« À partir de combien tu es prête à vendre ton corps ? »
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Prostitution étudiante
sur Internet

ENQUÊTE

            En 2006, le syndicat « Solidaire Étudiant-e-s » tire la sonnette d'alarme : 40.000 étudiants auraient recours à la prostitution. Aucune étude de référence n’existe réellement. Il est difficile de trouver des chiffres plus récents. Le ministère de l’Intérieur lui-même appelle à manipuler ces données avec précaution. 

Se prostituer n’est pas interdit par la loi. La définition de la prostitution est assez floue. Il existe de nombreuses pratiques. La prostitution « à l’ancienne » : la prostituée fait le « trottoir » pour se trouver un client, sous la direction d’un proxénète. Cette pratique semble disparaître pour laisser place à un phénomène de plus en plus répandu, l’escortisme.
Les escorts sont considérées comme des prostituées de luxe. Elles se font payer beaucoup plus cher. Elles peuvent accompagner leurs clients au cours de sorties, et ne proposent pas que des relations sexuelles. L’escortisme se fait aujourd’hui majoritairement sur des sites spécialisés. 

Le phénomène des « Sugar Babies », nouvelle forme de prostitution étudiante, se développe. Ici, la prostitution est déguisée. Les contreparties ne sont pas exclusivement financières. La précarité explique souvent le passage à l’acte des étudiants. 20% des étudiants vivent dans des conditions délicates, dont 1,5% en situation de pauvreté grave et durable. D’autres facteurs individuels et sociaux complexes, peuvent entrer en jeu. 

Nous sommes trois jeunes journalistes d’une vingtaine d’années. Nous avons décidé de nous plonger pendant deux mois dans le milieu de la prostitution étudiante sur Internet pour être confrontées à des escorts et des clients. Pour cela, nous nous sommes fait passer pour une Sugar Baby. Nous avons voulu également faire le point sur la législation française et comprendre pourquoi ces sites Internet ne sont pas interdits.

Tous les noms de nos interlocuteurs ont été changés pour protéger leur identité.

« Je peux me faire jusqu'à 1.000 euros par jour »


Témoignage d'une escort girl

© Planetecampus.com

Vanessa a 18 ans. Cette année, elle a pris la décision de devenir escort girl à Nice pour gagner de l'argent. Cette jeune étudiante raconte son histoire. 

Je me prostitue depuis que je suis arrivée à Nice au mois d’août dernier. Je suis pas de la région. J’ai attendu d’avoir 18 ans et de partir de chez moi pour passer le cap. Ça fait pas mal de temps que j’y pense. 

« Si tu te prostitues que pour l’argent, ça peut tuer »

Je suis déjà sortie avec des hommes mariés avant de devenir escort. J’aime beaucoup le sexe. Il faut être très ouverte sexuellement pour se prostituer. Si tu fais ça que pour l’argent, ça peut te tuer. Avant de commencer, il faut toujours penser à une chose très importante : le tarif. Savoir à partir de combien t’es prête à vendre ton corps. J’ai commencé à me prostituer pour me refaire le nez. L’opération m’a coûté 4.000 euros. J’ai aussi pu me payer mon permis et mon Macbook. Ça fait du bien de se faire plaisir. Le shopping, c’est une vraie thérapie. Au début c’était pas facile. Il faut s’imposer, réussir à se plonger dans l’escortisme. C’est la galère pour trouver une clientèle régulière. J’arrivais à me faire que 2.000 ou 3.000 euros par mois. Je me préparais longtemps en avance pour les rendez-vous, pour faire bonne impression. Aujourd’hui, je peux aller jusqu’à 6.000 ou 7.000 euros par mois. Je prends 180 euros la demi-heure et 250 euros de l’heure.

