Génocide des Yézidis :

le douloureux combat des rescapés

Etape ultime de mon enquête sur les génocides perpétrés dans le nord de l'Irak entre 1968 et 2017, le drame des Yézidis est au coeur de la politique génocidaire de Daesh depuis la prise de Shingal (ou Sinjar), le 3 août 2014. La libération de la ville, le vendredi 13 novembre 2015, et la découverte de nombreux charniers dans la région depuis, avaient poussé les enquêteurs de l’ONU à employer officiellement le terme de "génocide" dans un rapport rendu public en juin 2016.

Les Yézidis font remonter leur calendrier religieux à 6767 ans (en 2017, soit à 4750 ans avant JC). Ils sont adeptes de rites issus d'anciennes croyances kurdes qui présentent de nombreuses similitudes avec les religions croisées dans la Perse antique : mithraisme, zoroastrisme… Une évolution religieuse a été effectuée par le réformateur Sheik Adi, un savant soufi qui s'est installé dans la vallée de Lalesh (ou Lalish) au XIe siècle. Depuis, Lalish est considérée comme la ville sacrée des Yézidis. Elle se trouve dans l'actuelle région autonome du Kurdistan, au nord de l'Irak.

Les chiffres sur le nombre de Yézidis tués (car considérés comme "mécréants" par Daesh) varient, les autorités kurdes comme irakiennes ne donnant des chiffres vérifiés que pour le massacre de Kocho, commis le 15 août 2014. Ils sont plus précis sur le nombre de prisonniers entre les mains des jihadistes.

459 Yézidis tués à Kocho le 15 août 2014 

Dans le village de Kocho, il y avait 1248 personnes le jour de l'attaque, le 15 août 2014 : 388 hommes et 71 femmes ont été retrouvés morts dans sept charniers autour du village. Aux 728 prisonniers faits par Daesh, il faut en outre ajouter 42 orphelins, les 19 rescapés des exécutions, et 544 personnes originaires de Kocho qui n’étaient pas présentes ce jour-là. Les autorités ont donc pu établir que 63 familles ont été entièrement décimées, que 43 ne comptent plus qu’une personne et que 17 ne sont plus constituées que de deux personnes.

3226 Yézidis toujours prisonniers 

Sur les 6417 Yézidis capturés en août 2014 dans l'ensemble de la région de Shingal, seulement 3191 ont été libérés à la date de mi-novembre 2017, le plus souvent contre de l'argent, soit 1128 femmes, 900 filles, 335 hommes et 828 jeunes garçons. Selon Khairi Bozani, en charge de la question yézidie au sein du ministère des affaires religieuses dans le gouvernement régional du Kurdistan, M. Bozani étant lui-même yézidi, il restait alors 3226 Yézidis toujours otages de Daesh, essentiellement des femmes et des enfants. Lire son interview plus bas, dans ce long format numérique. Une interview enregistrée par le Phénix kurde fin janvier 2017, date à laquelle seulement 2880 otages avaient été libérés. Sur les 3535 prisonniers qui restaient à l'époque entre les mains de Daesh, 1739 étaient de sexe masculin (dont environ 1600 jeunes garçons enrôlés de force) et 1796 de sexe féminin, toujours selon Khairi Bozani. 

Le Massacre de Kocho

Tout commence le 3 août 2014, moins de deux mois après l'abandon de Mossoul par l'armée irakienne. Les hommes de Daesh prennent cette fois d'assaut la ville de Shingal, à 22 km de Kocho [1]. Les villages de Sheikh Aderê et de Gerdarek sont également attaqués. Très vite, la nouvelle se répond dans la plaine, jusqu'au pied du mont Shingal. A Kocho pourtant, les chefs de tribu se veulent rassurants et conseillent à la population de rester. Seulement, les informations en provenance de la ville de Shingal n'incitent pas à l'optimisme. A Kocho, 53 personnes décident de partir sans attendre. Mais elles sont arrêtées par les jihadistes qui patrouillent non loin de là et appellent leurs familles, sous la pression, pour leur dire qu'il n'y a pas moyen de s'enfuir. Au même moment, Abu Hamza al-Hatun, l'un de leurs chefs de Daesh dans la région, appelle Ahmad Jaso, le maire du village, pour l'assurer que ses hommes et lui n'ont rien contre les Yézidis, qu'ils souhaitent juste prendre le thé et qu'ensuite ils s'en iront. Il donne même sa parole. 

