ESNOGA

La communauté séfarade d'Amsterdam à son heure la plus glorieuse

Amsterdam, ville proto-capitaliste et ouverte sur le monde, a vu arriver les premiers juifs d'origine hispano-portugaise plus d'un siècle après l’Inquisition espagnole de 1492.
Interior of the Portuguese synagogue in Amsterdam. vers 1680.  huile sur  toile. 110 × 99 cm. Emmanuel de Witte. Amsterdam, Rijksmuseum Amsterdam

Ces hommes et femmes, souvent des marchands aisés, et ont été séduits par la capitale du nord, lieu d'accueil des réfugiés mais aussi d’un développement économique stupéfiant. L’arrivée des premiers « nouveaux-juifs » selon l’expression de l’Historien Yosef Kaplan, c'est-à-dire d’origine juive, convertis de force au Portugal, et revenus à leur foi originale, est en somme assez méconnue.

Grâce à la tranquillité qu'ils connurent, les habitants séfarades de la ville purent reconquérir leur foi juive, et construire des institutions religieuses sans être inquiétés.

Les historiens contemporains ont un penchant particulier pour l'appellation « la petite Jérusalem » tandis que les auteurs amstellodamois de l'époque moderne, comme Daniel Levi de Barrios, nommèrent Amsterdam la « Babel » ou la « Babylone » du Nord.

Nous savons que l’époque moderne est le temps d’une relecture de la Torah par les calvinistes. Nous pouvons aussi combiner les deux : Amsterdam, Babel et Jérusalem du Nord, pivot du commerce européen, de la culture renaissante et lieu d’accueil des réfugiés.

En 1675, à l’apogée démographique, social et culturel de la communauté, le Mahamad (Beth Din de la communauté) obtient l’autorisation de construire un lieu de culte dans le cœur de la ville : la grande synagogue Esnoga.

Elle symbolise parfaitement la richesse de la communauté. L’édifice reprend l’architecture quasi-exacte des plans du Temple de Salomon (connues des croquis antiques). On dit même qu’après étude plus profonde des sources sur le Temple antique, on ajouta à la synagogue d’Amsterdam des arches, quelques années plus tard.

On clame à son inauguration « Amsterdam ! Tu es ma Jérusalem ! Le Messie !
Sa Constitution ! Le Temple ! Vertu et Honneur ! la Vérité ! La loi Sacrée ! Repentance pour nos péchés ! Absolution ! » On peut aussi considérer qu’il s’agit là de l’annonce d’une terre promise.

Dans l’ensemble, les « néo-juifs » ou « nouveaux-juifs », sont investis dans leur communauté, font des dons à la synagogue, la fréquentent régulièrement et tiennent un rôle actif dans les affaires communales. Les grands noms de familles qui figurent sur les sièges d’Esnoga, et dans de nombreux registres sont Belmonte, Teixera, Pinto, Curiel, tous donateurs réguliers au sein de la synagogue.

La lutte contre l’hétérodoxie est permanente, on découvre, dans les registres en hébreu de la communauté Ets Hayyim, attachée à Esnoga, des secrets enfouis ainsi que des enquêtes sur les membres de la communauté. Le plus connu de ces hétérodoxes, ou déviant de la tradition, est le grand philosophe Spinoza.

La culture revêt parfois une figure folklorique, on parle de femmes très joviales et bruyantes lors des offices. Cependant, la communauté a dû se plier aux exigences des autorités calvinistes, comme en témoigne l'interdiction d'agiter les crécelles dans la grande synagogue à Pourim.
Portuguese Synagogue at Amsterdam- Jacob-Emile-Edouard Brandon (1831-1897) -Walters Art Museum Baltimore,  United States - OTRS  #2012021710000834.

Même si au regard de nombreux amstellodamois, ces juifs étaient des barbares, comme le montraient leurs coutûmes bruyantes et ce folklore inutile, beaucoup se sont au contraire penchés sur cette culture, comme un objet d'étude ethnologique. Bien que controversé, cet intérêt s'exprime dans l’accroissement de l’apprentissage de l’hébreu en Europe par les chrétiens, mais aussi par la curiosité des voyageurs, qui ne manquaient pas de faire un tour dans la grande synagogue portugaise lors de leurs passages à Amsterdam et d’en louer les beautés. La victoire ou le « triomphe » du judaïsme séfarade à Amsterdam s’exprime principalement dans cette œuvre de géant qu’est Esnoga.