Violence et mensonges sur les réseaux sociaux : attention, danger en Normandie !

Harcèlement, revenge porn, rumeurs... quand la violence s'invite sur nos réseaux sociaux.

Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat... Tous ces réseaux sociaux sont devenus incontournables. Tout le monde y a un compte, se regroupe, se like, se retweete, se montre, observe... en privé comme en public. 

Mais parfois, une publication, une photo ou une vidéo suffit à tout faire déraper. La rumeur se répand comme une traînée de poudre, le harcèlement devient ciblé et particulièrement agressif et dans de rare cas, la violence virtuelle devient on ne peut plus réelle. 

En Normandie comme ailleurs, les réseaux sociaux sont autant devenus un espace d'entraide que de haine et de violence. Quels sont les mécanismes qui engendrent ces dangers ? Quelles en sont les conséquences ? Et comment peut-on y faire face ?

Rumeurs et fake news
 « C'est l'info négative et choquante qui se partage le plus »

©Adobe Stock/Illustration

Les usagers des réseaux sociaux forment des communautés que ce soit par ville, par centre d'intérêt, par profession, par tranches d'âge. Dans ces groupes ou sur ces pages, c'est le plus souvent l'entraide qui règne. Mais parfois, cet esprit solidaire dérape et le groupe peut vite se transformer en meute. 

Ainsi, le 29 mai 2018, un homme handicapé a été violemment agressé dans la rue au Grand-Quevilly. En cause, une rumeur, largement relayée sur des pages Facebook de communautés localisées dans l'agglo de Rouen, l'accusant de diverses agressions et exhibitions sexuelles. Sa photo, barrée de la mention « violeur », a été diffusée. 

Pourtant, aucune plainte ni même d'appel à la police accréditant ces rumeurs n'ont été enregistrés par les forces de l'ordre. 

Une plainte a été déposée par la famille de l’homme, sous tutelle, pour retrouver le ou les auteurs de cette rumeur infamante aux graves conséquences. 

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De façon plus récurrente, plus particulièrement après l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray en juillet 2016, des rumeurs de possibles attaques terroristes ont émergé, toujours sur les mêmes pages Facebook communautaires, entraînant parfois l'intervention des forces de l'ordre et faisant naître la psychose. Là encore, ces bruits ont couru sans qu'aucun élément solide ne viennent les accréditer.
Une enquête a notamment été ouverte pour retrouver l’auteur d’un faux article très largement relayé évoquant un attentat meurtrier au centre commercial des Docks 76 à Rouen

L'enfant qui crie au loup

Mais comment de telles rumeurs sans fondement peuvent-elles se répandre si vite et si largement ? Pour Sébastian Dieguez, chercheur en neurosciences auteur de
« Total bullshit ! Au cœur de la post-vérité », la rumeur « s'est toujours répandue comme un virus. Mais avec les réseaux sociaux, c'est devenu beaucoup plus instantané, c'est presque automatisé et l'échelle de diffusion est beaucoup plus importante ». 

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Le chercheur ajoute que « la base technologique qui permet la diffusion des fausses informations fonctionne car elle produit une illusion de savoir. Internet nous fait croire qu’on peut tout savoir et faire savoir nous-mêmes ». C’est pourquoi ce sont toujours les prétendues informations négatives qui trouvent l’écho le plus grand comme le souligne Sébastien Dieguez : « Il y a un plaisir à se faire mousser en prévenant les autres d’un danger tout en faisant un buzz. On a le sentiment de faire de la prévention en relayant une info même si elle n’est pas vérifiée. » 

C’est pour cela que c’est l’info négative et choquante qui se partage le plus. C’est l’histoire de l’enfant qui crie au loup. 

Sébastien Dieguez note également que là où « autrefois les rumeurs propagées portaient sur des infos précises, aujourd’hui nous sommes sur des prétendues informations plus vagues, parfois partiellement vraies ». 

