Les artisans français de la lutte féministe

De nouveau médiatisé, le féminisme a derrière lui plus de deux siècles de combats pour l'égalité des sexes dans l'Hexagone.

Dans la rue, les pancartes sont levées pour obtenir un droit à l'avortement, pour briser un plafond de verre décidément bien résistant ou pour dire stop au harcèlement sexuel. Ces dernières années, le combat féministe redescend dans la rue pour montrer qu’il n’est pas fini, que tout n’est pas encore acquis. Le 06 octobre 2017, l’affaire Weinstein a ravivé ce sentiment d’injustice envers les femmes et ce silence qui persiste face à des violences indicibles. Des hashtags, de #Balancetonporc à #Metoo ont développé la cause féministe sur la toile. Si bien qu’Emmanuel Macron en a fait sa « grande cause du quinquennat ».

On pourrait penser que le combat pour une société féministe ne fait que commencer. Une supposition erronée quand on se tourne vers l’Histoire qui compte plusieurs "vagues" féministes, comme les a nommé pour la première fois la journaliste Martha Weinman Lear dans un article du New York Times Magazine de mars 1968.

La Révolution française où le "début" du féminisme

L'histoire du mouvement féministe ne remonte pas à l’aube des temps, mais s'est manifesté lors de la Révolution Française. À la fin du Siècles des Lumières, le combat rayonne alors que l’église règne en maître et la liberté de la femme était restreinte. En 1793, les clubs féminins sont interdits car n’ayant aucun droit politique accordé par la convention nationale qui leur interdit de se réunir en club. Mais des femmes et des hommes vont lutter contre cette injustice aux côtés de ceux qui veulent abolir les privilèges, car telle est la révolution.

Le philosophe Condorcet, un homme féministe au XVIIIe siècle

Homme de sciences mais aussi philosophe et homme politique à ses heures perdues, Nicolas de Condorcet ou Jean-Antoine-Nicolas Caritat de son vrai nom, rencontre notamment Voltaire ou encore Turgot. Sa soif de savoir est insatiable, ce qui l'amène à collaborer à l’écriture de l’Encyclopédie et à défendre les droits de la femme et de l’homme.

Le marquis de Condorcet défend activement la cause de la femme. Il est l’un des précurseurs à la bataille de l’obtention du droit de vote des femmes avec la publication du texte De l’admission des femmes au droit de cité en 1770. 

Cette liberté de pensée lui vaut de forte inimitiés. Mais la rupture est consommée quand les Girondins perdent le contrôle de l’Assemblée nationale. Il critique la proposition de nouvelle Constitution du jacobin Marie-Jean Hérault de Séchelles. Une désapprobation qui le fait condamner pour trahison mais échappe à la condamnation de justesse et se cache. Il sera finalement arrêté le 27 mars 1793 à Clamart. Deux jours plus tard, il se suicidera dans sa cellule pour échapper à la guillotine.

Olympe de Gouges, la révolutionnaire féministe

À la même époque, une femme se démarquera pour sa prise de position, son nom est Olympe de Gouges. Femme de lettres et révolutionnaire française, elle se pose comme une femme qui est en avance sur son temps. Elle publie la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne pour répondre à l'Assemblée Constituante qui exclut les femmes des droits de cité et pose les fondements du féminisme. Le texte prône l’émancipation de la femme et l’égalité totale et inconditionnelle entre les deux sexes. 

Olympe de Gouges sera guillotinée le 3 novembre 1793 car trop proche du roi Louis XVI ou encore des Girondins.

Début XXe : La "réelle" première vague

La Révolution passée, le vent du féminisme peut enfin souffler fin XIXe début XXe siècle. La principale revendication de l'époque est le droit à l'égalité politique et professionnelle. Le mouvement des Suffragettes réclame également le droit de vote et d'éligibilité. Les Françaises l'obtiendront tardivement en 1944. 

Mais le processus va faire un énorme bon en avant grâce à Marguerite Durand. Cette femme aura fait bougé les lignes comme personne. Après une carrière de comédienne, elle devient journaliste à La Presse puis au Figaro. Lors d'une participation au Congrès Féministe International en 1896, elle prend conscience de la justesse des revendications des participantes. Un déclic pour cette femme qui fonde l’année suivante La Fronde, premier quotidien féministe fait par des femmes pour les femmes.

"Non, pour nous, le féminisme ce n'est pas la lutte contre l'homme, ce n'est pas la bataille des sexes... Mais nous ne voulons pas que la femme, représentant une valeur sociale égale à celle de son compagnon en tant qu'ouvrière, ménagère, génératrice, soit sa subordonnée et soit traitée en accessoire par les lois et par les mœurs." - Marguerite Durand.