Et tout se déroule comme il l'a dit, en effet, en milieu d'après-midi. Tout au moins au début. Les jihadistes arrivent dans leur pickup, boivent le thé qui leur est offert... mais demandent dans la foulée les papiers d'identité de tout le monde, plus les armes de tous les hommes du village. Seules quelques-unes, cachées, échappent à la saisie. Là encore, Abu Hamza al-Hatun se veut rassurant et dit n'avoir rien contre les Yézidis qu'il invite à retourner à leur travail, dans les champs. 

Les jihadistes repassent trois jours après. Ils se montrent même serviables, vérifiant que les Yézidis n'ont besoin de rien. Mais lorsqu'ils reviennent une troisième fois, trois jours après, c'est pour demander aux villageois de se convertir à l'islam. Refus des Yézidis auxquels Abu Hamza al-Hatun donne trois jours supplémentaires pour se décider. Entre temps, les habitants d'Hatimy ont été soumis au même oukase... mais ils se sont enfuis dans la nuit du 8e au 9e jour. 

Le 15 août 2014, Abu Hamza al-Hatun et ses hommes débarquent en nombre, furieux. Ils rassemblent tout le monde dans l'école. Des femmes appartenant au groupe terroriste récupèrent tous les téléphones portables. Puis vient le tri. Les femmes, les filles et les enfants sont envoyés au premier étage, les hommes et les adolescents restent au rez-de-chaussée. Des jihadistes passent au milieu d'eux avec des sacs dans lesquels il est demandé à tous de déposer son argent et son or. Puis, ils montent à l'étage et font la même chose avec les femmes et les enfants. 

Quand l'opération est terminée, Abu Hamza al-Hatun laisse une dernière chance à ceux qui le souhaitent de se convertir à l'islam. Divers témoignages qui seront recoupés plus tard par le ministère des Affaires religieuses de la région du Kurdistan font état de 31 hommes enrôlés. Pour tous les autres commencent la sélection ultime. 

Par petits groupes, les hommes du village sont invités à monter dans les pickup, sous bonne garde. A l'extérieur du village, ils roulent 300 mètres environ, puis obliquent vers Qêrewan, un petit village, à 700 mètres de Kocho. Les Yézidis ont l'ordre de descendre des voitures et de se mettre en rang. Un des jihadistes les filme avec son téléphone. Puis, l'ordre fuse: "Allez, maintenant, tirez!" Suivi de tirs en rafales. 

"Yalla urmi", les mots résonnent encore aux oreilles des 19 rescapés qui doivent la vie au sang de leurs voisins, parents et amis. Ils ne sont que blessés mais souvent recouverts par un enchevêtrement de corps. Ils vont rester immobiles de longues minutes jusqu'à ce que la fusillade cesse et que les jihadistes s'éloignent pour éliminer un autre groupe, à 500 mètres de là. C'est ainsi que 459 personnes vont être exécutées ce jour-là, 388 hommes et 71 femmes. Un crime contre l'humanité qui n'a toujours pas connu réparation à ce jour. On imagine le traumatisme pour les survivants, d’autant que d’autres images hantent encore leurs nuits, celles des femmes et des enfants enlevés par Daesh. 

Cachés dans les champs de céréales, aux alentours de Kocho, certains des rescapés ont vu les convois s'éloigner du village. Depuis, rares sont celles qui ont pu s’évader ou dont la famille a pu racheter la liberté. 