« Hier, j'ai enchaîné cinq clients dans la même journée » 

Le soir, je suis fatiguée. Au début, je prenais pas plus de deux personnes par jour. Des fois, je les enchaîne tellement que j’ai juste le temps de prendre une douche. Je peux me faire jusqu’à 1.000 euros par jour. Hier par exemple, j’ai enchaîné cinq clients, j’avais mal… Du coup, j’évite de faire deux jours à la suite. On s’imagine pas mais ça prend beaucoup de temps. J’ai raté mon année de fac à cause de ça. Mes études sont passées au second plan. Il suffit pas d’aller au rendez-vous. Poster les annonces, faire les photos, répondre aux demandes, c’est très long. Pour un rendez-vous, je mets environ une heure rien que pour me préparer psychologiquement… Il faut aussi bien se laver, ne pas mettre de parfum, ne pas trop sentir la femme. Pas de rouge à lèvres qui marque non plus. Les clients ne veulent pas éveiller les soupçons de leur épouse. Il faut penser à plein de choses : avoir toujours un autre sac avec un porte-feuille quasiment vide. Ne surtout pas prendre sa carte d’identité. Et ne pas oublier un bon stock de préservatifs très résistants. Des fois, c’est compliqué. Par exemple à l’hôtel, à force de passer devant l’accueil, j’ai peur qu’on me reconnaisse. Il y a un client régulier qui a essayé de me retrouver. Il avait contacté une amie à moi, et réussi à découvrir mon vrai nom. Il y en a qui ont les boules. Ils n’ont pas d’autres choix que payer pour baiser. 

« Mes clients sont souvent des hommes mariés qui travaillent beaucoup » 

Mes clients sont souvent des hommes mariés qui travaillent beaucoup. J’ai appris que l’un d’entre eux était médecin. Ces hommes ont besoin de voir une escort pour les satisfaire complètement. Certains de mes clients ont des demandes un peu spéciales : leur pisser ou leur chier dessus. J’ai aussi vu deux mecs en même temps une fois. J’ai gagné 400 euros juste pour une baise. Par contre, je me laisse jamais attacher. On me demande aussi souvent des rapports de domination. Je vais suivre une formation pour ça. Certains clients réguliers me demandent des sorties, comme un restau par exemple. Mais moi déjà dans la vie, les restaurants c’est pas mon truc. En plus, ça rapporte dix fois moins… Il y a des clients réguliers que j’adore. J’ai du respect pour eux. Il y en a que j’aime tellement. Il sont même des amis. 

« C’est très compliqué de mentir sans arrêt à tout le monde » 

J’ai pas de véritables amis. C’est très compliqué de mentir sans arrêt à tout le monde. Cette vie, c’est une vie que personne ne saura. Ça me dérange pas car je suis quelqu’un d’assez solitaire. Rien que pour le shopping c’est compliqué. J’avais une amie escort avec qui je sortais parfois. Personne d’autre ne comprendrait que je paye mes courses avec 500 euros en cash. J’avais un copain en arrivant à Nice. Mais on se voyait pas souvent. C’est dur quand tu fais des journées de 12h à 22h et que tu dois assurer tes études. Le mieux c’est de pas en parler à tes proches, à tes amis. Il y a beaucoup de jalousie et ils ne comprendraient pas. Je suis fière de ce que je fais et je prends totalement mon pied.

« Mes amis ne m'ont pas du tout jugés, ils trouvaient au contraire ça cool »

Témoignage d'un ancien escort boy
© Niketalk.com

Maxime a 25 ans. Il nous raconte son expérience en tant qu’escort boy en Australie. 

J’ai posté une annonce sur un site australien dédié à l’escortisme. Je payais 10$ (6,5€) par semaine pour y avoir accès. Pour une heure avec une femme, je me faisais payer 600$ (386€). J’étais assez cher. Je n’avais pas vraiment besoin d’argent. Je souhaitais seulement me faire un peu plaisir. 

J’ai eu seulement cinq clientes. En fait, je les choisissais. Je ne couchais qu’avec de très belles femmes qui avaient entre 21 et 42 ans. Je les voyais plusieurs fois. Pour quatre d’entre elles, elles cherchaient seulement des relations sexuelles. J’avais eu, au total, une quinzaine de demandes. Le but de ces femmes était de réaliser leurs fantasmes et de se payer un bel homme. 

" Elles m’ont aussi entretenu. Il y en a une qui m’a même acheté des chaussures à 1.200$ (773€)" 

Je n’étais pas du tout gêné. Je les voyais plusieurs fois et deux d’entre elles étaient mariées.  En Australie, l’escortisme est beaucoup plus répandu qu’en France. Ça ne choque vraiment pas là- bas, il n’y a pas la même culture du sexe. Il y a plein d’escorts, tout comme il y a des milliers de strip-teaseuses. 

Mes amis étaient au courant mais pas ma famille. J’étais le seul à être escort. Mes amis ne m’ont pas du tout jugés, ils trouvaient au contraire cool que je fasse ça en dehors de mon pays. 

