Pollution en Afrique de l'Ouest

Campagne DACCIWA

Ou mieux comprendre les interactions entre dynamique atmosphérique, aérosols, chimie et nuages.

Démographie explosive, urbanisation massive, déforestation anarchique : l'Afrique de l’ouest fait face à des changements majeurs, qui augurent un triplement de la pollution d’origine anthropique entre 2000 et 2030. Quel en sera l’impact sur la santé des populations et des écosystèmes, mais aussi sur la météorologie et le climat ? C’est à cette question que s’attache le programme européen DACCIWA (Dynamics-Aerosol-Chemistry-Cloud Interactions in West Africa), réunissant 16 partenaires* dont le Laboratoire d'Aérologie. Il permettra à terme d’améliorer les prévisions météorologiques et climatiques dans cette région peu étudiée. Alors qu’une campagne majeure de mesures, aéroportées et au sol, s’est déroulée au début de l’été, le programme livre ses premiers résultats.

Le contexte

Des vents de mousson chargés de sels de mer, des vents sahariens charriant des poussières, des feux de forêts et domestiques, des décharges à ciel ouvert dans les villes, ou encore les émissions des unités de production électrique, des cohortes de tankers au large des côte, des plateformes pétrolières et un parc automobile vieillissant – l’air le long du Golfe de Guinée est un mélange complexe et unique de différents gaz et d’aérosols (particules, solides et liquides, en suspension), d’origine naturelle et humaine. Dans le même temps, les couches multiples de nuages se développent dans ce milieu, qui influencent fortement la météorologie et le climat. Or la composition de l’air et son influence sur la formation et la dissipation des nuages n’ont jamais été étudiées dans cette région. Les modèles météorologiques et climatiques sont donc encore incomplets en ce qui concerne les interactions aérosols-nuages dans un environnement chimique aussi complexe que celui du Golfe de Guinée.

Une campagne de mesure :

pourquoi et

 comment ?


Financé par l'Union européenne et coordonné par le Karlsruher Institut für Technologie en Allemagne, ce programme s’intéresse aux liens entre météorologie, climat et pollution de l’air en Afrique de l’ouest, de la Côte d’Ivoire au Nigéria. Pour la première fois, des scientifiques ont pu étudier intégralement les impacts des émissions naturelles et anthropiques sur l’atmosphère de cette région, ainsi que sur la santé des populations, grâce à une campagne de terrain de grande ampleur en juin et juillet 2016.

Parmi les moyens mis en œuvre, trois avions de recherche ont notamment permis de suivre la pollution de l'air des ports et des grandes villes côtières (Abidjan, Accra, Lomé, Cotonou, Lagos) vers l'intérieur des terres. Des moyens importants ont aussi été déployés au sol : pendant deux mois, trois sites lourdement instrumentés, au Ghana, au Bénin et au Nigéria, ont mesuré de façon continue les nuages et beaucoup des phénomènes physiques qui contribuent à leur formation ou à leur dissipation. En outre, des ballons météorologiques ont été largués plusieurs fois par jour à travers la région et des mesures ad hoc de la pollution atmosphérique urbaine ainsi que des enquêtes de santé ont été réalisées à Abidjan (Côte d’Ivoire) et Cotonou (Bénin).

Quel rôle le Laboratoire d'Aérologie (LA) a t il joué dans ce dispositif d'envergure ?

Le LA a plus particulièrement contribué à la phase expérimentale de la mission en coordonnant la campagne de terrain sur le super-site instrumenté de Savé au Bénin et en réalisant deux campagnes de mesures de pollution de l'air sur des sites urbains en Côte d'Ivoire et au Bénin, mesures complétées d'une collecte de données en milieu hospitalier à Abidjan et Cotonou, pour analyser l’impact de la qualité de l’air sur la santé.


Les deux campagnes de terrain dans les centres urbains d'Abidjan (Côte d'Ivoire) et Cotonou (Bénin) ont ainsi été réalisées en ciblant des sources d'émissions anthropiques peu ou pas documentées (combustion dans des décharges, feux domestiques, rue à fort trafic routier, marchés, …).

Parole de chercheuse de terrain, Cathy Liousse, LA, coordinatrice du Groupe de Travail « Pollution de l'Air et Santé » de DACCIWA :

« Des mesures de gaz et aérosols ont été réalisées, coordonnées à des mesures d'exposition des populations pour qualifier l'influence de cette pollution sur la santé humaine en collaboration avec l’UPMC et l’UPD et l’Université Houphouët Boigny-Abidjan...

Qu'est ce qu'un super site ?

Copyright S. Chastanet LA-OMP-UT3

Trois super sites de mesure ont été installés au Nigéria, au Ghana et au Bénin dans le but de mesurer de façon continue les nuages et beaucoup des phénomènes physiques qui contribuent à leur formation ou leur dissipation.

Un exemple : le super site de Savé (Benin)

L'objectif du super site de Savé au Bénin était de documenter la dynamique (turbulence et nuages) et la chimie de la couche limite. L'équipement installé comprenait un radar UHF, une tour instrumentée (météorologie et chimie) et un drône léger pour la mesure de la température et de l'humidité de l'air.

