Carnet de mission
en Himalaya 

Bompi avec l'équipe de glaciologues

Cela faisait un petit moment que Bompi, notre mascotte OMP,  ne vous avait pas donné de nouvelles. Il faut dire qu'il était parti en mission avec Etienne Berthier, glaciologue du LEGOS, sur les pentes de l'Himalaya, au Népal, et il nous a ramené plein d'images et de souvenirs.

Carnet de mission en Himalaya


J'ai donc suivi Etienne, ses collègues (Joe chercheur canadien de l'Université de Saskatchewan, Patrick chercheur grenoblois et Fanny doctorante à Grenoble) et 3 porteurs locaux (Phonindra, Passang et Passang Dawa), pour 4 semaines de terrain entre 5000 et 6400 mètres d'altitude. Notre mission (car oui oui j'ai participé !): effectuer des mesures pour obtenir le bilan de masse des glaciers himalayens, glaciers surveillés depuis 2007.

Tout a commencé par une belle ascension au rythme de 400 à 500 mètres de dénivelé par jour et quelques jours d'acclimatation à « La Pyramide », notre camp de base. 5000 mètres d'altitude c'est pas rien. Il a fallu s'habituer au manque d'oxygène avant de faire des efforts physiques.



Observer Mesurer Topographier

Une falaise du glacier Black Changri. En arrière plan, l'Everest (8850 m) et le Nupse (7800 m, seulement…)

C'est parti pour 15 jours de manip !

Notre travail s'est scindé en 2 grosses parties : mesurer l'accumulation de neige et la fonte sur trois glaciers et faire le suivi topographique d'un glacier très spécial car couvert de débris.

Premières mesures : le bilan de masse des glaciers

On a commencé par les mesures d'accumulation et de fonte des glaciers. Autant vous dire qu'à ces altitudes, parfois plus de 6000 m, c'est pas évident.

Alors, comment a t on procédé ?

En 2015, lors de la précédente mission, Patrick a installé des balises en bambou sur l'ensemble du glacier. Au moment de l'installation les balises dépassaient de la surface enneigée de 2 à 3 mètres en partie haute d'accumulation du glacier, 10 à 20 cm en partie basse de fonte,  et étaient ensevelies sur 5-6 mètres. En partie haute d'accumulation Patrick a également saupoudré la surface neigeuse d'un colorant bleu sur un rayon d'un mètre autour de la balise pour avoir un repère visuel.

L'exercice du jour : retrouver les balises, évaluer la fonte en mesurant la partie émerger de la balise, creuser pour retrouver la marque de la fonte estivale ( couche de glace dure) et mesurer la neige d'automne accumulée. C'est parti !


Chaque glacier est équipé d'une vingtaine de balises échelonnées en altitude.

Autre mesure, autre méthode

On a visité une station météo fixe située à 5300m dans la partie basse du glacier, là où la fonte domine. On voit bien le capteur au bout du bras horizontal. Ce capteur joue le rôle d'un mini altimètre, il mesure la distance qui le sépare de la surface neigeuse.

Avec toutes ces mesures on peut calculer la fonte et l'accumulation du glacier, son bilan de masse. Cette opération est renouvelée tous les ans et 3 glaciers (White Changri, Pokalde et Mera) sont suivis.

2016, on mesure mais on prépare aussi 2017

On en a profité pour installer de nouvelles balises dans le bas du glacier, sur la zone dite d'ablation (en bas) et la zone d'accumulation (en haut). Pas évident. Il faut insérer la canne de bambou à plus de 7 m de profondeur. On utilise une sonde à vapeur pour faire fondre la glace sur un diamètre de 4 cm.

En zone d'ablation la canne une fois mise en place dépasse de 10-20 cm.

Même opération sur la partie haute du glacier, zone d'accumulation, mais là la canne dépasse de 1 à 2 mètres et on répand un colorant bleu à la surface pour marquer le niveau neigeux au moment de l'installation. Attention il ne faut pas oublier de recouvrir le colorant pour ne pas fausser les mesures, conserver le phénomène d’albédo (pouvoir réfléchissant de la surface) et éviter que le vent n'arrache notre marqueur.

1h de boulot pour chacun balise en images  :

Maintenant, à nous le glacier couvert de débris !

Une falaise du glacier Black Changri. En arrière plan, l'Everest (8850 m) et le Nupse (7800 m, seulement…)

Ce type de glacier, très courant en Himalaya, présente un mode de fonte spécifique. On pourrait penser que les débris rocheux présents en surface les protègeraient et ralentiraient leur fonte mais les observations montrent que ce n'est pas forcément le cas, et que dans certaines conditions, ils pourraient perdre presque autant de masse que les autres glaciers sans débris.

La question est donc "Pourquoi ??"

Un facteur possible a été identifié et interfère dans le processus : les falaises de glace et leur contribution au bilan de masse global du glacier. La fonte accélérée qui s'y produit pourrait compenser l’effet protecteur des débris rocheux de surface.

Direction donc les falaises de glace pour effectuer des mesures et des relevés topographiques.

Tentative de plongeon dans le lac du glacier Black Changri. Ouf, la glace est assez solide ! Etienne a prétexté avoir trop de boulot mais je suis sûre qu'il avait oublié son caleçon hawaïen.

Chaque falaise mesure entre 50 et 100 mètres de large sur 20 à 40 mètres de haut. On a utilisé 3 modes d'observation et de mesures différents et complémentaires pour avoir un maximum de mesures et surtout obtenir des angles de vision différents : la photographie terrestre, le drone et l'image satellite.

La photo 

Équipée de points de contrôle localisés par un GPS ultra-précis la falaise a été photographiée, soit 300 photos réalisées en décalé. On obtient une vue topographique de face de la falaise.

Comme j'aime bien les nouvelles technologies j'ai demandé à Étienne pourquoi il n'utilisait pas un laser scan. Réponse :"Trop cher et trop lourd". C'est vrai que quand on a préparé les sacs à dos on a été à l'essentiel. 6000 m d'altitude c'est haut et il n'y a pas beaucoup d'oxygène pour alimenter les muscles. Et puis un simple appareil photo demande beaucoup moins d'autorisation administrative au Népal qu'un laser scan


Le drone

Bien revigoré par ma tentative de bain je suis parti avec Patrick et Joe pour un survol de la falaise en drone pour une topographie sur 3-4 km² en vue de dessus.

On a installé des points de repère GPS pour bien délimiter la zone topographiée en vue de dessus. Avec cette grande précision on pourra ensuite comparer cette topographie avec notre troisième mode d'observation : les images satellites, qui ont été capturées à cet instant précis, sur cette zone précise.


Et puis comme on est des gars sympas, on a aidé des collègues hydrologues grenoblois qui étaient dans la panade pour installer un pluviomètre à 4900 mètres et démonter une station météo à 6400 mètres, trop compliquée à entretenir à cette altitude.

De retour en France toutes les données collectées seront dépouillées et confrontées aux images satellites et aux données enregistrées lors de la mission 2015. Ce sera le travail de Fanny qui prépare sa thèse à Grenoble sur les glaciers couverts de débris et les falaises de glace. Soutenance fin 2018 !

Voilà, c'est déjà fini. 4 semaines fantastiques, avec des chercheurs passionnés qui m'ont gentiment intégré dans leur équipe. Merci à eux.

Si vous voulez aller un peu plus loin dans votre connaissance des glaciers et leur fonte vous pouvez lire l'article auquel Etienne a participé :

"Les glaciers himalayens vont-ils tous disparaître avant 2035 ?"  article neige et glace .

Il me tarde déjà de repartir et de vous raconter tout cela.