G20 Welcome to Hell

Hambourg. Juillet 2017.

19.000 policiers déployés, trente canons à eau, des véhicules blindés et des vedettes maritimes ; le bruit permanent, jour et nuit, des hélicoptères et des sirènes ; aux frontières, l'espace Schengen suspendu… Nous parlons du plus grand dispositif répressif mis en place dans une métropole allemande depuis trente ans, et de son échec cuisant. Nous parlons d'un bordel sans nom, de ciel noirci par les incendies et de marée humaine ingérable, là où ne devaient prendre place que des photos de winners souriants et sûrs d’eux sur fond de musique philharmonique. Nous parlons surtout d’une pratique de l’esquive, d’une capacité généralisée à éviter le contrôle omniprésent et à passer à l’offensive. Nous parlons d’une intelligence collective qui a montré aux yeux du monde entier que l’empire peut être défait, sur son propre terrain.

Regards croisés sur le G20 qui s’est tenu à Hambourg début juillet 2017. Rencontre avec deux participants.


« Les flics ont interdit le camp avant le sommet, c'était une première bataille et le début d'une atmosphère particulière sur place. En attaquant le camp, la police était dans l’illégalité, ce qui a aidé les gens à se positionner et provoquer un soutien massif en faveur du contre-sommet. 500 flics ont débarqué en nombre et avec des cannons à eau pour déloger une petite centaine de personnes avant le début du sommet. Ce n'était peut être pas juste une démonstration de force mais aussi une stratégie pour casser l’endroit où les gens se réunissent, se rencontrent et se reposent... D'habitude la répression allemande est beaucoup plus préventive et psychologique. Là, ils ont changé de stratégie et ont opté pour celle de la terre brûlée en quelque sorte, afin d’éviter que quoi que ce soit ne se passe. Pour ça, il fallait les attaquer dès le début. La manifestation pacifique qui a eu lieu en réponse s’est faite dégager avec 6 canons à eau et à peine une ou deux sommations ! L'opinion a donc changé, la presse bourgeoise a elle aussi dénoncé ces violences de la police. Les gens étaient en colère des violences polcères, surtout envers des événements pacifiques, et ça a donné une présence massive des manifestants le jeudi à la première manifestation anti-capitaliste « Welcome To Hell ».

A Hambourg, la stratégie policière de tolérance zéro a doublement échoué. Tout d’abord, en interdisant un grand camp en périphérie, elle a disséminé les milliers d’activistes au cœur de la ville, dans une multitude de petits campements impossible à surveiller. Ensuite, en attaquant d’entrée de jeu la manif du jeudi, au lieu de la laisser aller et de la canaliser, elle a repoussé des milliers de manifestants de manière désordonnée dans la ville, leur ouvrant ainsi un nouveau terrain de jeu, et a donné, dès le premier jour, un aperçu de la violence qui serait assumée par l’État.

La meilleure action de blocage dans l'efficacité sur la zone rouge est celle qui a bloqué Mélania Trump

« Vendredi matin, vers 7h, différentes actions avaient lieu un peu partout : le blocage du port, des actions d'attaque d'un quartier bourgeois à l'est... D'autres se sont retrouvés pour aller pacifiquement sur la zone rouge, et c'est ceux qui se sont retrouvés le plus face à plein de flics. La meilleure action de blocage dans l'efficacité sur la zone rouge est celle qui a bloqué Mélania Trump. Un hôtel a été attaqué aussi, et dedans se trouvait en fait tous les journalistes officiels de l’événement. Il y avait aussi l'après-midi un concert philarmonique ou les dirigeants du G20 devaient aller, et vers 15h l'accès à l'opéra a été bloqué. En fin d'après-midi, les émeutes ont commencé dans la zone du Rote Flora [Squat historique de Schanzenviertel, quartier à forte identité autonome] où il n'y avait plus aucun flics, jusqu'à deux-trois heures du matin où ils ont eu comme consigne le retour à l'ordre dans la zone. Après le blocage du concert, les flics ont commencé à poussé tout le monde vers la ville, et plus ils repoussaient vers les quartiers sympathisants, plus les manifestants étaient nombreux, et même certains qui voyaient les événements à la télé venaient grossir la foule. »


Une violence légitime et nécessaire qui s’est exprimée en réaction à la militarisation de la ville, et pour accueillir dignement les vingt salopards qui se réunissaient ici en tant que maîtres du monde, en tant que maîtres de ce monde… Si tous les habitants d’Hambourg ne supportaient pas les affrontements avec les flics, les pillages et les voitures incendiées, tous sentaient le caractère exceptionnel de la situation. Une situation à la mesure de l’État d’exception qui leur a été imposé pendant des semaines, et particulièrement les derniers jours.



