Pourquoi le nappy n'est pas un phénomène ? 

Enracinés dans le passé et à la portée des générations futures, les cheveux afro au naturel n'ont rien d'un phénomène

Loin d'être nouveau, le nappy "retour au cheveu naturel" est surtout parti pour durer, estime Aline Tacite. Cette Guadeloupéenne fondatrice de l’événement "Boucle d’Ébène" s’apprête à lancer des ateliers capillaires pour aider les mamans à coiffer sans douleur les cheveux afro de leurs enfants.

Nous sommes dans le 19e arrondissement, au nord de Paris. Au sous-sol d'une entreprise, une soixantaine de femmes sont réunies avec leurs enfants assis sur les genoux. En quête de conseils, ces mamans boivent les paroles d’Aline Tacite (en photo ci-dessous). Devenue experte des cheveux afro, la Guadeloupéenne s’apprête à lancer les premiers "ateliers parents-enfants de coaching coiffure". "L’objectif, annonce Aline Tacite, est de vous donner les bases, les techniques et les clés pour vous aider à coiffer votre enfant sans douleur".

"Qui parmi vous à de bons souvenirs de coiffure avec sa maman ?"

A la tête du salon By BE à Bagneux, et fondatrice avec sa sœur de événement "Boucle d’Ebène" (BE) consacré aux cheveux afro, Aline Tacite lance une première question. "Qui parmi vous à de bons souvenirs de coiffure avec sa maman ?" Éclats de rires dans la salle. Comme un exutoire, les mamans évoquent les cris du dimanche soir au moment du démêlage. "Il faut arrêter ce traumatisme, lance Aline Tacite. Nous pouvons changer la donne grâce aux techniques et aux produits adaptés qui existent aujourd’hui pour les cheveux crépus".

"Il faut arrêter ce traumatisme"
Aline Tacite

LES FUTURES GÉNÉRATIONS NAPPY

Pas un bruit dans l'assistance. Les petites têtes crépues, frisées, bouclées et ondulées sont attentives. "Nous construisons les futures femmes de demain, il faut que ces petites filles grandissent en étant bien dans leurs baskets, poursuit Aline Tacite. La petite fille que l'on coiffe avec amour, sans douleur, aura une bonne image d’elle-même, contrairement à celle qui s’entendra dire que son cheveu est impossible".

"Merci, merci de faire ça pour nos enfants", lance Christelle avec sa petite fille de six mois dans les bras. "Je voudrais que ma fille assume ses cheveux afro tout de suite et ne fasse pas comme moi, raconte la jeune Haïtienne. En grandissant, j’ai toujours lissé mes cheveux en cherchant à ressembler à Beyonce, ça n’a pas de sens ! Maintenant que les produits adaptés sont à notre portée, je vais tout faire pour qu’elle garde ses beaux cheveux".

"Trente ans plus tard, c'est pareil avec ma fille.      Loane hurle lorsque je la coiffe"

Inscrite aux futurs ateliers coiffure, Yelena espère aussi avoir des réponses à ses questions. "Quels produits utiliser pour ma fille ? Quelles coiffures lui faire ? Comment la démêler sans cris ?" Cette maman Guadeloupéenne (en photo ci-dessous avec sa fille) garde de terribles souvenirs des démêlages lors de son enfance. "C’était l’enfer tous les dimanches, raconte Yelena. Je me dis qu’à l’époque on avait peut-être pas les bons produits et les bons conseils, mais je vois que trente ans plus tard, c’est pareil avec ma fille. Loane hurle à chaque fois que je lui démêle les cheveux. J’ai pensé à les lui couper, je lui en ai parlé, mais elle s’est mise à pleurer. J’ai tout de suite abandonné l’idée".

"Merci de faire ça pour nos enfants"
Yelena et sa fille Loane

Réparer la rupture générationnelle

Assistante trilingue dans un grand cabinet d'avocat parisien, Aline Tacite a tout plaqué début 2000 pour se former à la coiffure en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. "Je me suis passionnée pour le sujet", avoue-t-elle. En lançant ces ateliers parents-enfants sur la coiffure, elle s’est fixé une mission : "Réparer la rupture générationnelle qui s’est opérée dans la manière de s’occuper des cheveux afro".

"Dans le passé, nous savions coiffer nos cheveux en Afrique et aux Antilles, remarque Aline Tacite. Il y avait un climat humide, chaud, des conditions parfaites pour le cheveu crépu ou frisé. Avec les mouvements migratoires, nous avons perdu nos habitudes culturelles et ce cheveu s’est retrouvé dans un climat tempéré comme en France, sans humidité, ni chaleur. Il faut donc lui apporter ce dont il a besoin par l’hydratation et les soins".

La Guadeloupéenne va même plus loin et parle de "drame de la transmission culturelle". "Nous avons affaire à un problème sociétal et même sanitaire", ajoute-elle. "Quand une cliente me demande de défriser sa fille de 3 ans, oui c’est un problème sanitaire ! Moi je refuse de le faire, mais d’autres coiffeurs le feront", se désole Aline Tacite qui estime que "les produits que l’on utilise sur les têtes de nos enfants sont aussi importants que ce qu’on leur donne à manger".

"Vouloir reprendre son cheveu, c'est reprendre sa liberté"
Photo de Ilea et Emily

Un naturel qui ne date pas d'hier

Près de 160 mamans et enfants sont déjà inscrits pour les ateliers de coaching coiffure d’Aline Tacite, et une fois qu’elles auront les clés, ces mamans l’assurent : elles laisseront le cheveu naturel à leur progéniture. Si le nappy (retour au cheveu naturel) est parti pour durer, Aline Tacite estime également qu’il ne date pas d’hier.

"Lors de la première édition du salon Boucle d’Ebène il y a dix ans, il y avait 2 000 visiteurs, contre 17 000 deux ans plus tard. Bien avant que l’on parle de phénomène nappy, les femmes avaient déjà la volonté de revenir au naturel, mais il leur manquait les techniques", affirme Aline Tacite qui remarque aussi que beaucoup de femmes font ce choix "suite à une alopécie, la perte temporaire ou définitive de leur cheveu du à l’abus de défrisage ou aux tresses trop serrées".

"Une réappropriation de soi"

"Aujourd'hui, il y aurait environ 60 % de défrisage pour 40% naturel, estime la Guadeloupéenne. Il y a dix ans, on était à 95 % de défrisage". Les femmes sont désormais nombreuses à s’inscrire dans "la réappropriation de soi, et à trouver de la liberté dans le port de leurs cheveux naturels", analyse Juliette Sméralda.

La sociologue martiniquaise parle de déterminations coloniales et évoque la dimension politique sous la question du traitement du cheveu. "Vouloir reprendre son cheveu, c’est reprendre sa liberté. On re-territorialise son corps. Le cheveu est politique, il dit la politique, affirmait Juliette Sméralda à La1ère.fr en mai 2015. "Le défrisage était une manière d’être tenu en laisse", estime l’auteure de "Peau noire, cheveu crépu, l’histoire de l’aliénation", un ouvrage publié il y a ... onze ans !

Pratique : le prochain atelier capillaire parents-enfants se tiendra le dimanche 20 décembre à Paris. Un atelier de 2h30 avec une partie théorique et une partie pratique sur les cheveux de vos enfants. Pour se pré-inscrire aux prochains ateliers, rendez-vous sur le site internet de Boucle d'Ebène.

                                                                                                  Laura PHILIPPON