[1] Kocho, également écrit Kuçu en kurde. Se prononce Kotcho.

Des femmes yézidies 
réduites en esclavage sexuel

. / Photo © Le Phénix kurde

Un rapport de l'ONU, publié en juin 2016, reconnaît que les Yézidis subissent un génocide depuis que Daesh a envahi leur région, au nord-ouest de l'Irak. 2 880 adeptes de cette religion monothéiste héritière du mithraïsme ont pu s'évader, selon un compte établi le 20 janvier 2017 par les autorités kurdes. Rencontre avec deux familles qui ont vécu l'horreur. 

Sous les bandages, le souvenir des liens qui entravaient ses poignets et ses chevilles. Une cicatrice à jamais gravée dans son cœur. Berivan peine à se redresser sur le mince matelas collé au mur de briques. Un abri de fortune à peine plus chaud que la tente offerte aux rescapés de la première heure, dans le camp de Khanké, à 30 km de Duhok, la troisième ville du Kurdistan irakien. 

Berivan a 25 ans. Le 4 août 2014, lorsque les jihadistes de Daesh ont investi le village de Sular où elle habitait, à 7 km du mont Shingal, 23 hommes ont été amenés, vraisemblablement pour être exécutés. Elle préfère les croire prisonniers. Parmi eux, figurent son mari et quatre de ses beaux-frères. Berivan ne sait pas exactement combien la Commission évasion du gouvernement kurde a payé pour obtenir sa libération et celle de ses enfants âgés de 3 et 5 ans. La voisine et ses enfants, qui étaient à Deiz Ezzor, ont été libérés pour 28 000 $. Pour des femmes qui étaient du côté d'Alep, plus à l'ouest en Syrie, le gouvernement kurde est monté jusqu'à 30 000 $. Violée, et plusieurs fois Plus de kilomètres à faire jusqu'aux peshmergas, plus de danger pour les passeurs (trois ont été décapités par Daesh ces derniers mois), ça fait grimper les prix. 

Berivan avoue avoir retrouvé le sourire le jour de son arrivée à Khanké, le 20 novembre 2016. Un peu. Mais très vite, c'est un flot de larmes qui la submerge lorsqu'elle évoque les multiples fois où elle a été vendue, à la prison de Badush, ou encore dans celle de Tal Afar où elle a croisé 30 adolescentes de Qocho, un village yézidi où Daesh a massacré 459 personnes et fait 728 prisonniers, mi-août 2014. «Pour eux, on était des mécréants. Ils disaient que même les animaux avaient plus de valeur à leurs yeux.» Elle raconte l'apprentissage obligatoire du Coran, les tortures quand elle parlait en kurde, suggère à demi-mot qu'elle a perdu son honneur, comprenez qu'elle a été violée… plusieurs fois. Et quand elle demandait suppliante, «pourquoi ?». Elle entendait son «propriétaire» lui répondre péremptoire «parce que c'est écrit dans le Coran». 

Elle s'occupait des travaux des champs et des enfants convertis de force à l'islam. Mais tous dormaient sur la paille, dans une grange, au milieu des vaches, à Tal Afar, où les enfants ont contracté une maladie de peau dont les cicatrices sont encore visibles sur le visage. Des enfants qui subissaient un vrai lavage de cerveau. «Lorsqu'on est arrivé en novembre, mon fils Imad, 5 ans, cherchait les maisons yézidies à faire exploser», confie Razal, la voisine libérée pour 28 000 $. Les Daesh l'avait renommé Abdulrhamane pour en faire un «musulman» à leur image. Lui et son frère Idan, qu'ils appelaient Abdullah, «ils les mettaient tout nus et les fouettaient». 





«Je suis une morte vivante». 

Adlan, sa belle-sœur, a été affranchie pour s'être convertie. «J'ai fait semblant», s'empresse-t-elle de préciser. Cela n'a pas empêché les viols mais lui a au moins permis de chercher sa fille de 10 ans, dont elle a perdu la trace à Deir Ezzor après la mort du combattant libyen qui avait acheté la fillette. Elle ne l'a pas retrouvée. 

