Et le métropolitain sortit de Paris… à Boulogne-Billancourt !

L'arrivée à Boulogne-Billancourt du métro a connu bien des aléas. Ils n'en racontent pas moins une histoire déterminante pour la ville.

Descendre sur les quais de la ligne 9 aux stations Pont-de-Sèvres, Billancourt et Marcel-Sembat pour rejoindre le centre de la capitale n'étonne plus les Boulonnais depuis longtemps. De même, rallier la gare d’Austerlitz depuis le pont de Saint-Cloud par la ligne 10 est une habitude anodine… Et pourtant, c’est une histoire pleine de rebondissements que celle de notre très urbain métro boulonnais.

 Le métropolitain est à l’origine une création parisienne "intra-muros" puisqu’à la fin du XIXe siècle, la capitale était enserrée dans les fortifications dites de Thiers. Très vite, les limites du territoire parisien sont atteintes. Non pas obligatoirement par le métro mais par la nécessité d’installations techniques, gourmandes d’espace. 

En 1913, la Compagnie du Chemin de fer Métropolitain de Paris prit l’attache de la municipalité boulonnaise afin d’acheter des parcelles pour aménager une zone de remisage des trains à la porte de Saint-Cloud. Les tractations furent difficiles. 

Le métro pour à l'essor de Boulogne-Billancourt

En ville, on craignait l'irruption de nuisances infernales (fumées, bruit, vibrations) sans contrepartie. En échange de leur consentement, ils exigèrent le prolongement de la ligne au-delà de la porte de Saint-Cloud, jusqu’à la Seine. Le préfet trancha en annonçant, le 27 juillet 1919, le terminus à la porte de Saint-Cloud : "Boulogne a un intérêt évident à la mise en exploitation de la ligne Opéra-Porte de Saint-Cloud. C’est sur son territoire que se trouvent reportés le tiroir à disposer pour la manœuvre des trains et les souterrains destinés à réaliser les raccordements".

Quels étaient les intérêts de la ville ? "La ligne Opéra-Porte de Saint-Cloud permettra à ses habitants de se rendre rapidement et à peu de frais au centre de Paris". Pour asseoir cette décision, un second argument fut avancé : "La ligne intéresse surtout la population parisienne qui fréquente en nombre les jours de fête et les dimanches le parc de Saint-Cloud et les berges de la Seine". Toutefois l’assertion devenait chaque jour plus fausse. Car Boulogne-Billancourt connaissait un formidable essor urbain et démographique soutenu par l’industrialisation.

L’agitation des jours ouvrables tendait à surpasser celle des jours fériés : aux circulations des nouveaux habitants s’ajoutaient les quotidiennes "migrations pendulaires" des milliers d’ouvriers qui rejoignaient les usines de la ville. Et pourtant, la station Porte de Saint-Cloud ne vit pas le jour avant le début des années 1920. De là, omnibus et tramways assuraient la desserte des différents quartiers de la ville.

Un ingénieur visionnaire…

Cette timide apparition du métropolitain aux portes de Boulogne-Billancourt ne pouvait satisfaire les besoins de la population. Ce qui n'échappa ni aux usagers, ni à leur porte-voix. Ni à un ingénieur-visionnaire dénommé L. Mähl qui envoya au maire de Boulogne-Billancourt en juin 1916 un incroyable projet de "Chemin de fer économique de Boulogne-sur-Seine" qui aurait depuis une gare principale irrigué tout la ville, desservie par 6 gares, contre "une dépense très modique".

L'auteur avait tout prévu : 16 km de lignes, dont 11 km à voie double et 5 km à voie unique, des wagons pour voyageurs, d’autres pour des messageries et du transport de marchandises. Les édiles lui demandèrent quelques précisions sur le financement qu’il apporta sans ne plus jamais obtenir de réponse par la suite...

… et surtout un maire pragmatique

Autre visionnaire, plus pragmatique et surtout doté de la légitimité démocratique : André Morizet, maire de Boulogne-Billancourt de 1919 à 1942, œuvra avec force au prolongement de la ligne 9 sur le territoire boulonnais. En 1925, alors que sous la pression populaire, la réflexion s'engageait entre les différents partenaires, Morizet défendit les intérêts de sa ville en plaidant pour les 13 000 ouvriers qui venaient chaque jour de la capitale à Billancourt. Mû par la seule "nécessité de justice sociale", il obtint gain de cause puisqu'en 1927, le Conseil municipal de Paris se prononça en faveur du prolongement de la ligne 9.

En 1929, une convention était signée. Ne restait qu’à dessiner le tracé définitif du prolongement. Le premier s’annonçait presque poétique : de la porte de Saint-Cloud au pont éponyme en passant par la place Marcel Sembat et peut-être le quartier des Princes. "Un zigzag qui se perd en lacets" selon Morizet qui lui préférait un "allongement en ligne droite, au cœur des usines" jusqu’au Pont de Sèvres. Une consultation populaire fut organisée et l’avis des communes de Chaville, Meudon, Sèvres, Versailles et Viroflay requis. Le projet de Morizet l’emporta avec 28 396 signataires et les délibérations des sept villes voisines en sa faveur.

Mise en service de la ligne 9 en 1934

Vint le temps des travaux et des nuisances plus ou moins prévisibles qui y étaient liées. De nombreuses plaintes émanèrent de Boulonnais qui virent leurs puits se tarir, siphonnés par le creusement des tunnels et les besoins en eau des entreprises. D'autres se plaignirent du bruit engendré par "les grues élévatrices qu’il suffirait d’entretenir pour les rendre plus silencieuses". Désagréments inévitables au regard d’un chantier titanesque à la technicité remarquable qui s’acheva par la mise en fonction du métro en février 1934.

Dans son discours inaugural, André Morizet voulut poser des jalons pour l’avenir: "la partie de la ville que ne parcourt pas la ligne 9 verra, dans un avenir que nous espérons proche, la ligne 8 la traverser". Il se trompa hélas, par excès d’optimisme, puisque le nord de la ville ne fut pas desservi par le métropolitain avant le 3 octobre 1980. Une fois encore, les élus boulonnais durent mener la bataille. En 1934, l’enquête publique pour le prolongement de la ligne 8 - à laquelle par la suite d’une recomposition sera attribuée le numéro 10 - se conclut par un avis favorable de la population. La guerre empêcha toute mise en oeuvre.

De la ligne 10 en octobre 1981

Au retour de la paix et jusqu'à la fin des années 1960, maires et conseillers municipaux boulonnais réclamèrent en vain la réouverture du dossier, peu considéré par la RATP d’alors qui jugeait les travaux de prolongement trop coûteux pour peu de rentabilité. Cependant à l’orée des années 1970, un changement d’appréciation intervint : trois lignes de bus ne pouvaient suffire au déplacement des 50 000 habitants de la moitié nord de la ville.

L’entreprise publique proposa au Conseil municipal un projet d’itinéraire passant par la rue du Château et la rue de Paris et deux stations, les futures "Boulogne-Jean-Jaurès et Boulogne-Pont-de-Saint-Cloud". Les élus adoptèrent le projet en l’amendant : une troisième station leur sembla nécessaire pour desservir le quartier des Princes. Ils ne seront jamais entendus, faute de financement. Les travaux débutèrent en 1977 pour se terminer en octobre 1981.

L’extension du métropolitain à Boulogne-Billancourt fut une longue bataille politique dont le résultat est exceptionnel : 2 lignes, 5 stations dont trois qu’un décor singularise et tous les Boulonnais à moins de 1 km d’une entrée d’un vaste réseau bientôt complété par l’arrivée de la ligne 15 du Grand Paris Express…