"Le corps humain ne s'achète pas"

La Gestation Pour Autrui : Enquête

À l'approche de l’élection présidentielle de 2017, la GPA (Gestation Pour Autrui) est encore un sujet qui fait grand bruit. Les avis des politiques français divergent, bien qu’une majorité semble s’accorder pour condamner cette pratique. En juin 2016, le député Républicain, Philippe Gosselin, souhaitait faire inscrire dans la Constitution « le principe d’indisponibilité du corps humain » afin de donner plus de force à l’interdiction de la GPA. Des associations comme la Manif Pour Tous ou Alliance Vita, se réunissent fréquemment, pour rappeler leur opposition farouche à cette pratique.

La GPA est une technique médicale qui fait intervenir une tierce personne dans une grossesse : la mère porteuse. Elle est chargée d’accueillir l’embryon fécondé par un couple et d’assurer les neuf mois de grossesse. Cette pratique est interdite en France depuis 1994 mais autorisée dans d’autres pays comme la Russie ou les États-Unis, en Californie par exemple.

Il ne faut pas confondre cette pratique avec la PMA. La Procréation Médicalement Assistée (aussi appelée Assistance Médicale à la Procréation) correspond à deux techniques distinctes. La première est l’insémination artificielle : des spermatozoïdes sont déposés dans le corps d’une femme. La seconde est la fécondation in vitro, qui a donné naissance à l’appellation de « bébé éprouvette ». Elle consiste à féconder un ovule en laboratoire puis l’embryon créé est implanté dans l’utérus de la femme. Cette dernière pourra ainsi poursuivre sa grossesse normalement. La PMA est autorisée en France, mais elle est réservée aux couples hétérosexuels, infertiles ou risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant.

Le 21 juillet 2016, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) condamne une nouvelle fois la France pour avoir refusé de transcrire les actes de naissance d’enfants nés de GPA à l’étranger. Mais le droit français doit-il
évoluer ?

Le sujet de la GPA divise les Français depuis des années et sur tous les fronts. Pour beaucoup, partir à l’étranger et trouver une mère porteuse est la seule solution pour réaliser son rêve d’avoir un enfant. De l’autre côté, de fortes critiques se font entendre. On parle de « marchandisation du corps », d’« atteinte à la généalogie », d’ « exploitation des femmes », de « néo-esclavagisme »… La loi française est l’une des plus répressives au monde. Attribuer la maternité d’un enfant à une femme qui n’en a pas accouché peut être puni par trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Mais alors, entre toutes ces positions antagonistes, les difficultés juridiques et les besoins des parents, où en est la France en matière de GPA en ce début d’année 2017 ?

TEMOIGNAGE :

Fanny, née d'une GPA en France

                                A U D I O  > >  Le témoignage de Fanny  

Parole de mère porteuse :

"La GPA est un don
de soi"

Un couple qui souhaite avoir recours à la Gestation Pour Autrui (GPA) doit faire appel à une mère porteuse. Autrement dit, c'est la femme qui accepte de porter l’enfant des parents « d’intention ». Portait de l’une d’entre elles.

« C’est magique. Je donne un cadeau de vie à quelqu’un. Je crée une famille qui n’existerait peut-être pas sans mon aide ». Shannon Lewis, 38 ans, est canadienne. Elle considère la GPA comme un don de soi et ne cache pas sa fierté d’avoir tenté l’expérience. Heureuse et épanouie, Shannon raconte son aventure qu’elle qualifie de merveilleuse.

Cette mère de deux enfants ne veut pas d’un troisième bébé. Pourtant, elle aime l’expérience de la grossesse et veut la revivre. Elle décide alors de se tourner vers la GPA. Une amie, ancienne mère porteuse, la conseille. Shannon assouvit donc son envie et rend service à un couple qui ne peut concevoir. Son aventure de mère porteuse a débuté en 2014.

Avant de se lancer, Shannon demande l’avis de son mari et de ses filles. « C’est une histoire de famille, il faut qu’ils comprennent ce geste. Si l’un d’entre eux avait refusé, je n’aurais peut-être pas franchi le pas. Pour moi c’est important que toute la famille soit d’accord parce qu’elle subit les effets de la grossesse comme le changement d’humeur ou la fatigue ».

