Femme de chantier

Le quotidien de Méggane, apprentie conductrice de travaux

Le chantier est un endroit bruyant, où les paroles des hommes se mêlent aux chants stridents des machines et des outils. 

Ce n'est pas ici que l'on pense rencontrer une femme. Et pourtant, Méggane, tout juste 25 ans, vient de valider sa première année de BTS conduite de travaux. 

Patience, gestion de crise, 
et beaucoup de kilomètres en camion ... 

Méggane au volant d'un camion benne

7h. En ce mardi matin, il pleut des cordes. La température extérieure ne dépasse pas 12 degrés. Un temps digne d'un mois de mars, qui donne envie de rester au coin du feu. Dehors, les gens courent pour ne pas être trop mouillés, à peine protégés sous les parapluies.

Le portable sonne. C’est Méggane. Il faut la rejoindre au dépôt, car la météo bouleverse le programme de la journée. Après dix minutes de route, et la traversée d'une zone industrielle, les locaux de l'entreprise de construction apparaissent. Le portail est ouvert, et trois voitures sont déjà garées. 

À l’intérieur, seules deux pièces sont allumées. Marc et Médéric, les deux associés, et Méggane, sont au travail. Le silence et le calme règnent. On peut même entendre la pluie rebondir sur le toit. Assise à son bureau, Méggane explique : 

« On va sur un autre chantier car il fait trop mauvais. Sur Caen, ça à l'air mieux, donc on va envoyer les ouvriers à Grentheville. »

7h30. Le silence laisse place à l'agitation. Les ouvriers arrivent. Le bruit de la porte se mêle à celui de la machine à café. Chaque ouvrier est envoyé sur un chantier. Puis les équipes partent vers le hangar, pour charger leur matériel dans les camions.

Une course contre le temps 

Méggane ne les suit pas. La météo l’oblige à changer ses plans en allant sur un chantier qui n’était pas prévu tout de suite. Elle doit aller chercher du matériel. Direction le hangar pour prendre le dernier camion. Le hangar est à l'arrière de l'entreprise. Le sol est marron, tellement recouvert de poussière que l'on ne distingue plus les lignes de parking. L'odeur de gazole et de poussière mélangés s'élèvent dès le pas de la porte. Dans le camion, la poussière a envahi chaque recoin, et les vêtements sont vite hourdés. Après plusieurs essais, le moteur démarre. 

11h50. C'est la course. Cela fait presque 4 heures que Méggane a quitté l'entreprise, et les essuie-glaces effectuent encore leur danse répétitive. Méggane a déjà vu deux fournisseurs et livré deux chantiers. Le premier est à Grentheville, à 10 kilomètres de Caen, la plus grande ville du département. Là-bas, deux ouvriers, François et Loïc, habillent un muret à l’entrée d’un lotissement. 

Le second est à Falaise, à environ 35 kilomètres. Là, les travaux sont beaucoup plus impressionnants : on y construit une cage d'ascenseur et un espace pour des escaliers.

En une matinée, le quotidien de Méggane se dessine : s'adapter pour gérer les imprévus et permettre le bon déroulement des chantiers.

14h. Il ne pleut plus. Entre les kilomètres, les rendez-vous avec les fournisseurs et les instructions aux ouvriers, la matinée est passée en coup de vent. Et d’après Méggane, qui a le sourire, c’est souvent comme ça :

« Rien ne se passe jamais comme prévu. C'est ça le bâtiment ! »

Quand elle arrive sur le chantier qu'elle supervise, à Falaise, Méggane commence par faire le tour de ce qui a été fait le matin. C’est un chantier impressionnant. Une cage d’ascenseur de 8 mètres de haut, des pré-murs de 6 mètres à poser, une grue, des échafaudages, et des outils dans tous les coins. On se sent tout petit.

Il ne pleut plus, mais l’air et frais, et le vent n’arrange pas la sensation de froid. Un froid contre lequel le casque de chantier ne protège pas. Seules les chaussures de sécurité, peu confortables, serrées et usées par les heures de travail, forment une barrière contre le froid. 

14h30. Un ouvrier crie. Il y a un problème sur la cage d’ascenseur. Pour couler le béton, il faut passer une armature en fer, mais l’espace est très petit. Trop petit pour des mains d'hommes. Méggane enlève sa veste et monte sur l’échafaudage.

Des journées à rallonge

17h. Retour au dépôt. Après avoir rechaussé ses chaussures de ville, Méggane s'installe à son bureau. Il faut étudier les devis qui ont été envoyés. C'est un retour au calme qui fait du bien, après le brouhaha du chantier.

Puis les ouvriers arrivent. Ils vont voir Méggane et son patron, Marc, pour faire un point sur l’avancement des chantiers. Les ouvriers ont eux aussi revêtu leur tenue de ville. Les allées et venues durent jusqu’à ce que les derniers ouvriers repartent, vers 18h15. 

