Falaises qui reculent, éboulements et glissements de terrain...  

640 km de côtes en Normandie : comment faire face au phénomène de l'érosion ?

La Normandie et ses 640 kilomètres de côtes doivent faire face au phénomène de l'érosion, qui ne cesse de s'accélérer depuis plusieurs années. Il devient urgent de trouver des solutions...

En Normandie, pour lutter contre l'érosion, « il faut déplacer les biens et les personnes »

Stéphane Costa, professeur de géomorphologie à l'Université de Caen (Calvados), étudie les phénomènes d'érosion en Normandie, notamment à Dieppe (Seine-Maritime). (©Archives/Les Informations Dieppoises)

Stéphane Costa, professeur de géomorphologie à l'Université de Caen (Calvados) et co-président du Conseil scientifique de la stratégie nationale du trait de côte, étudie les phénomènes d'érosion sur les 640 kilomètres de côtes de Normandie, et plus particulièrement à Dieppe (Seine-Maritime). Selon ce spécialiste, il est impossible de lutter contre ce phénomène naturel, accéléré par certaines activités et constructions de l'homme.

La seule solution, aux yeux du scientifique, est de déplacer les biens et les personnes qui pourraient être soumis aux aléas de l'érosion. Et en Normandie, ils sont nombreux. Rencontre.

Normandie-actu. Quelle est la définition de l'érosion ?
Stéphane Costa, professeur de géomorphologie à l'Université de Caen. L'érosion est une ablation ou une perte de terrain. Sur le littoral, cela se traduit par le recul des dunes et des falaises. C'est un phénomène naturel mais qui semble s'accentuer. Pour faire simple, les plages et les dunes sont fonction d'un budget sédimentaire, équilibré entre des sorties et des entrées de sédiments. S'il y a plus d'entrées que de sorties, il n'y a pas de problème. Mais si les sorties sont plus nombreuses, il y a érosion. Et il faut savoir que ce sont les sédiments qui sont les meilleurs remparts contre la houle.

N.A. La Normandie est-elle plus touchée que les autres régions par le phénomène d'érosion ?
S.C. Non, c'est un phénomène planétaire naturel qui affecte tous les littoraux. Il y a 18 000 ans, le trait de côte était bien au dessus de l'actuel. On pouvait aller jusqu'en Angleterre à pied ! Et puis, il y a eu un changement climatique, une élévation des températures et le niveau de la mer est monté très rapidement. Ce qui a eu pour conséquence de ramener sur nos côtes un grand volume de sédiments il y a 5 ou 6 000 ans. Malmené par les marées, les tempêtes,... c'est ce stock qui est aujourd'hui en proie à l'érosion.

Les falaises de Seine-Maritime sont les plus touchées

N.A. Quels sont les sites les plus touchés en Normandie ?

S.C. Les falaises de craie en Seine-Maritime, sur les secteurs de Dieppe, de Criel-sur-Mer ou encore Varangeville-sur-Mer, sont très très fragiles. À Dieppe, les falaises reculent de 10 à 20 centimètres par an et nous avons fait face à un énorme glissement en 2012. À Criel ou Varangeville, c'est encore pire, elles reculent de 30, 40, voir 50 centimètres par an ! 

À Criel comme à Dieppe, des habitants ont été expropriés de leurs maisons, installées trop près du bord des falaises. Des routes vont être déplacées... Il n'y a plus le choix.

N.A. Quelles sont les causes du recul de ces falaises ?
S.C. Plusieurs facteurs sont la cause des éboulements : de fortes précipitations, le ruissellement, le gel/dégel, l'action de la mer, des ouvrages humains... Nous étudions de près ces falaises pour essayer de prévenir les éboulements afin d'éviter tout accident. En 2015, un homme est malheureusement décédé dans l'éboulement d'une falaise à Varangeville-sur-Mer.
Les dunes sont moins soumises à l'érosion que les falaises mais certaines sont réellement en danger comme à Porbail et Barneville-Carteret, dans la Manche.


N.A. L'urbanisation côtière est-elle la cause de l'accélération de l'érosion ?

S.C. On ne peut pas savoir exactement à quoi est liée l'accentuation du phénomène de l'érosion. Mais ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a une centaine d'années, il n'y avait que quelques cabanes de pêcheurs au bord des rivages. Mais depuis la moitié du XXe siècle, l'urbanisation s'est imprudemment implantée près des côtes. Les hommes se sont appropriés les littoraux et cette frange côtière a pris une valeur économique qu'elle n'avait pas auparavant. L'homme s'est alors senti obligé de protéger ses biens installés sur le littoral. Et cette protection, qui peut se traduire par des digues, des épis ou des enrochements, peut exacerber les phénomènes d'érosion.

