Les Alchimies #1.
Ecologie et politique

Contribution de Geoffrey Pleyers, Sociologue, Professeur à l'Université de Louvain.

Pourquoi l’écologie n’a-t-elle pas plus de succès en politique ?

Depuis son émergence comme mouvement social et culturel dans les années 1960, l’écologie a eu une influence profonde sur notre manière de voir le monde et la nature, sur des actes du quotidien et sur de nombreuses politiques publiques et ce au niveau local, national et international. Ces changements sont politiques. Pour peu qu’on ne limite pas la politique à la politique partisane et la démocratie à la démocratie représentative, l’écologie a eu un réel succès en politique.

Questionner le sens du « politique » et étendre la démocratie au-delà du régime représentatif et des élections est d’ailleurs un élément fondateur du projet écologistes. Ils ont affirmé que la politique ne se limitait pas aux joutes politiciennes mais concernaient jusqu’aux actes du quotidien : notre manière de consommer, de nous déplacer, de nous connecter aux autres, tout cela est aussi politique puisque cela concerne directement notre manière de vivre ensemble et que cela a un impact sur notre environnement commun.

La question doit donc être reformulée : « Pourquoi les écologistes n’ont pas plus de succès aux élections et dans les joutes politiciennes ? ».

Le succès limité des écologistes se constate dans tous les pays. Les parties écologistes ne dépassent que rarement la barre des 10% et n’ont pas l’ambition de devenir un parti majoritaire, ce qui contraste avec l’urgence climatique et l’intérêt que disent porter de nombreux citoyens aux enjeux écologistes.

La nature du jeu électoral et de la démocratie représentative telle qu’elle est organisée n’est pas favorable au projet écologique et à bien des égards peu compatible avec la manière dont les écologistes voient la politique. Ils prônent par exemple une action plus décentralisée, alors que dans de nombreux pays, et particulièrement en France, le système représentatif tend à centraliser les enjeux politiques et la prise de décision. Les écologistes ont également d’emblée questionné la « monopolisation de la politique » par des élites politiques professionnelles. Ils ont critiqué certaines caractéristiques des systèmes politiques et ont voulu défendre une autre vision de la relation entre les citoyens et les élus politiques.

L’élection présidentielle se joue davantage sur les qualités d’un homme ou d’une femme politique, parfois à la recherche d’un « homme providentiel » alors que le projet écologique a défendu une vision plus collective et décentralisée de la politique et du changement social. Dès les années 1960, les écologistes ont également prôné un modèle qui donnait plus de place à la participation des citoyens, notamment à l’échelle locale. Les écologistes qui se lancent en politiques ne sont dès lors pas forcément les mieux armés dans des campagnes électorales où les petites phrases et le marketing jouent parfois plus que le fond du projet.

Ils se retrouvent dès lors souvent en porte-à-faux avec la manière dont fonctionne la politique partisane aujourd’hui. L’accélération de la joute politique s’accélère dans les médias, notamment avec les chaines d’information en continu, n’est guère favorable aux arguments complexes et aux enjeux de long terme comme le réchauffement climatique qui sont au cœur du projet écologique.



L’écologie citoyenne est-elle compatible avec l’écologie politique ?

L’écologie citoyenne est d’emblée politique. Les gestes de tous les jours, le mode de vie et les projets citoyens ont tous une portée politique. Il s’agit de « changer le monde par en bas », sans se limiter au niveau local, mais en commençant par là. Cette « écologie citoyenne » redonne une capacité d’action aux « simples citoyens » et s’oppose au monopole de la politique par des politiciens professionnels.

La politique est trop souvent pensée à partir d’analyses d’un espace public déconnecté des lieux de la vie quotidienne, comme s’il existait une frontière entre la vie de tous les jours et la démocratie et que seules comptaient les actions qui trouvent un écho dans les médias de masse et dans la politique institutionnelle. Or l’écologie et la démocratie se jouent aussi – voire surtout – loin des projecteurs, dans les associations, réseaux et initiatives citoyennes, dans les quartiers, les écoles et jusque dans nos assiettes.

S’il est essentiel d’agir au niveau local et à partir de la vie quotidienne pour changer le monde, peut-on changer le monde en agissant uniquement au niveau local et en dehors des institutions politiques ? Non. Les pouvoirs publiques et l’Etat reste un formidable levier d’action, que ce soit pour défendre le modèle de développement dominant ou pour promouvoir une transition écologique.

La tension demeure entre ceux qui se méfient de la politique partisane et ceux qui estiment que c’est un levier de changement que l’écologie se doit de saisir, quitte à jouer en partie le jeu de la politique politicienne. C’est une tension structurelle, présente depuis le début du mouvement écologistes et dont il ne peut se débarrasser. En même temps, le mouvement pour une transition écologique mise de plus en plus sur la collaboration entre écologie citoyenne et écologie politique et plus largement entre citoyens mobilisés et autorités locales. Les villes et communes sont ainsi mobilisées pour sensibiliser des citoyens aux enjeux de l’alimentation ou pour s’approvisionner auprès des petits producteurs locaux pour les cantines scolaires. Des études récentes ont montré que le soutien et les ressources d’institutions ou d’autorités locales peut se révéler décisif pour renforcer la capacité des citoyens à inventer et à mettre en œuvre des solutions locales concrètes. Elles ont aussi montré que les dispositifs institutionnels impliquant des acteurs locaux et intégrant leurs savoir-pratique et leur connaissance conduisent à une gouvernance réflexive qui est non seulement plus démocratique mais aussi plus efficace pour faire face aux défis de la transition écologique et à la gestion des biens communs (Brousseau, Dedeurwaerdere, Siebenhüner, 2014). On retrouve ici tout l’intérêt d’une relation différente entre élus et citoyens qui constitue une dimension centrale de l’écologie politique depuis ses origines.