« Saint-Étienne-du-Rouvray 
a gagné en fierté après
cet attentat »

Un an après, comment la ville a surmonté le traumatisme

C'est comme une cicatrice. On ne la voit plus vraiment après un certain temps mais la marque est bel et bien là. À Saint-Étienne-du-Rouvray, la vie n'a pas beaucoup changé depuis l'attentat du 26 juillet 2016.

Ce matin-là, deux terroristes ont fait irruption en pleine messe dans l'église du centre-ville, ont assassiné le Père Hamel, blessé grièvement un fidèle avant d'être abattus sur le parvis de l'édifice religieux.
Ce matin-là, cette ville de l'agglomération de Rouen a rejoint la liste tragiquement longue des communes touchées par un attentat terroriste. Parmi d'autres : Paris, Bruxelles, Magnanville ou encore Nice, une douzaine de jours auparavant.
Ce matin-là, cette ville jusqu'alors anonyme, cette banlieue de province a été sous la lumière des caméras de tous les médias locaux, nationaux et internationaux. 

Forcément, cela laisse des marques, une empreinte. Comment Saint-Étienne-du-Rouvray, cette ville que rien ne prédestinait à faire la Une du New York Times et des flashs infos de BFM TV a-t-elle évolué depuis le drame ? Quelles ont été les conséquences de cet attentat sur les habitants de la ville ? Comment les autorités ont-elles géré cette brusque exposition ? Comment le terrorisme islamiste a-t-il changé les rapports entre les communautés religieuses de la commune ? Un an après l'attentat, Normandie-actu fait le point.

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Saint-Étienne-du-Rouvray :
de ville anonyme à ville symbole

©LL/Normandie-actu/Archives

« C'est vous qui avez dit qu'on était un petit village de la campagne normande ? » La question cinglante fuse lorsqu'on interroge un passant dans le centre-ville de Saint-Étienne-du-Rouvray. Cet homme se rappelle bien qu'un an auparavant, dans la confusion d'une actualité brûlante, certains médias nationaux ont présenté ainsi sa commune. C'est pourtant oublier que Saint-Étienne-du-Rouvray se trouve au cœur de la Métropole Rouen Normandie, compte près de 30 000 habitants et a une identité marquée par l'industrie plus que par l'agriculture.

« Ce n'est qu'un détail », relativise Hubert Wulfranc, député PCF de Seine-Maritime et maire de Saint-Étienne-du-Rouvray jusqu'en juin 2017. « Mais je peux comprendre que certains habitants aient pu en prendre ombrage. Les journalistes sont arrivés et ont surtout vu le vieux Saint-Étienne-du-Rouvray, avec cet attentat qui venait d'être commis dans la petite église du centre-ville. La confusion est somme toute excusable. »  Il ajoute :

« Ça m'aurait fait sourire si on n'avait pas été dans un tel contexte. Ce n'est pas ça qui me préoccupait sur le moment mais après c'est un élément parmi d'autres qu'il faut décrypter et analyser. Tout est un fait et peut jouer un rôle à un moment donné. »

En effet, peut-on complètement comprendre l'attentat du 26 juillet 2016 sans en savoir davantage sur la ville où il a été perpétré ? Un des terroristes, Adel K., était originaire de la commune.

Cette dernière, quand on la connaît, revêt en effet plusieurs visages, entre un centre-ville composé d'anciens corps de ferme et des quartiers dits « sensibles » au Château Blanc ou bien encore son vaste Technopôle où vivent les étudiants en école d'ingénieurs de l'Insa ou de l'Esigelec notamment.

Saint-Étienne-du-Rouvray, une « ville bipolaire »

« Les adolescents de Saint-Étienne-du-Rouvray vivent leur ville tout à fait différemment. Celui qui habite du côté de l'église du centre et l'autre près de l'église Sainte-Thérèse du Madrillet vivent différemment », juge l'ancien maire.
« Saint-Étienne-du-Rouvray est une ville bipolaire qui dans toute son histoire s'est efforcée à trouver une certaine unité malgré des identités de quartiers très marquées. »

D'autant que la ville ne jouit pas forcément d'une bonne réputation dans les autres communes de la métropole rouennaise. Hubert Wulfranc rit jaune : « Vous savez quelle est la blague qui circule dans les villes de la rive droite ? Quand on dit qu'on va à Saint-Étienne-du-Rouvray, on vous demande si vous avez fait tous vos vaccins ! Pourtant, Saint-Étienne-du-Rouvray, c'est autre chose que la ville où l'on égorge un prêtre et où l'on viole des poules ! »

