Philippe Carille

Intervention lors du Second Chapitre 
des Alchimies de Place To B 
à Bordeaux le 03/10/16.

Je suis Philippe Carille, vigneron dans la région de Bordeaux et je fais partie de la commission technique du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, le CIVB.

Je suis viticulteur en bio, je pense à l'avenir de mes enfants, mais pas dans l’idéologie. Je ne souhaite aucun affrontement entre la bio et la chimie, entre les conventionnels et la bio. Il faut que nous avancions tous dans le même sens.

Il faut chercher la cohérence. Je me chauffe avec les sarments de la propriété par exemple, ou bien je dispose de mes propres panneaux photovoltaïque qui couvrent ma consommation d’électricité.

Le passage au tout bio

Ca a évolué totalement. A un moment, au CIVB et ailleurs, on pensait que cette exigence de moins de pesticides allait passer, se tasser. Ce n'était pas tabou mais personne ne savait comment appréhender l'émergence de cette évolution. Tout le monde fut alors obligé d'arrêter de faire l’autruche, d’assumer et de communiquer à ce sujet.

Cette prise de position est assez récente et fait suite à de nombreux scandales qui ont eu lieu les uns après les autres. Nous sommes une génération sacrifiée en termes de prévention. On est passé du tout bio au tout chimique sans changer le mode d’utilisation et sans éduquer les utilisateurs. On a de la chance qu’il n’y ait pas eu plus de dégâts...

Toute la profession met la main à la pate pour changer de modèle : le CIVB, mais aussi les viticulteurs. Ceux qui posent le plus de problèmes sont ceux qui ont 70 ans et qui ont toujours agi comme ça par le passé.

Qu’est-ce qui change, alors, concrètement ?

Maintenant, quand les viticulteurs utilisent un produit, ils regardent les étiquettes ! Concrètement, nous sommes aujourd'hui 25 ou 30% de viticulteurs bio ou en conversion bio. Il y a 10 ans, nous étions seulement 2 ou 3%.

Je suis aussi en train, et j'en suis fier, de faire interdire le désherbage en plein, la politique de la terre brulée (mettre du Roundup partout). Ces pratiques doivent disparaître, même si elles déplaisent à Mr Monsanto !

Ce qui a amené un changement dans les mentalités, ce sont les émissions de télé, des articles de presse, des lanceurs d'alerte comme Marie-Lys Bibeyran. Nous avons progressivement réalisé que nous étions en train d’écorner l’image de notre profession.

Faire de l'écologie si ce n’est pas rentable, je n’en vois pas l’intérêt.

On doit se demander comment réduire les intrants mais de façon écolo-économique. Le CIVB a mis en place le SME : système de management environnemental : plutôt que de créer des normes, il préconise des bonnes pratiques pour les diffuser.

à quoi va ressembler l’avenir des vignes ?

Pour moi la bio telle qu’on la connaît et la chimie telle qu’on la connaît vont disparaître.

Il faut revenir à du raisonné et du raisonnable. Interdire totalement les phytosanitaires n'est pas possible dans l’état actuel des connaissances. 

Doser les intrants

Certains exploitants font tout pour réduire leurs intrants, en passant par "la dose". Toutes les propriétés viticoles pourraient traiter les ¾ du temps en bio et 1/4 en chimique, voire pas du tout certaines années. Sur des périodes très critiques, travailler avec quelques traitements chimiques à quart de dose ou demi dose permet d'éviter les pertes.

Les produits naturels

Bio c’est idéal sans vraiment l’être parce qu’on utilise du cuivre, qui fait partie des métaux lourds. Certains sont morts à cause des excès de cuivre balancés durant des décennies par des agriculteurs. Mais cela reste un exemple de produit naturel efficace. Il existe aussi des algues pour lutter contre le mildiou, ou encore les héliciteurs.

Du bon sens 

On fait remonter les pieds de vigne parce qu’on constate que sont plus sensibles au mildiou lorsqu'ils sont proches du sol. Il faut mettre une distance avec les habitations, des haies, des protections. Parce que les conditions climatiques ne sont jamais idéales : les produits, mêmes « naturels », volent.

On travaille aussi sur des cépages résistants, utiliser des variétés résistantes et les mettre au goût bordelais (par du greffage).

Le matériel peut évoluer également. "On arrive à envoyer des gens sur la lune et on n’a pas tellement évolué sur des pulvérisateurs !"

Enfin, il faut s’adapter au changement climatique : les vignes ont plus de vigueur qu'autrefois, mais avec l'évolution climatique, celles qui ont des porte greffes peu vigoureux souffrent énormément...

Un peu d'espoir...

Toutes les recherches vont aller dans ce sens ! Il n'existe pas une, mais plein de possibilités. Nous devons réinjecter du bon sens à tous les niveaux.

Cela passe par la formation des jeunes. J'ai visité un lycée agricole. Sur l’aire de remplissage, j'ai vu des jeunes gens sans gants, en short... C’est malheureusement dans ces écoles que l’on forme les viticulteurs de demain ! Nous avons besoin d'initier une vraie prise de conscience dès le début du processus d'apprentissage.

Pour parvenir à modifier durablement les modes de production, nous avons besoin de toute la chaîne, et surtout du consommateur final qui achète les produits bio. Ca doit venir de l’intérieur, du CIVB, par exemple, mais aussi de l’extérieur. 

À nous tous, on peut faire avancer les choses.