Normandie pour la Paix

Laboratoire pour une paix durable

Il est 9 heures ce mercredi 30 mai 2018. Le parc d'Ornano, habituellement ouvert au public, est exceptionnellement fermé. Aux quelques accès où les grilles sont encore ouvertes, des agents de sécurité surveillent les allées et venues. Seuls les agents de la Région Normandie peuvent accéder aux bâtiments et à leur bureau, à condition de montrer patte blanche. Il faut dire que malgré l’heure encore matinale, les camions et les engins de chantiers sont déjà en mouvement. Les ouvriers sont à pied d’oeuvre: dans une semaine et un jour exactement, près de 5000 personnes sont attendues pour la première édition du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région. Le jeudi 7 et le vendredi 8 juin 2018, la Normandie sera le lieu où experts en géopolitique, représentants de gouvernements français et étrangers, personnalités du monde académique et de la société civile seront réunis. À l’invitation du Président Hervé Morin, ils participeront aux conférences et aux échanges autour des tensions dans le monde et de la construction de la paix. Le site de l’Abbaye aux Dames à Caen, siège de la Région Normandie, sera durant deux jours le laboratoire de réflexion sur la construction d’une paix durable. "Nous avons une vraie légitimité pour le faire, estime Hervé Morin, puisque c’est de la Normandie qu’est parti ce vent de liberté qui a permis la libération de l’Europe en 1944. Cette légitimité-là nous donne le droit de bâtir ce grand événement international, événement international qui doit nous amener à faire venir le monde entier pour évoquer ces sujets et faire en sorte que l’on soit un lieu de contribution aux grandes questions de sécurité et de paix." L’ambition de l’ancien ministre de la Défense: faire de ce Forum mondial un « Davos pour la Paix ». Ce nouveau rendez-vous international initié par la Région Normandie se tiendra chaque année, au lendemain des commémorations du Débarquement du 6 juin 1944 et de la Bataille de Normandie.

Cette année, 160 intervenants de 39 nationalités différentes vont permettre de faire vivre plus de 50 heures de débats autour du thème « Mondialiser la paix: nouvelles guerres, nouvelle paix ». Ce sont donc ces deux jours intenses en échanges et forts en symboles que nous vous proposons de (re)vivre.

Partie 1
La Paix, valeur universelle 
qui rassemble les générations

© E.Biernacki / Région Normandie

Jeudi 7 juin, 9 heures du matin. Des centaines de lycéens, étudiants, enseignants, retraités, élus et militants associatifs affluent sur le site de l'Abbaye-aux-Dames à Caen pour assister au premier Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région. La tente qui accueille les séances plénières est remplie. Toutes les personnalités sont réunies pour l'ouverture officielle de cet événement international. "Cet événement s'inscrit dans la continuité du considérable travail de mémoire accompli depuis 1945 par notre région, la Normandie, rappelle en préambule Hervé Morin. Sans cet engagement de tous depuis des années, Normandie pour la Paix n’aurait pu exister. Pour souligner cette continuité, il a d’ailleurs été acté que Normandie pour la Paix se tiendra chaque année juste après les commémorations du 6 juin 1944 et de la bataille de Normandie." Cette première édition du Forum se tient d'ailleurs un an avant l’hommage qui sera rendu aux derniers vétérans du D-Day, à l’occasion des 75 ans du débarquement "et à un an, nous l’espérons, de l’inscription des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l’UNESCO".

"J’ai voulu que cet événement ne soit pas seulement dédié à l’observation et à l’analyse, prévient le président de la Région Normandie, mais qu’il soit aussi dédié à l’action. Cela suppose d’analyser les enchaînements qui amènent de la crise à la guerre pour mieux les prévenir, identifier les causes majeures de conflits." Et c’est ce à quoi vont s’attacher les différents intervenants de cette conférence inaugurale. 

