Finir sa vie avec Dieu

L'EHPAD Vieil Assantza n'est pas comme les
autres. Ici, les résidents sont des résidentes.
Et ce sont des religieuses...

Des pas résonnent dans les couloirs de l'EHPAD, accompagnés par le bruit des cannes et autres déambulateurs. L'odeur si particulière des maisons de retraite, un mélange entre celles de la soupe et des vieux bouquins, confirme la nature de ce bâtiment. A première vue, cet établissement pour personnes âgées ressemble à n'importe quel autre. Sur les murs pâles de l'établissement, des tableaux montrent différents paysages du Pays Basque. Mais en prêtant plus attention, on remarque de nombreux symboles chrétiens. Quelques croix religieuses, tout comme des affiches reprenant des psaumes. « Acclamez Dieu, toute la terre ; chantez la gloire de son nom, glorifiez-le par la louange » est écrit sur un des cadres accrochés près de la chapelle dont dispose l'EHPAD. Dans les escaliers menant au premier étage, un autre indique « Ouvre les yeux et je verrai les merveilles de ta loi. »

Deux religieuses marchant dans les couloirs de l'EHPAD./ Crédit : Camille Obry


Dans les couloirs, les personnes âgées se croisent. Elles ont toute une croix qui pend autour de leur cou. Quelques-unes portent également le voile chrétien. Les résidentes de l'EHPAD « Vieil Assantza » ne sont pas des personnes ordinaires. Il s'agit de religieuses des Franciscaines Missionnaires de Marie. Cette congrégation compte 6.100 sœurs dans le monde, qu'elles soient actives ou retraitées. Ce n'est pas un hasard si cet établissement accueille seulement les sœurs de cette communauté. « Les murs appartiennent à notre congrégation », explique Sr Véronique, la responsable de la communauté de Cambo-les-bains. 

Dans un des couloirs, un cadre montre l'historique de la maison. Construite en 1920, ce n'est qu'en 1971 qu'elle est devenue une maison de retraite. Avant cela, le bâtiment accueillait les Franciscaines Missionnaires de Marie qui étaient malades. En 2004, la structure se médicalise et devient l'EHPAD Vieil Assantza.
« On est une communauté dans un EHPAD, c'est une double institution », s'amuse à résumer la mère supérieure.

Aujourd'hui, l'EHPAD reçoit des sœurs âgées, qui, pour la plupart, ont fini leurs missions religieuses. Ce ne sont pas les sœurs qui choisissent de venir dans un EPHAD spécifique, c'est la Provinciale qui leur dit où aller. Même âgées, elles continuent tout de même de prier. « Cela fait parti de notre projet de vie. Une vie de prières soutenues et apostoliques », résume Sr Véronique

Laudes, Adoration, Eucharisties... Des journées rythmées par la prière

le Chœur de la chapelle./ Crédit : Camille Obry

« S'il n'y avait pas les prières, la vie serait bien triste ». Ce constat, c'est Sr Ines, une Espagnole de près de 90 ans, qui le fait. Les sœurs de la communauté de Cambo-les-bains passent une grande partie de leur journée à prier, que ce soit des temps religieux personnels ou communautaires. L'EHPAD dispose d'une chapelle, un lieu sacré pour les 56 religieuses qui vont y prier durant leurs différentes célébrations religieuses.


Pour certaines, la journée commence directement dans ce lieu, à 7 heures 45, avec les Laudes. Un horaire qui peut en surprendre plus d'un, mais qui ne leur pose pas de soucis. En effet, de nombreuses résidentes se lèvent dès 5 heures. S'ensuit, de 8 heures à 16 heures 30, l'Adoration. Toutes les 30 minutes, deux sœurs vont prier silencieusement devant le Saint Sacrement. Un rituel très organisé.

