Jean Quellien, ses vérités sur le D-Day

L'historien remet en question bien des idées reçues au sujet du jour J

Le dernier livre de l'historien Jean Quellien remet en question bien des idées reçues et des légendes tenaces au sujet du jour J.

Plus de 71 ans après le Débarquement du 6 juin 1944 et la Bataille de Normandie qui a fait rage jusqu'au 22 août, de nouvelles découvertes dissipent les idées reçues. C’est l’objet du dernier livre de l’historien Jean Quellien, Le jour J et la Bataille de Normandie.


Né à Coutances – une des nombreuses villes martyres de la Bataille de Normandie – le 21 septembre 1946, Jean Quellien a quinze ans lorsqu’il découvre, en 1962, le film Le Jour le plus long au cinéma.

"C’est comme ça que j’ai appris qu’il n’y avait pas seulement des Américains à avoir débarqué le 6 juin sur les plages. Qu’il y avait aussi des Anglais et des Canadiens. Mais c’est tout ce que je dois au film !"

Dans le viseur de Jean Quellien, la "scène culte du film". Celle de Sainte-Mère-Eglise et du para américain resté accroché au clocher de l’église.

"Qui ne connaît pas l’histoire de John Steele, ce parachutiste de la 82e Airborne", interroge Jean Quellien. "Pourtant, un autre parachutiste est tombé sur l’église. Il s’appelait Ken Russell. Et il est formel : les deux hommes se sont retrouvés accrochés du côté de la petite rue et pas du côté de la place. Dans le film, on voit Steele qui assiste au massacre de ses camarades. Or, il ne pouvait pas voir les combats du côté où il était. Devenu un héros, Steele n’a jamais remis en cause cette version". Ce fait, ignoré dans le film de Darryl Zanuck, l’est aussi du grand public.

"Le film Le Jour le plus long est une horreur pour un historien"


"L'impact du film est d’avoir pollué les mémoires. Depuis qu’il est sorti, tout le monde a répété ce genre de légende. Le film Le Jour le plus long est une horreur pour un historien".

Avec Le jour J et la Bataille de Normandie, le professeur Quellien revoit la copie. Son dernier livre, intitulé Le jour J et la Bataille de Normandie, paru aux éditions Orep, marque un tournant parce qu’il rétablit beaucoup de contrevérités historiques. Y compris des faits relatés dans ses propres ouvrages.

Omaha Beach

À Omaha, les pertes (blessés, tués et portés disparus) ont été plus importantes que ce que l’on en a dit (3 000). "Tout s’est conjugué pour que ce soit un carnage : 4 000 hommes perdus. L’endroit ressemble à un piège, avec les falaises d’un côté, la mer démontée de l’autre. 35 000 hommes ont débarqué en plusieurs vagues sur une plage parsemée de défenses. Les Allemands sont quelques centaines, bien distribués sur la falaise, en position de force", souligne Jean Quellien.

La Pointe du Hoc

Un quart de siècle de recherches au compteur

"Un historien se doit d'être révisionniste. De remettre en cause les choses à la lueur de nouveaux éléments issus de recherches. Et cela demande du temps. J'ai commencé à travailler sur ces sujets depuis presque 25 ans maintenant avec un premier bouquin, La Normandie au cœur de la guerre, sorti au début des années 1990. En continuant, on saperçoit, au travers des recherches menées par des étudiants de l’Université de Caen, ou des collègues américains, anglais, quon ne sait pas tout, quon commence seulement à approcher de la vérité 71 ans après. Il existe des mythes, des inexactitudes ou des choses dont on n’avait jamais parlé, par exemple le dispositif ULTRA qui a permis aux alliés de décrypter toutes les transmissions allemandes depuis le début de la guerre. Cette découverte change complètement la vision que l’on a de la Bataille de Normandie".

L’exemple le plus typique : la contre-attaque allemande à Mortain en août 1944. "Elle passe pour une surprise pour les Américains. Le général Bradley (un des principaux chefs des armées américaines, ndlr) laisse avancer les troupes allemandes pendant que les armées du général Patton remontent vers Alençon et Argentan. C’est le début de la Poche de Falaise". Près de 100 000 hommes de la 7e armée allemande et de la 5e armée blindée sont pris au piège dans la poche qui s’étend sur 10 km de long et autant de large. C’est le début du massacre qui s’achève par la fermeture de la poche, à Chambois, le 19 août. Là encore, Jean Quellien revient sur le bilan de cette bataille.