Du côté des habitants, pourtant, l'attentat semble avoir créé une unité nouvelle. « À ce moment-là, on n'était plus du vieux bourg, du Château Blanc ou du Bic Auber », se remémore Bastien, jeune homme croisé dans ce dernier quartier situé non loin du centre-ville. « On était tous Saint-Étienne-du-Rouvray, comme d'autres ont été Charlie ou Nice. »

D'autres Stéphanais ont eux aussi perçu que leur ville devenait un symbole. Une boulangère du centre-ville se rappelle :

« Voir le nom de sa ville, la rue où on passe tous les jours, tourner en boucle sur BFM ou iTélé, franchement ça fait tout drôle. »

La commerçante n'en revenait pas « de voir le nom de la ville à la Une de grands journaux internationaux. Je crois que c'est là que j'ai compris la portée de l'événement. »

« Ça aurait tout aussi bien pu se passer à Bourg-Achard ! »

D'autres habitants ont pourtant été moins sensibles au symbole. L'un d'eux, Michel (le prénom a été modifié), nous glisse discrètement : « Après tout, c'est plus l'institution de l'Église qui était visée. Ça s'est passé chez nous parce que l'un des terroristes avait un bracelet électronique, mais ça aurait tout aussi bien pu se passer à Bourg-Achard ! »

Hubert Wulfranc se rappelle du 28 juillet, deux jours après l'attentat. Ce soir-là, le maire a voulu organiser un grand rassemblement dans le parc Gagarine pour rendre un hommage républicain au père Hamel. « Il y avait beaucoup de monde, c'était très beau et très digne, mais forcément, il y avait des absents. Et là je me demande : pourquoi ne viennent-ils pas ? Qu'est-ce qu'il y a dans leur tête à ce moment-là ? »
Il se souvient avoir fait le trajet d'une dizaine de minutes à pied entre la mairie et le parc ce soir-là.

« Il était 16h, j'y vais tranquillement en marchant, j'en avais besoin. J'ai vu des maisons avec des jeunes couples, des enfants, et il y avait cette part d'insouciance. C'est comme ça, c'est la vie. Il y a des gens qui malgré l'accablement continuent leurs vies. »

Michel était certainement de ceux-là. Il précise tout de même : « J'ai été touché comme tout le monde mais plus par le fait de voir ma ville assiégée, remplie de policiers et de militaires, que par l'attentat lui-même. Évidemment, si j'avais été catholique, je l'aurais vécu différemment. »

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Les communautés religieuses, meurtries mais unies

©Julien Bouteiller/Normandie-actu/Archives

En effet, au sein de la communauté catholique, « les blessures sont toujours là », confie le père Auguste Moanda, curé de la paroisse Saint-Étienne.

« Encore aujourd'hui, lorsque j'évoque l'événement avec certains fidèles, ils ont les larmes aux yeux. »

L'homme d'église lui-même semble encore affecté. Jamais il ne parle d'attentat et ne l'évoque qu'en employant le terme d'« événement ».
La communauté stéphanaise a été selon lui doublement affectée : « Les fidèles aimaient profondément le père Hamel. Il était en bonne santé, on pensait l'avoir encore avec nous pendant plusieurs années et il nous a été brutalement arraché. Et le symbole de s'en prendre à un prêtre en plein office, dans son église, était d'autant plus traumatisant. » 

Une ferveur retrouvée

Au cours de l'année écoulée, le moment éprouvant de la réouverture de l'église en octobre 2016 a été un jalon important dans la reconstruction de la communauté catholique. « J'appréhendais un peu, et certains fidèles aussi », reconnaît le père Moanda. « Certains y sont allés. D'autres pas. Mais tous ont fini par y revenir. »
Le prêtre estime que « le lien avec ce lieu en est sorti renforcé. Depuis, la plupart des baptêmes, communions ou mariages sont célébrés là-bas. »

« C'est presque une revanche. Les fidèles se disent que, s'ils ne retournent pas dans l'église, alors les terroristes auront gagné. »

La ferveur de la pratique semble même avoir connu un regain au sein de cette paroisse d'environ 300 familles. « Le nombre de fidèles n'a pas explosé mais on a vu plus de monde aux messes. Nombreux sont ceux qui se sont dit qu'il était temps de reprendre le chemin de l'église », note le père Moanda. « On a aussi vu beaucoup de catholiques venus parfois de loin pour prier dans notre église. »

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Le prêtre stéphanais se satisfait donc de voir sa communauté « plus unie et renforcée malgré la blessure ». Une unité et une force que les catholiques entendent bien utiliser à bon escient, pour s'ouvrir aux autres et non se replier sur eux-mêmes.

