Ce reportage multimédia vous propose de découvrir l'histoire de Dieylani Pouye, lutteur d'origine sénégalaise qui tente de se faire une place dans le monde de la lutte suisse, le sport national helvétique. Son rêve est de devenir le premier Africain noir à se qualifier pour la 44e Fête fédérale de lutte et des jeux alpestres d'Estavayer en août 2016.
A travers l'histoire humaine liée au club de lutte de Genève et à son entraîneur Marc Haldi, plongez dans l'univers de la lutte à la culotte et découvrez si Dieylani Pouye parviendra à assouvir son rêve de participer au plus grand événement sportif suisse, malgré plusieurs obstacles qui se dresseront sur sa route.
* Chapitre 1 D'une tradition à l'autre
** Chapitre 2 La Romandie lutte pour sa reconnaissance
*** Chapitre 3 La course aux couronnes
**** Chapitre 4 Une passion sans limites
Chapitre 1:
D'une tradition…
...à l'autre
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Sur les terres sénégalaises de la Teranga (terres de l'hospitalité), la lutte est le sport national. La dimension culturelle et folklorique est marquée. Des rituels l’accompagnent, tels que des cérémonies pour conjurer le mauvais sort, des chants de bravoure ou des gris-gris arborés par les lutteurs.
Les combats ont lieu dans les stades de foot, parfois devant 30'000 spectateurs. Les lutteurs ont des sponsors, des managers et peuvent gagner beaucoup d’argent. Certains sont de véritables stars.
Chez les Pouye, la lutte sénégalaise est une histoire de famille. Fils d’une légende nationale, Dieylani berce dans la passion paternelle et au rythme de ses exploits.
L'histoire d’amour entre Dieylani et la lutte commence vers 17-18 ans, sur les plages de Dakar et le sable de ses premiers duels. Il s’initie d’abord aux combats de mbpapatt (lutte sans frappe), puis à ceux de lamb (avec frappe).
Connu par le nom de son père, icône de la lutte devenue marabout, Dieylani se fait très vite un prénom en remportant notamment en 2005 un trophée en l’honneur de son paternel.
De beaux succès qu’il continuera d’enchaîner, comme pour rendre hommage à son père décédé en 2008.
Il est désormais lui aussi une star de lamb et devient lutteur professionnel. A 19 ans, il vit de sa passion.
Dakar, Janvier 2011 : « C'est lors d'une de mes plus grandes victoires, dans un stade Iba Mar Diop plein à craquer. Quelle ambiance ! »
Puis vient un casting, celui du réalisateur algérien Mohammed Soudani. Ce Tessinois d'adoption cherche un lutteur sénégalais pour réaliser un documentaire : « Deux pays, une passion ». C’est Dieylani qui est choisi parmi les dix derniers candidats pour un tournage qui l’emmènera en Belgique, en Italie et pour finir en Suisse, afin d’y découvrir un autre sport national : la lutte à la culotte.
Interlaken, août 2011 : « Je découvrais la Suisse, ses longs tunnels et ses montagnes impressionnantes avec des maisons dessus. Je n'y croyais pas. »
Le tournage se termine à Genève, dans le club des lutteurs de Carouge. Une rencontre qui va changer le destin du lutteur sénégalais. Mohammed Soudani connaît un certain Marc Haldi, entraîneur qui a participé à quatre Fêtes fédérales. Ce dernier propose à Dieylani de tester la lutte.
« Marc m'a dit : pourquoi tu n’essaierais pas ? Et je les ai tous battus ! »
Le courant passe tout de suite. Une chose est sûre, Dieylani reviendra en Suisse auprès de ceux qui l'ont si bien accueilli et retrouvera les sensations de la sciure.
C’est chose faite l’été 2012, pour les premières fêtes de lutte auxquelles Dieylani participe en tant que membre des lutteurs genevois. Il manque de peu de battre l’une des figures de la lutte romande, Michael Nydegger, laissant une bonne première impression. Son visa de touriste expiré, il doit retourner au Sénégal.
Quinze membres du club de lutte de Genève lui rendent visite en février 2013 dans son pays natal, pour y découvrir la lutte sénégalaise. Ils sont accueillis par le ministre de la culture en personne, Youssou N’Dour. Un souvenir que Dieylani n’oubliera jamais.