Pas de "Stalingrad" en Normandie

"En réalité, les armées allemandes n'ont pas été détruites comme on l’a souvent dit et écrit. Sur l’ensemble des troupes menacées d’encerclement vers la mi-août, les deux tiers ont réussi à échapper au piège. La comparaison avec Stalingrad est abusive", explique Jean Quellien.
Il n’en reste pas moins que la Poche de Falaise a été un des "Plus grands champs de tuerie qu’aucun secteur de la guerre eût jamais connu", témoignait le général d’armée américain Eisenhower. Le 22 août au matin, la Bataille de Normandie est terminée. "La Bataille de Normandie est terminée, certes, mais la bataille en Normandie continue. La Basse-Normandie devait être libérée en trois semaines, il en faudra douze".

Mulberry harbour A :
le port artificiel d'Arromanches-les-Bains

Toujours de nouvelles découvertes, 
plus de 71 ans après les faits

Les historiens américains, britanniques et français, comme Jean Quellien, s'efforcent de mieux comprendre comment se sont déroulés les faits de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 71 ans après le Débarquement et la Bataille de Normandie, les historiens exhument de nouvelles données, comme le fait d’avoir quelque peu exagéré l’efficacité de l’aviation alliée lors de la Bataille de Normandie. L’avancée des troupes au sol fortement gênée par l’enchevêtrement de haies caractéristique du bocage, les chasseurs et bombardiers ont joué un rôle important en Normandie. Et dès 1944, des études ont été menées sur le sujet. "Elles montrent qu’il y a eu plus de chars détruits par l’artillerie que par l’aviation", explique Jean Quellien.


Ce qu’il reste dans les petits carnets…

À l’heure où les survivants du 6 juin sont de moins en moins nombreux, leurs témoignages sont précieux. "On en a encore, mais ce sont des gens qui étaient très jeunes à l’époque. Ils ne sont pas ce qu’un historien appelle des témoins de premier ordre. Beaucoup de témoignages ont été écrits, notamment au Mémorial. Mais on ne dispose pas d’archives concernant les civils". Les rapports de préfet et de police ont disparu durant l’occupation et la Bataille de Normandie.

"La seule source qu’il reste, ce sont les témoignages que les gens ont consignés. Le 6 juin 1944 au matin, des gens de tous les milieux ont noté ce qu’ils ont vu. Je suis persuadé qu’il reste encore de ces carnets à retrouver. Même si cette réalité est parfois un peu tronquée".

Jean Quellien retient l’exemple d’une paysanne près de Ranville. "Dans son petit carnet, la brave dame écrit que sa préoccupation, c’est d’aller voir le matin si ses vaches sont encore vivantes. Ça a d’ailleurs beaucoup surpris les Anglais de constater que les gens étaient d’abord préoccupés par leur quotidien". Sans doute pour s’accrocher à quelque chose au cœur de l’enfer…

8 000 morts dans le Calvados

Le mardi 6 juin 1944 marque le début de la reconquête de la liberté de l'Europe. Et celui du martyre de la population normande à la merci des bombardements alliés et des tirs de l’artillerie de marine destinés à chasser l’ennemi ou éteindre les poches de résistance "comme à Trévières ou à Isigny. Leurs obus disloquaient toute contre-attaque". La Bataille de Normandie, c’est 8 000 morts civils dans le Calvados, 20 000 en Normandie. "C’est la seule population française à avoir souffert autant", souligne Jean Quellien. "Au cœur de la bataille, on compte 2 millions de soldats alliés et un 500 000 Allemands alors que la Normandie compte un million d’habitants".

À l'aube du 7 juin, de nombreuses villes normandes sont en ruine. Pas Bayeux. Lieu de détente pour les soldats en repos et les correspondants de guerre, la "capitale de la France libérée" sera aussi la ville dans laquelle le Général de Gaulle a prononcé son premier discours en France libérée, le 14 juin. Dans un Bayeux en liesse, il y en avait un pour qui cette fameuse journée ne fut pas vraiment une partie de plaisir.

