La Procession de la Chandeleur

Une tradition ancrée à Marseille

Comme toujours, la chandeleur a réuni cette année des milliers de pèlerins et de fidèles à Marseille ce 2 février. Les plus matinaux d’entre eux sont venus assister à la procession qui démarre Quai des Belges et se termine à l'abbaye Saint-Victor. 

Ce matin de février, les habitués du monde de la nuit n’en reviennent pas de voir le Vieux-Port devenir un lieu de recueillement. Fraîchement sorti de boîte, un jeune fêtard titube. Dans sa main gauche une bouteille de vodka et dans l’autre son téléphone portable. Totalement ivre, il filme et se moque des pèlerins qui, depuis cinq heures du matin et dans un froid glacial, ont rejoint le Quai des Belges pour accueillir la Vierge Noire.

Une tradition fidèlement ancrée à Marseille

Son arrivée se fait par bateau, avec à son bord l’Archevêque de Marseille George Pontier, la Vierge Noire et la Bible, emmenés par les élèves de l’école de la marine marchande située dans les quartiers sud de la ville. C’est la tradition, la Vierge Noire protège les marins des dangers de la mer. Sur le quai, ils sont plus de 500 à chanter à la gloire de Dieu et entament une marche d’une heure qui les portera jusqu’à l’Abbaye de Saint-Victor.

Il en va ainsi depuis le IIIe siècle.

L'importance de la tradition religieuse

Autour de la Vierge, les croyants, torches à la main, défilent dans les rues d’une ville encore endormie. Le long du parcours, tous refusent de répondre aux questions et préfèrent se recueillir. Ils se confieront plus tard, lorsqu’ils auront reçu la grâce du Seigneur. Aujourd’hui, même si la tradition se perd, certains y sont encore attachés. « Malgré le froid et l’heure matinale, nous sommes venus avec ma femme, c’est très important pour nous », résume Francis Marin, 74 ans. Le moment est tout aussi important pour Véronique Scanapieco, car « c’est la présentation de la vierge face à la mer ».

Fidèlement ancrée à Marseille, cette tradition se perpétue de générations en générations. « Mon grand-père déjà portait la vierge et mon père a pris le relais quand mon grand-père est décédé », raconte Véronique Scanapieco, emmitouflée dans une écharpe. « On va faire la queue au four pour les navettes et on va prendre un cierge vert pour la maison et le garder jusqu’à l’année prochaine et ainsi de suite », comme la tradition l’exige.

Serré comme des sardines !

L’Abbaye de Saint-Victor, fondée au Vème siècle, n’est pas prévue pour accueillir autant de monde. Seuls quelques chanceux ont accès au sanctuaire mais sont condamnés à être serrés comme des sardines. Impossible de réaliser un mouvement sans toucher son voisin. C’est le prix à payer pour recevoir la bénédiction de l’Archevêque de Marseille. La situation atteint son paroxysme lorsqu’une dame âgée est au bord du malaise. La vieille dame doit faire face à un vrai parcours du combattant pour sortir reprendre ses esprits. Le reste des pèlerins devra se contenter de suivre la cérémonie via la télévision installée à l'entrée du monument. D’autres doivent carrément attendre la fin de la messe dehors, sous un mistral glacial. « Il aurait fallu venir avant », commente Jackie Pietrie qui a commencé à faire ce pèlerinage du temps où ses enfants étaient à l’école Provence.

Le soleil commence à se lever et réchauffe aussi bien les coeurs que la température. Bonnets, écharpes et gants finissent dans les sacs. Durant la messe, les plus jeunes se sont endormis dans les bras de leurs parents. Ils seront réveillés par l’odeur gourmande de la fleur d’oranger. Les cloches sonnent la fin de l’office. C’est le signal pour se rendre au Four des Navettes et déguster cette spécialité toute marseillaise.

L’importance de la tradition religieuse

« La Chandeleur, c’est la grosse période », explique Nicolas, fils du Maître Artisan Boulanger Jean-Claude Imbert. La boutique marche à plein régime durant cette fête et les espaces sont étroits pour assister à la bénédiction. En plus de la présence des hommes d’Église, les pèlerins et les journalistes doivent se frayer un chemin pour acheter des navettes. Et comme tout ce monde n’est pas assez serré, le maire Jean-Claude Gaudin arrive et fend la foule.

L’Archevêque peut procéder à la bénédiction du four, des fameuses navettes, de ceux qui les fabriquent, de ceux qui les vendent et de ceux qui les mangent. 

« Notre savoir-faire permet de conserver les navettes toute une année sans altérer leurs qualités », indique Nicolas, propriétaire du four. « Pour la petite histoire, c’est un biscuit que vous pouvez conserver toute une année puisque dans la tradition de la Chandeleur, vous prenez un cierge de l’abbaye de Saint-Victor, vous prenez une navette bénie du Four des Navettes, vous mettez tout ça dans un placard et cela vous porte bonheur toute une année. À la fin de l’année vous devez manger la navette. » Ces navettes sont un hommage à la barque qui amenait les Saintes Maries sur les côtes de la Provence que M. Aveyrous, fondateur du Four des Navettes, aurait décidé de donner à ses biscuits la forme d’une barquette.

Une dimension historique

Fondée en 1781 par la famille Aveyrous, la boutique est passée entre les mains de deux autres familles : les Rudy-Caumont et les Imberts depuis 1987. Elle appartient maintenant au Maître Artisan Boulanger Jean-Claude Imbert et à son fils Nicolas. Une entreprise familiale qui garde jalousement une recette vieille de plus de 200 ans. « Le four des navettes de Saint Victor est une adresse incontournable de Marseille. Ils ont su garder la même recette depuis presque 300 ans et visiblement cela a toujours autant de succès », se réjouit Pascal 48 ans, responsable sécurité sur les chantiers pétrochimiques de Vinci.

En plus de la recette, le four à voûte dans lequel sont cuits ces fameux biscuits est d’époque. La légende veut que la boulangerie se soit construite autour de ce four encore utilisé pour la cuisson.

Cette enseigne a une valeur historique reconnue chez les Provençaux, mais sa vraie valeur tient à l’attachement gourmand et aux rituels qui sont associés à ces navettes. C’est un élément du patrimoine culturel local.

Le Four des Navettes est le symbole de l’importance de l’artisanat et de la tradition. En témoignent les nombreuses récompenses décernées à cette enseigne historique pour la qualité de ses produits.

Un label de qualité

Depuis 2015, le Four des Navettes a ouvert un nouveau point de vente, juste en face des terrasses du port. « C’est bien pour tout le monde parce que c’était le parcours du combattant pour aller chercher des navettes au Four », se souvient Isabelle, infirmière de 47 ans. Le savoir-faire de la Maison Imbert ne s’arrête pas à la fabrication de ses fameuses navettes…

A Noël, pompes à l’huile et autres spécialités provençales sont préparées au Four des Navettes. Des mets prisées par tous les gourmands. Après avoir récupéré leurs précieux sachets de navettes, pèlerins, journalistes, hommes d’Église, politiques ou simples passants reprennent le rythme de leur vie et Marseille retourne vaquer à ses occupations. Loin des processions religieuses, des bénédictions de biscuits mais toujours sous l’oeil protecteur de la Bonne Mère qui s’éveille doucement au dessus de l’Abbaye de Saint-Victor.

Ce produit fait la fierté de Marseille