VIDÉO. En 2009, le Père Hamel livrait un message d'amour et de fraternité

La crainte de tensions

Rapidement après le drame, Hubert Wulfranc a craint des tensions entre les différentes communautés de la ville, avec une échéance particulière à l'esprit, la rentrée scolaire de septembre 2016, à peine plus d'un mois après l'attentat. 

« La rentrée scolaire, franchement, on craignait des frictions. Devant la porte d'une école le matin quand il y a tous les gamins, leurs parents, que tout le monde est déjà angoissé, on aurait pu voir des débordements... »

Finalement, « tout s'est très très bien passé », se réjouit l'ancien maire qui souligne « le travail très digne et de grande qualité des communautés religieuses de la ville après ce drame. »

Il y a malgré tout eu des tensions. « Dans les semaines après l'attentat, il y a eu des petits incidents », relate Mohammed Karabila, président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) et en charge de la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray. « Des femmes voilées se sont fait insulter, on a reçu des courriers parfois menaçants à la mosquée... » 
Croisé non loin de la mosquée, Samir, jeune de 24 ans, se rappelle : « On me jetait des regards de travers dans le métro, surtout quand je portais mon sac de sport. J'ai entendu une femme dire à sa voisine dans le bus que je n'étais pas très rassurant avec ma barbe. Tout ça alors que je ne suis même pas musulman, encore moins intégriste ! »

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Les communautés religieuses, plus unies que jamais

Il a donc fallu apaiser les tensions et les craintes. Le père Moanda confirme qu'un vrai travail a été fait avec la communauté musulmane de Saint-Étienne-du-Rouvray, où la paroisse et la mosquée sont voisines. « Les liens se sont renforcés », assure-t-il prenant en exemple les festivités de la fin du ramadan. « Nous avons passé ce moment ensemble, avec nos frères musulmans qui sont eux-mêmes venus participer à des festivités de notre communauté ». 

Mohammed Karabila opine. « Cela fait 20 ans que nous tissons des liens de fraternité avec les catholiques à Saint-Étienne-du-Rouvray. Après l'attentat, nous avons eu peur de perdre cette amitié. Finalement, on a passé l'année ensemble avec nos frères catholiques. »

« Nous avons fait beaucoup de choses ensemble comme la grande marche passée par la mosquée, la synagogue, le temple protestant puis jusqu'à la Halle aux toiles à Rouen, en tant que lieu républicain. »

Mohammed Karabila a aussi noté un changement dans la pratique au sein de la mosquée. « Désormais, on aborde des questions plus profondes. On développe notre discours sur ce qui nous est commun et sur l'amour de la patrie. »

Il faut également répondre aux questions de ceux qui s'interrogent sur les actes de « ces terroristes, prétendument musulmans qui prennent notre religion en otage ». « On a demandé aux imams de ne plus être passifs, de répondre aux questions des jeunes. Pourquoi cette jeunesse éduquée, heureuse est capable d'aller au suicide ? Comment répondre au problème de la radicalisation ? », énumère le président du CRCM. Pour lui, il faut « responsabiliser les familles, accompagner les jeunes à la mosquée, seul rempart contre la radicalisation. Il faut une vraie prise de conscience. »

VIDÉO. Les musulmans marchent contre le terrorisme, jusqu'à Saint-Étienne-du-Rouvray

Cette prise de conscience commune semble donc bel et bien là. Ensemble, communautés catholique et musulmane entendent, à leur manière, dire aux terroristes qu'ils n'ont pas gagné. « Nous allons continuer à travailler ensemble », assure le père Moanda qui veut, avec les musulmans, « continuer à faire des choses que ce soit au niveau festif et récréatif mais aussi du côté de la réflexion et du partage sur les grandes questions de société et la protection des plus fragiles. »

Une façon de poursuivre le travail du père Hamel, et de surmonter le traumatisme qui a touché les communautés religieuses, mais aussi, plus largement la population de Saint-Étienne-du-Rouvray.