Pour lancer le forum, les premiers échanges vont permettre de poser les bases du débat. Citant le philosophe Alexis de Tocqueville, Ramón Luis Valcárcel Siso, vice-président du Parlement européen, rappelle que les guerres sont aujourd’hui moins nombreuses qu’aux siècles passés mais que "plus l’écart entre une situation réelle et une situation idéale s’estompe, plus il devient insupportable". Même si les guerres sont moins nombreuses, elles n'en demeurent pas moins complexes. 

Comment caractériser, identifier et définir ces nouvelles formes de violences ? Cette conférence introductive dresse l'état des lieux autour de l'évolution du concept de guerre et des conflits contemporains. Des conflits contemporains que Renaud Girard, grand reporter, a longtemps couvert pour le journal Le Figaro. Une expérience du terrain et des conflits qui l'amène à penser qu'aujourd'hui, "le destin de la planète ne veut plus obéir à l’Occident"

L’ambition du Forum mondial Normandie pour la Paix va plus loin encore. Il s’agit de trouver des solutions, apporter des idées et permettre aux intervenants d’en débattre. C’est donc dans cette optique qu’Elisabeth Decrey Warner est intervenue. La présidente honoraire de l’Appel de Genève enjoint la communauté internationale à travailler avec les groupes armés non étatiques pour les sensibiliser à la paix et aux droits de l’Homme. Il faut dire que l’imaginaire collectif fait aujourd’hui souvent référence à la guerre comme une opposition frontale entre deux États. Or, la prolifération des acteurs non-étatiques prouve que cette vision est dépassée. 

La multitude des acteurs étatiques et non-étatiques impliqués dans la guerre en Syrie, de même que la nouvelle forme de terrorisme que nous vivons depuis plusieurs années, sont deux exemples de ces évolutions des conflits. Dans le même temps, les origines des conflits contemporains tendent à évoluer considérablement: raréfaction des ressources, montée des eaux, accroissement des inégalités, augmentation du prix des matières premières sont autant de facteurs générateurs de conflits. 

« Quand vous ferez de l’autre votre égal,
vous en ferez un pacifique. » - Bertrand Badie

Une conclusion proposée par Bertrand Badie à cette séance plénière d'ouverture concernant l'état du monde et les conflits contemporains. Une piste de réflexion qui a le mérite d'ouvrir le débat et lancer les échanges qui alimenteront ces deux jours. 

LE VILLAGE POUR LA PAIX

Alors que la salle plénière est comble, de nombreux jeunes se pressent sur le Village pour la Paix. Pendant les deux jours, des rencontres et des rendez-vous culturels sont au programme: le Village accueille des ONG, une série d'expositions de même qu’une vaste librairie éphémère. On peut ainsi aller à la rencontre d'exposants tels que le Prix Bayeux-Calvados Normandie des correspondants de guerre, le Parlement européen et le Parlement européen des Jeunes, le Projet Vitae, l'Association Européenne pour la démocratie locale, l'Institut des relations Internationales et Stratégiques, la Croix Rouge Française ou encore Jeunes artisans de Paix. Et en passant d'un stand à l'autre, les participants au forum peuvent regarder les quatre expositions disposées à différents endroits sur le site majestueux de l'Abbaye aux Dames. Le projet "Pressez-vous", un programme pédagogique porté par les étudiants en Design Graphique de l'ESAM, en coopération avec l'Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis et l'Institut Supérieur des Arts et Métiers de Sfax. L'exposition "Mossoul jusqu'à la mort" de Laurence Geai, une série de clichés proposée dans le cadre d'un partenariat avec le festival "Les femmes s'exposent" (ce festival s'est tenu à Houlgate du 8 juin au 16 juillet 2018).  Ou encore l'exposition "Conflits oubliés, conflits de demain" proposée par le collectif de photographes NOOR. Enfin, "History Through Their Eyes", une exposition qui s'inscrit dans le projet Eyes, soutenu par l'Union européenne. 