Avant de pousser la porte en bois et en verre de la chapelle, les sœurs attendent, sans faire le moindre bruit, assises sur leurs chaises. L'avant-chœur, un espace en longueur attenant à la chapelle, sert de lieu d'attente. Avant de rentrer dans la chapelle, une sœur sort son chapelet en bois et fait ses « Je vous salue Marie ». De nombreux livres religieux et bibliques sont mis à leur disposition. Simone Vieil, Jean Paul II, Mère Teresa… Autant de références religieuses qui les accompagnent dans leurs moments de communion avec Dieu. Une ambiance calme et détendue règne dans cet espace qui n'est occupé que par période.

Quelques mètres plus loin Sœur Suzanne prépare la liturgie du lendemain. Dans cet EHPAD, ce sont les sœurs qui préparent les messes, même si ces dernières sont officiées par un prêtre, lui aussi à la retraite. Sœur Suzanne s'aide de livres spécialement conçus pour cet effet. « Ce que je fais est assez simple en fait. Je choisi les psaumes et les hymnes que nous allons dire. Tout est écrit dans nos livres. Ça devient plus compliqué quand il s'agit de fêtes spéciales, comme celle d'aujourd'hui par exemple, qui est importantes pour les Franciscaines », explique la Sœur. Sur un tableau, elle place ensuite des lettres qui vont servir de fil conducteur pour les deux célébrations du soir, les Vêpres suivis de l'Eucharistie. Durant les Vêpres, les sœurs chantent toutes ensemble. Un moment de communion remplie d'émotions et de pureté.

« Quand on prie, on parle à Dieu. On ne l'entend pas avec nos oreilles, mais on a l'impression qu'il vient nous voir, quand on prie. On apprend à vivre ça depuis toute jeune », raconte Sr Ines, avec la voix tremblante de la vieillesse et un léger accent espagnol. Ce soir-là, c'est un Père résidant à l'EHPAD Arditeya qui célèbre la messe. Il attend, assis près du Chœur de la chapelle, que les sœurs finissent leurs Vêpres pour pouvoir commencer la célébration, qui durera 15 minutes. 

Les sœurs prient également beaucoup dans leur chambre. Chacune s'est fabriquée son petit coin de prière, avec des icônes et des images qui comptent pour elles. « Comme la célébration de l'après-midi a été supprimée il y a 6 mois à la chapelle, je la fais dans ma chambre tous les jours. Ce n'est pas compliqué, c'est des psaumes à dire pendant 15 minutes », explique Sr Jeanne

Même si les prières sont présentes tout au long de la journée, jusqu'aux repas où elles disent le Bénédicité, la structure de l'EHPAD leur propose de nombreuses activités, qui leur permettent de se divertir et d'oublier la fatalité de la fin de vie.

Des crêpes pour oublier les problèmes du quotidien 

Les sœurs se réunissent dans la salle à manger pour les repas mais aussi pour quelques activités./Crédit : Camille Obry

Elles auraient dû accueillir les sœurs de Notre Dame du Refuge d'Anglet ce jeudi 14 juin 2018 pour un pique-nique dans le grand jardin de Vieil Assantza. Il a cependant été reporté pour une raison ne dépendant pas du fonctionnement de la maison de retraite. Mais il en faut plus que ça à l'EHPAD pour tout annuler. Le nouveau programme comprend donc un film sur Fatima et une après-midi crêpes. Un programme qui ravi les religieuses qui y voient un moyen de se changer les idées. Pendant que les plus valides se sont installées sur les fauteuils pour regarder le documentaire sur Fatima, l'odeur des crêpes chaudes envahie le premier étage.

Dans la salle à manger du haut, Maïté, l'animatrice de l'EHPAD se dépêche de cuire à temps les 10 litres de pâte à crêpes, préparée la veille par le cuisinier. Équipée de deux plaques pouvant cuire 6 mini-crêpes à la fois, l'animatrice ne s'arrête pas. Sur la table, déjà trois assiettes à dessert sont remplies. « Hum ! ça sent bon ici », lance une religieuse qui passe par là. Quelques résidentes présentes dans la salle à manger du premier étage observent Maïté et viennent se servir de crêpes. La gourmandise est également présente chez les religieuses, mais avec modération ! Une aide-soignante a eu la bonne idée d'amener du Nutella, une association qui ravit toujours petits et grands. Les sœurs se relaient pour tenir compagnie à Maïté. Sœur Jeanne, l'aide avec le sucre. Quand l'animatrice dépose une crêpe dans la petite assiette, la sœur la saupoudre légèrement de sucre blanc.