Parole de chercheuse de terrain, Fabienne Lohou, chercheuse au LA et coordinatrice des opérations sur le supersite :

« Des périodes d'observations intensives ont été réalisées avec des radiosondages fréquents pour documenter par exemple le jet nocturne dans les basses couches et son influence sur la formation des stratocumulus nocturnes ».

Quelle mission pour les avions ?

Copyright S. Chastanet LA-OMP-UT3

Les avions ont été utilisés pour suivre la pollution de l'air allant des grandes villes côtières (Accra, Abidjan, Lomé, Cotonou) vers l'intérieur des terres où elle atteint les forêts et les zones cultivées, avant de continuer en direction du Sahara. Utilisés de différentes manières en fonction de leurs points forts (capacité d'emport, endurance, altitude de vol), tous avaient des charges utiles instrumentales comparables ce qui a permis d’acquérir un ensemble de données très complet du paysage physico-chimiques en région Soudanienne ainsi que des conditions atmosphériques.

Les résultats et perspectives

Copyright S. Chastanet LA-OMP-UT3

Les premiers résultats montrent, de façon surprenante, qu'une grande partie de la pollution est d’origine organique, liée à la combustion permanente, à basse température du charbon de bois, des ordures et déchets agricoles dans les décharges à ciel ouvert des villes. Les particules produites réduisent alors la quantité de rayonnement solaire qui atteint le sol, modifiant l’évolution diurne de la température, du vent et des nuages, ainsi que la dynamique atmosphérique.

Jusqu’en 2018, les chercheurs vont maintenant analyser ces données, complétées par des observations satellite, afin de proposer un schéma explicatif de l’interaction entre chimie atmosphérique, aérosols, formation et dissipation des nuages bas, bilan radiatif et précipitations. Avec pour objectif l’amélioration des modèles météorologiques, de climat et de qualité de l’air, qui viendront en appui des politiques environnementales pour un développement durable de la région, et des indications utiles sur les conséquences sanitaires de la pollution atmosphérique.

« La campagne DACCIWA est une première étape dans la compréhension de la chimie atmosphérique de cette région côtière appelée à une expansion démographique et économique très importante dans les dix prochaines années. Une immense megapole de 2000 km de long est en train de naitre. Son impact en termes de pollution et de santé publique reste un défi majeur pour la communauté scientifique et politique » indique Céline Mari, directrice du LA et coordinatrice du groupe de travail « Chimie Atmosphérique » du projet DACCIWA.

Pour en savoir plus : www.dacciwa.eu

* Les 16 partenaires de 6 pays du programme DACCIWA :

en Allemagne, le Karlsruher Institut für Technologie et l’Agence spatiale allemande (DLR) ; au Royaume-Uni le European Centre for Medium-Range Weather Forecasts, le Met Office, ainsi que les universités de Leeds, de York, de Reading et de Manchester ; en Suisse l’ETH-Zürich ; au Ghana, la Kwame Nkrumah University of Science and Technology Kumasi ; au Nigéria, l’Obafemi Awolowo University ; en France, le CNRS, l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, l’Université Pierre et Marie Curie, l’Université Clermont-Ferrand II Blaise Pascal, l’Université Paris Diderot. De plus, l’Université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan et l’Université de Abomey-Calavi, à Cotonou sont également associées au programme.

Les laboratoires et services français impliqués dans ce programme sont :

- l’Unité de biologie fonctionnelle et adaptative (BFA, CNRS/Université Paris Diderot) : évaluation de la toxicité des particules échantillonnées à Abidjan et Cotonou (Armelle Baeza).

- le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, CNRS/Météo-France) : contribution à la charge utile pour la mesure des « aérosols », à bord de l’ATR 42.

- l’Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique (IPLESP, Inserm/UPMC) : collecte de données en milieu hospitalier à Abidjan et Cotonou, réalisée en collaboration avec le BFA, afin d’analyser l’impact de la qualité de l’air sur la santé (Isabella Annesi-Maesano).

- le Laboratoire d’aérologie (LA, CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatire) : coordination de la campagne de terrain sur le supersite instrumenté de Savé (Bénin) et réalisation de deux campagnes de mesures de pollution de l’air sur des sites urbains en Côte d'Ivoire et au Bénin (Céline Mari).

- le Laboratoire de météorologie physique (LaMP, CNRS/Université Blaise Pascal) : responsable de la charge utile de l’ATR 42 pour la mesure (in situ et à distance) des constituants chimiques, des propriétés des aérosols et des nuages, ainsi que du rayonnement et de la dynamique atmosphérique (Alfons Schwarzenboeck).

- le Laboratoire "atmosphères, milieux, observations spatiales" (LATMOS, CNRS/UPMC/UVSQ) : coordination de la campagne aéroportée conduite depuis Lomé (Togo) et prévisions météorologiques en support aux opérations avion (Cyrille Flamant).

- le Laboratoire de météorologie dynamique (LMD, CNRS/École polytechnique/UPMC/ENS de Paris) : prévision pour la chimie atmosphérique en support aux opérations avion, en coordination avec le LA.

- l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP, CNRS/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier/Météo-France) : réalisation du site web du DACCIWA Operation center le service des données de l’OMP, pour regrouper et mettre à disposition les « quick looks » des observations acquises sur le terrain ainsi que les analyses des différents centres de prévision impliqués dans le projet.

- le Service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement (SAFIRE, CNRS/Météo-France, avec la participation du CNES) : opérateur de l’avion de recherche français.