Pakone

Le cœur dans la main, la bombe dans l'autre

On l'a entendu rabâché, ressassé, rebattu dans tous les sens par les touristes de passage : Brest n’a guère de charme sous ses atours de dame couleur souris toute en angles. Pourtant certains se sont mis en tête de casser le bitume à coup de bombes pour ravaler les façades de grisaille sous les traits du graffiti.

C’est dans sa maison quartier Saint-Martin que Yann Metivier reçoit ses visiteurs autour d’un café. L’homme à la barbe grise taillée de près, écharpe autour du cou, débite à rythme lent mais intarissable ses 27 années passées la bombe à la main. À 41 ans, Pakone se souvient de sa première rencontre avec l’art urbain : « Ça a commencé sur le chemin de l’école un matin. Il y avait un mur souvent dégueulasse du côté de Saint-Pierre, il a pris vie dans la nuit sous la forme d’un gros lettrage GSR ». Du nom d’un des premiers crews brestois, Génération Sans Reproche, arborant ses couleurs chrome et bordeaux au contour noir sur fond de brique. « C’était une claque visuelle ». Nous sommes en 1988. Du haut de ses 14 ans, celui qu’on appelle aujourd’hui Pakone a trouvé sa passion.

L’adolescent commence par griffonner sur papier ses premières esquisses, à graver son nom d’artiste sur les pupitres. Puis vient la première bombe. « C’était compliqué à l’époque, elles coûtaient 46 francs, soit à peu près six euros. De la vraie flotte. » Pas de quoi réaliser un vrai graff, mais suffisant pour ébaucher quelques traits sous la forme de tags. L’artiste a son éthique : « faire du vandalisme juste pour faire chier le monde, ça ne m’intéressait pas. Je préférais choisir des endroits laissés à l’abandon, les prendre comme des surfaces d’expression libre et d’entraînement »,confie-t-il. « Ça a été ma manière d’appendre la gestuelle et les bases du graffiti. »

Une fois acquis quatre à cinq bombes, Pakone se lance dans son premier vrai dessin, à même les murs de la cave familiale, sans en référer à ses parents. « Arrivés au matin, ils ont trouvé ça joli et m’ont encouragé », se remémore-t-il en souriant. De pièce en pièce, la technique commence à être suffisamment maîtrisée pour pouvoir retranscrire les œuvres imaginées. « C’est un outil sauvage, il faut dompter la pression de la bombe. Plus j’avançais, plus je voulais de la finesse, rentrer dans le détail. » Plus technique et plus dur, il en fait son hobby d’étudiant. « Je cherchais des endroits où graffer comme un skateur ou un surfeur cherche ses spots. »

De retour à Brest après des études aux Beaux-Arts de Cherbourg, la ville a eu le temps d’évoluer en son absence. Les murs du quartier de Kerfautras se sont illuminés de tags. Avec quelques amis, Pakone rejoint en 1999 le collectif du Cartel 29, raccourci à C29 pour « cramer moins de bombe qu’avec un nom à rallonge ». La bande de potes forme la deuxième génération de graffeurs brestois. Elle enjolive depuis maintenant 16 ans les murs de la ville, aidée de sa trentaine de membres actifs. « Représenter un crew, c’est une façon d’apporter sa pierre à l’édifice. D’arriver à quelque chose de grand auquel on n’accéderait pas tout seul. »

Représenter un crew, c'est un façon d'apporter sa pierre à l'édifice

Après avoir un temps arpenté les rues la nuit, alternant entre friches à l'écart du regard et murs à grande visibilité, Pakone développe son style jusqu’à acquérir un niveau qu’il juge suffisant pour l’étape supérieure : proposer ses services. « C’était plus simple de demander l’autorisation de repeindre un mur. Au départ je le faisais de façon complètement bénévole, en demandant parfois une petite aide au niveau matériel ou financier. »