"Un truc marrant à propos de Bayeux"

"C'est un truc marrant à propos de Bayeux", sourit Jean Quellien. "J’ai pu me procurer auprès de l’amiral Brac de la Perrière (président, depuis 1999, du Comité du Débarquement, fondé le 22 mai 1945 par Raymond Triboulet, premier sous-préfet de la France libérée, dont le siège est à Bayeux, ndlr) un texte extrait d’un journal britannique. Il s’agit du témoignage du major Sanderson qui conduisait la Jeep du Général".

Le 14 juin, donc, de Gaulle arrive sur la plage "quelque part" (ce mystère-là n’est pas prêt d’être élucidé) entre Courseulles-sur-Mer et Graye-sur-Mer. "Une heure et demie après l’heure prévue, sans raison apparente et sans un mot pour s’excuser", explique Sanderson. Et les choses ne font que commencer pour l’Écossais, chargé par Montgomery de piloter de Gaulle parce qu’il parle français. "Son visage s’est allongé quand il a vu le véhicule". La suite – elle vaut le détour – est à découvrir dans le livre de Jean Quellien qui planche déjà sur un nouvel ouvrage.


Le Calvados de 1939 à 1945

Jean Quellien planche actuellement sur un nouveau livre. Il s’intégrera à une série sur les départements français pendant la guerre, de 1939 à 1945. "J’écris celui qui sera consacré au département du Calvados". Une fois de plus, le lecteur aura l’occasion de faire des découvertes. "On parle toujours du D-Day et la Bataille de Normandie mais on oublie souvent les quatre premières années de l’histoire du Calvados durant le conflit, de juin 1940 à juin 1944".

Le dernier livre de Jean Quellien, Le jour J et la Bataille de Normandie, couvre trois grands axes de l'opération cet épisode de la Seconde Guerre mondiale.

Les préparatifs de l’opération Neptune (le Débarquement, le parachutage des troupes et l’établissement des têtes de pont), le Débarquement et enfin, la Bataille de Normandie qui constituent l’opération Overlord, jusqu’au franchissement de la Seine.

Au fil des 14 chapitres du Jour J et la Bataille de Normandie, l’auteur consacre un encadré à certains faits lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur certaines contrevérités historiques.

"Il était bien nécessaire
de proposer une nouvelle lecture"

Le livre offre une vision globale mais précise des faits qui se sont déroulés en Normandie. De ceux qui n’ont pas eu lieu également… Jean Quellien tord le coup aux idées reçues ! "Sait-on que les Américains n’ont jamais eu, contrairement aux affirmations gaullistes, l’intention d’instaurer un gouvernement en France, l’AMGOT ? Sait-On que les pertes le jour J ont été sous-évaluées ? Que le commando Kieffer n’a pas véritablement enlevé le casion de Ouistreham ? Oui, il était bien nécessaire de proposer une nouvelle lecture du Débarquement et de la Bataille de Normandie", lance l’historien dans son avant-propos.

"Un sujet qu’on aurait grand tort
de croire épuisé"


La Normandie au cœur de la guerre Par l’importance des forces navales, aériennes et terrestres déployées, le débarquement lancé le 6 juin 1944, au terme de longs mois de préparation, reste à coup sûr la plus impressionnante opération combinée de tous les temps. Mais au soir du "D-Day", rien n’est réglé. La Bataille de Normandie commence. Douze semaines d’affrontements acharnés dans les haies du bocage ou les blés de la plaine de Caen vont décider du sort de la guerre à l’Ouest et précipiter la défaite du Troisième Reich. À ce titre, la bataille de Normandie s’inscrit comme un temps fort dans la stratégie anglo-américaine pour la reconquête et la libération de l’Europe. Au-delà du récit des combats, l’ouvrage analyse le contexte politique, militaire et civil dans lequel se sont déroulés le Débarquement et la Bataille de Normandie. Avec un style vif, ce livre propose une vue globale des faits en respectant les divers éclairages : celui des Alliés comme celui des Allemands, sans oublier d’évoquer le sort dramatique des Normands eux-mêmes, souvent pris entre deux feux. S’appuyant sur les acquis les plus récents de la recherche historique, ce livre qu’on aurait grand tort de croire épuisé.

> Pratique. Le Jour J et la bataille de Normandie, par Jean Quellien, paru aux éditions Orep, Zone tertiaire de Nonant. 480 pages. 24,50 €.


Frédéric Bourgeois