Les habitants de
Saint-Étienne-du-Rouvray
face au traumatisme

©Élodie Armand/Normandie-actu/Archives

Quand on interroge les Stéphanais dans les rues de la ville, on ne peut que remarquer l'empreinte de l'attentat qui est encore présente dans les esprits. Beaucoup ont tout simplement refusé de nous répondre. « Je ne veux pas en parler, c'est encore douloureux », glisse un septuagénaire. « Je n'aime pas trop en parler devant ma fille », nous dit une mère de famille en jetant un œil inquiet à sa fillette âgée de neuf ans. « Je n'ai rien à dire là-dessus. Ces histoires de fous ça me dépasse », tranche un autre habitant. 

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« Parfois, j'ai peur que ça recommence »

D'autres acceptent cependant de nous répondre. Difficilement. Comme s'ils voulaient ne pas revivre ce jour traumatisant. Aucun n'accepte d'être pris en photo, comme si une forme de pudeur les contraignait à ne pas montrer trop publiquement leur douleur.

« Je n'ai quasiment pas dormi pendant une semaine après l'attentat », souffle Anne (le prénom a été modifié) qui habite non loin de l'église. « J'ai vu un peu ce qui se passait depuis ma fenêtre ce jour-là, mais j'ai surtout regardé à la télévision. Pendant plusieurs jours, les images tournaient en boucle dans ma tête. J'avais du mal à me concentrer au travail. »

Un an après, Anne se sent un peu mieux, « après une brève cure d'anxiolytiques ». Mais elle ressent encore de temps en temps « un nœud à l'estomac ».

« Parfois, j'ai peur que ça recommence, ici ou pas très loin de chez nous. On se dit que la foudre ne frappe pas deux fois au même endroit mais on ne sait jamais. »

Nathalie, mère de deux garçons âgés d'une dizaine d'années, était en vacances avec sa famille le jour de l'attentat. Elle a tout suivi devant son écran de télévision.
« On était au camping, il faisait un temps magnifique et je ne suis pas sortie du mobil-home. Je zappais entre deux chaînes d'infos pour avoir les derniers éléments. Mes garçons étaient à la piscine mais quand ils sont revenus, ils ont vu que je n'étais pas bien », relate-t-elle. « Il a fallu que je leur explique ce qu'il s'était passé, ce n'était pas évident. Mais ils ont compris. Je crois que ça leur a fait bizarre de repasser devant l'église la première fois. On a marqué un temps d'arrêt, juste le temps d'avoir une pensée pour les gens qui étaient à l'intérieur le jour de l'attentat. »

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Près de la moitié du personnel municipal en suivi psychologique

Hubert Wulfranc a pour sa part dû gérer le choc au sein des services de la mairie.
« C'était l'été mais je devais continuer à faire tourner la boutique. Imaginez, une municipalité qui compte 700 agents, c'est beaucoup. »

« À ce moment-là, j'ai entre 40 et 50 % des agents qui sont en suivi psychologique. Je leur ai dit de prendre soin d'eux en priorité, mais il fallait continuer à assurer le service public. »

Une cellule d'urgence a aussitôt mise en place après l'attentat, supervisée par le Dr Gaël Fouldrin, psychiatre et chef de pôle au Centre hospitalier du Rouvray. 

« Il fallait d'abord prendre en charge les personnes qui étaient présentes dans l'église au moment de l'attaque. C'était ça l'urgence », se remémore-t-il. « Il y avait donc assez peu de monde à voir (cinq personnes étaient dans l'église au moment de l'attentat, ndlr) et c'était suffisant. On a arrêté cette cellule d'urgence au bout d'une journée. »

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Un événement générateur d'angoisse pour les plus fragiles

Mais très vite, « la mairie de Saint-Étienne-du-Rouvray a été confrontée à un afflux de personnes très atteintes psychologiquement, qui pleuraient et avaient besoin d'aide. On a donc ouvert des postes de crise dans la mairie. »

« Pendant trois jours, une quarantaine de personnes ont été reçues par des psychiatres, sans compter celles reçues par les psychologues et les personnels
de la sécurité civile. »

Ces personnes étaient, d'après le Dr Fouldrin, essentiellement « des gens qui connaissaient le père Hamel ou bien les employés communaux qui travaillent dans les bâtiments près de l'église. Cela générait beaucoup d'angoisse chez eux. »
Les services d'urgence n'ont quant à eux pas subi un afflux important de personnes marquées par les événements dramatiques du 26 juillet. « Quelques personnes sont venues, décrivaient cet événement comme un facteur d'angoisse précipitant. Mais il s'agissait de patients déjà fragilisés, chez qui l'attentat a développé des angoisses supplémentaires », décrit le psychiatre qui ajoute que
« maintenant, on ne reçoit plus personne qui parle de l'attentat dans nos
services ».