À force de travail, le graffeur se fait un nom à coup de bombes. Aujourd’hui, plus de 300 commerces ont fait appel à ses services. Du bar local jusqu’à des institutions plus renommés, de Leclerc à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. « C’était différent de l’époque où je peignais des rideaux métalliques la nuit, au risque de me faire embarquer. Même avec un mot du propriétaire, il y a eu quelques histoires… Aujourd’hui, les mentalités ont changé. On voit des camions de flics qui s’arrêtent, mais il y a un décalage complet avec les années 90. L’effet de mode a érodé les clichés. Peut-être que c’est plus facile aussi de graffer un mur à 41 qu’à 21 ans, on te prend tout de suite plus au sérieux. »

Le cœur dans la main et la bombe dans l’autre, l’artiste travaille ponctuellement pour des œuvres caritatives à l’instar d’Emmaüs et de la Croix-Rouge. Dernièrement, c’est en collaboration avec l’association des Blouses roses qu’il a concocté un graffiti alliant musique et kangourou pour embellir la chambre d’hôpital d’un enfant malade.

S’il s’est établi au bout du monde, Pakone continue de le parcourir à la recherche de nouveaux spots, ralliant deux gros festivals par an. En juillet dernier, c’est sur les murs de Bristol à l’occasion de l’Up Fest qu’il a posé sa patte. « Cette ville rayonne pour son mouvement graffiti et street art. Nous étions plus de 250 artistes réunis ! Je me suis retrouvé encerclé de fresques géantes. » Mais son rêve serait d’aller poser ses bombes en Asie et en Amérique du Sud. Portes-drapeau de la culture du graffiti français, ces touches d’exotisme sont l’occasion de découvrir l’art de ses égaux d’outre-frontière.

Le graffiti est codifié et il y a des règles à respecter si tu ne veux pas te faire casser le nez

Quand on lui demande ce qui fait un bon graff, Pakone embraye sur une comparaison culinaire. « Il y a certains éléments qui font la réussite, comme en cuisine. Si le lieu est difficile d'accès, le peindre est une performance. Il faut être habile et discret. » C’est aussi à la qualité du lettrage que se reconnaît une bonne pièce. Dynamisme, caractère de la lettre et bonne lisibilité sont de rigueur à ses yeux. Quant à ses propres œuvres, l’important est « de rester éclectique. Surtout au niveau du personnage, du décor… Il faut du mouvement. J’essaie d’ajouter une touche de poésie, une part de féminité aussi, à chacune de mes pièces ». Tout en prenant un certain plaisir à faire jouer les angles en trompe-l’œil, en incorporant pleinement le graffiti à son environnement.

Si cela fait déjà dix ans qu’il ne s’est pas fait choper, Pakone a tout de même tâté du terrain judiciaire à quatre reprises pour des graffs non autorisés. Une pointe de rancune affleure dans le ton quand il aborde le sujet. « Des fois, les peines sont excessives pour ceux qui se font attraper. Certains pays vont même jusqu’à la prison ferme », à l’instar des États-Unis. Et même si une décade s’est éclipsée depuis, « faut pas croire que les anciens qui ne font plus de trucs illicites sont des bisounours », rappelle-t-il, évoquant l’histoire récente d’un « toyage » sur Brest, du nom de l’action de repasser sur l’œuvre d’un autre graffeur et de provoquer une réaction parfois violente de l’intéressé. « Faut pas s’imposer sur une scène. Le graffiti est codifié et il y a des règles à respecter si tu ne veux pas te faire casser le nez », conseille-t-il, même si de son propre aveu, l’ambiance brestoise est plus que cordiale.

Si le graffiti s’est démocratisé, passant du milieu underground à une visibilité s’étendant jusqu’aux panneaux publicitaires, la mentalité originale de son art est restée la même : « Peace Love and United ». C’est cet esprit et l’œil neuf qu’il apporte sur la ville, toujours en interaction avec elle, qui séduit aujourd’hui encore le graffeur vétéran pour, comme il le dit lui-même, « montrer qu’à travers mon art, il y a encore de la bonté en l’homme ».

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