Dakar, février 2013 : « On voit ici au premier plan et de face Marc Haldi. De la lutte à la culotte sur la plage de Dakar, ça reste un souvenir mémorable. Je n'oublierai jamais la venue des Suisses chez moi, cela m'a tellement touché. »
L'été 2013, avec un visa de touriste en poche obtenu grâce aux démarches de ses amis genevois, il participe à différentes fêtes de lutte en Suisse. Lors de la Fête cantonale neuchâteloise, une démonstration de lutte sénégalaise est même organisée. L’occasion pour lui de partager sa tradition avec les lutteurs suisses.
Neuchâtel, août 2013 : « Tout le monde a adoré découvrir la lutte version sénégalaise. C'était intéressant de pouvoir échanger. »
Dans les ronds de sciure, le lutteur sénégalais doit s'adapter aux règles compliquées du sport national suisse. Réapprendre aussi une nouvelle forme de lutte. Alors qu’un combat de lamb est gagné dès que l’adversaire tombe au sol, c’est l’entier du dos du vaincu qui doit toucher la sciure pour remporter une passe en lutte suisse.
« Au début, c'était difficile. J'ai dû comprendre les règles qui sont très compliquées. J'ai terminé mes premiers combats avec plusieurs fractures mais je voulais finir. »
Dieylani est un lutteur atypique dans un sport si traditionnel. Aidé par le club de lutte de Genève, qui fait tout pour faciliter son intégration dans un univers complètement nouveau, il doit s'adapter à un pays et à ses cultures.
Marc Haldi n’a pas oublié le premier combat en Suisse de Dieylani.
« Pouye » est à l'écoute de Marc, qui le fait progresser notamment au sol, là où il a encore beaucoup de travail. La relation qui l’unit à celui que Dieylani appelle « coach » est forte. Elle dépasse le cadre uniquement sportif.
Enchaînant de bons résultats, le lutteur de 1m92 pour 105 kg n’est pourtant pas retenu dans les sélectionnés romands pour l’événement qui est le rêve ultime de tous les lutteurs suisses : la Fête fédérale, qui a lieu tous les trois ans. En 2013, celle-ci se déroule à Berthoud (BE).
Berthoud, août 2013 : « Je ne pensais pas que l'arène serait aussi grande, que les Suisses étaient aussi fous de lutte. Une délégation sénégalaise dont mon frère, lui aussi lutteur, s'était déplacée. Moi, je me voyais déjà dans les ronds de sciure… »
Sa non-sélection affecte encore aujourd'hui Dieylani. Il s’est juré qu’en 2016, il serait dans l’arène, sur les ronds de sciure à lutter avec les meilleurs suisses.
Tout n'a pas été simple dès les premières fois qu’il a enfilé la culotte en jute et affronté des lutteurs helvétiques. En plus des spécificités liées à ce sport compliqué, Dieylani a dû s’intégrer dans un univers où il n’a pas toujours été le bienvenu. L’entraîneur Marc Haldi, Dieylani Pouye et son coéquipier Mickaël Heiniger se remémorent des souvenirs qu’ils n’auraient préféré ne jamais devoir évoquer.
Intelligent, préférant prendre avec humour ces remarques et sachant que l'intégration passe par le respect qu’il suscitera, Dieylani s’accroche. C’est dans la sciure qu’il chassera les préjugés. Sa passion pour la lutte, quelle qu’elle soit, le convainc de ne pas abandonner. Et le lutteur de 29 ans s’entraîne très dur.
Genève, septembre 2013 : « En Suisse, je fais de la musculation 1h30 à 2h par jour au minimum et deux entraînements de lutte par semaine. Au Sénégal, c'était trois séances par jour et des entraînements du lundi au vendredi. J'étais professionnel ».
En plus de son amour pour la lutte, Dieylani rencontre Tigui. Celle qui deviendra sa femme en février 2015. Mais son visa est expiré et il doit définitivement retourner au Sénégal. L'année 2014 est un cauchemar, sans lutte ni résultats.
Alors le club de lutte genevois fait tout pour régler la situation administrative de celui qu’ils appellent « Diez » ou « Djé ». Avec succès, puisqu’il reviendra en Suisse et s’y établira dès 2015. Désormais, Dieylani Pouye se consacrera uniquement à la lutte à la culotte. Avec Estavayer2016 plus que jamais dans le viseur.
Chapitre 2:
La Romandie lutte pour sa reconnaissance
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Estavayer-le-lac, février 2016
Estavayer2016: J-196
Dans six mois, les 275 meilleurs lutteurs suisses se disputeront le titre tant convoité de roi de la lutte. Parmi eux, 27 Romands auront l'honneur de participer à la plus grande manifestation sportive en Suisse.
