École de police de Rouen-Oissel : « Pour mon fils, je suis devenu un héros »

Une des plus grandes écoles de formation de policiers en France

Il en fallu du sang-froid pour maîtriser l'assaillant de Paris qui semait la terreur dans le quartier de l'Opéra à Paris. Ce soir-là, samedi 12 mai 2018, une patrouille de police-secours, composée de deux gardiens de la paix et d'un adjoint de sécurité, intervient. Un des policiers tire à deux reprises. Une balle blesse mortellement le terroriste.

Comme leurs collègues du quartier de l'Opéra, les élèves de l'école de police de Rouen-Oissel (Seine-Maritime) seront confrontés à ce que la société peut montrer de plus violent. Ce sont eux qui seront amenés à intervenir en premier sur les lieux d'urgence.

La série d'attentats qui a frappé la France depuis 2015, n'a pas été sans résonance pour ces futurs policiers. « Les attentats du Bataclan, ont été un élément déclencheur pour m'inciter à passer le concours. Dans ces moments-là, on se rend compte de l'utilité de la police », confie Boris, bientôt gardien de la paix, originaire de Rennes.

Pour sa camarade de section, Mégane, originaire des Ageux, village de l'Oise, « les attentats ou les menaces envers les policiers donnent envie d'être sur le terrain et de défendre ses collègues et d'aider la population pour éviter que cela ne se reproduise ».

Des événements dramatiques qui ont agi comme une motivation également pour Sébastien, venu de Seine-et-Marne :

Quand on suit les attentats à la télé, il y a une prise de conscience. Soit on décide de rester cloîtré chez soi, soit on décide de faire quelque chose.

Les premiers réflexes, les premières notions sont acquises ici, dans cet immense établissement de 66 hectares, au milieu de la forêt. Près de 1 000 élèves se forment à faire respecter l'ordre et la loi.

L'école de Oissel, créée en mars 1998, est la plus grande de France de par sa superficie et la seconde du pays en capacité d'accueil, derrière Nîmes. Elle forme des gardiens de la paix, des adjoints de sécurité ainsi que des cadets de la République. Tous les ans, près de 900 élèves viennent apprendre les rudiments du métier.



« Mes parents et mon frère étaient très réticents »

« Je m'étais beaucoup renseigné avant de passer le concours. Je savais que c'était difficile et très complet. Mais je ne m'attendais pas à ce que ça soit aussi difficile et compliqué », concède Sébastien. Les gardiens de la paix et cadets de la République sont formés sur 12 mois. Les adjoints de sécurité restent durant trois mois à l'école.

Embrasser une carrière de « flic » n'est pas toujours facile à faire admettre aux proches. Boris est le premier de sa tribu à tenter l'expérience :

Mes parents et mon frère étaient très réticents. Ils avaient peur que j'entre dans cette institution. Le salaire, les horaires, la violence, tout les a inquiétés.

Boris, le Rennais, sait qu'il sera affecté en région parisienne pour huit ans minimum. Une perspective pas toujours évidente pour les proches. Sa petite amie, a eu beaucoup d'appréhension. « Au début, elle freinait le projet. Aujourd'hui, elle m'encourage à 100 %. Mais c'est vrai, elle subira les dommages collatéraux. »

Heureusement, leur regard a changé et « tous sont très fiers de moi », apprécie Boris. Même sentiment du côté des proches de Sébastien : « Mon fils de cinq ans est extrêmement fier. En six mois, je suis devenu un héros. Il me demande toujours ce que je fais. »

Ce que fait papa ? Cet ancien assistant d'éducation au collège tente de réussir sa reconversion afin de « veiller pour la patrie », comme le stipule la devise policière. Pour cela, le site de Oissel comprend 26 salles de cours, deux stades de football, quatre dojos, un gymnase, cinq stands de tir, notamment. Sans compter un village de simulation, avec sa mairie, son garage automobile et son bistrot, pour coller au plus près du réel.

Des simulations au plus près du réel pour s'entraîner

©Raphaël Tual / 76actu

Avec leur tablette sur lesquelles sont posées les fiches d'évaluation, les deux formateurs traînent dans leur sillage les nouvelles recrues. Ils ont rendez-vous dans le village de simulation. Il s'agit de la reconstruction d'une rue sous un hangar, avec sa mairie, ses logements, son bar et bien sûr son poste de police.