Dans la librairie éphémère, les ouvrages des conférenciers du Forum sont mis en vente. D'autres essais, romans et bandes-dessinées sur les thématiques de la paix, de la mémoire et de la liberté sont également disponibles. Quelques auteurs sont même présents pour une séance de dédicace. L'occasion de partager et d'échanger avec le public et de faire des rencontres. Certaines, plus symboliques que d'autres comme lorsque Latifa Ibn-Ziaten, la mère du premier militaire assassiné par Mohamed Merah en 2012, échange quelques mots avec Lassana Bathily, le rescapé de l'attentat contre l'Hypercasher en 2015 à Paris. 

Lassana Bathily et Latifa Ibn-Ziaten interviennent tous les deux sur le Forum mondial Normandie pour la Paix. Le premier, lors d'un échange avec Frédérique Bedos, fondatrice de l'ONG « Le Projet Imagine », le jeudi 7 juin 2018. Rescapé des attentats contre l'Hypercasher perpétrés le 9 janvier 2015 porte de Vincennes à Paris, Lassana Bathily est revenu sur les événements de cette journée qui l'a marqué à vie mais a aussi évoqué sa "nouvelle vie", cette vie d'après les attentats et ce jour du 9 janvier 2015. "Avec tout ce que l'on a vécu ces derniers temps, avec les actes de terrorisme, je crois que la paix est là pour nous rassembler, pour vivre ensemble."

La seconde est intervenue au débat : « Commémorer, raconter, éduquer : comment fonder une culture de paix ? » le vendredi 8 juin 2018. Fondatrice de l'association « Imad-Ibn-Ziaten » pour la jeunesse et pour la paix, Latifa Ibn-Ziaten est le symbole de la paix pour beaucoup de personnes aujourd'hui. Elle a décidé de créer une association en avril 2012 dans le but de venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté, et de promouvoir la laïcité et le dialogue inter-religieux. Chevalier dans l'ordre national de la Légion d'Honneur, elle a notamment reçu le Prix pour la prévention des conflits, le Prix de la tolérance et le Prix "International Women Of Courage Award". Dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix qui se tenait à l’Abbaye aux Dames à Caen, Latifa Ibn-Ziaten a regretté que "l'on ait oublié l'humanité. Si chacun de nous donnait 10% de soi ou même 5% de soi pour le vivre ensemble et la paix, on ne serait pas arrivé à ce que l'on a aujourd’hui."

DES ATELIERS
QUI FONT SALLE COMBLe

L'après-midi, l'intérêt du public ne retombe pas. Les files d’attente se forment pour assister à tel ou tel débat, à l’image de celui qui se tient dans l’auditorium de l’Abbaye où de nombreux lycéens se sont engouffrés. 

Le journalisme de guerre attire les foules

Attentifs, ils écoutent les témoignages de grands reporters de guerre qui ont couvert conflits, massacres, génocides au Cambodge, au Rwanda, en Bosnie, ou en Birmanie avec l’actuelle déportation des Rohingyas. Le thème qui les réunit en ce jeudi après-midi: "Comment dire l’indicible ?" Pour Renaud Girard, du Figaro: "Il faut vérifier les rumeurs et raconter ce que l’on voit." Jon Swain, du Sunday Times, explique qu’il est le témoin de ses contemporains, leurs yeux et leurs oreilles. Rémy Ourdan du journal Le Monde pense quant à lui que "rien n’est indicible car il y a toujours un moyen de raconter, sauf pour les victimes. Il faut trouver les bons mots, les mots justes pour que nous puissions informer et que les gens puissent nous lire", conclut le journaliste.