C'est à moins d’une dizaine de kilomètres du local de lutte, sur la base aérienne de Payerne que se dérouleront ces véritables « Jeux olympiques helvétiques ».
Sur un terrain de 90 hectares, soit l’équivalent de 100 terrains de football, les visiteurs pourront également admirer les 120 lanceurs de pierre et 400 joueurs de Hornuss, les deux autres sports nationaux qui se disputent tous les trois ans lors des Fêtes fédérales de lutte et des jeux alpestres.
Estavayer2016 en quelques chiffres
Pour le Président de l'Association romande de lutte suisse Blaise Decrauzat, Estavayer2016 est l’occasion rêvée de promouvoir la lutte qui est bien moins populaire et médiatisée de ce côté-ci de la Sarine.
L'Association fédérale de lutte suisse (AFLS) est composée de cinq associations régionales et les disparités sont marquées.
Nombre de licenciés par association régionale
Entre la Suisse-allemande et la Romandie, il y a un monde. Sur les 5781 licenciés que compte l'Association fédérale de lutte suisse, seuls 597 lutteurs sont Romands.
Ce retour de la Fédérale en terre romande est aussi l'occasion d’effacer la catastrophe de Berthoud, trois ans auparavant. Pour la première fois depuis les années 1960, aucun lutteur romand n’avait réussit à décrocher une couronne fédérale, qui récompense les 40 à 50 meilleurs de la Fête (soit 15 à 18% des lutteurs présents).
La période dorée des Hans-Peter Pelet (5 couronnes fédérales) et Stefan Zbinden (4 couronnes fédérales), ces Fribourgeois qui faisaient briller la lutte romande, est révolue. Leur retraite, respectivement en 2010 et 2012, a laissé un trou.
Ce sont d’ailleurs les Fribourgeois, plus nombreux et meilleurs, qui sauvent souvent la face de la lutte version romande. Le Valaisan Alain Bifrare est le dernier lutteur d’un autre canton à avoir remporté une couronne fédérale…c’était en 1986 à Sion.
Total de lutteurs par canton romand (actif et jeunes)
Pour combler ce vide et retrouver des couronnés Romands, 100'000 francs ont été investis sur deux ans. Un staff technique a été mis sur pied et un Team Romandie Estavayer2016 a été créé. L'objectif ? Décrocher au moins une couronne fédérale en 2016. Neuf entraînements, de novembre 2015 à août 2016 et un stage doivent préparer les Romands pour « leur » Fête.
Pour Dieylani, ce premier contact de l'année avec une autre sciure que celle du club de lutte de Carouge (GE) a été bénéfique. L'occasion de retrouver la grande famille de la lutte romande.
A six mois de la « Fédérale », la route vers Estavayer est encore longue, comme le souligne « coach Haldi ».
Les retrouvailles avec le Team Romandie Estavayer2016 se termineront autour d'une bonne fondue. Comme le veut la tradition.
Chapitre 3:
La course aux couronnes
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En Romandie, les espoirs se nomment Benjamin Gapany (élu meilleur lutteur romand en 2015), Marc Guisolan, ou le seul couronné fédéral romand encore actif (en 2007 à Aarau), Michael Nydegger. Au trio fribourgeois se rajoute notamment le Vaudois Pascal Piemontesi.
Comme d'autres, ce dernier a réduit son temps de travail pour mettre toutes les chances de son côté : pour se qualifier et pourquoi pas ensuite tenter l’exploit de décrocher une couronne fédérale à Estavayer ?
La sélection des 27 Romands retenus pour l’événement dont chacun rêve ne sera dévoilée que le 5 août. Pour en faire partie, il faudra accumuler des points selon des critères bien précis.
En participant au plus grand nombre de fêtes, les chances de marquer des points augmentent logiquement. Elles sont pondérées selon leur importance, des fêtes régionales, cantonales ou autres se déroulent presque chaque week-end dès le printemps. L’objectif : décrocher une ou plusieurs couronnes, sésame obligatoire pour se qualifier.
Lausanne, février 2016
Estavayer2016: J-196
En ce dimanche 28 février, c'est la première compétition de la saison. Un « championnat de Lausanne », en salle, qui ne rapportera pas beaucoup de points. Ils sont quand même une cinquantaine de Romands à avoir fait le déplacement, dont Dieylani, impatient de juger son état de forme.