Un formateur, qui souhaite rester anonyme, détaille l'intérêt d'une telle structure :

Ce village permet une mise en immersion des apprenants dans plusieurs sites et donc situations : domiciles, caves, commerces avec pour chacun des particularités d'intervention et des particularités procédurales.

Déterminer si les notions de bases sont acquises ou non, tel sera l'enjeu de cette épreuve pour les élèves de la section 247. Ils doivent prouver qu'ils sont en capacité d'intervenir et que les notions théoriques ont été assimilées. Leur mission : durant une patrouille pédestre, un patron de bar leur signale qu'un de ses amis, violent et chasseur, se dispute avec sa femme.

Tout l'enjeu de cette simulation est de pouvoir pénétrer dans le logement sans enfreindre la loi, prendre en charge la victime, blessée au visage, calmer l'auteur des violences et le ramener sans danger au poste de police.

À l'issue de cet exercice, les formateurs procèdent au debriefing. « N'hésitez pas à allumer la lumière quand la pièce est sombre, travaillez dans le confort », insiste l'un d'eux. « Si vous savez que potentiellement l'homme dispose d'armes à feu, ne restez pas plantés devant la porte d'entrée », appuie le second qui poursuit : « Partez du principe que quand vous pouvez menotter le mis en cause, faites-le ! »

Protéger, servir... et se défendre

©Raphaël Tual / 76actu

Tandis que certains passent leur évaluation au village, l'autre partie de la section 247 s'entraîne aux techniques de défense. La leçon aujourd'hui : manier le tonfa, l'arme utilisée par les fonctionnaires de police pour se défendre. « Vous devez impérativement ordonner de reculer avant de manier le tonfa », crie le formateur lors d'un exercice d'agression par plusieurs individus. « Vous ne devez pas être pris en défaut si la scène est filmée par un passant au smartphone », renchérit le coach.

Lors d'un affrontement au cours d'une manifestation ou d'émeutes, les policiers doivent pouvoir se protéger tout en gardant le contrôle. Ils découvrent ainsi que le port d'un uniforme implique de grandes responsabilités. Pour la pratique des activités sportives ce jour-là, les élèves de Oissel bénéficient d'un des quatre dojos de l'école.

Simulation dans un appartement reconstitué, défense lors d'une agression de plusieurs individus... Tous ces exercices ne pourront jamais remplacer le réel. Une lapalissade. Pour les étudiants, il est temps d'en sortir. « C'est la limite de l'école : sur une simulation, on ne ressent pas la peur, comme nous l'aurons sur le terrain. C'est pour cela qu'on veut se confronter à ces situations dans la vie réelle », comprend Boris.

Il est temps d'« aller sur le terrain »

©Raphaël Tual / 76actu

Depuis mai 2018, la police nationale a lancé une grande campagne de recrutement et un appel à la population avec un spot de télévision diffusé depuis le 15 mai : « Devenez policier, gardien de notre paix. » Au total, 8 000 postes sont à pourvoir d'ici à 2022. Une première... depuis 18 ans.

Des recrutements qui interviennent après une longue sinistrose dans la profession. En octobre 2016, plusieurs manifestations de policiers en colère avaient éclaté, notamment en Normandie, demandant plus de moyens. Sans compter les assassinats visant expressément l'uniforme. Un policier tué sur les Champs-Élysées, un couple de policiers a été tué à Magnanville... Le moral de la profession est en berne dans de nombreux commissariats de France et de Normandie. « On a des cibles dans le dos », s'inquiétait une policière auprès de Normandie-actu, en avril 2017.

Pourtant, ces élèves de l'école de Rouen-Oissel n'ont qu'une hâte : « aller sur le terrain » et se confronter au monde, hors ces murs.

Boris aurait pu continuer après sa licence en construction navale, mais il avait trop « envie d'aider les autres ». Sébastien, ancien assistant d'éducation après une licence de Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), a préféré se tourner vers « un métier encore plus utile, qui ne soit pas trop plan-plan ». Quant à Mégane, elle n'a pas pu faire autrement que d'écouter sa « vocation », née à l'âge de cinq ans.

Avec ce vaste plan de recrutement, Sébastien espère que lui et ses collègues apporteront « un nouveau souffle dans les commissariats ».

©Raphaël Tual / 76actu