Le témoignage poignant d'un ancien enfant-soldat

Le récit poignant de Michel Chikwanine, kidnappé à 5 ans en République Démocratique du Congo, fait grande impression lors du débat intitulé "Enfants soldats : prévenir leur recrutement, garantir leur réinsertion". A la question "Comment se réinsérer ?", celui qui est maintenant étudiant à Toronto répond: "Il faut que les pays occidentaux se posent les bonnes questions : c’est notamment à cause de la prolifération des armes de petit calibre qu’on a recours aux enfants soldats. Enfant soldat n’est pas un statut à vie, même si cet épisode traumatique nous accompagne tous les jours. Réinsérer demande des moyens et des solutions individualisées. Est-ce qu’on est prêt à investir dans la paix, même si cela rapporte moins d’argent que la guerre ?"

Alors que le jeudi, la journée s'achevait avec le récit de Lassana Bathily sur la prise d'otages dans l'Hypercasher, le vendredi matin, place aux jeunes avec la présentation du nouveau prix Liberté qui récompensera à partir de 2019 une personnalité engagée de façon exceptionnelle en faveur de la liberté. Créé par la Région Normandie, ce prix sera décerné par un panel de jeunes du monde entier, selon un processus pédagogique inédit. Le premier lauréat sera dévoilé lors de la deuxième édition du Forum mondial Normandie pour la paix.

La jeunesse au CŒUR
du Forum

Le Forum mondial Normandie pour la Paix, ce ne sont pas seulement des échanges et des débats entre des experts et des personnalités politiques. Ce sont aussi des discussions avec les plus jeunes, avec ceux qui seront les acteurs de demain et qui œuvreront pour la paix dans le monde. Il est donc nécessaire de placer ces jeunes au cœur de la première édition du Forum et de les impliquer, ne pas les laisser spectateurs mais véritablement les rendre acteurs. Sur ces deux jours, ils sont près d'un millier de lycéens à fouler les allées du Village pour la Paix et à assister aux conférences plénières et aux débats. 

L'événement final Walk the global Walk

Walk the Global Walk, c'est un programme européen d'éducation aux droits de l'Homme et aux objectifs de développement durable fixés par l'ONU. Ce jeudi midi, ils sont donc 800 jeunes réunis dans la salle des conférences plénières pour exposer leurs initiatives citoyennes. Des initiatives qu'ils ont imaginé et mis en oeuvre tout au long de leur année scolaire, en lien avec l'Institut International des Droits de l'Homme et de la Paix. 

Un jury récompense les projets les plus innovants et pédagogiques. Et pour symboliser l'importance accordée à ce temps fort, Ban Ki-moon est présent. L'ancien secrétaire général des Nations Unies est accompagné de Jacques Toubon, le défenseur des droits de la République française, Christine Lazerges, présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme et YAK, dessinateur et créateur du personnage ELYX, l’ambassadeur digital des Nations Unies.

Le lancement du Prix Liberté 2019

Autre temps fort, là aussi avec et pour les jeunes: le lancement du Prix Liberté 2019. A l'initiative de la Région Normandie, ce prix a l'ambition de récompenser, chaque année, une personnalité qui se sera engagée de façon exceptionnelle en faveur de la liberté. Le lauréat sera désigné par un panel de jeunes du monde entier. La première remise de ce prix aura lieu à Caen dans le cadre du 75ème anniversaire du Débarquement en Normandie et de la deuxième édition du Forum mondial Normandie pour la Paix. 

Remis des prix "Les Jours journalisme"

Enfin, dernier moment directement à destination de la jeunesse: la remise des prix "Les Jours journalisme". Ce prix organisé par le Club de la presse et de la communication de Normandie récompense les meilleurs reportages radio, TV et écrits réalisés par des jeunes normands de 15 à 25 ans sur le thème de la paix. Au-delà de la remise des prix, les jeunes ont pu rencontrer deux vétérans et échanger quelques mots avec eux. Des moments forts en émotion qui ont montré que la paix avait la capacité de rassembler les générations.