Dans la salle à manger du rez-de-chaussée, le documentaire se fini. « Oh ! C'était un très beau film », s'exclament plusieurs sœurs. Les crêpes sont déjà sur les tables. Une dizaine de sœurs arrive pour prendre le goûter. Chocolat chaud, thé, café, crêpes au sucre et au Nutella, il y en a pour tous les goûts. « Il reste encore des crêpes au Nutella ? », demandent les plus gourmandes. L'ambiance est bonne enfant. Les discussions vont bon train, notamment sur le mauvais temps qui s'acharne sur le Pays Basque cette semaine. Les sœurs qui étaient à l'adoration arrivent un peu plus tard que les autres et mangent les quelques crêpes restantes. « C'est rudement bon » peut-on entendre dans la pièce. Un moment de partage où elles ne parlent ni de religion, ni de mort. Un moment où tous les soucis et les douleurs du quotidien sont oubliés le temps de quelques minutes. 

« On pense à la mort tous les jours »

Une sœur devant les informations religieuses de la communauté./Crédit : Camille Obry

Ici, approcher ou atteindre les 100 ans n'est pas une chose rare. « L'âge moyen des sœurs de la communauté de Cambo est de 90 ans, ce qui est au-dessus de la moyenne française. On peut expliquer cela, car notre vie est régulière et loin de tous les excès. De plus nous ne portons pas d'enfants. Notre vie est très réglée », constate Sr Véronique. A ce jour, Vieil Assantza compte trois centenaires. La dernière en date est Sœur Mayi, une Basque, qui les a fêtés avec sa famille samedi 16 juin.
L'âge avancé de toutes ces résidentes les rapproche un peu plus chaque jour de leur fin de vie. Pour toutes les sœurs vivant à Vieil Assantza, cet endroit est leur dernier lieu de vie, avant de « partir dans la plénitude de Dieu ».

Pour ces religieuses, avoir la foi aide à passer le cap de la mort. « Pour nous, mourir, c'est rejoindre Dieu », ajoute Sr Jeanne. Sœur Marie-Thérèse pense elle aussi à la mort.

Il y a trois ans, elle aurait pu partir, elle le sait. « On m'a hospitalisée en urgence. Je suis revenue vivante, alors que je partais mourante », se rappelle la sœur. Ce n'est pas le seul gros soucis de santé qu'elle a connu. « L'année dernière, j'ai fait un AVC côté droit. J'ai récupéré assez vite selon mon docteur. Depuis mars, j'ai quelques ennuies avec mes yeux. Je fais une dégénérescence maculaire. L'œil droit ne voit plus, donc on me fait des piqûres dans l’œil. » Des problèmes qu'elle relativise. « Quand on approche des 100 ans, il faut se dire qu'on ne peut pas vivre éternellement. » 

Une réalité à laquelle les sœurs sont souvent confrontées. En 2017, neuf d'entre elles sont décédées. Récemment, début juin, c'est Sœur Françoise qui les a quittées. Comme à l'accoutumé, le corps de la défunte est resté dans sa chambre, jusqu'au jour de l'enterrement, et les religieuses se sont relayées auprès d'elle pour la prier. Jeudi 14 mai, en fin d'après-midi, Sœur Annie est arrivée à l'EHPAD Vieil Assantza pour prendre la place de Sœur Françoise. Une pratique voulue par leur congrégation. Dès qu'une religieuse s'en va, une autre arrive. Et ainsi, la vie continue pour les Franciscaines Missionnaires de Marie à l'EHPAD Vieil Assantza de Cambo-les-bains.