«Aujourd'hui, je suis une morte vivante», soupire Razal. «Je ne vaux pas plus qu'une allumette», ajoute Berivan. «Les Daesh ne seront jamais assez punis pour ce qu'ils nous ont fait, juste parce qu'on est yézidi…», tranche Adlan. 

L'espoir d'une paix future dans la région ? Il réside peut-être dans cette famille arabe qui a caché Berivan et ses enfants 12 jours chez elle, à Mossoul, avant qu'un passeur les fasse entrer en zone kurde. Ou dans cet Arabe de Gula qui n'a pas voulu dire son nom mais qui a guidé les neveux de Berivan à travers un champ de mines, lorsqu'ils se sont évadés en avril 2015. Une jolie main tendue dans la nuit. Une façon de dire aussi que Daesh ne représente pas tous les musulmans. Aujourd'hui, 3 535 Yézidis esclaves de Daesh attendent toujours qu'on leur tende la main.

Appels pour la reconnaissance 
officielle du 
génocide

Khairi Bozani est chargé de la question yézidie au gouvernement régional du Kurdistan. / Photo © Le Phénix kurde

Khairi Bozani est un Yézidi. Il est en charge de la question yézidie au gouvernement régional du Kurdistan. Voici ce qu'il répondait aux questions du Phénix kurde, en janvier 2017.

Qui sont les Yézidis? S'agit-il d'un religion, d'une ethnie, un peu des deux? Historiquement, les Yézidis descendent de la religion mithraïsme, venue de la vallée des Indes. C'est une religion antérieure au judaïsme, au christianisme, à l'islam, des religions qui ont pris de plus en plus de pouvoir. Mais les Yézidis sont restés. Avant, tous les Kurdes étaient yézidis. C'est une aberration que certains disent que c'est une ethnie à part entière. C'est une religion. Tous les Yézidis sont Kurdes. Il n'y a pas de Yézidis qui ne soient pas Kurdes. En tout cas, je n'en ai jamais rencontrés. Les Yézidis sont Kurdes dans le sens où leur langue, leurs prières, leurs vêtements, leurs danses, leur culture de façon générale, tout est kurde. 

Combien y avait-il de Yézidis en Irak avant l'attaque de Daesh? 

On estime que nous étions alors 660.000, essentiellement dans la région autonome du Kurdistan et autour de Shingal. 550.000 ont fui en août 2014. 

Et combien ont péri ou ont été faits prisonniers? 

Entre le 3 et le 4 août 2014, 1293 Yézidis sont morts, tués par les jihadistes, et 6415 ont été faits prisonniers, 3545 femmes et fillettes, 2870 hommes et garçons. Mais il y a eu d'autres morts ensuite. A ce jour, 30 charniers de Yézidis ont été retrouvés (NDLR : en avril 2017, le nombre de charniers mis au jour a dépassé les 40 avec la découverte de 200 corps enterrés dans le village d'Hardan, le 8 avril 2017). 

On parle aussi de beaucoup de lieux de culte détruits... 

Oui. 44 lieux de culte ont été détruits (NDLR : d'autres sources évoquaient en avril le chiffre de 68 lieux de culte détruits). 

Sait-on ce que sont devenus les otages? 

Après les attaques, il y a eu l'ouverture d'un certain nombre de marchés avec de bien faibles valeurs. Le cours des femmes et des enfants variait de 1 à 500$, avec trois types d'acheteurs selon les cas : 

- Pour avoir des esclaves femmes de ménage. 

- Pour avoir des esclaves sexuelles. 

- Et des achats que je qualifierais d'altruistes dans le but de libérer les prisonniers plus tard. 

Combien de Yézidis ont été libérés? 

