Court Métrange : critiques et frissons à gogo

Onze collégiens et lycéens bretilliens ont été récompensés fin janvier 2017 pour leur critique cinématographique réalisée à l'occasion de Court Métrange, le festival international du court-métrage fantastique.

L'heure était au court ! Mercredi 25 janvier au Ciné TNB de Rennes, une trentaine d'élèves, collégiens et lycéens a assisté à la remise des prix du concours Critique sur court de Court Métrange, le festival international du court-métrage insolite et fantastique. Lancé en 2008, le défi invite les élèves à écrire une critique cinématographique à partir d'un des films découvert en salle lors des séances de visionnages scolaires. La formule séduit : en 2016, 3760 élèves se sont inscrits et 718 d'entre eux ont présenté une critique en langue française, bretonne, anglaise, espagnole et allemande sur l'un des 21 courts-métrages présentés aux scolaires. « C'est une manière de les inviter à réfléchir à ce qu'ils ont vu, plutôt que de simplement leur proposer de voter », explique Hélène Pravong, directrice du festival. L'action ne s'arrête pas là. Pour amener les jeunes à aiguiser leurs connaissances cinématographiques et leur sens critique, un parcours est proposé : interventions en milieu scolaire et expositions dans la ville se sont enchaînées au mois d'octobre. Quatre master classes ont également eu lieu. De quoi découvrir les métiers du bruitage, de l'animation 3D et 2D et de la conception d'affiche, et, pourquoi pas, susciter des vocations. Cette année encore, le Département a soutenu la dimension culturelle et la dynamique insufflée sur le territoire en apportant son soutien financier au festival.

« Tout cela m'a appris à regarder 
un peu plus loin. »

Alice Izabelle, élève de 4ème au collège du Landry, à Rennes

Le visionnage de Belle comme un cœur, un court-métrage de 2015 de Grégory Casares, s'achève. Alice Izabelle, élève en 4ème au collège du Landry, à Rennes, partage sa critique avec les jeunes spectateurs. Elle vient de recevoir le prix de la meilleure critique en Français dans la catégorie collège. Et l'événement n'est pas anodin pour elle. Le cinéma ? « Oui », elle « aime », mais « pas spécialement ». Elle s'y rend seulement pendant les vacances scolaires. Rédiger des textes en Français ? « Bof ». Ce que Alice préfère en classe ce sont les maths. « Quand j'ai su que l'on devait écrire une critique, je me suis dit que je n'allais pas y arriver. Ça avait l'air compliqué », se souvient la jeune fille de 13 ans. Finalement, elle a choisi le court-métrage dans lequel elle a vu « le plus de choses » : l'ambiance angoissante contenue dans les images en noir et blanc, les lignes droites du dessin, les sons aiguës et répétitifs, la rupture entre l'enfance et l'adolescence, la noirceur de certains sentiments. Et elle s'est mise au travail : en classe avec la professeure de Français et chez elle. « Tout cela m'a appris à regarder un peu plus loin », confie Alice. Et d'assurer : « voir tous ces courts-métrages m'a donné envie de retourner à Court Métrange l'année prochaine. »

Voulez vous lire la critique d'Alice sur Belle comme un coeur ? Clic clic clic.

« Nous voulions travailler sur l'analyse critique des images car elles sont partout »



Dans la salle, Géraldine Milin et Christelle Thorré-Drouelle, professeures d'Anglais et de Français au collège Françoise Dolto à Pacé et Catherine Get-Lecenes, professeure de Français au collège du Landry à Rennes, écoutent leurs élèves. À elles trois, elles ont fourni près de 80 critiques au festival. « La participation à Court Métrange est vraiment intéressante », explique Catherine Get, « aller voir des films donne un élan et nous mettons en place un cheminement pour en arriver à l'écriture de la critique ». Lecture de critiques cinématographiques, apprentissage de vocabulaire, approche critique de l'image, adoption d'une posture d'argumentation, les ressorts pédagogiques sont nombreux. « Et le genre fantastique fait partie du programme en 4ème », ajoute-t-elle. Même engouement chez ses collègues. « Nous voulions travailler sur l'analyse critique des images car elles sont partout », souligne Géraldine Milin, « avec l'intervention de Patrice Pincé, les élèves apprennent à s'en méfier, à être critiques ». Quant aux compétences attendues dans l'expression d'une opinion : le support fait aussi l'adhésion. « Les élèves sont invités à exprimer leurs visions personnelles, détaille Christelle Thorré, et c'est aussi très positif pour croire en soi. »

« Je fais davantage attention aux détails 
et je comprends mieux »