N.A. Pourquoi ces protections en béton exacerbent le phénomène d'érosion ?
S.C. Prenons l'exemple des digues, que l'on appelle des ouvrages longitudinaux ou « péré », elles protègent l'ouvrage pendant un temps mais elle finissent par poser problème. Car les vagues qui déferlent sur ces digues créent des réflexions. Et à cause de cette réflexion, la plage finit par s'abaisser. La houle déferle alors de plus en plus près des ouvrages et finit par les franchir. Et comme dans le même temps, la côte continue de reculer de part et d'autre, via le phénomène naturel de l'érosion, l'ouvrage se retrouve alors un peu seul, en position saillante.

N.A. Les épis ne sont-ils pas de meilleures solutions ?
S.C. Ces ouvrages que l'on dit transversaux permettent de capter un maximum de sédiments afin de protéger une zone urbanisée. Cela fonctionne bien mais ne participe pas à l'équilibre sédimentaire avant et après ces ouvrages. Car derrière les épis et juste avant, les phénomènes d'érosion sont exacerbés. On renvoie alors le problème d'érosion chez le voisin.

N.A. Quelle est alors la solution ?
S.C. Avec les phénomènes d'érosion et l'élévation du niveau de la mer estimé à près d'un mètre d'ici à 2 100, il n'y a pas d'autre solution que de déplacer les biens et les personnes qui sont installés sur des zones à risques. Les problèmes sont à venir, nous n'avons plus le choix. Nous devons y réfléchir tous ensemble : scientifiques, collectivités locales, acteurs économiques, habitants... C'est le sens de l'appel à projets de la Région Normandie « Notre littoral de demain ». L'idée est de montrer que l'on peut faire de cette contrainte une émergence d'opportunité et de redynamisation d'un territoire.

En 1982, le glissement de terrain de Villerville a marqué les esprits

À Villerville, un glissement de terrain sans précédent a détruit une trentaine de maisons. (©DR)

En janvier 1982, le village de Villerville, situé près de Deauville dans le Calvados, a connu un glissement de terrain sans précédent. Ce phénomène a détruit partiellement ou totalement une trentaine de maisons et a endommagé la route en deux endroits, soit un affaissement d'environ deux mètres.

« Le glissement de terrain le plus important a eu lieu en janvier 1982. Il a été suivi par trois autres, en février 1988, en mars 1995, puis, en janvier 2001 », précise Olivier Maquaire, le directeur du laboratoire Littoral, Environnement, Géomatique, Télédétection (LETG) à Caen, qui étudie de près ce phénomène.

Depuis de nombreuses années, une portion d’environ 300 mètres du littoral de la commune de Villerville est confrontée à des risques de glissements de terrain, qui constituent une menace importante sur ses activités économiques locales.

Un camping autour duquel s'organisait toute la vie l'été a été déplacé quelques kilomètres plus loin. Même si ces glissements de terrain n'ont pas fait de mort, le bourg a été lourdement touché économiquement.

Dès 1984, un réseau de surveillance du versant de Villerville est mis en place, avec 70 repères géophysiques, géotechniques et géomorphologiques. En 2008, 24 nouveaux repères ont été installés.

Selon les premiers résultats de ce réseau de surveillance, le glissement de terrain de 1982 s'expliquerait notamment par d'abondantes pluies hivernales qui avaient eu pour conséquence d'augmenter le niveau de la nappe phréatique d'1,50 mètre.

Le réseau de surveillance a démontré que les déplacements du versant augmentent significativement quand le niveau de la nappe phréatique atteint une profondeur de 8,50 et 8 mètres. À l'inverse, le versant se stabilise quand la nappe est en dessous de 8 mètres de profondeur. « Le but de nos recherches est de mettre en place un système d'alerte », précise le chercheur.

Mettre en place un mur clouté

Le cas du village de Villerville est particulier parce qu'en plus d'être soumis à l'érosion naturelle de ses falaises, à la montée du niveau de la mer, les nappes d'eau que contient la falaise provoque son effritement mais aussi des glissements de terrain. « Le bourg a pour particularité de se situer dans l'axe d’un vallon, entre deux cirques instables, poursuit Olivier Maquaire. Le versant n'est pas stabilisé, puisque nous observons un déplacement de 5 à 10 centimètres par an. »

La situation devient compliquée et pèse sur les activités économiques de la ville, sur ses habitations et sur ses routes. La mairie a d'ailleurs pris des arrêtés de mise en péril interdisant à des personnes d'habiter dans leur propre maison ! Et la préfecture du Calvados a mis en place un nouveau Plan de prévention des risques (PPR) naturels de mouvements de terrain pour Trouville-sur-Mer, Villerville et Cricquebœuf en août 2016. Ce dernier n'avait pas été mis à jour depuis 1990, il prend donc en compte les derniers glissements de terrain et élargit la zone à risques.