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La rumeur pour déstabiliser un système

La rumeur peut aussi avoir une vocation plus politique, un objectif très prégnant dans ce qu’on appelle les fake news. Récemment, les faux articles ou montages photos accusant la loi Schiappa sur les violences sexuelles de légaliser la pédophilie ou sur les cours d’éducation sexuelle où l’on enseignerait la masturbation à de jeunes enfants ont très largement essaimé sur les réseaux sociaux. De prétendues informations démenties aussi bien par les autorités gouvernementales que par les journalistes ou spécialistes de ces questions. Mais trop tard, le mal est fait… 

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« Les théories du complot ont vocation à semer le doute généralisé pour déstabiliser un système (gouvernement, presse, scientifiques…) en remettant en cause leur légitimité », explique Sébastien Dieguez. 

Pas besoin d’être précis pour faire croire ce genre de choses, il suffit de créer le doute pour rompre la confiance, qui est un des fondements de la démocratie. 

Mais, là où un gouvernement, un média ou tout autre système organisé a les moyens de se défendre face à la rumeur et au harcèlement, il n’en est pas de même pour les personnes, souvent jeunes, qui peuvent être ciblées par des attaques violentes sur les réseaux sociaux.

Du harcèlement ciblé et violent

©Adobe Stock/Illustration

Harcèlement, revenge porn, chantage, diffamation… Autant de moyens d'atteindre une personne de façon ciblée au travers des réseaux sociaux. « Ces faits concernent malheureusement très souvent des mineurs », constate le procureur de la République de Rouen, Pascal Prache

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En effet, plusieurs affaires récentes le prouvent, les jeunes sont souvent la première cible des attaques sur les réseaux sociaux. Au printemps 2018, des comptes Snapchat diffusant des « nudes » (photos ou vidéos dénudées voire pornographiques) de jeunes de Rouen, Évreux ou Le Havre, sans leur accord, ont entraîné l’ouverture d’une enquête pour atteinte à l’intimité de la vie privée

Alice (le prénom a été modifié), victime d’un de ces comptes, avait accepté de témoigner pour 76actu en mai 2018

Harcelée, elle tente de mettre fin à ses jours

« À l’époque, j’avais un copain. Il m’a fait du chantage. Soit je prenais une photo de moi dénudée, soit il lançait des rumeurs à mon sujet », relate l’adolescente. « Je me suis sentie obligée, alors j’ai fait la photo. » Mais les rumeurs ont tout de même circulé dans le lycée de la jeune fille. 

Pire, quelques temps après, la photo d’Alice est apparue sur un compte Snapchat très suivi, qui a diffusé plusieurs dizaines de « nudes » d’adolescentes. « Il avait mis mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone », se souvient Alice. L’adolescente a alors été la cible d’un harcèlement ciblé et particulièrement cruel. Elle évoque notamment les appels et SMS : 

On m’écrivait « t’es une pute », « suicide-toi », « va rejoindre ton père ». Cela venait de gens qui me connaissaient pour savoir que mon père était décédé. 

Malgré la douleur et le sentiment de culpabilité, Alice a eu un réflexe salvateur, celui d’avertir immédiatement sa mère Marie (le prénom a également été modifié). « Heureusement que ma mère a été là, car personne ne m’a soutenue », estime Alice. Marie elle ne cache pas son émotion : « Évidemment je suis tombée des nues. J’avais conscience des risques des réseaux sociaux, mais pas de la méchanceté des gens ! » 

Cette photo diffusée à l’insu d’Alice a eu de très graves conséquences pour la jeune fille. La plus dramatique, une tentative de suicide, suivie d’un séjour en unité psychiatrique. Près d’un an après, l’adolescente est toujours suivie. 

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« Je ne fais plus confiance à personne »

Elle ne s’étend pas sur cette question. Elle revient plutôt sur son changement d’établissement scolaire : « J’ai changé de lycée, mais deux mois après mon arrivée dans le nouveau, une fille que je croyais mon amie a répandu à nouveau les rumeurs. » Désormais, Alice suit des cours à domicile car dit-elle : 

Je ne fais plus confiance à personne. Je n’y arrive plus. 

Difficile en effet d’accorder sa confiance quand, selon elle et sa mère, même un policier et des médecins des services psychiatriques l’ont fait culpabiliser. « On m’a dit que c’était de ma faute, que je n’aurais pas dû faire cette photo. » Marie, sa mère, est scandalisée : 

Ce n’est pas aux filles de se sentir coupables mais à tous ceux qui diffusent les photos à leur insu. Ma fille se sent davantage coupable que victime, alors que cela devrait être l’inverse. 