Partie 2 : 
Un sommet international 
dans une Région symbolique

© C.Magat / Région Normandie

Si le Forum mondial Normandie pour la Paix permet de réunir les générations et notamment les plus jeunes, il a aussi pour ambition de réunir les dirigeants politiques du monde entier pour les amener à réfléchir ensemble sur les questions de paix et de sécurité dans le monde. Dès le jeudi, l'ancien Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, a pu présenter son mouvement, Leaders pour la Paix. "Notre organisation aura pour vocation de proposer une sagesse politique au service de la paix et de l'intérêt général : réduire les conflits par l’alerte." Il s'agit d'un véritable lieu de réflexion autour des questions de paix. "La paix ça ne tombe pas comme ça du ciel. Il y a des écoles de guerre. Il n'y a pas beaucoup d'écoles de paix. Il est nécessaire de travailler la paix et d'avoir conscience que la paix, nous l’aurons si nous la fabriquons. Et donc qu'il y ait une nouvelle fabrique de paix, ici en Normandie, c'est une bonne nouvelle."

Des débats de fond

Les conflits de demain

La journée de jeudi s'est achevée avec le témoignage de Lassana Bathily qui a raconté sa tragique journée du 9 janvier 2015. Son récit a conclu la conférence plénière intitulée "Terrorisme et nouvelles violences : comment faire face ?" où sont notamment intervenus Pierre de Bousquet de Florian, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, et Mohammed Mahmoud Ould Mohamedou, ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie. Le vendredi matin, les débats reprennent sur le même rythme et avec toujours une qualité des intervenants saluée par l'ensemble des participants. Le rendez-vous est donc donné à 10h30 dans la salle des conférences plénières. Le thème de cette matinée : "Aux origines des conflits de demain, quels facteurs de déstabilisation ?". Pour répondre à cette vaste question, les organisateurs de Normandie pour la Paix ont convié des personnalités de très haut vol, à commencer par le 8ème Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. "Nous sommes face à de nombreux défis, a-t-il rappelé, mais aussi face à de nombreuses opportunités pour que le monde aille mieux. Je répète souvent aux leaders mondiaux qu’ils s’assurent que leur leadership serve leur peuple mais aussi le peuple du monde. Nous devons avoir une citoyenneté mondiale ! "

Alain Boinet, fondateur de l’ONG Solidarités International, souligne que la tendance est à la diminution des conflits mais que paradoxalement, le nombre de réfugiés est passé de 40 millions de personnes en 2006 pour atteindre le chiffre de 70 millions cette année. "Quand une population n’a pas les moyens vitaux, elle se met en marche pour les trouver", a-t-il expliqué.

La conclusion revenant à Jean Fabre, ancien directeur adjoint au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui a exhorté tous et toutes à oser la fraternité : "La pauvreté tue davantage que les guerres et il y a 15 fois plus de risque de conflits dans les pays pauvres que dans les pays riches. N’oublions pas qu’à travers le monde, ce sont 1 700 milliards d’euros dépensés chaque année dans l’armement quand 140 milliards sont injectés dans l’aide au développement. Le partage est une chose nécessaire", a souligné ce grand spécialiste sous les applaudissements de la salle avant de laisser la place à l’appel de la Normandie en faveur des Rohingyas.

L'appel de Normandie en faveur des Rohingyas

Les Rohingyas sont des musulmans birmans persécutés dans leur propre pays. A ce jour, 700 000 personnes ont été déplacées avec le lot d’exactions, de viols et de meurtres que cela implique. Après son bac, Tun Khin, président de l’organisation Burmese Rohingyas UK (BROUK) et Rohingya, a fui son pays pour suivre ses études en Angleterre, ce droit lui étant interdit en Birmanie en raison de son origine ethnique. Son témoignage fait grande impression: "C’est une persécution systématique contre mon peuple, une persécution religieuse, ethnique et culturelle. Pour moi, ce qu’il se passe avec les Rohingyas est un génocide car fait de manière délibérée." Philippe Bolopion, de Human Rights Watch, abonde: "En Birmanie, il y a un énorme racisme envers les Rohingyas. L’Etat Birman ne cache pas ce qu’il est en train de faire. Il faut que la communauté internationale bouge sinon il n’y aura plus de Rohingyas en Birmanie." Cette situation est à l'origine de l’appel de Normandie lancé par Hervé Morin pour mobiliser la communauté internationale autour du sort des Rohingyas.