Puis, l'entreprise retrouve son ambiance du matin. Le stress en moins. Tout le monde a l'air satisfait de la journée. Marc, Médéric et Méggane, les trois premiers arrivés le matin sont toujours là. Devis, commandes aux fournisseurs, calculs de matériaux, la journée n'est pas finie ... 

19h. Enfin l'heure de partir. Méggane replie les plans de chantiers qui s'étalaient sur son bureau, range sa calculatrice, éteint son ordinateur et rentre chez elle. 

Cette journée à rallonge se répète tous les jours. Mais Méggane a le sourire, même s'il est tard et que la journée a été épuisante. 

C’est cette détermination et cette volonté qui lui permettent de persister dans ce métier qui est encore en grande partie masculin…. même si la proportion de femmes augmente lentement

Des chantiers, des outils... et des gâteaux

Méggane aidant à passer une armature en fer sur le chantier de Falaise

11h20, le lendemain. Après une visite à Grentheville, retour à Falaise. Car tout n'avance pas comme prévu. Les ouvriers s'énervent. Et le temps lourd, le vent et la fatigue n’arrangent rien.

Quand Méggane arrive, deux pré-murs doivent déjà être posés. Il n’en n’est rien. Le chantier ne paraît pas plus avancé que la veille. Le retard s’accumule, et les ouvriers s’en rendent compte. La tension est palpable. Méggane est une nouvelle fois obligée d'intervenir. Les délais sont serrés, et toute aide est la bienvenue pour avancer convenablement. 

Un respect gagné sur le terrain…

Méggane a su gagner le respect des personnes avec lesquelles elle travaille. Car elle vient de la maçonnerie, et ça, les ouvriers en sont conscients. Ils la traitent comme leur égale. Mais pas encore comme leur supérieure. Une femme plus jeune qui donne des ordres à des ouvriers, ça a encore du mal à passer sur les chantiers. 

Mais c’est aussi par son attitude que Méggane s'impose. Sur le terrain, Méggane a le sourire, même quand le temps est exécrable et que tout le monde voudrait être ailleurs. Une joie de vivre qui se propage et qui fait changer l’ambiance sur le chantier.

15h30. Toujours sur le chantier. En dépit des tensions, on entend des rires prendre le pas sur le bruit de la bétonnière qui tourne en permanence. Blagues, références à des films cultes ou imitations, Méggane met à l’aise, et donne envie de sourire. Sa présence détend et motive les ouvriers.

… Et en dehors

Vendredi, 10h05. Méggane est encore sur le chantier de Falaise. C'est le dernier jour avec la grue. Il faut avancer le plus vite possible pour profiter au maximum du grutier. Malgré les 10 petits degrés, un froid glaçant et un soleil qui peine à réchauffer les corps, tout le monde s’affaire pour avancer.

Une heure plus tard, autour d’un café, Muriel, la secrétaire et la seule autre femme de l’entreprise, raconte une anecdote sur Méggane : 

Pour réussir, il faut savoir faire et savoir être. Et des petites attentions, Méggane en a régulièrement. Ce sont les croissants et les pains au chocolat achetés et déposés sur le comptoir de la salle de repos, les pâtisseries et les gâteaux faits maison, le thé et le café préparés chaque matin… 

La réussite de Méggane est aussi liée à sa personnalité. Mais pas seulement. 

Une histoire de rencontres

Méggane et son patron, Marc Clais

Vendredi, 12h50. Dans un restaurant populaire de Falaise, Méggane s'accorde sa première pause de la journée. Le temps de manger sa salade recouverte de toasts de camembert chaud, Méggane raconte, le sourire aux lèvres et les yeux pleins de nostalgie, comment elle s’est lancée dans la maçonnerie. 

Méggane est là où elle en est aujourd'hui grâce à son parcours, mais aussi grâce aux personnes qui lui ont donné sa chance. Pour preuve, la première entreprise qu’elle démarche pour son CAP de maçonnerie est la bonne. 

« On ne prenait plus d'apprentis. Mais avec mon associé on était intrigués et on s’est dit pourquoi pas. » Alain Béché, entreprise Beché&Pain.

Après deux CAP en maçonnerie et en carrelage, et un Brevet Professionnel en maçonnerie, Méggane change de voie, pour des raisons de santé et de confort de vie. 

Et c'est l'intervention de Médéric Verger et Marc Clais, repreneurs de l’entreprise Ronco Construction, qui permet à Méggane d'écrire une nouvelle page de son parcours.

La moitié du chemin est accompli. Et Méggane est sur la bonne voie. Alors qu'elle n’a pas de bac, elle termine major de sa première année de BTS. 

Il reste maintenant un an à Méggane pour être diplômée, et tenter de faire évoluer les mentalités dans ce milieu encore vu, très majoritairement, comme réservé aux hommes.