2880 Yézidis ont été libérés entre l'attaque de Daesh et janvier 2017, 1806 de sexe masculin et 1074 de sexe féminin. Sur ce chiffre, entre 1750 et 1800 ont été libérés contre de l'argent. Les autres se sont libérés par eux-mêmes, souvent en s'évadant. 

Que voulez-vous dire par "libérés contre de l'argent"? 

Le Premier ministre de la Région du Kurdistan a très rapidement créé une commission dont la mission est de libérer les Yézidis prisonniers de Daesh. Il nous a confié le dossier et nous travaillons en relation directe avec son cabinet. Notre organisation fonctionne de deux manières. Elle est composée d'un groupe de Kurdes ici à Erbil, et d'un groupe d'Arabes à Mossoul. Les Arabes sur place vont acheter les Yézidis au marché. Puis ils appellent le groupe kurde. Et ils commencent leurs négociations entre eux, en dehors du ministère, par téléphone. A ce stade, ils négocient les prix. Certaines femmes yézidies ont été achetées et revendues jusqu'à dix fois; ça augmente la valeur. 

Mais, est-ce que d'un certaines manière, les Arabes qui vous revendent les femmes yézidies ne participent pas au trafic au même titre que les jihadistes de Daesh? 

Non, parce qu'ils prennent d'énormes risques pour ça. Trois Arabes ont été décapités quand Daesh a découvert ce qu'ils faisaient. Ils sont une dizaine à faire ça, en tout cas ceux que nous connaissons. Vous savez, toutes les personnes qui vivent sous l'idéologie de Daesh ne sont pas coupables. Ceux qui se battent oui, mais pas les autres. Certes, ceux qui se taisent ont une part de responsabilité. On peut penser que ceux qui font du commerce d'êtres humains aussi bien sûr. Mais moi, j'en bénéficie en sortant des Yézidis de la torture et d'une mort certaines au bout. Donc, je ne les condamne pas. D'ailleurs, nous désignons les Arabes du groupe qui nous revend les femmes esclaves et leurs enfants par le terme de "libérateurs". Et les Kurdes du groupe par celui de "négociateurs". Les négociateurs ne vont pas chercher les otages libérés. Tout se fait par téléphone. 

A quel tarif les femmes sont rachetées? 

En fait, ça dépend de la distance et du danger pour les acheminer jusqu'au Kurdistan. Si le village de départ est prêt de la frontière, c'est moins cher que s'il faut les faire venir depuis Raqqa ou Alep. Donc, ça peut aller de 1000$ à 40.000$ si la famille est importante. Qui sont les négociateurs exactement ? Ce sont en majorité des Yézidis. Mais il y a deux musulmans aussi dedans. Comme les libérateurs, qui eux ne sont que des musulmans sunnites, ils sont une dizaine. Pour les négociateurs, il n'y a pas beaucoup de risques. Par contre, c'est beaucoup plus dangereux pour les Arabes. Qui paie L'enveloppe budgétaire dépend du cabinet du Premier ministre du Kurdistan. Nous avons fait appel à beaucoup d'organisations internationales pour compléter le financement, que ce soit au Parlement irakien, à l'ONU, à des ONG, mais on a toujours trouvé porte close. Personne n'est intervenu, ni l'Union européenne, ni l'ONU, ni les Etats-Unis, alors que nous avions plus de 6000 otages. Même avec une aide financière symbolique. Alors que l'on sait ce dont les gouvernements sont capables lorsqu'ils ont un de leurs ressortissants retenu en otage dans le monde. 

Du coup, combien les 1800 Yézidis libérés par votre organisation ont coûté au cabinet du Premier ministre kurde? 

Nous sommes autour de 4 millions de dollars, payés aujourd'hui par le KRG (gouvernement de la région autonome du Kurdistan). Il faut ajouter à cela des initiatives individuelles quand même... J'ai lu dans certains médias que des Kurdes de la diaspora avaient aidé à la libération des Yézidis. Je pense à un Canadien qui a collecté des fonds et les aurait utilisé pour faire libérer des Yézidis avec son organisation. C'est faux. Je ne sais pas comment il a utilisé son argent, mais pas pour libérer des otages. Nous avons les dossiers complets pour toutes les libérations. Personne n'a aidé. Aucun riche kurde n'a aidé à ces libérations. En revanche, ce qui est vrai, c'est que certaines ONG aident les otages après leur libération. 