Marguerite Durand milite pour les droits des femmes, notamment celui du droit de vote et d'éligibilité. Elle participe aussi à la création de syndicats féminins. En 1931, elle crée la première bibliothèque féministe française où les Français peuvent consulter des documents relatifs à l'histoire des femmes et à leur rôle dans la société.

Années 50-70 : la libération des Années folles

C'est la fin de la guerre et le début des Trentes Glorieuses. La France se rebâtit, les immeubles émergent par centaines dans l’Hexagone. La littérature militante se reconstruit aussi. Quand la Constitution de la IVe République inscrit en 1946 que « la loi garantie à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de   l’homme » et ouvre la voie à un congé maternité, Simone de Beauvoir publie deux ans plus tard un ouvrage précurseur de la nouvelle vague : Le Deuxième Sexe.

« On ne naît pas femme, on le devient. » - Simone de Beauvoir.

Simone de Beauvoir est l'une des personnalités qu’on lie le plus au féminisme. Écrivaine, elle s’intéressera à la philosophie, se spécialisera dans ce domaine et fondera la Revue des Temps Modernes avec Jean-Paul Sartre, son ami et son amant intellectuel avec lequel elle aura une relation avant-gardiste, même encore de nos jours. De Beauvoir s'oppose fermement au mariage et développe sa pensée autour de la liberté et de l'autonomie des individus, en particulier des femmes. C’est en grande partie ce qu’elle développera dans Le Deuxième Sexe. Car cet ouvrage découpé en deux tomes et quatre chapitres est une mine sur la condition féminine. « On ne naît pas femme on le devient », écrit de Beauvoir qui y défend un rapport hommes/femmes bâtit sur un modèle sociétal. Le Deuxième Sexe divisera plus que tout les critiques. Les idées de Simone de Beauvoir, on les adore ou on les déteste. D’autant plus que dans ces lignes, l’auteure aborde le tabou de l’avortement, acte criminel à l’époque. Elle participera d’ailleurs à la rédaction du manifeste des 343 publié dans Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971. La pétition regroupera des femmes, 343, qui déclarent avoir avorté clandestinement sous la phrase « Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté ». À l’époque, ces femmes risquent la prison.

L’avortement, un bien grand mal pour les conservateurs et religieux, sera le fil rouge de cette vague féministe, entre le droit des femmes de tenir un compte bancaire en 1965, la loi sur la contraception en 1967 – loi Neuwirth qui fête ses 50 ans – et l'instauration du divorce par consentement mutuel en 1974. Simone Veil, ministre de la Santé sous Giscard d’Estaing mettra fin au débat – du moins sur le papier – avec sa loi sur la dépénalisation de l’avortement, votée et promulguée le 17 janvier 1975 après des jours de manifestations et des nuits de joutes verbales à l’Assemblée.

Chez Benoîte Groult, la vocation féministe vient tard dans ses écrits. Cette femme, veuve puis remariée une fois, publie Ainsi soit-elle en 1975 aux éditions Grasset. À sa manière si particulière, Benoîte Groult explique dans un texte didactique cette « tradition » qui empêche la femme d’être traitée comme l’égal de l’homme. « Il faut enfin guérir d'être femme. Non pas d'être née femme, mais d'avoir été élevée femme dans un univers d'hommes », écrivait-elle. Elle ne lâchera jamais ce combat féministe jusqu’à sa mort, en juin 2016 et présidera la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions de 1981 à 1986 qui obtiendra gain de cause pour les auteures et écrivaines notamment. 

Six livres s’ajouteront à sa bibliographie féministe, ou elle abordera d’autres aspects chers à l’époque, comme la liberté sexuelle et amoureuse dans Les Vaisseaux du cœur en 1988.

XXIe siècle : à qui le tour ?

Ce début de siècle est une période noire en terme de perte de figures féministes phares - rien qu'en 2016 et 2017, Edmonde Charles-Roux, Benoîte Groult, Françoise Héritier et Simone Veil sont décédées. Dans ce pays où le prix pour la liberté des femmes porte le nom de Simone de Beauvoir, de nouvelles voix doivent s’élever. 

Plutôt que des individus solitaires, on prône le collectif : Les Chiennes de garde, Ni putes ni soumises, Osez le féminisme !, la Barbe etc. Bien plus que de vouloir faire évoluer la loi, on cherche aujourd’hui à changer les mentalités. 

La cause féministe est d’ailleurs immensément diverse de par ses différents courants. Le féminisme socialiste, libéral, radical, radical différentialiste, pro-sexe, anarchiste ou encore intersectionnel, tant de pensées différentes pour un seul combat : celui de l’égalité femmes-hommes.

Sophie Pironnet & Florian Cartignies.