Commémorer, raconter, éduquer

Les débats sont également très prisés du public ; les questions abordées et la qualité des intervenants y étant pour beaucoup. Les quatre invités autour de la question "Commémorer, raconter, éduquer : comment fonder la culture de paix ?" ont, avant tout, délivré des messages de paix. A l’image de Latifa Ibn Ziaten, dont le fils a été abattu par Mohamed Merah: "Si je suis là c’est parce que mon fils est mort debout alors je dois rester debout. L’Education Nationale n’est pas la seule solution à l’éducation car celle-ci commence à la maison. Les parents doivent cadrer leurs enfants, ils se doivent de les accompagner."

Pour le fils de Simone Veil, Pierre-François Veil, président du Comité français pour Yad Vashem : "Commémorer, raconter, éduquer sont les fondamentaux de Yad Vashem car ce sont les facteurs indispensables pour construire la paix."

La Tunisienne Marwa Mansouri, présidente de l’association Cultivons la paix, fondatrice et secrétaire de l’association Coexistence se demande, elle, comment éduquer à la non-violence. "Je viens d’un pays qui a vécu le printemps arabe en janvier 2011 avec des gens privés de leur liberté de conscience et d’autres de leur liberté d’expression, avec tous les antagonismes que cela implique. Il n’y avait pas de vivre ensemble en Tunisie et sans vivre ensemble, il n’y a pas de démocratie."

Marcelo Kohen, intervenant pendant le débat relatif au droit international et aux nouveaux conflits, a tenu à adresser un message d'espoir lorsqu'il a pris la parole. "Mon message, c'est un message d'espoir: de ne pas croire que les difficultés du présent sont quelque chose de pérenne, on peut améliorer les choses.

Le changement climatique, pire que les conflits armés

Tous les intervenants insistent sur la gravité des phénomènes et des conséquences du changement climatique partout dans le monde. Une sorte de bombe à retardement qui chassera de leur pays des dizaines (voire centaines !) de millions de personnes. "Il y a déjà 3 fois plus de personnes déplacées à cause du changement climatique qu’à cause des situations de conflits", souligne la Néerlandaise Annick Hiensch, responsable des affaires politiques au bureau de liaison de l’ONU pour la paix et la sécurité. "Il faut absolument se mobiliser et agir à tous les niveaux, individuel, local, national, européen et planétaire", martèlent en chœur les autres intervenants, Magnus Berntsson, président de l’Assemblée des régions d’Europe, en tête. "Il faut que les responsables politiques de tous bords comprennent enfin que lutter contre le changement climatique, c’est construire un nouveau projet de société qui nécessite de tout repenser et de tout reconstruire, et qui donc créera de l’emploi", insiste Valéry Laramée de Tannenberg, rédacteur en chef du Journal de l’Environnement.

Ne pas laisser les gens avec leurs peurs

"Sur la question des réfugiés, on ne voit que les conséquences, on ne parle que de chiffres, on ne voit pas les visages, on oublie les causes." C’est ainsi que Bostjan Videmsek, journaliste reporter de guerre et correspondant à l’étranger, plante le décor pour lancer le débat "Quelle réponse à la crise des réfugiés ?" "Il y a des causes visibles mais il y a aussi des causes profondes qu’il faut aller chercher, explique Jean-Jacques Poumo Leumbe, président d’APADIME. Par exemple au Congo, il y a une guerre de minerais et derrière il y a des multinationales qui veulent se partager les ressources. Il est temps d’aller à la source, de s’attaquer aux causes racines."

