogs d’Américaines et des sites Internet avec des conseils pour entretenir et réussir à maîtriser son cheveu naturel. Je me suis dit qu’il fallait que j’y arrive", explique-t-elle. "On s’est enfermé pendant deux jours, on a tout lu, tout traduit de l’anglais, tout comparé, shampoing, masque, protéine… Il fallait que je comprenne mon cheveu noir, s’exclame-t-elle. Ça a été une renaissance". En mai 2013, Marie-Ena franchit le pas et coupe ses cheveux en gardant trois centimètres sur la tête.

LE DÉCLIC

Ces jeunes Guadeloupéennes décrivent toutes comme un déclic le jour où elles ont décidé de retrouver leur cheveu naturel. "J’ai eu soudainement envie d’un retour aux racines", confie Daïna qui s’apprête à devenir maman. Le 13 septembre 2014, la jeune femme a pris une tondeuse pour se raser la tête. "Le phénomène "nappy" m’a sûrement influencé mais j’ai surtout compris que c’était meilleur pour ma santé".

"Mon grand-père disait toujours que les cheveux font la beauté d'une femme"

Reyana

Pour Reyana, le déclic a eu lien en novembre 2014. "Nous étions seulement cinq noires dans mon lycée et l'une de nous avait des cheveux naturels, j’ai trouvé ça beau. J'en avais envie mais il fallait que j’arrive à convaincre ma mère, raconte Reyana. Elle ne voulait pas que ça coûte cher et elle avait peur que je passe plus de temps à m’occuper de mes cheveux qu’à préparer mon bac".

Lorsque Reyana franchit le cap, elle se rend chez une coiffeuse pour tout couper. "Elle a essayé de m’en dissuader pour me défriser, mais j’ai tenu bon", se souvient Reyana qui a ensuite dû accepter le regard des hommes de sa famille. "Mon grand-père disait toujours que les cheveux font la beauté d’une femme, alors forcément quand il m’a vue… Les gens aiment les cheveux naturels quand ils sont longs, pas courts", remarque-t-elle.

Le passage à l’afro

Un an et demi après avoir pris cette décision, Reyana fait le bilan. "Mes cheveux ont poussé et dans la famille j’ai converti sept femmes sur neuf au naturel, explique-elle, fièrement. J’ai appris à m’occuper de mes cheveux, j’y ai passé du temps, mais j’ai eu mon bac".

Pour Daïna, les choses n’ont pas été aussi simples. "Cela a été une libération mais aussi le début des problèmes", sourit-elle. D’un cheveu défrisé, malléable et facile d’entretien, la jeune femme est revenu à un cheveu naturel qu’il faut entretenir tous les jours. "Les démêler, les coiffer, dormir avec un bonnet de satin sur la tête pour éviter la moumoute aplatie dans le dos, et puis j’ai racheté pour 120 euros de produits naturels et adaptés", explique Daïna qui a aussi investi dans peignes, brosses, accessoires et donc … une nouvelle armoire pour tout ranger.

La jeune femme a également dû assumer sa nouvelle tête. "Quand une femme blanche va chez le coiffeur, tout le monde la complimente sur sa nouvelle coupe. Moi, on me demande : pourquoi tu as fait ça ? je peux toucher ?", déplore la jeune femme. "Ce n’est pas volontaire mais ces réflexions blessent. On n'imagine pas ce que j’ai traversé pour revenir au naturel". À la repousse des cheveux, Daïna fait face à l’entre deux, "on appelle cela l’afro affreux, sourit-elle. Il a fallu tenir bon pour ne pas défriser".

"Assumons notre cheveu afro"

Leila

Une nouvelle vie

Avec la mouvance "nappy", Leila a eu l'impression d’avoir enfin des réponses à ses questions. "Du jour au lendemain, j’ai lu sur Internet des témoignages, des conseils, des astuces et j’ai enfin compris comment m’occuper de mon cheveu naturel", explique-t-elle. Les produits américains arrivent en France et sont adaptés à mon cheveu. Il revit, il est plus doux et plus facile à coiffer. En ce moment j’ai des tresses car peu de temps pour m’en occuper, mais je n’ai aucun problème à sortir avec mon afro".

Depuis qu’elle est "nappy", Marie-Ena constate du changement dans la société. "Même les femmes blanches viennent au salon des "nappys de France", s’amuse-t-elle. Certaines m’interpellent pour me dire que mes cheveux sont superbes et qu’elles adorent le côté versatile que n’a pas le cheveu dit caucasien. C’est génial ! Elles posent des questions, il y a un vrai engouement".

"En coupant mes cheveux, j’ai véritablement appris à les aimer, explique pour sa part Reyana. Coco Chanel disait : une femme qui coupe ses cheveux est prête pour une nouvelle vie".

Un an plus tard, Daïna n’a aucun regret. "On a enfin des gammes de produits adaptés, notre cheveu est enfin considéré, les femmes noires et métissées savent maintenant prendre soin de leur cheveu naturel alors, assumons-le ! », s’exclame la Guadeloupéenne. Avec mon afro, j’ai le sentiment d’assumer mes racines, mon passé d’Antillaise, de femme noire et mon héritage."

                                                                                             Laura PHILIPPON

Photos : L.Philippon