L’enquête pour retrouver la personne à l’origine du compte incriminé se poursuit et dépend notamment de la collaboration de l’entreprise Snapchat. 

Que fait Snapchat ?

Contacté par 76actu, un porte-parole de Snapchat (Facebook et Twitter n'ayant pas donné suite à nos sollicitations) développe la politique du réseau social pour lutter contre le harcèlement. « Nous prenons des engagements très sérieux pour protéger les Snapchatters de tous les abus sur notre plateforme », assure le porte-parole. « Nous travaillons avec les meilleurs experts en sécurité pour façonner notre approche de ces problématiques. » 

Nous avons également conçu un centre de sécurité en ligne pour donner aux parents, enseignants et Snapchatters des conseils, recherches et documents sur la sécurité pour préserver celle de nos utilisateurs. 

Snapchat précise également qu’il incite vivement ses utilisateurs « à signaler tout abus via le site de support ou dans l’application. Ce signalement permet de capturer le Snap ou la Story signalés et nous permet de mieux appréhender la situation et prendre les mesures appropriées ».
L’entreprise poursuit : « Notre équipe dédiée travaille jour et nuit pour étudier les signalements lorsqu’ils en sont avertis. Dans la grande majorité des cas, nous répondons dans les 24 heures qui suivent le signalement. Quand des Snapchatters violent nos règles, nous retirons le contenu offensant et pouvons suspendre le compte. » 

Ces mesures internes à l’application permettent avant tout de stopper la propagation des contenus. Mais les autorités françaises doivent ensuite pouvoir compter sur la coopération des différents réseaux sociaux pour pouvoir enquêter et trouver les auteurs d’infractions en ligne. Ce qui n’est pas toujours une mince affaire…

Les réseaux sociaux,
une zone de non-droit ?

©Manon Loubet/Normandie-actu/Archives

Bien souvent, les victimes de harcèlement ou de diffamation n'osent pas déposer plainte. C’est en tout cas ce que constate Me Aurélien Bêche, avocat au barreau de Rouen. « Il y a un sentiment d’impunité sur ces réseaux, à cause de l’anonymat ou de la lenteur des procédures. Les victimes ont l’impression que cela ne sert à rien, qu’une plainte n’aboutira pas. Cela renforce le sentiment d’impunité des auteurs d’infractions, qui pensent déjà que parce que c’est sur Internet, c’est moins grave », déplore-t-il. 

Des processus lents

Le porte-parole de Snapchat assure à 76actu de la collaboration de son entreprise avec les autorités pour « investiguer sur les activités illégales et se conformer aux demandes valides ». Comprendre que Snapchat collabore mais cherche également à préserver l’anonymat des comptes de ses utilisateurs.
Les magistrats doivent donc user de traités d’assistance judiciaire mutuelle et de commissions rogatoires pour pouvoir obtenir les informations nécessaire à une enquête. 

Me Bêche, souligne que « les plateformes prennent souvent du retard pour répondre aux réquisitions. Twitter notamment est en général plus lent ». Une
« lenteur » dont Snapchat dit « avoir conscience » tout en promettant faire au mieux pour « éviter que des Snaps soient supprimés lorsqu’il y a des poursuites et que les magistrats souhaitent récupérer les données ».
Le commissaire Nicolas De Golmard, qui dirige la Sûreté départementale de Seine-Maritime, reconnaît que « cela se passe de mieux en mieux avec les plateformes », ce qui donne « des résultats très probants ».

La loi est-elle adaptée ?

L’avocat, à l'instar des magistrats et policiers, s’est en tout cas adapté aux nouveaux usages. « Internet et les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’ampleur dans les affaires que je traite, aussi bien au pénal qu’au civil », remarque Me Bêche. Même son de cloche du côté du procureur de Rouen Pascal Prache qui constate
« une montée en puissance des affaires liées aux réseaux sociaux, que ce soit en diffamation, harcèlement ou atteinte à la vie privée. Il y a des formations spécifiques pour les magistrats pour s’adapter à ces nouvelles technologies. Nous avons aussi des services dédiés. » 

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Le procureur juge également que « la loi évolue pour s’adapter, je n’identifie pas de vide juridique. Concrètement, Internet n’est pas une zone de non droit ». 

