Le Logis Du Roy

La première demeure havraise

Première demeure de prestige du Havre, le logis Le Roy est édifié en 1520 par le fondateur du port et de la ville, Guyon Le Roy, amiral du Chillou. Trente ans plus tard, il est racheté par les échevins pour faire la maison commune. Sous le nom de logis du Roy, il est resté en vigueur sur le port, derrière la tour François 1er, symbole du Havre jusqu'au milieu du XIXe siècle. Il disparaît en 1842 pour laisser place au musée des Beaux-Arts, détruit à son tour en 1944.

Chroniques du patrimoine
#architecture

Harfleur, port souverain de Normandie et la clef du royaume de France vers Paris, s'envase irrémédiablement dans cette première moitié du 16e siècle. De retour des Guerres d'Italie, François Ier, tourné vers l'Angleterre, et au-delà, vers le Nouveau Monde, décida de créer un nouveau port en 1517. Situé à l'extrémité de l'estuaire de la Seine, sur les marais, au pied de la falaise du pays de Caux, le chantier du port est confié au vice-amiral de France, Guyon Le Roy, sieur du Chillou. Le terrain est nécessaire pour la construction auprès des habitants de la paroisse d'Ingouville, qui y passe son bétail et leur pêche. Immédiatement, Guyon Le Roy propose au roi - qui s'empare aussitôt de l'idée - d'y fonder une ville «pour loger les marchands» et donc Harfleur,
En août 1517, lors de sa première visite au Havre, François 1er a déclaré amèrement: «Le chantier est encore bien avancé, la ville n'est pas encore l'agglomération, ni les maisons ... plusieurs personnes sont nobles, marchands ne se sont pas encore fait faire des édifices et des maisons pour leur demeurance ».

Cette remarque est un message à peine adressé à Guyon le Roy, qui reste encore à Harfleur, dont l'environnement était finalement plus agréable que la nouvelle ville qu'il était chargé de créer. Afin de donner l'exemple, Guyon le Roy se fait alors construire un «ostel» sur la place d'Armes, derrière la tournée qui commande l'entrée du port, la Tour François 1er. Il y a longtemps que Louis de Vendôme, seigneur de Graville, revendique la possession des terres, le motif qu'il était seul propriétaire, les habitants d'Ingouville n'en ayant que la jouissance. Le terrain loti par le vice-amiral est mis sous séquestre. Il perd son procès devant le Parlement de Rouen en 1524 et son opération immobilière échoue. Ruiné, il abandonne la «Ville-Françoise» et son logis,

Le logis du Roi à la fin du XVIIIe siècle, dessin par Jacques François Ochard, 1837, gravé par Lalauze, publié dans Lemale, « Le Havre d'Autrefois », 1883.

Le Logis du Roy devient l'hôtel de ville du Havre,
puis disparaît derrière un trompe-l'œil
lors d'une visite royale

En 1550, les échevins profitent de la visite d'Henri II pour acquérir les héritiers de Guyon Le Roy, le logis abandonné, qui convient à cet usage par son importance et sa situation sur le port. Il leur en coûte 2 500 livres tournois.
Le logis sert de maison commune, mais aussi de demeure pour les gouverneurs de la place, qui a le cœur de l'améliorer. En 1563, le gouverneur Corbeyran de Cardaillac, dit Sarlabous le fait agrandir la salle commune et faire la «belle devanture de la cheminée et peindre les sommiers et les soliveaux de la grande salle». Son successeur, André Brancas, dit Villars-Brancas fait creuser vers 1586, sous la cour d'honneur, «une grande citerne forte et spacieuse, bien pavée et cimentée, a choisi de grand artifice à quoi prédécesseur avec point songé». Cette citerne est destinée à conforter l'alimentation en eau potable de la ville jusqu'à des amorales assurées par le seul captage des sources de la falaise. La basse-cour à l'arrière abrite un grenier à foin et des écuries réparées en 1595.
Les échevins, les négociants et les armateurs privilégient les finances en faveur du commerce et se contentent de ce type d'ouvrage, ils ne dévouent pas aux travaux d'entretien. En 1786, Louis XVI, entreprend le seul voyage en province qui fait au cours de son règne, avec lui traverser la Normandie pour visiter les travaux des ports du Havre et de Cherbourg, tous deux en cours d'agrandissement. Il loge au logis du Roy, et la municipalité, l'édifice n'est pas digne de cette visite royale, la dissimulation derrière une façade en bois représentant «un palais d'ordre composite».

Destruction et construction
d'un musée à la place du logis du Roy

Le logis du Roy est détruit en 1842, pour laisser place au musée de bibliothèque, les piliers de la citerne sont utilisés pour asseoir les fondations. La cheminée du XVIe siècle, encore en place dans la grande salle, est remontée dans le nouveau musée, alors que les éléments du décor de carreaux de céramique sont recueillis, partagés aujourd'hui dans le musée des Antiquités, le musée de la Céramique à Rouen, et le musée national de la Renaissance à Ecouen. Longtemps attribué à l'atelier rouennais de Masseot Abaquesne, ils ont été restitués à un atelier anversois.
Le musée des Beaux-Arts du Havre est détruit dans les bombardements de septembre 1944, mais la citerne subsiste, enfouie sous les décombres, aujourd'hui difficilement accessible. Leprécis en 1945 montre les fondations du musée qui brouillent le parti d'origine. La cheminée qui a détruit avec le musée, c'est le seul vestige in situ du logis du Roy.