Après trois des six passes (il y en a huit à la Fédérale), le bilan de Dieylani est de 1 victoire, 1 nul et 1 défaite concédée face à un adversaire « facile ». De quoi énerver son entraîneur Marc Haldi à l'heure de la pause de midi.
« Il n'a pas le droit de perdre contre des adversaires autant à sa portée. Lorsqu’il combat contre des plus faibles, il manque de concentration et s’incline ».
Puis vient ce combat, cette mauvaise chute. Le genou est touché.
Dieylani ressort en boitant. Il abandonne la compétition et devra observer un repos forcé de quelques semaines. Une blessure qui va le freiner dans sa route vers Estavayer. Mais pas l'arrêter.
« Je déteste abandonner en pleine compétition. Et ces prochaines semaines, sans lutte ni sport, vont être difficiles. Mais je reviendrai encore plus fort ! ».
L'objectif du lutteur sénégalais est clair. Il veut être remis de sa blessure et prêt pour le prochain grand objectif de sa saison : la fête cantonale genevoise du 8 mai.
Les semaines passent. Son genou est rétabli. Dieylani a repris le chemin quotidien de la salle de musculation et s’entraîne deux fois par semaine au local de lutte. Les sensations reviennent gentiment.
Genève, mai 2016
Estavayer2016: J-111
Sur la place de Sardaigne de Carouge, à quelques pas du local de lutte genevois, le soleil est au rendez-vous pour la « cantonale » genevoise en ce 8 mai printanier.
La journée est parfaite. Dieylani enchaîne les succès et remporte, devant sa famille et ses amis, sa première couronne. Revivez l'exploit de « Diez » en « immersion », filmé par les siens :
Cette première couronne le galvanise, il la tient enfin.
« Franchement je m'attendais à faire une couronne. L’année passée, j’aurais mérité d’en décrocher, mais ils ne me l’ont pas donnée. Ils ont vu que je n’ai pas lâché et plusieurs personnes m’ont dit que c’était mérité. Mais le chemin est encore long. »
Aigle, juin 2016
Estavayer2016: J-76
C'est plein de motivation que Dieylani se rend aux championnats romands qui ont lieu à Aigle le 12 juin. C’est la plus grosse fête inscrite sur le calendrier du lutteur d’origine sénégalaise. La prochaine étape qui doit le mener vers son rêve d’Estavayer.
La compétition a attiré l’attention médiatique et un nombreux public, environ 1500 spectateurs. La grand-messe de fin août approche. La course aux couronnes bat son plein.
A Aigle, ils sont 124 lutteurs Romands, auxquels s’ajoutent des invités des quatre autres associations, dont la « star » de l’association bernoise, Christian Stucki. Le colosse qui n’est tombé qu’en finale lors de la précédente « Fédérale » face au « Roi » Mathias Sempach. Cette année, il sera l’un des favoris à Estavayer.
Une passe ? Découvrez son déroulement et ses spécificités en images :
Le nombre de ronds dépend de la taille de la compétition : quatre à cinq ronds en général et sept pour la « Fédérale ».
Les ronds ont une surface circulaire de 12 mètres de diamètre recouvert de 23 m3 de sciure de bois lors de Fêtes à couronnes.
La culotte est en toile de jute, sorte de bermuda large avec une partie basse retroussée (appelée « canons »), munie d'un ceinturon et portée sur les vêtements.
La passe est évaluée par trois juges (deux à une table et un sur le rond de sciure). Le jury joue le rôle d'arbitre et attribue les notes pour chacun des deux lutteurs.
Le jury décide également des paires d'adversaires de la passe suivante, en fonction du classement des lutteurs et de leur appartenance régionale. Leur influence est importante car en cas de passe nulle, c’est à eux de choisir le lutteur considéré comme le plus actif et qui remporte la meilleure note.
Au début d'une passe, les lutteurs se saluent en se serrant la main. Ils prennent ensuite la position de départ qui consiste à empoigner le ceinturon de l’adversaire avec la main droite, au niveau du dos, et à agripper son canon droit avec la main gauche.
Les lutteurs se mettent en place pour la passe en collant leur menton sur l'épaule de l’adversaire.
Les sponsors sont exclus de l'arène et deux tenues sont admises. Celle des « bergers », pour les lutteurs affiliés traditionnellement au monde rural, qui sont vêtus d’un pantalon foncé et généralement d’une chemise bleu clair avec des motifs d’edelweiss. Les lutteurs issus de la ville sont les « gymnastes » et portent un t-shirt blanc et un pantalon blanc.