« Beaucoup, il est vrai, étaient préparés à l’affrontement, mais au bout d'un moment d'autres gens moins habitués à ce genre d'actions nous ont rejoint, notamment pour des auto-réductions. C'est devenue une émeute populaire. C'est la première fois qu'on voit des gens lambdas pas habitués rejoindre à ce point des émeutes, ça mettait les flics hors de contrôle. A Schanze pour la première fois, tous ces gens là avaient une zone à défendre, ça devenait évident de monter les barricades et de tenir le quartier. Même si beaucoup de gauchistes ont dit ensuite que c'était la volonté de la préfecture que ça parte en bordel total afin d’assumer une grosse répression, mais la vérité c'est qu'ils se sont faits très vite déborder, ils demandaient des renforts qui n'arrivaient jamais... C'est un signe fort pour la suite dans ce qu'il est possible de faire ensemble. »

En somme, si nous avons pu tenir Schanze, c'est aussi parce qu'il se passait plein de choses ailleurs, plein de stratégies différentes étaient à l'œuvre, sans rapport direct mais qui créaient un tout qui se tenait.

« Dès 20h, le quartier a été barricadé et tenu par les émeutiers ! Au début c'était juste une petite zone, et ça s'est étendu. Ça ressemblait d'abord plutôt à une fête de rue, avec des gens qui sont là à boire des bières, et qui ont finalement fini par se livrer à l’émeute. Après quelques heures, la police a essayé d'intervenir mais ils ne sont pas parvenues à faire grand-chose d’autre que de contenir l’émeute dans ce quartier. Y'a eu quelques pillages de magasins, notamment une sorte d'IKEA. Deux banques ont été ravagées dont une brûlée ! Toute la zone tenue était autour du Rote Flora. Les employés de certaines boutiques ouvraient leur portes pour laisser les gens se réfugier. Bien sûr la présence du Rote Flora dans le quartier était cruciale et servait de base arrière. »


« Une autre réflexion qu'on a eu entre nous sur cette prise du quartier concerne la multiplicité des événements que la police avait à gérer. Par exemple, le soir du 7, là où certains brûlaient des banques, il y avait aussi des milliers de personnes à vélo (d'aucune organisation politique apparemment), qui ont empêché le passage des canons à eaux et des camionnettes de la police. Plus tôt dans la journée, des militants de Green Peace ont tenté d'entrer en bateau sur le cours d'eau qui menait jusqu'à l'Opéra, en plein coeur de la zone rouge. En somme, si nous avons pu tenir Schanze, c'est aussi parce qu'il se passait plein de choses ailleurs, plein de stratégies différentes étaient à l’œuvre, sans rapport direct mais qui créaient un tout qui se tenait. »



« On peut évoquer aussi certaines limites qu'on a ressenti ou obstacles qu'on a pu rencontré. Ce qui a mis fin précisément à la nuit d’émeute à Schanze, on ne sait pas trop. Pour nous, au bout d'un moment il ne restait pas grand chose à faire de plus, ce qui pouvait être brûlé l'avait été et il commençait à y avoir de moins en moins de gens présents. On se dit que peut être ça aurait été une bonne idée à ce moment là d'occuper un des bâtiment de la Schanze, peut être au moins pour se réunir et réfléchir aux stratégies pour la suite des événements. On manquait aussi un peu de moyens matériels sur place. Tout ce qui provenait des magasins pillés a été principalement gardé individuellement, et non partagé collectivement. C'est pas forcément vrai pour tout, par exemple les gens sortant de l'épicerie en criant, jetaient du chocolat et autre pour distribuer à tout le monde. Rétrospectivement on se dit qu'on aurait pu faire mieux, et systématiser un peu la distribution, instituer une sorte d'assemblée qui s'occuperait de faire des sandwichs, entre autre, ou au moins de gérer la distribution du butin. Au Rote Flora, on pouvait avoir des temps plus calme, pour manger ou discuter entre deux moments d'émeute. Il n'y a pas eu d'assemblée ou de grandes discussions pendant les journées d'action. Il y avait des camps, mais la plupart des gens n'y allaient que pour dormir. Il était très difficile de se coordonner entre différents groupes. »

Une vaste opération médiatico-policière a logiquement suivi ces événements. Les journaux titraient alors : « L’Alep allemand », la « terreur gauchiste », le chaos. Un moment quasi insurrectionnel dans une métropole allemande en 2017, cela ne peut qu’être condamné et étouffé à tout prix, ce n’est pas pour rien que certains ministres nous comparent aux nazis et aux terroristes de l’État islamique. Les médias peuvent regorger d’histoires de gens traumatisés, par l’incendie de leur voiture, la destruction de leur vitrine ou la présence de leurs enfants d’un côté ou l’autre des barricades. Mais tous ceux qui ont participé de près ou de loin à ces moments le disent : « Ces joies, ces peurs et ces intensités nous ont rendu tellement plus vivants que le cours normal de nos existences en régime capitaliste. Nous avons parlé avec de nombreux inconnus qui participaient pour la première fois de leur vie à un moment politique, et nous avons senti leurs enthousiasmes et leurs énergies. »

Tout le travail de propagande catastrophiste des médias vise précisément à conjurer cette joie et cette puissance qui ont été massivement partagées, instiller la peur de la situation hors-norme, rendre indésirable la perte de contrôle de l’État. Tous les journalistes d’Allemagne peuvent aussi bien se tuer à la tâche, rien n’empêchera que les participants aux jours et aux nuits d’Hambourg en garderont le souvenir réel, dans leur corps.

Soutien aux camarades emprisonnés et poursuivis suite à ces événements.