Du sport à l'ère digitale

Sport électronique :  nouvelle forme de sport ? 

Ce soir, ils sont une vingtaine de joueurs à s'affronter par équipe de deux sur le jeu Rocket League devant une petite assemblée. Ce tournoi est organisé par le bar toulousain de la marque internationale, Meltdown, spécialisé dans l’univers des jeux vidéo. L’objectif est simple : marquer le plus de buts grâce à une voiture téléguidée. Les gagnants du tournoi remportent alors, en guise de récompense, plusieurs consommations gratuites.

Ici, au Meltdown, rien n'est laissé au hasard : de la décoration aux télévisions branchées continuellement sur des parties de jeu en cours jusqu'aux noms des consommations inspirés des jeux vidéo les plus mythiques. Tout est mis en oeuvre pour attirer les gamers. Maxence est l'un des six co-fondateurs de ce lieu, il explique : "Nous voulions un endroit où les gens puissent partager leur passion, jouer avec des amis ou bien simplement boire un verre devant une partie." Pari tenu, un an bientôt après l'ouverture de l'enseigne, la clientèle est belle et bien présente, des habitués pour la plupart qui connaissent aussi bien les membres du staff que chaque gamers présents. 

Il faut dire que l'esport, ou sport électronique - pratique consistant donc à jouer à un jeu vidéo dans une logique de compétition - connaît un essor considérable depuis plusieurs années auprès d'une communauté de plus en plus importante.

Voici quelques chiffres qui permettent d’en mesurer toute son l'ampleur : 

Une pratique qui est parvenue, rapidement et au fur et à mesure de sa professionnalisation, à créer un écosystème à part entière calquée sur celui du sport traditionnel. Pour autant, doit-il être considéré comme un sport ?

L'esport est-il un sport ? 

Photo : Océane Oulés

Ali, 19 ans est connu au Meltdown pour avoir battu dernièrement Kayane sur Street Fighter, un jeu de combat. Cette dernière est l'une des joueuses françaises les plus connues qui officie également sur la chaîne Game One en tant qu’animatrice. Il avoue avoir progressé assez rapidement notamment grâce à un entrainement intensif. Mais à la question te considères-tu comme un sportif ? Ali répond immédiatement par la négative. Idem pour Joan qui lui a arrêté la fac et attend le mois de septembre pour reprendre les cours. En attendant il s’entraîne 6 à 7 heures par jour chez lui ou bien ici, au Meltdown. Mais si ces deux jeunes hommes ne se considèrent pas comme des sportifs, pour eux leurs idoles le sont bel et bien. « On est un peu comme des jeunes qui joueraient au foot tous les jours et qui seraient fan de Cristiano Ronaldo, ça ne fait pas pour autant de nous des sportifs ! »

Cette question est centrale aujourd'hui en France tandis que des pays comme la Corée du Sud ou les Etats-Unis considèrent d’ores et déjà leurs pro-gamers (joueurs professionnels) comme des athlètes. Nicolas Besombes, socialiste des jeux vidéo plus précisément spécialisé dans l’e-sport, s’y est longuement intéressé. Il explique : "La définition du sport est plus complexe que celle que l'on peut trouver dans le Larousse. En sociologie du sport, on utilise quatre critères plus précis pour définir un sport : la pertinence motrice - et non plus la dépense énergétique - la réglementation, la compétition et enfin une institutionnalisation fédérale qui régirait ce sport." Au regard de ces critères, on note alors que l'e-sport en rempli trois : 

Si cette question est encore très controversée en France cela est en partie dû à une vision encore très négative du jeu vidéo. Même si Nicolas Besombes souligne que « depuis l'essor du sport électronique dans les années 2010 cette forme compétitive du jeu vidéo est tout de même mieux en mieux perçue. »

Il faut dire que même s'il n’a pas de statut officiel, le sport électronique a tout de même utilisé le même modèle que le sport traditionnel pour se développer et atteindre aujourd’hui une telle ampleur.

Un écosystème calqué sur le modèle du sport

Tournoi international de jeu vidéo Dota 2 - Wikicommuns

L'essor de la pratique du sport électronique est allé de pair avec sa professionnalisation dans les années 2010. En ce sens, les sociétés privées ont vu dans cette nouvelle pratique un nouveau marché à développer. « En sachant que les personnes intéressées aujourd’hui par l’e-sport qui ont donc entre 15 et 35 ans le seront toujours dans 10 ans. Le marché va se donc pérenniser. » souligne Nicolas Besombes. Ces dernières ont donc réutiliser le modèle sportif pour créer un vaste écosystème autour de l'e-sport. Explications points par points.