Et c’est sur Internet que tout a commencé. Une fois décidée, la Canadienne se rend sur une plateforme dédiée à la GPA. Un site qui met en relation les couples désirant concevoir et les mères porteuses.

Elle y rencontre Clara et son époux. Après plusieurs échanges, le couple de Vancouver et Shannon entament les formalités. Neuf mois plus tard, Shannon met au monde des jumeaux. Les parents « d’intention » sont présents à la maternité.

Si la plupart de son entourage la félicite pour ce geste, certains se montrent réticents et lui font part de leur incompréhension : « Comment peux-tu donner tes enfants ? ». Sauf que Shannon ne le voit pas de cet oeil. Elle ne les a pas considérés comme tels. « Je n’ai jamais pensé qu’ils étaient à moi. D’ailleurs, dans ma tête, je n’ai pas été enceinte. Cela ne m’a pas émerveillé. Mon corps changeait mais je ne sentais pas ma grossesse, comme si je faisais un déni ».

Aujourd’hui, elle s’occupe d’eux comme si c’était ses neveux. Ils se contactent régulièrement et elle leur rend visite au moins une fois par an. Shannon souhaite réitérer l’expérience une nouvelle fois avec un autre couple. Rendez-vous pris en janvier 2017 pour l’implantation des gamètes.

« Si j'ai fait appel à la GPA, c'est pour une raison différente des autres femmes »

Clara a 38 ans. Elle a fait appel à la GPA il y a deux ans. Elle est ce qu’on appelle la mère d’intention, celle qui désire l’enfant. Elle vit à Vancouver, au Canada. Le recours à la GPA lui a permis d’avoir deux jumeaux. Elle aurait pu avoir ses propres enfants mais elle en a choisi autrement.

Pourquoi avez-vous décidé de recourir à la technique de la GPA ?

J’ai une maladie mentale. Je suis maniaco-dépressive. Je le sais depuis mes 18 ans. J’aurais pu avoir des enfants mais j’ai préféré avoir recours à la GPA pour éviter de leur transmettre cette pathologie. Je ne voulais pas qu’ils en souffrent. Et en plus, j’aurais dû mettre fin à mes traitements durant la grossesse. J’ai longtemps pensé à adopter mais j’ai opté pour la GPA.

Pourquoi la GPA plutôt que l’adoption ?

Je travaille dans le social. Je sais que les enfants adoptés peuvent avoir des difficultés d’adaptation. Avec la GPA, c’est différent. J’étais là quand mes enfants sont nés à l’hôpital. Je les ai élevés dès le début. Et leur père est leur père biologique.

Racontez-nous comment vous avez procédé pour trouver la mère porteuse

J’ai trouvé Shannon sur Internet. Nous nous sommes déplacés à Toronto pour la rencontrer. Ça s’est tout de suite très bien passé. Nous avons aussi fait appel à des embryons. Au total, nous avons dépensé 100.000 dollars, entre les déplacements, les frais médicaux et les salaires que Shannon ne percevait plus pendant la grossesse.

Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui avec la mère porteuse ?

Nous sommes très proches. Shannon est devenue une amie. Parfois, entre mère d’intention et gestatrice il peut y avoir des jalousies. Ce n’est pas notre cas. Elle fait partie de la famille. On va la voir chaque année. Elle s’amuse avec les enfants, c’est vraiment bien.

Allez-vous expliquer à vos enfants comment ils sont venus au monde ?

Je vais leur dire, bien sûr. Je compte prendre en photo Shannon chaque année pour que les enfants les regardent quand ils seront plus grands. C’est leur identité. Je suis fière de cette histoire, cela ne doit pas être un secret. Ils doivent tout savoir, c’est important pour moi d’être honnête.

Envisagez-vous de recourir à nouveau à la GPA ?

Non car je suis séparée de mon mari maintenant. Nous sommes en procédure de divorce. C’est vraiment dommage. J’étais soulagée que Shannon nous soutienne. Et puis recourir à la GPA, c’est beaucoup de travail, du stress et de l’argent.

 La GPA peut-elle provoquer chez les enfants des troubles particuliers ?

