Le Captagon,

nerf de la guerre

Utilisé par les djihadistes, le Captagon, une sorte d'amphétamine, permet d'oublier la peur à celui qui en prend. Plus qu'un outil prisé par les terroristes, cette petite pilule rapporte également beaucoup d'argent à l’organisation de l’Etat Islamique.



"Faire la guerre au Captagon, c’est faire la peur, de booster leurs performances physiques et guerre au terrorisme », selon Julien Fouchet, leur concentration mais, surtout, de ne pas ressentir un journaliste indépendant, au micro de ICI la douleur. Radio-Canada Première. Il a enquêté sur le trafic de cette drogue au Moyen-Orient et en a tiré cette conclusion : pour toucher l’organisation de l’Etat Islamique, il faut saisir le plus de comprimés possible. Selon lui, les saisies deviennent de plus en plus régulières. Il avance qu’en 2014 trente millions de pilules ont été confisquées contre seulement cinq millions en 2010. Ces dernières semaines, les saisies s’intensifient. A l’aéroport de Beyrouth, deux tonnes de Captagon ont été trouvées dans plus de quarante valises. Le prince saoudien Abdel Mohsen Ibn Walid Ibn Abdelaziz devait les emmener à Riyad, selon le quotidien libanais L’Orient-Le Jour.

"Ils rigolaient alors qu'on les bourraient de coup" 

La police turque a également saisi deux tonnes de cette drogue, selon le Ministère de l'Intérieur turc. Cela représente près de onze millions de comprimés. Très prisé au Moyen- Orient, le Captagon ne coûte que quelques centimes à la production, selon Slate, alors qu’une pilule se revendrait plus de vingt dollars en Arabie Saoudite. Un petit comprimé qui rapporte gros aux djihadistes, en plus de les aider dans leurs actes terroristes. Appelée « la drogue de Daech », cette petite pilule blanche contient des amphétamines et de la caféine. Elle octroie un sentiment euphorisant. Les témoignages sont édifiants. Lors de l’attentat de Port El-Kantaoui, en Tunisie, en juin 2015, le tireur riait après la tuerie qui a fait 39 morts et 39 blessés. Le Captagon permet aux djihadistes de ne pas avoir peur, de booster leurs performances physiques, leur concentration mais, surtout, de ne pas ressentir la douleur. « On les frappait et ils ne ressentaient  pas la douleur. La plupart d’entre eux rigolaient alors qu’on les bourrait de coups », avoue un officier de la brigade des stupéfiants de Homs, en Syrie, à Reuters. Mais cette drogue n'est pas utilisée que par les djihadistes. Au Moyen-Orient, un grand nombre de personnes en consomment. Fabriquée en Syrie, de nombreux migrants avouent en consommer pour oublier leurs problèmes. Les jeunes syriens essayent de penser à autre chose que la guerre et le Captagon leur permet « de s’évader ». « Je me sens tellement fort que je pourrais égorger n’importe qui, aller frapper le premier venu, explique un réfugié syrien à Spicee. Je sens que j’ai une force surhumaine. En fait, c’est sur le champ de bataille que c’est efficace. Le combattant peut prendre cinq ou six balles, il ne les sent pas », dit ce jeune sous l’emprise du Captagon. C’est un marché florissant pour les organisations djihadistes. Alors qu’elles sont financées, notamment, par la vente de pétrole, le commerce de cette drogue devient une source de revenus importante. D’après Julien Fouchet, cela rapporterait plus d’un milliard de dollars chaque année à l’organisation de l’Etat Islamique. Selon Radwan Mortada, spécialiste des mouvements djihadistes, « un sac qui contient 200 000 pilules rapporte un demi-million de dollars », a- t-il déclaré à Arte. En prenant ce chiffre en compte, la saisie de la police turque représente un manque à gagner de 27,5 millions d’euros pour ISIS. Un joli coup porté aux djihadistes ? Pas si sûr. La douane syrienne estime que 80% du Captagon transite sans problème.

Les amphétamines comme drogue de combat: une longue histoire. 