« On est passé des garages à des salles des fêtes et aujourd’hui à des salles de concert ou des stades entier » raille Maxence

Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessus, les compétitions d'e-sport sont devenues des compétitions sportives à part entière qui réutilisent désormais les mêmes codes et le même fonctionnement que le sport traditionnel.

La "starification" des joueurs et des animateurs

Aujourd'hui ces compétitions qui drainent des millions de personnes sont devenues des shows impressionnants dans lesquels le public est en liesse face à des écrans géants qui rediffusent en live des parties en cours. Ces dernières sont commentées par des animateurs, ou casters dans le jargon, qui sont parfois de véritables stars pour la communauté. Ce que confirme Maxence : "Ce qui a poussé les gens à venir voir ces compétitions au début c'était la présence d'animateurs qui étaient devenus de vrais stars." A l'instar de ces casters, certains joueurs professionnels sont eux-aussi devenus de véritables stars, voire des demi-dieux dans leur pays, notamment en Corée du Sud. En France, la première star à s'être faite connaître dans l'e-sport est Bertrand Grospellier alias Elky, aujourd'hui joueur professionnel de poker. Depuis, une trentaine de Français sont devenus des joueurs professionnels et connaissent une véritable ascension au sein de cette pratique.

Un staff encadrant dédié exclusivement à l'e-sport

La professionnalisation des joueurs s'est accompagnée, assez logiquement, de la création d'un staff encadrant spécialisé dans la pratique du sport électronique. Les joueurs professionnels sont donc aujourd'hui employés par des sociétés privées, en France la plus connue est Millenium, qui leur verse directement des salaires. Sont mis ensuite à leur disposition une gaming-house, c'est à dire un appartement dans lequel les joueurs vivent en colocation afin d'apprendre à mieux se connaître et où ils peuvent s'entraîner ensemble des heures durant. La notion d'équipe étant essentielle dans la pratique de jeu multijoueurs. Dans leur quotidien, les joueurs sont également encadrés par des coachs, des analystes et autre encadrant avec qui ils élaborent de nouvelles stratégies de jeu. 

Apparition d'émissions télévisées et essor du streaming 

La dernière étape de la "sportification" de l'e-sport est sa rediffusion en masse. Que ce soit par le biais de la vidéo à la demande (streaming) grâce à des WebTV qui pullulent depuis plusieurs années sur la toile ou bien encore grâce à la télévision, les fans de sport électronique ont désormais l'embarras du choix. Et c'est précisément ce qui explique l'essor du streaming et l'émergence de dizaine de sites comme Twitch. "Malgré les émissions de sport électronique proposées par la télévision sur Game One ou encore l'Equipe 21 depuis peu, nous ce que l'on veut, c'est avoir le choix de regarder les parties qui nous intéressent et c'est précisément ce que nous permet le streaming." explique Maxence. 

Parallèlement à l'émergence d'émissions spécialisées, de nouveaux métiers ont fait leur apparition dans ces médias comme des analystes, qui reprennent point par point les techniques et tactiques optimales sur tel ou tel jeu vidéo.

Quel avenir pour l'e-sport? 

In fine, les points exprimés ci-dessus témoignent de la création d'un environnement économique à part entière formé autour du sport électronique. En France,  il se pose aujourd'hui la question de la reconnaissance de cette pratique considérée jusqu'alors comme un jeu d'argent clandestin. En ce sens, un amendement faisant partie de la proposition de loi sur le numérique faite par Axelle Lemaire à l'Assemblée, est en cours d'examen. Mais que compte faire le gouvernement : taxer ces compétitions qui drainent énormément d'argent ? Reconnaître le statut de sportifs aux joueurs professionnels ? Les relier au ministère des sport ce qui permettrait au sport électronique d'obtenir une fédération à part entière ? L'avenir de l'e-sport est totalement incertain. Les réponses que va apporter l'Etat à toutes ces questions vont être décisives pour la pratique. Elles peuvent l'aider à se développer et à prendre toute son importance comme elles peuvent tuer définitivement l'industrie du sport électronique en France.