Selon vous, faut-il employer le terme de génocide pour ce qui s'est passé dans la région de Shingal en 2014? Ou est-ce un crime de guerre? Un crime contre l'humanité? Qu'en est-il juridiquement? 

Pour moi, c'est 100% un génocide. Des milliers de Yézidis ont été faits prisonniers, des milliers d'autres ont été tués. Les prisonniers ont été contraints de changer de religion. Les familles ont été séparées. Les enfants ont subi des lavages de cerveau pour devenir des jihadistes eux-mêmes. Tout ça révèle un processus génocidaire. Toutes les étapes du génocide y sont. Et d'ailleurs, un rapport de l'ONU allait en ce sens en 2016 (voir plus bas).

Que faites-vous pour que ce génocide soit reconnu officiellement par la communauté internationale? 

On a déjà mené plusieurs actions. D'abord, médiatiquement. Je reçois des journalistes, des écrivains, des chercheurs... Nous leur facilitons l'accès aux camps de réfugiés, aux victimes, aux témoins... Ensuite, en tant que représentant des Yézidis au gouvernement, je fais en sorte que les chiffres soient mis à jour. Et enfin, nous faisons des voyages à l'étranger pour donner des conférences afin de faire connaître le processus génocidaire mené par Daesh.

S'il y avait une reconnaissance officielle du génocide, quelles seraient les conséquences pour les victimes?

Déjà, ça voudrait dire une indemnisation. Le KRG serait lui-même remboursé des 4 millions d'euros engagés. J'utiliserais cet argent pour aider les Yézidis rescapés. Au-delà de l'argent, c'est aussi une façon de les reconnaître officiellement comme victimes. C'est important, psychologiquement, pour les aider à se reconstruire. 

Justement. Qu'en est-il du soutien psychologique. On sait que des femmes yézidies ont été accueillies en Allemagne. Qu'est-ce qui se fait au Kurdistan pour celles qui sont restées?

Déjà, très rapidement, on a eu conscience de la problématique culturelle pour les femmes violées, qui sont censées perdre leur religion. Dès qu'on a eu des chiffres sur l'ampleur du génocide et des personnes retenues en otage, on les a donnés à Baba Sheikh (NDLR : l'équivalent du "pape" pour les Yézidis). On lui a dis qu'elles étaient converties de force à l'islam et que les femmes pouvaient servir d'esclaves sexuelles. On a essayé de le convaincre, dans l'intérêt du peuple aussi parce que les Yézidis ne sont pas très nombreux, d'avoir un regard particulier sur ces gens qui ont été obligés de sortir de la communauté, sous contrainte d'être torturés ou tués. Baba Sheikh a dit oui, mais en s'inquiétant de ce que diraient les chefs de tribus. Il avait peur des crimes d'honneur. Donc, on a été voir les chefs de tribus. Et on a commencé une campagne contre les crimes d'honneur pour qu'ils suivent la décision de Baba Sheikh. On les a convaincus les uns après les autres. Les derniers se sont ralliés à cette décision bon gré mal gré quand ils ont vu que les principaux chefs de tribus étaient d'accord. 

Les premiers Yézidis libérés ont été dans la région de Duhok où beaucoup avaient de la famille. J'ai appelé les activistes yézidis pour qu'ils les accueillent bien. Ils sont allés les voir avec des tambours. Ont transformé leur arrivée en festivité, afin de faire passer le message qu'ils pouvaient rentrer chez eux sans crainte. Nadia Murad, qui s'est engagée plus tard sur la défense des femmes yézidies, c'est moi qui suis allé l'accueillir. J'ai rencontré ses neveux, prévenu que le KRG était responsable de sa vie et que personne ne devait la faire culpabiliser. Personne ne devait la toucher sous peine d'aller en prison. Un message que nous avons fait passer pour toutes les femmes qui avaient été esclaves sexuelles. Il y a quand même eu quelques cas de suicide après le retour. Mais très peu au bout du compte. Jusqu'à ma mort, je me sentirai responsable. Je fais en sorte qu'aucune ne soit poussé au suicide.

