Dans la compétition des métropoles, Rouen peut-elle s'imposer ?

Devenue officiellement métropole en 2015, Rouen se trouve plongée dans la compétition entre les grandes villes.

Devenue métropole en 2015, Rouen a une place à prendre au sein de la hiérarchie des autres grandes villes françaises. Mais a-t-elle su la prendre ? Dans la compétition qui existe, de fait, entre les territoires, Rouen met-elle toutes les chances de son côté ? Peut-elle s'imposer comme une métropole incontournable ?

Si les acteurs et observateurs de la Métropole Rouen Normandie semblent s'accorder sur le diagnostic, l'origine des symptômes et le traitement approprié suscitent pour leur part des divergences.

Rouen, une métropole ? Vraiment ?

©Julien Bouteiller/Normandie-actu

En 2014, la loi Maptam (de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) a fixé les conditions pour que quinze intercommunalités passent au statut de métropoles. Un statut automatiquement obtenu par les intercommunalités de plus de 400 000 habitants situées dans une aire urbaine qui en compte plus de 650 000. Parmi elles, Rouen.

« Rouen connaît un déclassement sans précédent dans l'histoire urbaine de la France. »
Arnaud Brennetot, géographe

« Nous avons évidemment toute notre place au rang des métropoles, assure Frédéric Sanchez, président PS de la Métropole Rouen Normandie. Ce nouveau statut nous a fourni les outils et les compétences nécessaires pour relancer la croissance de nos territoires. »

Et l'élu d'affirmer que Rouen a « toutes les caractéristiques que l'on retrouve chez les autres métropoles françaises : emplois aussi bien industriels que tertiaires et dans la fonction publique, des équipements tels qu'un CHU, une université ou encore des sièges administratifs. À elle seule, l'aire urbaine de Rouen concentre 25% des emplois normands ! ».

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Loin de partager l'enthousiasme du président de la Métropole, Arnaud Brennetot, maître de conférences en géographie politique à l'Université de Rouen, estime quant à lui que Rouen n'a pas sa place en tant que métropole.

« Rouen connaît en effet un déclassement sans précédent dans l'histoire urbaine de la France » affirme-t-il. « Son poids démographique est considérablement amoindri depuis plusieurs décennies. Elle connaît aussi une croissance d'emplois plus faible que dans les autres grandes villes de province et ne compte que peu de cadres des fonctions métropolitaines, qui représentent moins de 7% des emplois ». Comparativement, ces cadres représentent 14,5% de l'emploi à Toulouse.

Pour Jean-François Bures, élu métropolitain d'opposition Les Républicains, Rouen souffre d'un « évident retard ».

« Rouen a de la chance d'avoir acquis le statut de métropole. Mais elle n'a pas les infrastructures d'une vraie métropole connectée et cela nuit à notre attractivité. »

Rouen, une métropole en mal d'attractivité

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Rouen, une ville en manque d'attractivité ? Un constat partagé par le président de la Matmut Daniel Havis. En novembre 2016, abandonnant le projet de palais des Congrès de l'assureur, son dirigeant avait pointé du doigt le « problème de déficit d'attractivité de Rouen, notamment à cause des infrastructures aéroportuaires, routières et ferroviaires. Je suis très attaché à Rouen, mais je trouve ça dommage, quand on voit des projets qui traînent depuis quarante ans, que la ville n'exploite pas tout son potentiel ».

« On n'est clairement pas à la hauteur des enjeux. »
Jean-François Bures, élu d'opposition

Pour Jean-François Bures, l'abandon du palais des Congrès est « symptomatique » et révèle le « manque de volontarisme de nos élus, qui se sont contentés de prendre acte de cette décision, sans chercher à se battre » pour maintenir le projet. « On n'est clairement pas à la hauteur des enjeux. Faire construire un siège pour la Métropole ou une passerelle sur la Seine, ça ne contribue pas au rayonnement du territoire. On est vraiment sur des schémas un peu anciens ». Arnaud Brennetot fait lui aussi le constat du manque d'attractivité de Rouen. Il en prend pour preuve le déclin démographique de son aire urbaine.