Il précise qu'un protocole expérimental a été mis en place par un chercheur québécois pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique. « Rouen a été choisie à cause d'une succession d'événements : les attaques du 13 novembre à Paris, où des gens de la région ont péri, l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray et l'incendie du Cuba Libre, quelques semaines après. Jusqu'à présent, ce traitement expérimental donne une grande satisfaction. »

Malgré tout, pour beaucoup, les Stéphanais en première ligne, la blessure est toujours là. « Pourquoi s'en sont-ils pris à un vieil homme incapable de se défendre ? », peste Stéphane, qui habite dans le quartier du Madrillet. « Est-ce que ça va recommencer ? », craint Aline (le prénom a été modifié) qui reconnaît être
« plus vigilante, voire méfiante » quand elle sort. 

Certains Stéphanais interrogés veulent simplement « tourner la page », « passer à autre chose », que leur ville « redevienne comme avant ». Un travail de deuil collectif est engagé depuis le 26 juillet 2016. Un an après, il n'est toujours pas achevé.

Un an après l'attentat, 
l'hommage et les souvenirs

©Raphaël Tual/Normandie-actu/Archives


Ce travail de deuil pourrait trouver une forme d'aboutissement dans un moment symbolique : les cérémonies d'hommage prévues pour le premier anniversaire du tragique événement.
Mercredi 26 juillet 2017, une messe sera dite en l'église Saint-Étienne dès 9h, suivie de l'inauguration de la « stèle républicaine pour la paix et la fraternité » érigée par la municipalité. L'hommage s'achèvera en la basilique de Notre-Dame-de-Bonsecours, où repose le père Jacques Hamel. Tout cela, en présence, notamment, du président de la République Emmanuel Macron et du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.

« Ce moment, cette date, pourraient provoquer une résurgence de souvenirs traumatiques pour les personnes présentes ce jour-là. Mais cela peut aussi aider à poursuivre le processus de deuil », estime le Dr Fouldrin. « La cérémonie organisée juste après l'attentat avait été très utile, notamment pour donner une cohérence à ces événements. »

Faire définitivement le deuil

Hubert Wulfranc, à l'initiative de ce premier moment de recueillement, partage ce point de vue. « Ça me semblait nécessaire. On se souvenait qu'après le 13 novembre, il n'y avait pas eu ce même sursaut républicain qu'après l'attaque de Charlie Hebdo. Pour moi, il fallait à tout prix ouvrir une séquence de mémoire très vite après l'attentat. 

« Ce premier acte était décisif pour aller de l'avant et rebondir sur le socle des valeurs et non sur celui de la colère et de la résignation. »

Un an après, il fallait donc poursuivre ce travail de deuil. Notamment pour les fidèles de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray. « Beaucoup de paroissiens seront en vacances à ce moment-là et regrettent de ne pas pouvoir être présents », explique le père Auguste Moanda. « Ceux qui restent attendent ce moment sereinement et espèrent que ce sera l'occasion de faire définitivement le deuil. »

Du côté de la communauté musulmane, « on pense évidemment à la famille du père Hamel », indique Mohammed Karabila, assurant que « les musulmans seront auprès des catholiques lors de ce moment de recueillement, notamment pour déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du prêtre. » Le responsable du CRCM espère également que « cela va aider les Stéphanais ».

« Regardez, on s'est relevés »

Ces derniers attendent en effet ce premier anniversaire. L'appréhendent même.
« On s'attend à revoir plein de journalistes, ça va faire bizarre, comme si on revenait un an en arrière », redoute Michel, cité plus haut dans notre article.
Anne, après avoir vécu une période d'angoisse après l'attentat, attend cet anniversaire plutôt sereinement. « C'est l'occasion de se souvenir, mais dans le bon sens du terme ». Nathalie, la mère de famille, résume cet état d'esprit : 

« Je crois que ça va nous aider à passer à autre chose. Pas d'oublier, sûrement pas. Mais au moins pour dire à ceux qui nous ont attaqués, à tous ceux qui ont vu ce qu'il s'est passé il y a un an : regardez, on s'est relevés. »

Une façon de dire en somme, que Saint-Étienne-du-Rouvray est une ville martyre, mais pas une ville meurtrie. Hubert Wulfranc en est sûr, et c'est avec émotion mais aussi un sourire discret sous sa moustache qu'il affirme : 

« Saint-Étienne-du-Rouvray a gagné en fierté après cet attentat. La ville en ressort plus forte qu'avant. »


Julien Bouteiller pour Normandie-actu