Qui faudra-t-il juger pour tous ces crimes? Pour les juifs ou les Rwandais, il y avait un pays derrière. Mais Daesh n'est pas un Etat...

Abou Bakr al Baghdadi doit être jugé à La Haye pour crime contre l'humanité. Après, je ne suis pas juriste. Mais, pour moi, ce devrait être aux pays qui ont financé Daesh et qui continuent à le financer de payer. 

L'Etat islamique auto-proclamé a-t-il d'autres otages que les Yézidis à votre connaissance?

Officiellement, il n'y a que des Yézidis de prisonniers. Mais, officieusement, je peux vous dire que les jihadistes détiennent aussi 150 à 180 chrétiens. Leur communauté ne souhaitent pas que ces cas soient médiatisés. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, à la demande des familles, nous avons permis la libération de 8 chrétiennes en payant, grâce à notre groupe qui s'occupe de la libération des yézidies. On sait aussi que 400 à 450 personnes turkmènes shiites sont retenues en otage et soumises exactement au même traitement que les femmes yézidies. Mais les Turkmènes ne veulent pas que ces femmes reviennent car leur honneur a été pris. Ils n'ont pas fait le travail que nous avons effectué auprès de Baba Sheikh et des chefs de tribus yézidis.

Juin 2016 : le rapport de l'ONU qui conclut au génocide

L'appel sous-titré du député yézidi Sheikh Shamo


3e hiver au camp de Khanké : la vie s'organise

. / Photo © Le Phénix kurde

Fin janvier 2017, le camp de Khanké comptait 3120 habitations pour 2870 familles, soit 16088 Yézidis dans le camp officiel sous contrôle de l'ONU. Chiffre auquel il faut ajouter 24.000 réfugiés répartis dans des tente tout autour du camp. Le gouvernement régional du Kurdistan assure la distribution de nourriture grâce au financement de la Banque alimentaire, et elle du fioul pour les appareils de chauffage mobiles... dont il faut rappeler qu'ils sont parfois à l'origine d'incendie. L'Unicef est présente sur le camp, de même que la Free Yezidi foundation, qui assure des cours de soutien, d'informatique, d'anglais, de couture...

Une ONG allemande, GIZ,  emploie par ailleurs 200 déplacés par jour pour qu'ils participent à l'amélioration structurelle du camp, à travers la construction de voies pavées, d'espaces de jeux pour les enfants, d'un théâtre à ciel ouvert, d'un terrain de foot et à l'aménagement d'espaces verts. 






Les déplacés manquent de médicaments

Au dispensaire du camp de Khanké, Le Dr Khalil Abdulkarim, son adjoint le Dr Medir Hassouk, et le pharmacien, le Dr Djamal Souleyman, disposent de peu de moyens. / Photo © Le Phénix kurde

Difficile de vivre dans la précarité inhérente à tous les camps de réfugiés du monde, fusse dans son propre pays. Les Yézidis déplacés de Shingal à la région autonome du Kurdistan en savent quelque chose. Surtout ceux qui, en fuyant la guerre et ses massacre, sont arrivés malades.