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« Rouen est, avec Brest, la métropole dont l'aire urbaine présente la croissance démographique la plus faible. Entre 1999 et 2011, elle a perdu deux nouvelles places dans la hiérarchie urbaine, se faisant dépasser par Rennes et Grenoble. »

Comment expliquer ce déclin progressif de l'attractivité rouennaise ? Le géographe y voit une première cause.

« Rouen souffre de sa proximité avec Paris et se fait en quelque sorte phagocyter les emplois des cadres des fonctions métropolitaines. Dans le même temps, elle ne fait pas un atout de cette proximité en prenant du retard sur les grandes infrastructures telles que le contournement Est, la nouvelle gare ou la ligne nouvelle Paris-Normandie, et en n'attirant pas les grandes entreprises ».

« Rouen est une métropole qui a beaucoup plus souffert que les autres de la désindustrialisation. »
Frédéric Sanchez, président de la Métropole

Frédéric Sanchez reconnaît lui aussi ce retard notant également le lent développement de l'emploi tertiaire dans la métropole. « Rouen est une métropole qui a beaucoup plus souffert que les autres de la désindustrialisation. Le résultat est que nous avons beaucoup moins d'emplois tertiaires que la plupart des autres métropoles », constate-t-il.

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De 1999 à 2013, Rouen fait partie des rares métropoles (avec Lille et Grenoble, notamment) qui ont perdu des emplois (voir infographie plus haut). Mais le président de la Métropole estime néanmoins que Rouen commence à rattraper son retard.

« La création d'emplois tertiaires s'accélère sur le territoire. J'en prends pour preuve le formidable succès de la pépinière d'entreprises Seine Innopolis. »

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Le géographe Arnaud Brennetot explique aussi ce déclin de l'attractivité par des choix politiques anciens.

« Depuis les années 60, les investissements stratégiques de l'État ont surtout contribué au développement de la métropole parisienne et beaucoup moins aux villes du grand bassin parisien comme Rouen, Orléans ou Reims ».

Le maître de conférences juge néanmoins que les élus locaux n'ont pas fait le nécessaire pour inverser cette dynamique. « Cela fait 40 ans qu'on a un problème de portage politique et de stratégie globale de développement, autour de l'axe Seine notamment ».

Pourtant, Jean-François Bures, Arnaud Brennetot et Frédéric Sanchez s'accordent sur un point : Rouen ne manque pas d'atouts à faire valoir pour se développer.

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Quelles solutions pour 
développer Rouen ?

©Julien Bouteiller/Normandie-actu

Frédéric Sanchez développe plusieurs idées pour rattraper le retard accumulé par Rouen. Il entend d'abord « contribuer aux mutations de l'économie, en misant sur l'innovation, en diversifiant nos activités, en créant des locaux pour les activités tertiaires, en favorisant la création d'entreprises ou encore en soutenant l'enseignement supérieur ».

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« Indéniablement, notre atout, c'est la Seine. »
Frédéric Sanchez, président de la Métropole

Le président de la Métropole estime également que Rouen a des atouts indéniables à exploiter.

« Il faut se développer sur la base de nos singularités. Rouen dispose d'un très important port céréalier et partage la Seine avec Paris et Le Havre. Indéniablement, notre atout, c'est la Seine. Rouen est la porte de Paris vers la mer, il faut travailler là-dessus ».

Arnaud Brennetot va plus loin. Le géographe avance l'idée que « Rouen doit vraiment se penser comme une ville du grand bassin parisien, un pôle secondaire de la métropole parisienne. Elle peut trouver un modèle de développement proche de celui de Versailles ou Saint-Quentin-en-Yvelines. En renforçant le travail sur ses infrastructures, Rouen pourrait être la seule métropole de 650 000 habitants à 45 minutes de Paris ».