Contrairement à la lutte gréco-romaine, ils doivent toujours avoir une prise sur la culotte de leur adversaire. Il existe une cinquantaine de mouvements pour faire tomber l'adversaire dans la sciure (Kurz, Brienzer, Schlugg,…).
Puis viennent les techniques au sol.
Il faut réussir à retourner l'adversaire…
Le combat peut durer un moment au sol. Au total une passe dure de 5 à 9 minutes et la finale de 10 à 20 minutes…
…jusqu'à ce que les omoplates ou les trois quarts du dos de l’adversaire soient plaqués au sol et que le combat soit alors remporté.
À la fin de la passe, le vainqueur ôte la sciure accrochée sur le dos du perdant.
Les lutteurs quittent le rond et laissent place à une nouvelle passe.
Un système de notes de 8.5 (défaite sans beaucoup d'attaques) à 10 (victoire après avoir posé les deux omoplates de son adversaire en même temps) permet de classer les lutteurs.
Couronné, Dieylani est désormais encore plus attendu. Mais il sait qu'une couronne à l’extérieur a plus de valeur que celle, magnifique, décrochée à Genève un mois auparavant.
Enlever une couronne à la « romande » lui assurerait quasiment une place à Estavayer. Musulman pratiquant, Dieylani est en plein Ramadan. Le contexte n’est pas optimal et il n’est pas dans les meilleures conditions physiques, comme il l’a souligné avant son premier combat dans la matinée.
« On verra comment ça va se passer aujourd’hui. Je me sens quand même très fatigué ».
Marc Haldi, ancieur lutteur, connaît toute l’importance de la Fête romande de lutte et la vitrine qu’elle offre en cas de couronne décrochée. Au bord de la sciure, « coach » observe, conseille et encourage Dieylani.
La victoire est suivie d'une défaite, face à un adversaire à sa portée. La couronne s’envole. « Coach » Haldi en veut à son protégé, malgré une ultime victoire dans la sixième passe.
« Je ne suis pas satisfait de Pouye. Il devait gagner la 5e passe, ce qui lui aurait permis de se mêler à la lutte pour une couronne ».
Fatigué, déçu, frustré. Dieylani est également fâché contre un juge qui l’a mal noté.
« Parfois j’en ai vraiment marre et j’aimerais tout arrêter. Mais je dois continuer à me battre pour le club de lutte de Genève ».
Dans l’ordre du classement, les autres lutteurs pourront aller chercher un prix. De la traditionnelle cloche à la machine à laver, en passant par le vélo ou les skis, chacun trouvera son bonheur dans cette véritable caverne d’Ali Baba.
Chapitre 4:
Une passion sans limites
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Face à la concurrence romande, une seule couronne ne suffira pas pour se qualifier à Estavayer. Dieylani en est conscient.
« L'objectif maintenant est de ne pas perdre contre un non-couronné, pour éviter des points de pénalité. Et je dois vraiment me battre pour cette seconde couronne. »
Depuis le 6 juin, Ramadan oblige, Dieylani ne mange et ne boit pas entre 3 heures du matin et 21h30. Il a perdu 4 kg dans une période où les Fêtes s’enchaînent chaque week-end.
Ce 19 juin, à la Fête alpestre du Lac Noir où le niveau est particulièrement relevé cette année, son corps physiquement affaiblit le lui rappelle. Fatigué et blessé, il ne peut que faire illusion. Le moral est au plus bas.
Châtel-St-Denis, juin 2016
Estavayer2016: J-62
Puis c’est l’exploit du 26 juin ! La Fête cantonale fribourgeoise se dispute à Châtel St-Denis. Les leaders romands, presque tous Fribourgeois, sont à domicile. Benjamin Gapany rappelle qu’il est le patron, en s’imposant sur ses terres.
Dieylani, lui, gagne quatre passes pour deux nulles. Il décroche cette fameuse seconde couronne, deux mois jour pour jour avant le début de la Fête fédérale d’Estavayer.
« A l'extérieur, chez l’adversaire fribourgeois, on ne nous a jamais fait de cadeaux. Par la grâce de Dieu, j’ai réussi cette année à décrocher cette couronne. »
« Avec cette deuxième couronne, obtenue à l'extérieur, je ne vois pas pourquoi ils ne me prendraient pas »
Viège, juillet 2016
Estavayer2016: J-55
Le dimanche suivant, c'est à Viège que les lutteurs ont rendez-vous pour la « valaisanne ». Comme à Lausanne en février, « Diez » doit abandonner. Cette fois, ce sont ses doigts qui sont touchés. La crainte qu’ils soient cassés est heureusement assez vite écartée.