L'organisation architecturale du Logis du Roy

Situé au nord de la place d'Armes, entre les anciennes rues de Paris et d'Estimauville, le logis, s'élevait au fond d'une cour d'honneur, près d'un mur de calcaire et de silex. La cour était bordée de galeries en charpente et ouvrait sur la place par un portail en pierre de taille surmonté d'un fronton aux armes de la ville, portées par des dauphins, référence à sa vocation maritime. Cet enclos disparaît à la fin du XVIIIe siècle, remplacé par un mur et un simple portail en calcaire. A l'arrière du logis, la cour de service ouvrait par un passage d'entrée sur la rue d'Estimauville.
Le rez-de-chaussée du logis a été construit dans des assises alternées de calcaire et de silex noir et l'étage dans le poêle de bois essenté d'ardoise. Les baies du rez-de-chaussée ont été divisées par des meneaux chanfreinés, ceux de l'étage par des croisillons. Le toit à la croupe couvert en tuile plate, puis en ardoise, était éclairé par des lucarnes à la croupe. La façade avant était flanquée de deux tours carrées passant à l'octogone au premier étage. Sur la façade arrière, l'escalier hors-œuvre était surmonté d'une chambre haute sur encorbellement, dite localement oriol, destinée à servir de belvédère pour observer les navires dans l'attente dans la rade. Le rez-de-chaussée a été distribué dans des salles de réception, la grande salle d'audience, les archives, l'antichambre et les bureaux du conseil municipal, la grande cuisine et deux chambres. L'escalier hors œuvre desservit le premier étage abritant une autre salle, une chapelle, trois chambres, dont une «faïencée» et la grande chambre avec antichambre et cabinet de toilette. Le comble était divisé en plusieurs greniers.
Dans la basse-cour, les communs, dont une écurie et une remise étaient en pan de bois, couverts de toits en tuile plate à demies croupes débordantes, une grande fontaine en pierre de taille calcaire alimentait un abreuvoir.

Le logis du Roy, dessin au crayon par Collignon, 1830 (BM Le Havre, Album Collignon).

Demeure de notable à l'origine, l'architecture de l’édifice n’est pas celle qu’on attendrait pour un hôtel de ville. Guyon Le Roy s’était installé à Harfleur, où les « ostels » construits au XVe siècle pouvaient servir de modèle. Trois d’entre eux, elevés dans la seconde moitié du XVe siècle ont été conservés : l’hôtel des Portugais, l’hôtel du capitaine d’Harfleur et l’hôtel Guillard, ces deux derniers ayant servi de maison commune au XVe et au XVIe siècle à l’instar du logis du Roy. Implantées entre cour d’honneur et cour de service, ces demeures ont un rez-de-chaussée en calcaire et silex, un étage en pan de bois et un escalier hors œuvre en façade en calcaire. Mais en élargissant la recherche sur le territoire alentour, il apparaît que le Logis du Roy correspond au type des manoirs ruraux du pays de Caux, transplanté en milieu urbain. Ce type, attesté par les nombreux exemples encore en place est caractérisé par un rez-de-chaussée en assises alternées de calcaire et silex noir, un étage en pan de bois essenté d’ardoise et un escalier hors œuvre rejeté à l’arrière.

Texte : Claire ÉTIENNE, conservateur du patrimoine.

Du même auteur :
Le Havre, un port, des villes neuves, Éditions du patrimoine, 2005.
Le Havre 1517-2017, la demeure urbaine, Éditions Lieux-dits, 2017.

Pour en savoir plus :
• Archives municipales du Havre : Comptes des dépenses et recettes de la Ville,
logis du roi,
1565-1772 (fonds ancien, CC 110-204). Hôtel de ville, 1539-1767 (DD 54-58). Inventaire du mobilier, 1768 (DD84). Installation du tribunal
de commerce dans l'ancien hôtel de ville,
1790-1795 (AM Le Havre, fonds révolutionnaire, F2 2). Devis pour le tribunal de commerce par Paul-Michel Thibault, 1794 (fonds moderne, M1 3. Plans coupes et élévations, s.d. [1791]
(M1 4).

Dessins et gravures, XVIIe-XIXe siècle, conservés aux Musées historiques du Havre, à la bibliothèque municipale et à la Chambre de commerce et d'industrie (Collection Brindeau) ; publiés dans LEMALE, Alexis-Guislain, Le Havre d’Autrefois. Le Havre, Lemale, 1883.

• MARCEILLES, Guillaume de. Mémoires sur la fondation et l’origine de la ville Françoise de Grâce (1590), éd. J. Morlent, Le Havre, Prudhomme, 1847 ;
éd. H. Chabannes, J-B. Gastinne, D. Rouet, Rouen, Echo des Vagues, 2012.

Le Havre, un rêve de la Renaissance, dir. M. Vergé-Franchesci, n° 13 spécial, 2017 & plus, juin 2017 [Exposition aux Archives municipales du Havre, juin-septembre 2017]