La fourmi et la médaille

Monowara Sarker et la récompense Henry Dunant

La petite dame venue du Bangladesh attend patiemment. Monowara Sarker sera sur scène dans quelques instants. Son foulard pour l'occasion (et en discret clin d'oeil) n'est autre que l'Image d'Epinal de la Bataille de Solferino ! 

Cette année, ils sont quatre à se voir distinguer par la Médaille Henry Dunant, la plus haute distinction du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Quatre (*) à avoir réalisé des parcours d'exception, à avoir consacré leurs vies à sauver ou améliorer celles des autres. Ils semblent un peu perdus dans l’austère et immense salle plénière du Centre de Conférence de Genève où se tenait, en décembre dernier, la 32ème Conférence de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Perdus et intimidés peut-être aussi, face à l'aéropage de dirigeants du Mouvement qui les salue et les félicite. Chaleureusement, comme il se doit.

La récompense 
d'une vie d'humanitaire

Pour Monowara Sarker, la médaille Henry Dunant vient consacrer 44 années d'engagement en faveur du rétablissement des liens familiaux et plus généralement de ce travail de fourmi qu’est la recherche des disparus. Ce sont, en 1971, les 9 mois du conflit entre les forces pakistanaises et le groupe indépendantiste Mukti Bahini soutenu par l’Inde qui vont décider de son destin.

En 1972, le camp de Mirpur dans la région de Dacca.

À la recherche des disparus

La guerre d'indépendance du Bangladesh va jeter sur les routes des centaines de milliers de personnes. La jeune Monowara Sarker, qui du haut de ses 17 ans s’imaginait devenir institutrice, voit alors sa vie basculer. Elle est contrainte de fuir son village et part pour Dacca, loin de sa famille. Le CICR lui propose un poste d’agent de recherche (de personnes portées disparues), travail qu’elle comprend d’autant mieux qu’elle ne parvient pas elle-même à donner des nouvelles à sa famille.

Opiniâtre, elle va rapidement incarner « le droit de savoir » pour les familles, le droit de savoir de ce qui est advenu d'un proche : Mort ? Blessé ? Réfugié ? Déplacé ? Détenu ?

1971, la guerre d'indépendance

"De 1971 à 1975, près de 120 000 Bengalis ont été rapatriés au Bangladesh et plus de 198 000 personnes ont été transférés au Pakistan, se souvient Monowara Sarker. 18.000 demandes de recherches ont été traitées par le CICR et 2,8 millions de messages Croix-Rouge ont été échangés ". Autre fruit de ce travail de fourmis, des centaines de familles furent réunies après des mois, voire des années de séparation.


Cette mission achevée, le CICR réduisit sa voilure opérationnelle. Mais Monowara Sarker décidait de continuer sur la voie du « Droit de savoir ». C'est ainsi qu'elle bâtit de toutes pièces le service de Recherche du jeune Croissant-Rouge du Bangladesh auquel elle consacra 40 années de sa vie. C'est aussi elle qui lança en 2004 un programme d'assistance auprès de migrants détenus, une première dans l'univers Croix-Rouge/Croissant-Rouge. Aujourd’hui ce service travaille pour les victimes des conflits armés mais aussi celles des catastrophes naturelles, sans oublier le besoin de communiquer des migrants et également celui des détenus… 



Retrouvailles, 
44 ans plus tard

L'histoire de la médaille Henry Dunant de Monowara Sarker pourrait s’arrêter là… Mais non ! Le hasard veut qu’à l’issue de l’interview qu’elle venait de nous accorder, la petite dame se retrouve nez à nez et par hasard avec un délégué du CICR qui, 44 ans auparavant, était de l’équipe d’expatriés immergés dans le conflit d’indépendance du Bangladesh : François Bugnion (aujourd’hui Membre honoraire de l’Assemblée du CICR) ! (**)

Émotion au rendez-vous comme s'égrènent de lointains souvenirs. Par exemple… "À l’époque nous n’avions pas d’ordinateur. Tout se faisait à la main. Nous louions des camions pour transporter chez l’imprimeur les rames de papier des futurs messages Croix-Rouge qu’il faudrait, une fois remplis, porter là où se trouvent les destinataires."

La petite dame sourit, se souvient évidemment du travail de fourmi, retient une larme puis, machinalement, remet à l’endroit la médaille Henry Dunant que son habit ne cesse de retourner.

Crédits

- Visitez le blog de la délégation du CICR en France, L'humanitaire dans tous ses états

- Le site FamilyLinks dédié aux rétablissements des liens familiaux

- Le site de la Bangladesh Red Crescent Society


Production et réalisation : Centre de Communication Multimédia de la délégation du CICR en France

Images additionnelles : Délégation du CICR au Bangladesh et archives du CICR (Genève)


 (*) Les lauréats de la médaille Henry Dunant 2015 :

- Dr. Ahmed Mohamed Hassan, Somalie ;

- Professor Mamdouh Kamal Gabr, Egypte ;

- Monowara Sarkar, Bangladesh ;

- Stephen Davey, Royaume-Uni

(**) Pour les fidèles de « L'Humanitaire dans tous ses États », François Bugnion a accompagné, en tant qu'historien, la série vidéo « Une histoire d’Humanité », consacrée à longue saga de l’Action et du Droit international humanitaires.