Sur un certain nombre d’infractions, le fait d’utiliser un moyen de communication en ligne est une circonstance aggravante. 

Pour le commissaire De Golmard, « il y a des textes de loi, notamment sur le harcèlement, qui sont suffisamment larges pour être interprétés à l’aune des réseaux sociaux ». 

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Me Bêche est moins catégorique sur la capacité de la Justice à faire totalement face à ces faits nouveaux. « La loi a toujours un décalage avec la pratique », estime-t-il. « En général, la réponse pénale vient quand les faits sont graves. Mais on avance dans le bon sens, avec des textes nouveaux comme la loi Schiappa qui punit désormais les raids (le fait d’appeler un groupe ou une communauté à cyberharceler une ou plusieurs personnes, ndlr). » 

La nécessité de déposer plainte

S’ils divergent sur la capacité de la loi à affronter les dangers des réseaux sociaux, avocat, procureur et policier s’accordent tout de même à dire que ces plateformes ne sont pas une zone de non-droit. 

Et tous trois insistent sur une nécessité pour les victimes : déposer plainte. « Les policiers sont tenus de prendre les plaintes », rappelle Me Aurélien Bêche. « Si ce n’est pas le cas, vous pouvez également déposer plainte directement auprès du parquet. » Le commissaire De Golmard souligne lui aussi que « la police a besoin d’une plainte pour être au courant de ce genre de faits. Ensuite, nous pouvons investiguer sur ces réseaux comme sur une scène de crime, pour faire des recoupements, retrouver des informations ».
Il conseille également aux victimes de se munir d’un maximum d’éléments, notamment des captures d’écran, pour faciliter le travail des enquêteurs.

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Pour le pire...
mais aussi pour le meilleur

Frédéric Bourgeois/La Renaissance-Le Bessin/Archives

Les réseaux sociaux sont un terrain dangereux, notamment pour les plus fragiles. Il convient donc d'être vigilant. Mais fort heureusement, Facebook, Snapchat, Twitter et les autres peuvent également entraîner de beaux élans de solidarité et être de grands vecteurs d’entraide. 

En août 2017, une mariée a pu récupérer l’alliance qu’elle avait perdue sur une plage de Normandie grâce à la bienveillance d’un internaute (photo ci-dessus) qui a publié un appel à témoins sur Facebook. Un an après la perte du bijou et quelques milliers de partages plus tard, la propriétaire a donc pu repasser la bague à son doigt. 

Plus récemment, en juin 2018, Enzo, neuf ans, a pu récupérer une poussette adaptée à son handicap grâce à la force de frappe des réseaux sociaux. Après le vol de sa poussette à Rouen, sa maman avait lancé un appel à la solidarité sur Facebook.
Là encore, des milliers de partages ont permis de régler la situation d’une bien belle manière. L’histoire d’Enzo a attiré l’attention de Florian Thauvin, joueur de l’équipe de France de football, qui a décidé d’offrir une nouvelle poussette à l’enfant.
Sa mère relatait sur 76actu : « Je ne m’y attendais évidemment pas… Pour nous, c’est tellement formidable. Et Florian Thauvin a juste demandé une chose en contrepartie : la photo d’Enzo dans sa nouvelle poussette ! J’espère vraiment qu’on va pouvoir le voir après le Mondial pour le remercier. C’est tellement gentil. » 

La solidarité des réseaux sociaux a également permis, en juillet 2018, d’aider Morgan, jeune SDF à Caen, à retrouver un toit et une vie normale après six mois passés dans la rue. 

Christophe, sans abri au Havre, a lui aussi bénéficié d’un bel élan de solidarité en août 2017. Une internaute, émue par son histoire après l’avoir rencontré, a décidé d’appeler à l’aide sur Facebook. Toute une chaîne de solidarité s’est alors nouée pour lui fournir nourriture, vêtements, aide à la recherche d’emploi… 

Des histoires qui réchauffent le cœur et qui prouvent que les réseaux sociaux sont autant capables de détruire des vies que d’en sauver.

Julien Bouteiller pour Normandie-actu