Je me suis uniquement prostitué en Australie. J’ai mis une annonce en ligne l’été dernier quand je suis revenu en France sur la Côte d’Azur. Mais ça n’a rien donné ici. Aujourd’hui, je fais plein de choses, de la photographie et du mannequinat principalement.

ENQUÊTE :

Deux mois dans la peau 
d'une Sugar Baby

© Seeking Arrangment


Nous avons voulu nous mettre dans la peau d'une Sugar Baby. Ce nouveau concept venu des États-Unis connaît un certain succès chez les étudiantes, désirant trouver un moyen de financier leurs études. Nous avons choisi le principal site sur le marché : Seeking Arrangement.

Une Sugar Baby est une jeune étudiante, qui, pour financer une partie de ses études, cherche à rencontrer des Sugar Daddies. Ces hommes sont riches et le plus souvent âgés. Le but : aider sa Sugar Baby à financer ses études ou payer son loyer.


Nous nous sommes créées un faux profil le 17 mars 2016. En deux mois, nous avons été contactées par 40 hommes. 41 Sugar Daddies nous ont ajouté à leur liste de Sugar Babies favorites. Notre profil a été vu 189 fois. Sur le site, chacun doit se présenter : pseudo, âge, profession. En plus de ces critères « classiques », il est demandé aux Sugar Daddies d'être très précis. Ils doivent indiquer leur niveau d’études et même fournir une déclaration de patrimoine.



Les Sugar Babies elles, doivent tout faire pour attirer leurs Sugar Daddies. Elles ne peuvent pas entrer en contact avec eux. Seuls les hommes peuvent leur envoyer des messages. Des photos et une brève description doivent donner envie aux Sugar Daddies de faire connaissance, et plus, si affinités. Voilà ce que doit compléter une Sugar Baby sur son profil :


De son côté, la Sugar Baby doit décider des contreparties qui l'intéressent au sein de la relation. Sur le site, elle devra sélectionner le niveau de ses attentes.
Exemple : négociables, minimales, pratiques ou élevées. Cela correspond en fait à ses habitudes de dépenses. Plus elles sont élevées, plus le Sugar Daddy devra être riche.


Sur ce site, le recours aux relations sexuelles contre de l'argent n’est donc pas clairement énoncé. Et pour cause, le concept n’est pas celui d’escorts « classiques ». Une relation doit se nouer. Il s’agit d’un échange de bons procédés.
Les Sugar Daddies seraient de simples petits amis très riches, présents pour
« dorloter » leur(s) Sugar Baby(ies). 

Pourtant, en deux mois, nous avons reçu une quarantaine de messages. Et certains profils désirent clairement avoir seulement des relations sexuelles.



D'autres sont en attente de relations plus poussées. Beaucoup cherchent à passer du temps avec une femme. Même si les relations sexuelles sont l’objectif, ils cherchent une relation durable.


D'autres sont prêts à payer très cher pour passer du temps avec une jeune Sugar Baby. Nous avons même eu des propositions de voyage :

Nous avons pu nous entretenir au téléphone avec deux potentiels Sugar Daddies.

Qui sont les Sugar Daddies ?

© film Jeune & Jolie

     

         Sous l'identité d'une Sugar Baby, nous avons contacté deux Sugar Daddies par téléphone. Nous voulions avoir une première approche, savoir quelles étaient leurs attentes et leur comportement avant de convenir d'une rencontre. Nous n’avons pas donné suite pour un rendez-vous.

Roger, 57 ans, « Bien sûr que nous aurons des relations sexuelles, on fera des voyages (…) je veux faire plein d'activités avec toi »

J'ai rencontré des gens bizarres sur ce site : une femme mariée qui voulait des relations sexuelles, une femme qui se faisait passer pour une jeune fille de 21 ans, une proposition de plans à trois, du libertinage, de l’escortisme… Pour moi, on doit être deux, ma copine et moi. Je ne suis pas un pervers, je suis juste un homme normal. Une fille qui demande d’entrée 300 euros pour une heure, pour moi c’est une escort, ça ne m’intéresse pas.

Je cherche un tout, je ne veux pas que du sexe. J'ai fréquenté une fille de 18 ans pendant 3 ans. C’était une relation où on se voyait souvent. C’était convivial. J’étais très tolérant, ouvert. C’était une jeune étudiante aussi qui avait besoin de soutien. En été, on faisait plein de choses ensemble.