Mais une pause de deux semaines sans lutte ni sport lui est imposée. Un nouveau coup dur à un mois de l’annonce de la sélection romande.
Genève, juillet 2016
Estavayer2016: J-50
Lui sait que quoiqu’il arrive, il ne lâchera pas. Il a dû se battre pour faire sa place. Ses deux couronnes ne viennent pas de nulle part et récompensent tous ses efforts.
On retrouve Dieylani chez lui à Genève le 8 juillet, alors que le Ramadan vient de se terminer deux jours plus tôt.
Les débuts difficiles, les remarques désobligeantes voir parfois racistes, Dieylani veut les oublier et aller de l'avant. Désormais, il a fait sa place dans les arènes de lutte suisse. Deux fois couronné, doublement respecté ?
A la maison, Estavayer revient très fréquemment dans les discussions. Dieylani peut compter sur le soutien de sa femme, Tigui et de sa fille Laurena. « Ses deux femmes » comme il aime les appeler, sont à ses côtés et le soutiennent. Il leur a transmis un peu de sa passion pour la lutte.
Il n'y a plus de fêtes de lutte au programme de ce mois de juillet. Il faut s’entraîner, éviter les blessures et attendre cette date fatidique du vendredi 5 août.
L’attente est longue. Sportivement, Dieylani a rempli les critères de qualification pour Estavayer2016. Il se murmure qu’il fait partie de la « liste des 30 ». Parmi les 27 élus romands, trois seront à la Fête fédérale de lutte en tant que remplaçants. Sa sélection se jouera de justesse.
Pendant ce temps, à Estavayer, les préparations avancent....
Genève, août 2016
Estavayer2016: J-22
Ce vendredi 5 août 2016 est le jour du dénouement. Les lutteurs sélectionnés au sein du « Team Romandie Estavayer 2016 » seront avertis par SMS dès 8 heures. Les recalés recevront un appel. La nuit a été courte pour Dieylani qui est rentré du travail à 5 heures du matin. C’est au petit-déjeuner qu’il nous accueille pour recevoir, il l’espère, cet SMS qu’il attend impatiemment.
Ils ne sont que 27 élus Romands : 18 Fribourgeois, 6 Vaudois, 2 Neuchâtelois et donc un seul Genevois. L'exploit de Dieylani est entier.
Lui estime ne pas avoir été seul dans la bataille. Sa femme Tigui a joué un rôle primordial et « cette qualification est aussi la sienne », comme le révèle avec beaucoup d’émotion le lutteur.
Marc a également joué un rôle majeur dans l'accomplissement de son rêve.
A Estavayer, Dieylani veut honorer sa sélection. Il se fixe l'objectif élevé, ou le rêve, de ramener une couronne fédérale.
« Ils ne m’ont pas sélectionné pour ne rien faire. Ils sont sûrs que je peux faire quelque chose et j’aimerais prouver au Team Romandie qu’ils ont bien fait de me choisir. »
Depuis des mois, tous les billets de « l’Arène de la Broye » ont été vendus. L’ambiance sera à la hauteur de l’événement. Alors Dieylani confie qu’il s’activera dès aujourd’hui, avec l’aide du club de lutte de Genève pour avoir des places, par n’importe quel moyen.
« Il est hors de question que je parte à Estavayer sans ma famille »
Dans ce moment de bonheur total, « Pouye » n’oublie pas d’où il vient. Etre le premier Africain noir à se qualifier pour la Fête fédérale de lutte suisse est un immense honneur et une fierté.
Son amour pour la lutte, Dieylani le partagera avec la Suisse entière du 26 au 28 août à Estavayer. « Une passion, des émotions » est le slogan du plus grand événement sportif helvétique qui se tiendra fin août. Cela aurait aussi pu être le titre de l'histoire de Dieylani Pouye.
En luttant contre les préjugés par ses performances dans la sciure, il a prouvé qu’un lutteur noir pouvait réussir à se faire une place dans le sport national suisse. Il veut désormais le montrer à toute la Suisse. Voilà les « Bösen » (méchants), surnom donné aux lutteurs outre-Sarine, prévenus : c’est avec Estavayer que Dieylani a pris rendez-vous pour écrire le prochain chapitre de son histoire.
