Benoît Biteau

Intervention lors du Second Chapitre  des Alchimies de Place To B  à Bordeaux le 03/10/16.


Je suis agronome, ce qui requiert des compétences transversales. J'ai également des spécialités en écologie, en hydraulique et en génétique.

LE DÉCLIC

J'ai cessé de publier dans le monde scientifique lorsque je me suis rendu compte que mes publications étaient récupérées pour des intérêts individuels. Exemple avec l'un de nos travaux de génétique, récupéré par une ferme canadienne qui était propriétaire d'un taureau déjà fondateur de 40% des vaches noires et banches des Holstein, les plus connues au monde, de son vivant ! Ils projetaient même de cloner l'animal... Ils vont droit dans le mur, vont obtenir un animal quasi parfait, mais qui sera parfaitement stérile.

Ce n'est pas ma logique. Je recherche avant toute chose l'intérêt supérieur des générations futures. Les pesticides, c’est le contraire : c'est un cercle vicieux redoutable. Les agriculteurs ne s’en sortent pas parce qu'ils doivent acheter des produits chers, qui nuisent à leur indépendance. Ces produits dévastent les sols, or les sols servent à agriculture et à la photosynthèse (c'est-à-dire séquestrer le carbone pour créer de l'énergie). Malheureusement, les sols sont devenus des supports inertes, incapables de séquestrer du carbone. Nous les tuons à petit feu.

Le déclic est donc apparu petit à petit. J'ai vu des gens construire des alternatives, plus pertinentes.

Le choc des cultures

J’ai été en conflit avec mon père quand je me suis installé sur sa ferme, vers 40 ans. Mon père était allé très loin dans ce modèle de développement qu’on a mis à la mode il y a 70 ans. Il était l’exemple à suivre car avait un modèle très productif. Les anciennes générations ont cru bien faire, ils ne savaient pas les conséquences !

Mais lorsque je suis arrivé, il était au bord de la cessation de paiement : le modèle économique ne marchait pas.

Nous avons donc commencé à développer un nouveau modèle de gestion de la ferme, en reprenant les logiques de bon sens paysan, en utilisant le progrès pour effacer la pénibilité.

Mon père était extrêmement sceptique, mais avec le recul, il a approuvé : "tu as réussi à intégrer, t’approprier des logiques de progrès, pour effacer ce que nous on fuyait, la pénibilité du travail, sans prendre ce qui allait avec, c’est à dire les pesticides et les engrais de synthèse." 

Elle ressemble à quoi, alors, votre ferme ?

Ma ferme est basée sur l'autonomie et l'agronomie.

Je me suis basé dans un premier temps sur l'approche territoriale du bassin Ostréicole de Oléron : en étant agriculteur, je ne peux pas utiliser des engrais de synthèse qui changent le plancton et font mourir les huitres ; ni déverser des pesticides dans le milieu maritime. 

Etre responsable, être chef d’entreprise, c'est se poser cette question : puis-je me permettre de menacer une activité aussi emblématique, aussi symbolique que ça ?

Depuis que je n’utilise plus de pesticides, mes sols sont en vie

Quand mes voisins sortent les pulvérisateurs contre les pucerons, moi j’ai des tas de chrysopes, un petit papillon qui est un gros consommateur de pucerons. Ils sont nés chez moi parce qu'il n'y a plus de pesticides ! Si mes voisins n’avaient pas utilisé des pesticides ils en auraient bénéficié, en quelques heures ils auraient eu une armée de chrysopes pour lutter...

Concernant l'utilisation de l'eau, j’ai des forages sur ma ferme, qui ne sont plus du tout pollués par les pesticides et les nitrates. Nous avons même été repérés par la régie des eaux comme forage de secours.

La chambre d'agriculture a réalisé le diagnostic de ma ferme : on y observe 13 fois moins de pétrole que mes voisins et le bilan carbone de ma ferme est négatif : j’en séquestre plus que j’en émets. 

Tout cela change de la logique où l'agriculture équivaut à  30% des gaz à effet de serre. Ma ferme en est la preuve. Tout ça parce que je n’utilise plus de pesticides, et qu'il n’a plus un rayon de soleil qui tombe sur du sol nu.

Et vos engagements en politique, ça prépare demain aussi ?

Sur les terres agricoles...

J’ai été vice-président de région Poitou Charentes « Ruralité, agriculutre, pêche et culture marine » sous Ségolène Royal. J’ai posé des actes, ce que je vous explique je l’ai traduit en politiques dans la région Poitou Charentes.

En tant qu'élu, notre mission est de définir une politique agricole régionale. J’ai proposé de financer des structures alternatives, avec 1,6 million d'euros pour le réseau de développement d'agriculture alternative. Un système basé sur le bio. Mais les chambres d’agriculture ont regardé le train passer...

Je considère que l’agriculture occupe 70% de l’espace, impacte les ressources, la biodiversité, le climat, la santé… Le débat doit donc être amené à l'ensemble de la société, pas seulement entre agriculteurs. Le contribuable paie 54 milliards d’euros par an pour nettoyer l’eau qu'il consomme. L'argent public doit accompagner le renouveau du modèle agricole !

... Et pour la culture marine

Il y a eu un lobbying de la FNSEA pour que je ne sois pas de nouveau à l’agriculture mais je suis désormais délégué à la mer. On ne peut pas parler de la qualité de l’eau de mer si on pense pas aux bassins versants : eaux baignades, algues vertes, crise des huitres, mortalité piscicole… L'agriculture doit cesser de considérer la mer comme sa fosse septique.

En 2014, l’Europe a transféré la gestion des fonds européens aux régions. J’ai organisé un nouveau débat de société : nous avons organisé un comité de pilotage bien plus large, avec les pêcheurs, les ostréiculteurs, les associationss de défense de l’environnement, de consommateurs, des industriels, etc. Résultat : le programme de développement rural de Poitou Charentes été défini comme le plus écologique d’Europe, j’en suis fier !

Par exemple, si un projet quelconque fait une demande d’argent public pour rénover un bâtiment d’élevage, l'initiative doit prendre engagement de n’utiliser aucun OGM. Un autre exemple est le refus de financer tout matériel qui était utilisateur de pesticides.

Désormais lorsqu'on reçoit de l’argent public, il n’y a plus de contraintes, il y a des obligations. À partir du moment où on l’accepte le contrat, on accepte les obligations qui y sont associées.

Donc la politique peut transformer l’agriculture, tout simplement ?

Tout à fait. On peut aller au delà des 11,5 milliards d’euros de la PAC et puiser dans les enveloppes des logiques curatives. L'objectif est d'arrêter les logiques curatives pour aller plus loin sur les politiques préventives. 

Sur les 54 milliards pour produire de l’eau potable, rien ne nous empêche d'en engager une partie dans des logiques préventives et de d'arrêter d’accompagner un modèle agricole qui déverse des pesticides et des engrais de synthèse !

Il y a 20 ans, la ville de Munich a par exemple refusé de financer une nouvelle station d’épuration mais a réuni à la place des fonds pour soutenir l’agriculture qui et préserver la zone de captage. Les agriculteurs de ce territoire bénéficient de 330 euros par hectare et par an en plus des aides PAC. Ils ont l'obligation de passer en bio, et il n'existe désormais plus un seul traitement sur la zone de captage !

En analysant les coûts, il est définitivement plus cher de continuer à alimenter des logiques curatives que de faire du préventif.