Je travaille dans le business depuis toujours. Je suis dans l'immobilier. Je suis divorcé. Je ne m’intéresse qu’aux jeunes femmes. Mes enfants sont en Suisse et aux États-Unis. Ils savent que je sors avec des femmes beaucoup plus jeunes que moi. Je n’ai de compte à rendre qu’à ma conscience et à Dieu. Bien sûr que nous aurons des relations sexuelles, on fera des voyages… Je ne veux pas tomber sur une gamine. Moi j’ai envie de sortir, d’aller au sport, à la plage et faire plein d’activités avec toi.

Alfred, 48 ans, « Je veux qu'on puisse partir ensemble en vacances avec mes enfants »

Dans la vie, je suis chirurgien. Je suis très pris par mon travail et je n'ai pas le temps de faire des rencontres. Je viens de terminer une histoire de 6 mois avec une fille que j’avais rencontrée sur ce site. Je l’ai vécue comme une relation normale.

J'ai envie de rencontrer quelqu’un pour passer du bon temps. J’ai besoin de conseils et d’aide dans ma vie. Je ne veux pas qu’il y ait de tabou entre nous, je veux qu’on puisse parler de tout. Mon but est de partager et d’échanger. J’ai envie d’une certaine légèreté. Je n’ai pas envie de pleurer sur mon sort.

J'ai eu une période où les rencontres n’étaient pas du tout probantes. Je suis tombé sur des escorts qui me faisaient payer 250 ou 300 euros pour un restaurant. D’autres, 300 euros pour avoir du sexe. Pour moi, c’est juste des prostituées. Ça ne m’intéresse pas. Moi je recherche une osmose, un échange. Je veux te donner une position agréable, t’offrir certains plaisirs et t’aider financièrement. Il n’y a pas que le côté économique. Je peux t’offrir les courses, cuisiner pour toi. Ça a plus de valeur que de l’argent.

Dans la vie, j'ai trois enfants. Je les vois pendant les vacances scolaires. Je veux aussi que mes enfants puissent faire les études qu’ils souhaitent. Donc aider une jeune fille pour ses études, c’est important. Je veux rencontrer une personne avec qui ça se passe bien, avec qui je peux faire des projets. Et je veux qu’on puisse partir ensemble en vacances avec mes enfants.

Où en est la législation française 
sur la prostitution ?

© Europe1.fr

Le Parlement a adopté définitivement une loi pénalisant les clients en avril 2016. Les habitués des sites d'escorts et de Sugar Babies risquent-ils quelque chose ? Maître Lhote, avocat au barreau de Marseille et membre de l’association Équipes d’Action Contre le Proxénétisme (EACP), nous répond.


Pouvez-vous nous rappeler un panorama général de la législation française en matière de prostitution ?

Les prostituées ne sont pas sanctionnées pénalement. On réprime sévèrement ceux qui incitent les mineurs ou majeurs à se prostituer. Cela vise principalement les proxénètes. Le Code pénal prévoit des sanctions différentes en fonction de l'âge de la victime. Le texte voté par le Parlement en avril dernier, a supprimé le délit de racolage. Il prévoit aussi une contravention de 1.500 euros pour les clients.

La loi qui vient d'être votée est-elle satisfaisante selon vous ?

Le fait de pénaliser le client est une bonne solution. Le problème est que cette loi ne prend pas en compte les nouvelles modalités de prostitution et notamment le cyber-sexe. Mais ce texte n'est pas satisfaisant. Car, il faudrait que le client, qui racole une prostituée au coin d’une rue, se fasse interpeller par un policier. Or, le développement de la prostitution se fait aujourd’hui surtout via Internet. La portée pratique de ce texte est limitée car il est difficile d’interpeller les clients-internautes.

Comment expliquer que les sites Internet dédiés à la prostitution, comme Seeking Arrangement, ne soient pas interdits ?

Le problème est plus vaste que la question de la prostitution. Il s'agit aussi de la réaction de l’État qui ne fait pas la police sur Internet. Toute la difficulté pour le législateur est de s’adapter à ces nouvelles formes de prostitution. Il y a un réel vide juridique à ce sujet. La seule manière de faire face à ce problème : éradiquer les hébergeurs de ces sites.

Enquête réalisée par : 
Audrey Viala, Éloïse Robert et Tiphaine Cazalis de Fondouce