En Normandie, elles apaisent les corps et les cœurs de patients atteints du cancer

Socio-esthéticiennes en milieu hospitalier, Marine, Valérie et Isabelle mettent les soins esthétiques au service du bien-être des malades. 

Comme dans un salon de beauté classique, elles appliquent des crèmes, des lotions, des vernis, font des massages, donnent des conseils. Sauf qu'elles exercent en oncologie médicale, auprès de patients atteints de cancer, avec des produits dermocosmétiques adaptés aux peaux fragilisées.

Des soins gratuits, pris en charge par les établissements médicaux, aidés par de nombreux donateurs. Plongez dans le quotidien de trois socio-esthéticiennes : Marine Grall, à la clinique des Ormeaux du Havre, Valérie Le Mellot, au centre Henri-Becquerel de Rouen (Seine-Maritime), et Isabelle Le Flem, au centre François-Baclesse de Caen (Calvados).

« Ça va au-delà de 'on se fait les ongles' »

Hydratation du visage, modelage du dos, manucure adaptée, maquillage correcteur... intégrées au sein d'équipes pluridisciplinaires, les socio-esthéticiennes exercent dans leur espace beauté, où elles accueillent notamment les patients traités en hôpital de jour, mais aussi en chambres classiques et stériles. Cela peut paraître futile, c'est en fait le contraire.

Oncologue et coordinateur du service de soins de support au Centre Henri-Becquerel de Rouen, Olivier Rigal est convaincu : « La socio-esthétique apporte beaucoup de bénéfices aux patients, qu'ils soient au stade de l'annonce de leur maladie, du traitement, de la guérison ou en fin de vie. C'est clairement indispensable, ça va au-delà de 'on se fait les ongles' ». Il développe :

« Les socio-esthéticiennes savent choisir les bons produits et donner des conseils techniques pour masquer une irritation liée à la radiothérapie ou hydrater une peau asséchée par la chimiothérapie. 
Elles sont aussi formées pour écouter, encaisser et échanger. Et en fonction des besoins du patient, elle peuvent les renvoyer vers un autre professionnel du service de soins de support : une nutritionniste, un psychologue, une assistante sociale, un sexologue... Aujourd'hui, personne ne remet en cause le bien fondé de ces soins, le bien-être apporté. »
« Le soin est une passerelle »
Marine Grall, socio-esthéticienne à la clinique des Ormeaux, au Havre (Seine-Maritime). (©Aurélia Morvan / Normandie-actu)

Esthéticienne en institut pendant 14 ans, Marine Grall avait « de plus en plus de mal avec le commerce, le fait de devoir atteindre des objectifs financiers ». 

Changement de vie amorcé. « Au revoir Nocibé, bonjour les Ormeaux », sourit-elle. En effet, après un an de formation à la socio-esthétique, entre 2014 et 2015, elle a rejoint le Centre de rencontre et d'information sur le cancer (Cerica), le service de soins de support de la clinique havraise.

Son quotidien désormais, pratiquer des soins esthétiques sur des personnes touchées par le cancer. « On est là pour réconforter le corps, mais aussi l'esprit. J'essaie de faire en sorte qu'il n'y ait pas de rupture entre les deux, pour que le patient puisse traverser son épreuve le mieux possible », pose d'une voix calme la jeune femme.

« Le soin est une passerelle, il n'est pas secondaire, mais il permet d'aller au-delà. »

« On nous a retiré tout ce qu'on avait de féminin »

Ce jour-là, dans sa « cabine cocooning », elle reçoit Nathalie, 46 ans. Pour elle, comme pour la plupart des patientes suivies aux Ormeaux, c'est un cancer du sein. Après dix mois de traitement, elle est dans « la phase où tout repousse ». Marine vient la voir « pour le renforcement des ongles et pour la reconstruction des sourcils ». Des sourcils qui, elle nous le fait comprendre, sont encore trop absents.

« Pendant le traitement, on nous a retiré tout ce qu'on avait de féminin, alors on est focalisé sur la maladie. C'est après, qu'on a envie que ça redevienne comme avant. Donc la repousse, ça paraît long », confie la patiente, pudique.

Au sujet de ses cheveux, qui eux aussi sont tombés, elle dit : « J'ai du mal, je ne les ai jamais eu aussi courts ». Leur perte ? « Ça a été terrible ». Ni ses enfants, ni son mari ne l'ont vue sans perruque, sans turban. 

La séance se termine, Marine a fini de tracer les lignes de ses sourcils, une illusion nécessaire. « Ce soir, je vais bien regarder et je vais les voir », espère Nathalie, qui reviendra sur ce même fauteuil dans un mois.

« Petit à petit, on se dit qu'on est encore belle... »

« Quand on va mal, quand on a un petit coup de mou, on sait à quelle porte on peut frapper. C'est ici que l'on vient pour chercher du réconfort. » La patiente suivante ne tarit pas d'éloges quand il s'agit de parler du travail de Marine. 

