"Le bien-être de ma commune vaut plus qu'une idéologie"

En Roumanie, les maires doivent jongler avec les partis pour obtenir des fonds pour le développement.  Reportage. 

"Je n'aime pas me raser la barbe. Mais il le fallait. Ce dimanche, je vote." Mitica, un senior de 87 ans débordant d'énergie, a toujours vécu à Bogati (qui signifie "Les riches"), commune rurale au sud de la Roumanie. 

"J'ai toujours voté pour le Parti social-démocrate et je continuerai à le faire jusqu'à la mort", lance fièrement ce paysan coiffé d'une chapka, agitant vigoureusement le bâton en bois qu'il utilise pour éloigner son chien des visiteurs. Mitica ne se fait pas prier pour parler politique. Il n'a toujours pas avalé la pilule des coupes effectuées dans les pensions par le gouvernement libéral à la suite de la crise économique. De retour au pouvoir en 2012, les socialistes ont, eux, augmenté les retraites. "C'est clair comme de l'eau de roche : les libéraux me privent d'argent. Le PSD m'en donne", affirme-t-il. L'argument est irréfutable, d'autant que Mitica vit avec moins de 300 euros par mois.  

Mitica, paysan de Bogati. Crédit : Maria Udrescu

Le score du PSD dans cette commune d'environ 4600 habitants lors des législatives du 11 décembre est estimé à 80%, voire 90%. Outre les quelques fervents socialistes comme Mitica, ce succès s'explique surtout par la popularité   d'Ion Girleanu, maire de Bogati depuis 12 ans. Si en 2004, ce professeur d'université était membre du Parti de la Grande Roumanie (PRM, fondé par l'excentrique Vadim Tudor), il est fraîchement inscrit au Parti social-démocrate depuis mai 2016. Entre temps, il a aussi intégré les rangs du Parti démocrate libéral et du Parti national libéral. Un parcours inédit certes, mais que le maire justifie par son ambition de développer sa commune. 

"Si j'ai bougé d’un parti à l’autre, ce n’était pas par intérêt personnel mais pour le bien de ma communauté."

Le fait que les partis au pouvoir accordent en priorité des fonds aux régions dirigées par leurs membres est un secret de polichinelle en Roumanie. "Si j’ai bougé d’un parti à l’autre, ce n’était pas par intérêt personnel puisque mon salaire est resté le même, mais pour le bien de ma communauté. Tout ce qu'un maire peut faire, c'est préparer des projets et lutter pour qu'ils soient éligibles. A partir de là, ça ne dépend plus de nous. A partir de là, on garde la main tendue. Je suis donc passé d’un parti à l’autre en fonction des promesses de financement qu'on m'a fait. Ce n'est pas normal, non. Mais c'est comme ça", explique-t-il. 

Ion Girleanu, maire de Bogati depuis 2004, a entamé son quatrième mandat en juin dernier. 

Crédit : Maria Udrescu

En tout cas, la stratégie semble avoir payé. Bogati est doté d'un centre médical ouvert 24h/24. Il s'agit aussi de la seule commune du comté d'Arges à posséder une maternelle à programme prolongé (du matin jusqu'en fin d'après-midi) et qui est à 100% gratuite, assurant le transport et les repas des enfants. "Ma première priorité a été l'éducation. J’ai commencé par la réhabilitation des écoles. Nous avons changé les bancs, les chaises. Nous avons mis du parquet et des centrales de chauffage. Même en hiver, les enfants restent en chemise dans les salles de classe", insiste le maire faisant allusion aux reportages qui ont montré, dans d'autres villages, des salles de classe frigorifiées remplies d'élèves emmitouflés dans de gros manteaux. 


La première préoccupation des habitants est l'emploi, pas les cas de corruption qu'ils voient à la télévision.

La mairie a également développé un programme d'aide sociale visant les 20 foyers se trouvant en situation précaire.  La famille Costea, composée de quatre enfants, est la première à en bénéficier. Sa maison, qui était dépourvue de chauffage et même d'un toit par endroits, est aujourd'hui complètement rénovée et isolée. Prochaine étape : lui fournir des meubles, une machine à laver, une télévision, du chauffage. "Indifféremment de mon parti, j’ai entrepris des actions de gauche. J’ai toujours été du côté des personnes plus défavorisées", affirme le maire. En rejoignant les rangs du PSD, il espère pouvoir continuer ses projets et en voir démarrer d'autres, tels que la construction d'une salle de sport, d'un centre culturel ou l'installation d'un système de canalisation. 

Reste que ces efforts de modernisation ne semblent pas convaincre les nouvelles générations de rester à Bogati. L'exode rural a provoqué une chute dramatique de la population, passant en dix ans de 6000 à 4600 habitants. Dans cette commune, le rapport démographique est de cinq décès pour une naissance. "Puisque notre commune n’est pas une localité de transit, les investisseurs ne veulent pas venir. La première préoccupation des habitants est l'emploi, pas les cas de corruption qu'ils voient à la télévision", soupire M. Girleanu. Les jeunes passionnés par l'agriculture qui désirent rester à Bogati, célèbre pour la qualité de ses fraises et de ses prunes, se comptent sur les doigts d'une main. La majorité quitte "La commune des riches" pour rejoindre les grandes villes ou partir à la conquête du rêve occidental, tandis que les pensionnés se réfugient à Bogati pour fuir le chaos urbain. 

Ce fut le cas de Mihai. "J'avais besoin d'avoir une activité. Ici je laboure, je prends soin de mes poules. Je produits des pommes, des tomates, des oignions pour ma propre consommation", explique avec enthousiasme ce sexagénaire, pendant qu'il surveille d'un oeil le barbecue qui crépite au milieu de son jardin. Enfants, petits-enfants, cousins ont quitté la capitale pour se réunir chez lui en ce weekend aux airs printaniers. "L'hiver on mange ce qu'on a produit l'été", lance en rigolant Mihai, un verre de tuica (alcool traditionnel roumain) à la main. 

Mihai, retraité vivant à Bogati. Crédit : Maria Udrescu

A table, on discute récolte, politique, salaires, avenir. "Si 40% des députés socialistes sont en prison, ça veut dire qu'il y a 40% de nouveaux visages. Si même ces jeunes ne font rien, on est foutus. Parce que seul un parti aussi puissant, aussi bien incrusté à tous les niveaux, a les capacités nécessaires pour faire bouger les choses", lance le fils de Mihai. 

Le PSD, qui puise ses votes principalement dans les régions rurales, a en effet fait grand cas du renouvellement de son équipe, affirmant que ses listes comprenaient 70% de nouveaux visages. Mais sa marque de fabrique reste la même, à savoir un programme basé sur le patriotisme, la proximité et les promesses, pas toujours respectées, d'augmenter les salaires et les aides sociales, qui, dans un pays où un habitant sur quatre vit dans la pauvreté, séduisent. "Je veux vraiment que le PSD gagne ces élections. Il a prouvé qu'il y avait du budget pour augmenter les salaires et les pensions. Et les technocrates (composant le gouvernement de Dacian Ciolos, NdlR) s'y sont opposés. Les Socialistes sont plus proches des Roumains. Ces technocrates sont trop froids, arrogants, aristocrates", estime Mihai.

A l'heure d'écrire ces lignes, son souhait était en passe de se réaliser, les premiers résultats étant largement favorables au PSD.

D'après les premiers sondages de sortie des urnes, le Parti social-démocrate aurait remporté environ 45% des voix lors des législatives du 11 décembre 2016.