Louise Huchet, élève de 3ème au collège Françoise Dolto à Pacé

Le retour de la lumière s'accompagne d'un soupir collectif. La petite pièce d'épouvante canadienne, Kookie, signée Justin Harding, est efficace. Adulé par les collégiens, c'est ce court-métrage qui a inspiré à Louise Huchet une critique présentée dans la lange de Shakespeare. « Habituellement, je ne regarde pas de films d'horreur. Mais là, entre les cadrages, la musique, les couleurs, j'ai adoré être plongée dans une ambiance angoissante et pleine de suspense et de rebondissements », résume la jeune fille enthousiaste de 14 ans. Férue d'écriture et de dessin, l'élève de 3ème au collège Françoise Dolto à Pacé n'a eu aucun mal à embrasser l'exercice même si « tout traduire en anglais n'était quand même pas facile ». Du visionnage des courts-métrages lors du festival Court Métrange à la séance d'analyse critique proposée par le spécialiste Patrice Pincé, Louise a « adoré » l'expérience. « Je fais davantage attention aux détails et je comprends mieux ». Quant à son prix, elle confie, radieuse : « ça me fait énormément plaisir et ça me conforte dans ce que je veux faire plus tard ». Deviné ? « Travailler dans le cinéma. »

Lire la critique de Louise sur Kookie : clic clic clic ! 

"Le spécialiste" aux 13000 films 

Depuis 2008, Patrice Pincé est la « caution scientifique » du festival. Armé de ses titres (chargé de cours en histoire du cinéma d'animation à l'Esra de Rennes et chargé de cours en histoire du cinéma et analyse de l'image à Rennes 2) et de l'ampleur de ses références cinématographiques accumulées (plus de 13 000 films vus), c'est lui qui va à la rencontre d'élèves de primaires, de collèges et de lycées. Objectif ? Affuter l'oeil des jeunes spectateurs et leur apprendre à « lire entre les images ».

« J'ai fait 14 interventions en 2015, 17 en 2016 à la demande de professeurs volontaires. Pendant une heure, nous visionnons un court métrage avec les élèves et nous l'épluchons. Nous voyons alors ce qui est dit, mais aussi ce qui n'est pas dit dans le film. Nous regardons ce que l'on voit ou ce qui reste invisible. Pour regarder des films de cette manière, il faut avoir sa propre banque de données. C'est-à-dire, un ensemble de savoirs ou de vécus qui nous aident à voir des détails, à faire des comparaisons, à relever des différences. C'est important car celui qui fait le film, le réalisateur, commande votre œil. Il le dirige. Et ce quelqu'un d'autre est le maître du jeu. Je suis toujours ravi quand un élève me dit qu'après une séance il ne regarde plus les films ou les publicités comme avant, car c'est aussi cela être libre. »

Kookie, les ingrédients de la réussite

Il a largement été plébiscité par les collégiens cette année. Kookie est une pépite d'épouvante qui met en scène une petite fille qui va, une fois de plus, désobéir et mentir à sa mère. Au delà des images chiadées, des changements de plans ultra réussis, de la musique qui tombe à pic et du jeu des couleurs qui accélèrent notre rythme cardiaque, Patrice Pincé nous offre une seconde lecture des ingrédients de la réussite.

Qu'il est bon de désobéir. Transgresser ? Kookie bouscule les interdits. L'héroïne est une enfant à la candide blondeur qui passe des heures seule devant la télévision à regarder en boucle un film d'horreur de 1932 (qui serait aujourd'hui interdit au moins de 12 ou 16 ans) : le premier film de l'histoire du cinéma à mettre en scène des zombies, White Zombie de l'américain Victor Halperine. En plus de manger les cookies à la chaîne, alors que sa mère ne lui a autorisé qu'un seul gâteau, l'enfant ment sans ciller.

L'absence, sentiment universel. Présenté comme très contemporain, Kookie est un film sans homme (visible). Dans cette maison, il n'y a que des femmes. Une mère, une fille, une babysitter. Le père peut-être mort ou absent, il n'existe pas. Pas même sur les photos dans la chambre de la petite blonde. Double absence : même une fois rentrée, la mère souriante de l'enfant passe son temps au téléphone ou lui demande de monter se coucher. Ici, sans père, sans homme, le réalisateur semble dire : pas d'autorité !

Au revoir l'enfance, bonjour l'adolescence. L'arrivée du clown, figure qui fait rire autant que pleurer et frissonner, change la donne. Le masculin arrive sous la forme d'une nouvelle boîte à cookies. Mais après avoir effrayé l'enfant, le le voilà tué par cette dernière : armée de courage, la petite sort de chez elle en pleine nuit (encore un interdit!) et le fracasse sur la route. Loin d'avoir disparu, le voici libéré. L'homme-clown prend alors le pouvoir, il lui inspire ses peintures et la rejoint même, non sans jubilation, dans son lit à la nuit tombée. Terminée la boite à cookie ourson et les poupées blondes, l'univers tout aussi joyeux qu'effrayant du clown s'offre à la nouvelle adolescente.

Voulez-vous connaître les autres lauréats du Concours Critique sur courts 2016 ? Plus d'infos sur le festival Court métrange et ses actions auprès des jeunes Bretilliens ? Rendez-vous sur le site de Court métrange.


Virginie Jourdan : textes
Jérôme Sevrette : photos