Si on parle énormément du Captagon dans les médias en ce moment, l'usage des amphétamines comme drogues dites « de combat » ne date pas d’hier. La méthamphétamine fait son apparition au début du XXe siècle, avec l’avènement de la chimie et des drogues de synthèse. Cette drogue, retrouvée sous de nombreuses dénominations, fera des ravages sur les champs de bataille. Elle a la capacité de démultiplier l’agressivité, d’augmenter la vigilance et d’effacer toute peur du danger. Les soldats ainsi drogués pouvaient rester plus de 24h sans dormir. Initialement commercialisée sous le nom de Pervitine par le laboratoire allemand Temmler en 1937, elle a connu son heure de gloire pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle était distribuée aux soldats sous forme de barres chocolatées, de pilules ou d’injections. Lors du Blitzkrieg en Pologne, les soldats allemands auraient été littéralement dopés à la Pervitine. Mais elle engendrait

également une forte addiction, au point que certains soldats, au lieu de demander à leur famille des gâteaux et autres friandises, suppliaient qu’on leur envoie des boîtes supplémentaires. Hitler lui- même aurait bénéficié d’injections de Pervitine par son médecin attitré Theodor Morell, dans le but de réduire ses tremblements. Du côté des alliés, cette fois, on retrouve la même molécule mais sous un nom différent : la Méthédrine. A la fin de la guerre, le Times titrera même « la Méthédrine a gagné la bataille ».

A chaque camp sa drogue de prédilection

La Seconde Guerre mondiale a aussi été l'heure de gloire de la Benzédrine, dont les aviateurs anglais étaient friands. Victorieux lors de la Bataille aérienne d’Angleterre, cette amphétamine leur aurait permis de compenser leur infériorité numérique face aux Allemands et aux Italiens. En Angleterre, la Benzédrine est vendue librement dès 1933 et rend accros de nombreuses personnalités, de Winston Churchill à Jack Kerouac. On rapporte aussi son usage lors de la Guerre du Vietnam, car très largement consommée par les troupes américaines. Depuis peu, on assiste à une explosion de la consommation

de MDMA, ou ecstasy en tant que drogue récréative. Puissant stimulant du système nerveux central, cette drogue a été synthétisée en 1912 par un laboratoire allemand –encore eux-, du nom de Merck. Aux USA, elle est testée sur des soldats, entre autres cobayes, dans le Cadre du projet MK Ultra élaboré par la CIA. Cette série d’expériences illégales a eu lieu des années 1950 à 1970 au Canada. L’ecstasy donc, et d’autres psychoactifs comme le LSD, la psilocybine, la marijuana et l’héroïne étaient administrés à des sujets humains pour permettre une manipulation mentale. De nombreuses vidéos montrant des soldats titubant, se roulant par terre ou riant à gorge déployée sous l’effet du LSD circulent sur le web. A terme, les scientifiques espéraient créer un sérum de vérité, que l’on administrerait à l’ennemi lors d’interrogatoires. Si le projet est resté secret pendant plus de 20 ans, et que presque tous les documents d’archives ont été détruits, il est rendu public par un article du New York Times en 1972 et prend définitivement

fin en 1988. De nos jours, l’usage des drogues de combat se fait plus discret, mais continue d’exister. Un soldat américain sur dix se verrait administrer des drogues psychiatriques pour pallier à la dépression une fois revenu à une vie normale. Parmi elles, le méthylphénidate ou Ritaline, apparu en 1944. Au vu de son effet euphorique, la Ritaline était initialement prescrite pour soigner la dépression et la toxicomanie. Si on en rapporte un usage modéré dans l’armée américaine durant la Seconde Guerre Mondiale, c’est en Afghanistan et en Irak qu’elle s’est

fait connaître. En 2002, deux pilotes de chasse américains ont tué par mégarde des soldats canadiens. L’enquête a révélé qu’ils avaient consommé de la Ritaline pour rester éveillés durant leur mission. Dans le cas des combattants de Daesh, la consommation massive de Captagon répond une fois de plus à cette logique : démultiplier sa hargne, sa puissance et son envie de vaincre. Mais en dehors du fait que la consommation de drogue soit strictement prohibée par le Coran, une autre idée peut émerger. Celle que ces terroristes, aussi dénués de sentiments qu’ils soient, ont tout de même besoin de rentrer dans un état de conscience altéré pour accomplir ces horreurs. Il est certainement plus facile de tuer des innocents ou d’activer sa ceinture d’explosifs sous substance.


Anne Rivière et Sébastien Girard