Findi Murad et sa femme Choukriya Quwal aimeraient bien faire avec. On s'habitue à tout, même au froid et à la boue. Mais ils n'ont pas les moyens de s'offrir les médicaments que nécessite l'état de Choukriya, 36 ans, et de ses sept enfants. Et ça, c'est difficile pour des parents. Suaad, 15 ans; Malien, 12 ans; Hassan, 9 ans; Hassoun, 6 ans; Kafia, 8 ans; Fadia, 4 ans et Nazar, 2 ans, sont censés passer des tests tous les deux mois pour voir l'évolution de leur hépatite. Mais le dernier a coûté 500.000 dinars pour les sept enfants et leur maman. Certes, le dispensaire du camp de Khanké leur a donné de l'Entavir. Mais l'approvisionnement n'est pas régulier. Et, quoi qu'il en soit, ils doivent aussi prendre du Tenvir, qui leur coûte 75.000 dinars la boite pour un mois de traitement. Depuis avaient-ils cette maladie et où l'ont-ils contractée? Ils n'en savent rien. Elle a été découverte au camp, lors de la naissance de Nazar. Toute la famille a passé des tests. Seul le papa a échappé au virus.

Alors, méticuleusement, toute la famille se lave les mains avant de passer à table. Enfin, avant de manger par terre, sous la tente, tous les jours, matin, midi et soir. Une précaution à laquelle se soumette également les invités... ce qui n'empêche pas Findi de s'inquiéter pour l'avenir.

Au dispensaire, le Dr Khalil Abdulkarim, le directeur, aimerait pouvoir faire plus pour Choukriya, ses enfants, et tous les autres patients du camp. Mais il montre la pharmacie, quasiment vide. Le Dr Medir Hassouk, son adjoint, originaire de Mossoul, se désespère lui aussi: "Les besoins sont importants. Mais on manque de tout: d'antibiotiques, de médicaments contre la toux, les allergies, la grippe... "

La seule chose dont ils ne manquent pas, c'est de volonté. Six généralistes, un pédiatre, un gynécologue, et un dentiste tiennent une permanence quotidienne dans ce qui fait figure d'hôpital. Un urologue vient trois fois par semaine, un psychologue une fois par semaine. Et 350 patients demandent à voir l'un ou l'autre tous les jours. Une ambulance permet de transporter les cas grave à l'hôpital de Duhok, distant d'une petite trentaine de kilomètres. C'est là aussi que les prélèvements sont envoyés pour analyse. Mais comment soigner quand les résultats reviennent, c'est le problème du Dr Djamal Souleyman, le pharmacien du camp. 

Heureusement, ils bénéficient du soutien de l'ONG britannique Afar rebuilding lives. Mais les moyens restent limitées pour s'occuper des 2870 familles du camp officiel... sans compter les milliers d'autres qui ont dressé leur tente de l'autre côté du grillage qui les sépare du camp placé sous l'administration de l'ONU. Pour eux, c'est la double peine... dans tous les sens du terme.

L'association franco-kurde Midi-Pyrénées soutient les Yézidis

Après avoir beaucoup oeuvré pour faire connaître la culture kurde dans la région d'Albi qui l'avait accueilli, Zoubeyr Mahy, le président de l'association franco-kurde Midi-Pyrénées, a décidé d'amener des entreprises du Tarn et d'ailleurs au Kurdistan, d'abord pour aider la région autonome à se développer au nord de l'Irak, ensuite pour apporter du réconfort aux réfugiés et autres déplacés victimes de la barbarie de Daesh.

Très vite, l'association a collecté des fonds pour améliorer la vie dans les camps. Le hasard a fait que les Yézidis ont été les premiers bénéficiaires, en décembre 2014. Depuis, l'association franco-kurde Midi-Pyrénées ne les a jamais abandonnés. Illustration avec ces quelques vidéos et reportages.

Décembre 2014, des chauffages au fioul pour les Yézidis

Reportage dans la Dépêche du Midi, le 20 décembre 2014.

Février 2017 : des chaussures pour les enfants yézidis

Des entrepreneurs tarnais piliers de la reconstruction au Kurdistan : la Dépêche du Midi du 19 avril 2016.

Webdoc du Phénix kurde © avril 2017

La photo des monuments yézidis en une du webdoc est une photo DR du Phénix kurde.