La mairie de Villerville a engagé, en 2014, des études techniques pour évaluer le coût des travaux à mettre en œuvre pour conforter cette falaise. La Ville souhaite lancer un projet de sécurisation de la falaise en mettant en place une paroi cloutée « qui permettra de préserver le centre-ville de Villerville des risques de glissements de terrain », peut-on lire sur le site internet de la mairie.

Le coût global du projet s'élève à près de 7 millions d'euros. La Région s’engage à accompagner le projet de sécurisation de la falaise de Villerville pour un montant de 1,5 million d’euros, en complément du financement apporté par l’État au titre du fonds Barnier. Le Département devrait aussi participer à hauteur d'un million d'euros.

Ce mur clouté, c'est une solution « innovante » que les scientifiques caennais observent avec attention. Mais pour Stéphane Costa, professeur de géomorphologie à l'Université de Caen (Calvados) et co-président du conseil scientifique de la stratégie nationale du trait de côte, ces types d'ouvrages sont un moyen de répondre au problème de l'érosion à moyen terme. « Nous n'avons plus le choix : les biens et les personnes doivent être déplacés », conclut le scientifique.

Les falaises des Vaches noires, l'exemple scientifique

Les falaises des Vaches noires, situées entre Honfleur et Villers-sur-Mer, font l'objet d'un programme scientifique baptisé Ricochet. (©O.Maquaire)

Niveau de la mer qui monte, falaises qui reculent, vallée inondable... Dans le Calvados, les falaises des Vaches noires, situées entre Houlgate et Villers-sur-Mer sur une zone de 4,5 kilomètres, représentent tous les risques possibles. C'est pour cela que le projet scientifique « Ricochet » a été mis en place. Il concerne les 300 mètres de côtes à « reculs rapides, localisés dans une région soumise parallèlement aux inondations continentales », précise le document de présentation du projet.

« Il y a une conjonction des risques : éboulement, submersion, coulée de boue et inondation », souligne Olivier Maquaire, le directeur du laboratoire Littoral, Environnement, Géomatique, Télédétection (LETG) à Caen, en charge de cette étude.

On observe un mécanisme continental et un mécanisme marin sur ces falaises des Roches noires faites de calcaire, d'argile brune et de marne gris. Si la mer n'était pas aux pieds, on aurait un versant comme dans le pays d'Auge. Cela ferait une suite de collines qui se stabiliseraient. Mais la mer, les grandes marées ainsi que les ouvrages humains, viennent déstabiliser ce mécanisme continental.

Le fait que ces falaises soient accessibles pour transporter le matériel « assez lourd » pour les observations a aussi décidé les scientifiques à choisir ce terrain. « Notre but est de reconstituer l'évolution à court et long terme de ces falaises et de réaliser des projections pour aider les élus locaux sur la thématique du changement côtier », explique le spécialiste.

Jusqu'en 2020, les scientifiques vont « écouter » la falaise à l'aide de micros mais aussi observer ses réactions en injectant du courant électrique avec des petites électrodes. « Le champ électrique se comporte différemment s'il rencontre de la roche, de l'eau... », précise Olivier Maquaire.

Le réchauffement climatique favorise l'érosion

Ces falaises normandes reculent d'environ 20 centimètres par an « mais avec l'élévation du niveau de la mer, on ne sait pas comment cela va évoluer », ajoute le scientifique. 

Le réchauffement climatique, qui va transformer considérablement le climat normand, ne rassure pas non plus Olivier Maquaire. « On devrait avoir moins d'eau dans les années à venir, c'est-à-dire moins de crachin normand mais on aura aussi plus de grosses averses sous orages. Sur des processus comme celui des falaises des Vaches noires, cela va forcément favoriser l'érosion... »

Les premières maisons et routes se trouvent à 50 mètres du bord de la falaise. Les digues, les épis, les murs... pour retenir le sable et arrêter la mer ne suffiront plus. 

Le tout ouvrage, c'est fini. Il faut envisager des réponses à plus long terme. 

Identifier des territoires, des activités et des biens qu'il faudra déplacer, c'est ce à quoi les décideurs du littoral normand vont être confrontés dans les années à venir. « Mais cela ne se fera pas en cinq minutes. Il va falloir réunir les élus, l'État et les gens qui y vivent... Car si on a autorisé les personnes à s'installer aussi près de la côte, il faut les aider à se réinstaller, à se déplacer ailleurs... » 

Et le nerf de la guerre restera toujours le même, qui payera ?