Arlette, 56 ans, est traitée depuis 2013 : cancer du sein. Allongée sur une couverture chauffante, charlotte sur la tête, musique relaxante en fond sonore, elle poursuit :

« Les réponses, on ne les trouve pas auprès des médecins, mais auprès de Marine. Dans notre malheur, on a beaucoup de chance. Elle nous donne des conseils sur tout ce qui va être endommagé par la chimio. Quand j'ai perdu mes cheveux, j'ai fait un déni de féminité, j'ai complètement arrêté de me maquiller. Finalement, grâce aux conseils, j'ai recommencé à me mettre du rouge, puis, petit à petit, on se dit qu'on est encore belle... »
« Je voudrais maquiller des gens malades »
Valérie Le Mellot, socio-esthéticienne au centre Henri-Becquerel, à Rouen (Seine-Maritime). (©Aurélia Morvan / Normandie-actu)

Non loin de là, à Rouen, Valérie Le Mellot exerce l'esthétique sociale au centre Henri-Becquerel, qu'elle a intégré il y a dix ans, avant de partir puis de revenir. Pour elle, ce métier « est une passion, une conviction ». Quand ses grands-parents lui demandaient ce qu'elle souhaitait faire plus tard, à six ans déjà, elle répondait : « Je voudrais maquiller des gens malades ».

C'est chose faite ! À 53 ans, après un bac et des petits boulots en secrétariat, un CAP en esthétique raté puis réussi, et une formation de socio-esthéticienne validée en 2005, elle est finalement ce quelle a toujours voulu être : « une papouillo-thérapeute », plaisante-t-elle.

« Le contact peau est une clé. Il nous ouvre la porte des coulisses et amène des confidences. »

Bavarde et ultra souriante, Valérie soigne l'extérieur et l'intérieur de six à huit patients par jour, pendant plus ou moins une heure. Emmanuelle, patiente de 43 ans, est passée entre ses mains cet après-midi-là.

« Les massages me font me déconnecter du cancer »

En février 2017, elle a été diagnostiquée d'un cancer du sein, une maladie contre laquelle sa mère aussi se bat. Après des mois de chimio, une opération et des rayons, elle en est à l'étape du traitement par anticorps : toutes les trois semaines, jusqu'en juin 2018.

Très dynamique elle aussi, Emmanuelle n'attend pas de Valérie qu'elle redore son enveloppe extérieure : « Je me suis aimée à chaque étape, même quand je me suis retrouvée chauve, j'ai simplement tout rasé. Pour les sourcils, je n'ai jamais mis de crayon puisque comme j'ai des lunettes, leur absence ne se voyait pas trop ». 

Non, pour cette patiente, la socio-esthétique joue un autre rôle. Elle explique :

« Ce sont les massages qui me font me déconnecter du cancer. C'est le relâchement complet. Valérie est habituée à cibler les personnalités et avec moi, elle commence tout doucement, alors que ce n'est pas ma façon d'être. Elle me pousse à ralentir. »
« Être belle ou beau est un droit beaucoup moins futile qu'il n'y paraît »
Marie-Thérèse, 63 ans, a eu trois cancers entre 2011 et 2017. Elle vient voir Isabelle, au cente François-Baclesse de Caen (Calvados), tous les mois et demi : « Aujourd'hui on a fait les cils, l'épilation, l'hydratation et le moral ». (©Aurélia Morvan / Normandie-actu)

Au centre François-Baclesse de Caen, Isabelle Le Flem, 51 ans, est aide-soignante esthéticienne depuis 1997. Précurseur dans le domaine, elle affirme « qu'être belle ou beau est un droit beaucoup moins futile qu'il n'y paraît, essentiel parfois ». 

Belle ou... beau ? C'est un fait : la majorité des patients bénéficiant de soins esthétiques en milieu hospitalier sont des patientes. Isabelle estime qu'elle accompagne 1 000 femmes par an, contre cinquante homme. Des patients masculins moins nombreux, mais bien au rendez-vous. Parmi eux, Pascal, 60 ans.

« Ça m'a permis de désacraliser l'hôpital »

Suivi pour un cancer depuis août 2015, il « ne voyait pas l'utilité » des soins de support au début. Il a commencé par la relaxation, la sophrologie puis le sport avec la professeur d'activités physiques adaptées du centre, qui lui a conseillé d'aller voir Isabelle. 

Ce qu'il n'a pas fait à moitié : « C'est l'endroit où je me rends le plus souvent, je viens y chercher une impression d'être ailleurs. Ça m'a permis de désacraliser l'hôpital ». Le côté esthétique ? « C'est que du bonheur », lâche-t-il, timidement. Bon élève, il précise :

« Il n'y a pas un jour où je ne m'hydrate pas la peau. Je le faisais déjà avant, mais je le fais plus précautionneusement, car j'ai appris à le faire durant les ateliers collectifs. »

Dirigés par Isabelle, puis par une conseillère en image, ces ateliers collectifs, semblables à ceux donnés aux Ormeaux et à Becquerel, donnent des outils précieux aux personnes malades : 

« On leur apprend à prendre soin de leur peau, à se maquiller, à choisir les couleurs qui leur vont, on leur fait essayer des chapeaux, des foulards. » 

Un complément indispensable aux soins prodigués. Pour que le cancer n'efface jamais les corps, n'écrase jamais les cœurs.

Aurélia Morvan pour Normandie-actu.