Le géographe poursuit : « Cela passe évidemment par un travail renforcé sur l'axe Seine et donc des efforts de lobbying auprès des services de l'État et des entreprises. C'est d'autant plus important compte tenu de la menace que représente le développement du canal Seine-Nord ».

« Tout ce qui profite à Rouen profite à
la Normandie. »
Frédéric Sanchez, président de la Métropole

Jean-François Bures prêche aussi en faveur d'un renforcement du lobbying. L'élu LR voit la Métropole « comme une grande entreprise, qui doit se réfléchir comme telle. Elle doit regarder ce qui se fait chez les concurrents, avoir une démarche commerciale pour se vendre mais aussi renforcer ses partenariats ».

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Des partenaires que pourraient être ses voisines normandes Le Havre et Caen. Arnaud Brennetot est un fervent partisan d'un pôle métropolitain normand à trois têtes. « Pour l'heure, ces trois villes n'ont pas pris conscience d'un destin commun, un destin qui pour l'instant s'annonce funeste ». Il faut pour cela que
« la défiance mutuelle entre ces trois villes cesse et qu'on parvienne à imposer un leadership rouennais ».

Frédéric Sanchez s'accorde avec la nécessité d'imposer Rouen comme la locomotive de ce pôle normand. « Il faut travailler avec l'ensemble des territoires pour construire une meilleure cohérence des partenariats, les embarquer dans cette dynamique et leur faire comprendre que tout ce qui profite à Rouen, profite à la Normandie. Pour cela, il faut lutter contre le chacun pour soi ».

L'élu d'opposition Jean-François Bures pense lui aussi qu'il faut que « les élus chassent en meute et ne raisonnent plus en élus qui veulent simplement laisser leur trace » pour parvenir à imposer Rouen comme une métropole incontournable.

Rouen peut-elle encore tirer son épingle du jeu ?

©Julien Bouteiller/Normandie-actu

Partant du constat de la place pour l'heure moindre qu'occupe Rouen au sein de la compétition entre les grandes métropoles, faut-il s'inquiéter de sa capacité à parvenir à s'imposer comme une ville majeure ?

« Rouen n'a pas la force, à elle seule, de faire jeu égal avec les autres grandes métropoles. »
Arnaud Brennetot, géographe

Arnaud Brennetot se montre « assez pessimiste quant à la capacité des équipes actuelles à réussir à porter un projet métropolitain fort qui permettrait de rattraper notre retard ». Pour lui, Rouen n'a « indubitablement pas la force, à elle seule, de faire jeu égal avec les autres grandes métropoles françaises comme Lille, Rennes ou Nantes ».

Un déclin inéluctable attend-il donc la métropole ? « Pas du tout », balaie Frédéric Sanchez. « Je m'inscris complètement en faux sur le prétendu déclin ou déclassement de Rouen. C'est un territoire qui va de l'avant et qui ne subit pas un décrochage comme ont pu le connaître d'autres villes moyennes ». Encore faut-il pour cela s'en donner les moyens, estime l'élu PS.


« De même que l'échec, la réussite n'est pas une fatalité. Cela suppose d'avoir confiance en nous et de cesser de nous chercher des excuses ».
Frédéric Sanchez, président de la Métropole

Jean-François Bures est lui aussi optimiste quant à l'avenir de Rouen.

« Il n'est jamais trop tard pour rattraper le retard. Cela nécessitera une volonté forte et de nouvelles méthodes et pratiques ».

Un discours peu étonnant de la part d'un ancien candidat à la mairie de Rouen qui entend se faire élire aux prochaines élections législatives.

Seul l'avenir pourra dire si Rouen parviendra à s'imposer comme une métropole de premier plan. D'autant que la concurrence risque de rapidement s'accentuer.

En 2017, sept nouvelles métropoles pourraient voir le jour : les agglomérations de Dijon, Orléans, Saint-Étienne, Toulon, Clermont-Ferrand, Metz et Tours entendent elles aussi rejoindre ce club fermé... et très concurrentiel.

Julien Bouteiller pour Normandie-actu