"Aujourd’hui pour traiter la question des réfugiés, estime Ralf Guenert, représentant du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), il faut partager les responsabilités à l’échelle internationale, il faut inventer de nouveaux outils pour cela. Il faut aussi démontrer aux populations européennes que l’accueil des réfugiés peut être une opération gagnant-gagnant, il ne faut pas laisser les gens avec leurs peurs, il faut parler, expliquer. Il y a en Europe une majorité de gens ouverts."

D'une manière plus globale, Abdoulaye Bathily, ancien ministre d'Etat sénégalais, estime que la paix doit se construire avec tous. "Si on parle de construire la paix, la paix c'est avec les hommes et les femmes. La paix, c'est avec les êtres humains, en chair et en os, avec leur sensibilité, leur culture."

Des rencontres
au sommet

Au-delà des débats et des conférences plénières auxquels le public peut assister, cette première édition du Forum mondial Normandie pour la Paix a permis de rassembler les dirigeants politiques. Ils ont pu se parler dans un cadre parfois plus informel, à huis clos. Jeudi 7 juin, une réflexion autour de la médiation et des négociations internationales s'est ainsi tenue autour d'Hervé Morin et d'Hubert Védrine. L'ancien ministre français des Affaires étrangères anime un atelier de travail dédié au processus de mise en dialogue de parties en conflits. Un partage d'expérience entre négociateurs et médiateurs internationaux avec l'objectif, à terme, de positionner la Normandie comme l'un des territoires moteurs en matière de résolution des conflits. 

Lors de cette réunion à huis clos, sont présents: 

- Myung-Lim Park, professeur à l'université de Yonsei et directeur de la Bibliothèque présidentielle Kim Dae-jung, engagé dans les discussions inter-coréeennes;
- Yossi Beilin, ancien négociateur israélien des accords d'Oslo, ancien ministre de la Justice d'Israël et député à la Knesset;
- Mohammad Mahmoud Ould Mohamedou, ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie, professeur au Graduate Institute à Genève;
- Abdoulaye Bathily, ancien ministre d'Etat du Sénégal, ancien représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour l'Afrique Centrale et actuellement conseiller spécial du secrétaire général des Nations Unies pour Madagascar.

Ces discussions au sommet sur des sujets d'actualité n'ont pas toutes eu lieu à huis clos. Hubert Védrine et Nicole Gnesotto ont par exemple dialogué devant l'assemblée jeudi 7 juin 2018. Le sujet: "Iran, Corée, Brexit...: quel sursaut pour l'Europe ?". L'occasion d'évoquer des questions de fond en présence du public et d'un dialogue qui a permis d'introduire la conférence plénière "Terrorisme et nouvelles violences: comment faire face ?".

Rendez-vous l'année prochaine !

© E.Biernacki / Région Normandie

Vendredi 8 juin. Il est 19h. Après une dernière conférence consacrée à « Comment définir une nouvelle paix », le rideau de ce premier Forum mondial Normandie pour la Paix retombe.

Le dernier mot revient au président Hervé Morin qui projette déjà l’année prochaine : "A travers ces échanges de très haute tenue, la Normandie a montré sa capacité à accueillir un événement de cette ampleur. Nous allons travailler dès à présent sur plusieurs pistes qui me tiennent à cœur : faire de ce forum un rendez-vous ouvert à tous, la présence de ces centaines de lycées durant ces deux jours était magique et nous allons poursuivre dans cette voie. Je souhaite aussi que nous nous appliquions à l’avenir à bâtir avec des scientifiques et des universitaires, des modèles de médiation qui pourront être déclinés partout dans le monde. Il faut également faire en sorte que la Normandie devienne le lieu où se renouent les fils d’un dialogue qui a été perdu, et où on présente les initiatives qui fonctionnent en matière d’éducation et de développement. La Normandie est et sera la grande région de la paix et de la liberté !"

Revivez en images
la journée
du jeudi 7 juin 2018

Revivez en images
la journée
du vendredi 8 juin 2018