L'ouest de la Manche mobilisé sur la thématique de l'érosion

L'ouest de la Manche, dont Granville, est mobilisé sur les questions d'érosion. (Photo © Wikimedia Commons)

Face à l'érosion et à la vulnérabilité accrue de leur territoire, les élus de la Côte des Havres, dans la Manche, ont décidé de s’unir pour réfléchir à une stratégie d’aménagement de leur littoral sur le moyen et long terme. 

Le syndicat mixte du pays de Coutances, la Communauté d'agglomération du Cotentin et la Communauté de communes de Granville Terre et Mer, soit 39 communes, font partie de la même cellule hydrosédimentaire.

Sur les conseils des scientifiques, ils ont répondu ensemble à l'appel à projets, baptisé « Le littoral de demain », proposé par le Conseil régional en 2014. Cet appel à projet vise à « mobiliser et soutenir les élus du littoral pour qu’ils s’engagent vers une gestion durable et intégrée de la bande côtière ».

« Depuis juillet 2016, un bureau d'études et un cabinet d'avocats spécialistes en droit du littoral travaillent pour établir un diagnostic de territoire », précise Solène Person, chargée du projet « Le littoral de demain » à Coutances. Il s'agira ensuite de construire une stratégie et un plan d'action pour imaginer le littoral manchois de demain.

Beaucoup d'infrastructures sont sous le niveau de la mer, notamment des campings, des stations balnéaires... L'idée est de coordonner tous les acteurs car un maire qui construit une digue en béton, cela va avoir des conséquences pour la commune d'à côté.

Un diagnostic pour la fin 2017

Le diagnostic du territoire devrait être terminé à la fin de l'année 2017. Un comité de pilotage a été mis en place dès juillet 2016 avec des scientifiques, des acteurs économiques, des associations et des élus. « Les acteurs de la mer, les maraîchers et les éleveurs de moutons y sont aussi associés », souligne Solène Person.

Le but est d'anticiper les conséquences du changement climatique et de mettre en place une gestion durable de la bande côtière à 20, 50 et 100 ans.

À Lion-sur-Mer, combien de temps les campings pourront-ils rester à flanc de falaise ?

À Lion-sur-Mer, deux campings sont situés au bord des falaises. (©ML/Normandie-actu)

Sous un beau ciel bleu, les résidents des mobil-homes de Lion-sur-Mer (Calvados), posés à flanc de falaise, en face de la mer, semblent vivre la belle vie. 

Propriétaire d'un terrain à la Résidence de la Baie, un des deux campings situés sur la falaise, Christian, 66 ans, un habitant de Lisieux, a installé un mobil-home à Lion-sur-Mer depuis plus de 40 ans. L'occasion de profiter de la mer et de la pêche pendant les week-ends et les vacances, avec sa compagne et ses amis.

On est bien là. On n'a jamais eu de problèmes en 40 ans. On ne vous cache pas qu'il y a parfois quelques cailloux qui tombent de la falaise mais de là à ce que cela nous atteigne, il y a le temps...

Pourtant, à l'entrée du camping, un panneau rouge peu rassurant indique aux résidents les précautions à prendre en cas de mouvement de terrain : « Au déclenchement de la sirène, évacuer les mobil-homes, s'écarter au plus vite de la zone dangereuse, suivre le fléchage du plan d'évacuation... » Et de nombreux panneaux « Risques d'éboulements », « Falaise dangereuse » sont installés un peu partout autour du camping.

« La préfecture vient contrôler la falaise deux fois par an, s'il y avait un souci, on le saurait », assure Christian.

Au Village des pêcheurs, un autre terrain de mobil-homes, situé sur la falaise de Lion-sur-Mer, même son de cloche. « Nous ne sommes pas inquiets, souligne une résidente installée depuis 17 ans. De toute façon, d'ici à ce qu'il n'y ait plus de falaises, on ne sera plus là ! »

Des campings sur la sellette ?

Les terrains de camping doivent se situer à plus de huit mètres de la falaise, la préfecture les fait donc reculer tous les ans, précise Patrick Dupuy, adjoint au maire à l'urbanisme à Lion-sur-Mer. Il aurait été interdit de créer de tels campings aujourd'hui.

La falaise calcaire de Lion-sur-Mer a reculé de 50 mètres depuis 1945. Elle recule beaucoup moins vite que les falaises de craie de Seine-Maritime, qui perdent près de 50 centimètres tous les ans. « Mais à terme, il y aura un problème, il faudra partir, continue l'adjoint au maire. Pour le moment, nous avons mis en place de l'enrochement pour protéger les campings. »

La mairie déconseille vivement de se promener le long des falaises, « surtout lors des grandes marées ». En 2015, un homme de 43 ans est décédé dans une « grotte » des falaises, piégé par la marée. « Les gens ne sont pas toujours au courant des risques, il faut faire très attention », conclut, non sans inquiétude, l'adjoint au maire.

MANON LOUBET 
Normandie-actu