 LE mot du Psy :

La Manif Pour TouS:

  "L'être humain ne s'achète pas !"
© contre-info.com

La Manif Pour Tous est un collectif d'associations qui défend les valeurs de « la famille traditionnelle ». Les militants s’opposent ouvertement à la loi du mariage pour tous, à la GPA mais aussi à l’avortement. Nous avons eu un entretien avec Anne-Cécile Staub, ancienne porte-parole de la Manif Pour Tous en Vendée et élue sur la Roche-sur-Yon. Elle nous a donné son opinion sur cette pratique.

Pourquoi la GPA peut être perçue comme une marchandisation de l’être humain ?

C’est très simple, quand l’être humain est l’objet d’une transaction financière l’enfant devient forcément une marchandise. Alors après dans certains cas de figure il peut y avoir des GPA plus « éthiques », qui se font gratuitement. Ces GPA sont considérées comme des dons de soi. Mais pour moi, le problème reste le même, l’être humain ne s’achète pas ! C’est un principe fondamental. Nous avons déjà connu cela dans le passé avec l’esclavage par exemple. Nous achetions des personnes pour les mettre à notre service, pour notre confort. La GPA c’est la même chose, l’homme devient un objet humain. C’est en partie pour cette raison que je m’y oppose catégoriquement, comme beaucoup de Français d’ailleurs.

Pensez-vous que la GPA peut avoir des effets psychologiques néfastes sur l’enfant ?

Je suis maman de plusieurs enfants, je les ai portés. Je peux vous dire que des liens forts s’établissent durant la grossesse. Ces liens sont évidents et naturels. Quand l’enfant nait il ressent de la confiance envers sa mère biologique et se sent rassuré. Si cette mère biologique n’est pas sa véritable mère, lors de la transaction, je pense que le lien peut être rompu et que l’enfant pourra subir des problèmes psychologiques. Il y a aura forcément aussi d’autres conséquences néfastes pour son évolution future. J’ai lu plusieurs témoignages d’enfants, dont la filiation a été rompue, certains l’ont vécu comme une souffrance. C’est de la cruauté, il n’y a pas d’autres termes.

Pensez-vous que la légalisation et l’encadrement de la GPA est une solution envisageable en France ?

Effectivement, l’opposition nous donne souvent comme argument l’encadrement de la GPA pour l’autoriser en France. Mais pour moi, ça ne changera rien à mon point de vue sur la question. Je suis contre la légalisation de la GPA en France. Le principe d’acheter un être humain quelles que soient les conditions est un acte inhumain et doit rester intangible.

   Loi française et GPA,
où en est-on ?

La Gestation Pour Autrui est un débat qui agite encore les politiques. François Fillon, présenté comme favori à l'élection présidentielle par certains sondages, s’est clairement positionné pour durcir le droit français sur la GPA. Mais où en est-on exactement en France ? Marie-Xavière Catto est maître de conférences en droit à la Sorbonne. Elle a notamment écrit sur la GPA et nous éclaire sur le sujet.

1. La loi française prohibe la GPA

« Le Code civil interdit la GPA sur le territoire français. Il existe aussi des sanctions pénales liées aux délits de provocation à l'abandon ou de substitution d’un enfant (se déclarer mère d’un enfant dont on n’a pas accouché). Seulement, la GPA doit aussi être condamnée pénalement dans le pays où elle a eu lieu pour pouvoir engager des poursuites. »

2. Les juges ont fait évoluer la question de la retranscription des actes d’état civil

« La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France en 2014. L’État avait refusé de reconnaître le couple Mennesson comme parents de leurs enfants nés en Californie grâce à une GPA. Les juges français (et notamment la Cour de cassation) prennent en compte cette évolution en juillet 2015 : ils reconnaissent désormais la réalité biologique de la filiation paternelle. »

3. Les enfants nés de GPA n’ont pas exactement les mêmes droits que les autres

« Les enfants nés de GPA à l’étranger seront reconnus comme Français dès lors que leur filiation paternelle sera établie. Seulement, pour la filiation avec la conjointe ou le conjoint du père, le problème subsiste. Ils ne sont, pour l’instant, pas reconnus comme la mère ou le père aux yeux de la loi française, alors qu’ils peuvent l’être dans le pays où les enfants sont nés (exemple du cas Mennesson). »

Audrey Viala, Éloïse Robert, Meye Mando et Tiphaine Cazalis